Introduction
L'enseignement privé[1] ou enseignement libre en Tunisie est très ancien, il est plus ancien que l’enseignement public.
Avec l'indépendance du pays, la loi de 1958
relative à l’enseignement à institué
l’école obligatoire et gratuite pour les filles et les garçons, et
l’unification de l’enseignement, et le départ des communautés Juive, Italienne, Française et Maltaises ont
mis un frein à l’enseignement privé qui a enregistré un recul dans ses effectifs . Mais au cours des ces dernières années, nous observons se manifester une demande croissante des
parents pour les écoles primaires privées, confirmée par les statistiques
officielles. Alors, quelle est l’état des lieux de
l’enseignement privé au niveau primaire
? Comment expliquer l’engouement des parents ?
1.
Une nette augmentation du nombre
d’écoles privées et de leurs élèves
Au milieu des années quatre-vingt du
siècle dernier, l’enseignement primaire privé
comptait, près de 6295 élèves, soit 0,51 % de l’ensemble des inscrits dans
l’enseignement primaire, répartis sur 16 écoles (chiffres portant sur l'année scolaire 1985 – 1986). Depuis, le
secteur n’a cessé d’ enregistrer une augmentation régulière , jusqu'à atteindre le chiffre de 28875 écolières et écoliers , au
cours de l' année scolaire 2011-2012 ,et 128 écoles .
Si l’effectif élève ne représente encore que 2,77% du nombre total des élèves inscrits
dans l'enseignement primaire, c’est le taux
d’accroissement enregistré au cours de l'année scolaire 2010-2011, par
rapport à l'année scolaire précédente, qui était significatif ; celui-ci a
atteint 15,71 %.
Evolution du
nombre d’écoles privées de l’effectif élèves
1985 – 2012
Taux
d' accroissement(1) |
l’effectif élèves
|
nombre d’écoles privées
|
Année scolaire
|
6294
|
14
|
1985-1986
|
|
59.9%
|
10066
|
41
|
1999-2000
|
84.34%
|
18556
|
84
|
2008-2009
|
15.91%
|
21509
|
102
|
2009-2010
|
16.01%
|
24953
|
109
|
2010-2011
|
15.71%
|
28875
|
128
|
2011-2012
|
(1) Taux de croissance est calculé pour la période qui sépare deux lignes successives
Source : Statistiques scolaires
2.
Grande concentration géographique du
phénomène
La répartition géographique des écoles
primaires privées en Tunisie montre :
• Une forte concentration dans sept gouvernorats
qui regroupent 87,37 % des élèves et
76,56 % des écoles.
• Que la région du grand Tunis - qui comprend
les gouvernorats de Tunis , Ariana , Manouba et Benarous - compte 18 873 élèves , soit 65,36 % du nombre
total des élèves , et 63 écoles soit
49,21 % .
• trois autres gouvernorats côtiers, Nabeul,
Sousse et Monastir regroupent 6357
élèves soit 22,01 % du nombre total des élèves, et 35 écoles, soit 27,34 % du total.
• L’absence totale d’écoles primaires
privées dans trois gouvernorats : Siliana Jendouba et Tataouine.
3.
Comment expliquer ce phénomène ?
A notre connaissance, il n’existe pas en Tunisie d’ études académiques et de recherches
approfondies sur ce sujet , et tout ce que nous avions pu voir se limite à un paragraphe figurant
dans le rapport de la commission de suivi du programme de l' UNESCO : l’éducation pour
tous , qui remonte à l'année 2000, et à quelques articles publiés dans la presse électronique[2] qui ont parlé de la question en général , évoquant certaines motivations
qui expliquent la demande croissante , au cours des dernières années , sur les écoles
primaires privées , non seulement par
les familles aisées , mais aussi par les familles à revenu modeste .
Parmi les motivations les plus
fréquemment évoquées, on peut en citer ce qui suit :
- « L’adaptation de la vie scolaire dans ces
établissements aux conditions de vie de la famille dans les centres urbains »
d’après le rapport de la commission de suivi du programme :
Education pour tous , [3] la croissance de la demande s’explique par« le
travail des parents à plein temps.L’école privée leur offre … un service particulier qui assure la garde
des enfants tout au long de la journée .A cet effet, ces institutions sont
équipées de cantines et d’infrastructure permettant l’encadrement des élèves
par des activités culturelles et sportives hors de l’horaire réservé à l’enseignement. »
- La recherche d’un enseignement de qualité : Les parents qui choisissent
l’enseignement privé sont à la recherche d'une formation de qualité
en langues étrangères , en particulier le français et l’anglais , et en sciences, pour assurer l’
avenir scolaire de leurs enfants, et ils
sont aussi à la recherche d’ un encadrement et de services meilleurs, que ceux offerts
par l’ école publique , chose qui n’est
pas toujours certaine. Nous n'avons pas d’études
fiables, pour confirmer ou infirmer la
qualité de la formation offerte par ces institutions privées, et de leurs valeurs ajoutées.
La
réussite scolaire des élèves ( bons résultats) serait peut être le résultat d'autres facteurs , comme l'homogénéité des classes , le milieu social et culturel et l’environnement familial, et elle ne serait due aux seules vertus de ces établissements, en dépit de ce qu’affirmait une directrice d’une école privée … en disant que
« «La qualité de l’enseignement dispensé par les écoles privées est irréprochable …Le
nombre d’élèves ne dépasse pas une vingtaine dans chaque classe et les méthodes
pédagogiques appliquées sont très modernes . Les
professionnels du secteur ont compris qu’ils ne peuvent pas réduire
l’enseignement à une simple affaire juteuse»,
Selon certains parents, la réalité est
moins idyllique; et puis, on est en droit de se poser la question
suivante : Est-il suffisant de réduire la taille moyenne des classes et d’utiliser
les méthodes « modernes » pour obtenir de bons résultats ?
