Avant propos
Nous avons déjà publié deux parties du
rapport préparé par la Direction de l’instruction publique de la régence tunisienne
en 1899 consacré aux pratiques des instituteurs et des institutrices dans le
domaine de la correction des devoirs et exercices écrits.( note du 21 décembre2014 et note du 18 janvier 2015)
Cet aspect de la vie scolaire a une
grande importance dans l’enseignement, surtout à l’école primaire qui n’a cessé de polariser l’intérêt des élèves
et de leurs parents et de l’autorité pédagogique.
Cette troisième et dernière partie s’intéresse à la correction spécifique des
différents exercices ou devoirs écrits faits par les écoliers comme les
exercices de grammaire, de dictée, d’écriture ou de calcul… la correction de ces exercices écrits se
faisait selon une approche associative qui implique la participation active de l’élève,
suivant des styles et des techniques précis.
Le rapport ,préparé par la direction de
l’instruction publique, n’est ni une
étude théorique ni un recueil de directives et de recommandations produites par
l’autorité scolaire centrale, il s’agit en réalité d’une présentation ou d’une
reproduction de pratiques de quelques institutrices et instituteurs exerçant dans
des écoles publiques en Tunisie à la fin du dix neuvième siècle réparties à
travers la régence . Les témoignages relatent des pratiques très variées selon
le milieu et traduisent une grande passion de leurs auteurs, leur amour et leur
engagement dans la mission libératrice de l’école.
En lisant ces témoignages, nous constatons
que leurs auteurs ont mis au point des techniques qui restent encore valables aujourd’hui.
Avant de passer en revue ces techniques,
il faudrait préciser que toutes les données du rapport portent sur
les disciplines enseignées en langue française uniquement et ne concernent pas
toutes les matières puisque le dessin,
l’histoire ou la géographie par exemple n’ont pas été évoqués par un nombre
suffisant d’instituteurs.
Voici les extraits du rapport relatifs à la correction
de certains types d’exercices et de devoir
1. La correction
des devoirs de grammaire
Témoignage de M M.Champaver
« Un élève est d’abord envoyé au tableau
noir ;Comme tout exercice de grammaire n’est que l’application d’une règle
expliquée la veille, ou au début de la leçon du jour, je demande à cet élève de
me répéter ladite règle en me donnant quelques exemples de son choix .Ce travail
préparatoire a pour but , non seulement de revoir ce qui a été déjà vu mais
surtout d’appeler l’attention des élèves sur ce que j’attends d’eux , de bien les mettre en face de ce qu’ils vont
avoir à faire . Cela fait, il est procédé
à la correction par épellation, chacun des élèves épelant à son tour un
mot ou une phrase, comme cela se fait pour la dictée, et en s’inspirant des mêmes principes que pour la correction de cette
dernière. »
Témoignage de
M.Carrier
« Un
élève lit la phrase et épèle le ou les mots se rapportant à la règle qu’il
s’agissait d’appliquer et énonce cette règle »
2. La correction des devoirs d’orthographe
Voici les séries de procédés recommandés : les mêmes reviennent
dans plusieurs travaux. Il serait long et inutile de citer tous les passages
qui s’y rapportent.
a)
Correction par comparaison avec le texte même pris dans un livre
que les enfants ont entre les mains ( Mme Bitaubé) ou avec le texte préalablement écrit au
tableau noir par le maître et caché aux yeux des élèves pendant la dictée par
un rideau ou une carte qu’on enlève au moment de la correction (MM. Bauquier et Maspoli) . Quant à M. Serres, la dictée terminée , la dicte de nouveau
à un élève qui l’écrit au tableau noir ; les élèves rectifiant d’après ce
modèle corrigé.
b)
Correction par épellation. L’épellation se fait généralement
d’après le travail de l’élève, que le maître fait ensuite rectifier, s’il ya
lieu. M.
Defranchi emploie un
procédé un peu différent :
« je remets le livre à l’élève qui a fait la dictée sur le cahier
de roulement et je prends moi-même ce cahier. Cet élève épelle, et au fur et à
mesure, les élèves et moi