En l'absence de données précises sur les qualifications des enseignants et leur
expérience professionnelle, ainsi que celles dont disposent les directeurs de ces
établissements ? Rien n’est moins sûr.
- la recherche d’une scolarisation précoce : Certains parents
désirent entamer la scolarisation de leurs enfants à un âge précoce, ils cherchent
à contourner la barrière de l’âge légal
,imposée par l'éducation nationale, qui ne permet la scolarisation qu’à partir de six ans ( une dispense de quelques mois est accordée ) . Cette
pratique expliquerait le nombre élevé
d'inscrits en première année, à la
rentrée scolaire 2011-2012, parmi les
natifs de 2006 et au-delà , le nombre d'enfants de ce groupe d'âge étaient 1544 sur un total de 7333 , soit un inscrit sur cinq en première année . La
même pratique expliquerait aussi la
baisse spectaculaire du nombre d'élèves dans les classes supérieures : en effet
alors que le nombre d'inscrits en première année atteignait 7333 enfants , ce
nombre n’est plus que de 2729 en sixième
année , c'est-à-dire à la fin de l'école primaire et au moment où on se prépare
au passage au collège , cette baisse ne peut s’expliquer, probablement , que par l’émigration vers le secteur public , après
l'achèvement de la ( ou les) première(s)
année(s) dans l' enseignement privé .
- L’élévation du coût de l’enseignement public : Bien que l’école publique soit
restée gratuite, le coût de la scolarisation
dans ces écoles tend vers la hausse, avec la généralisation des cours particuliers ;
ceux-ci sont devenus quasi obligatoires pour
tous les enfants et ce, depuis les
premières années de l'école primaire. Il semblerait ,selon certains parents ,
que le coût des études dans le privé ne
dépasse pas de beaucoup ,le montant que doivent déverser les parents des élèves
des écoles publiques, chaque mois , pour
assurer les cours particuliers et les leçons de soutien .
- la crise de l’école publique( entre la réalité et la fiction ) :
Plusieurs voix n’ont cessé de dénoncer
la baisse du niveau de l’enseignement public et de la dégradation de sa qualité
et de faire les louanges de l'enseignement privé ; or nous n’avons
pas eu connaissance d’études dignes de ce nom qui ont démontré cet
état de fait ; il s’agit tout au plus de quelques jugements qui ne résistent pas à une lecture ,sans à
priori des résultats de l’école
publique ; nous ne citerons à titre
d’exemple que les résultats du dernier
concours d’entrée aux collèges pilotes( session 2013) au cours duquel les trois premiers lauréats appartiennent à des
écoles primaires publiques ( deux premiers
du Kef et le troisième
de Tataouine ) .
Conclusion :
Cette évolution représente une réelle
menace pour le système éducatif tunisien qui a été la base de la société tunisienne. Depuis l’indépendance,
le gouvernement a tenu à assurer l'égalité des chances pour tous les enfants.
Or le développement de l’école privé risque de saper les fondements de ce principe. L’école
publique se doit de retrouver la confiance de tous les parents, cette confiance
qui a été ébranlé, ces dernières années, par la succession de réformes, souvent mal engagées, qui ont touché les programmes, le système d'évaluation et les modes
de formations et de recrutement des enseignants. Ces réformes n’ont pas toujours obtenues le consensus de tous les
acteurs éducatifs, ni l'acceptation par
les familles tunisiennes dont certaines ont choisi d’aller chercher ailleurs.
Le
système de scolaire français a vécu le même phénomène, " Francois
Dubet " [4], dans
un article intitulé " L'école publique est en danger " , résume bien
les risques de cette évolution en disant que « Le succès des
établissements privés - y compris dans les couches sociales très populaires -
résulte en premier lieu du mécontentement des parents pour l'école publique,
mais aussi de l'assez grande similarité entre ces deux familles. L'école
publique a été conçue pour résister à ces forces d'éclatement, et pour cela
requiert un support d'équité et une vocation éducative. Si ledit système poursuit
sa marche en avant vers une compétition tous azimuts, vers une production de
diplômes réservée à un aréopage privilégié et dépouillée de tout projet
éducatif, alors il y a de quoi être très inquiet. Car alors la mission première
de l'école publique : "faire commun", aura disparu. De 3 à 16 ans,
l'école doit dispenser un seul et même enseignement. C'est la condition d'une
plus grande égalité. Si ce projet échoue, le privé ne pourra que se développer.
Il est temps de rappeler qu'au nom de l'intérêt général, pas plus que l'hôpital
aux médecins ou l'armée aux militaires, l'école n'appartient pas à la
"machine" - ministère, administration, établissements, enseignants -
Education nationale. »
Tunis - Mai 2013.
[1] La loi 118
- 1958 datée du 4 novembre 1958
relative à l’enseignement lui a consacré
le titre 4 ( de l’article 40 à l’article 56) ;la loi 65-1991 du 29 juillet
1991 relative au système éducatif lui a réservé aussi le titre 4 (de l’ article
26 à l’article 31) ; quant à la loi relative à l’éducation et à
l’enseignement scolaire N° 80 -2002
datée du 23 Juillet 2002 lui consacré aussi le titre 4 ( de l’article38 à
l’article 44)
[2] Boulaâba, Imededdine , L’Ecole primaire privée en Tunisie , http://www.webmanagercenter.com/actualite/economie/2008/06/04/43258/l-ecole-primaire-privee-en-tunisie#comm577 consulté le 19 /5/2013
W.K - L’enseignement privé primaire en Tunisie : les raisons du
succès, Le Quotidien, http://www.tunisia-today.com/archives/45693 consulté le 19/05 / 2O13
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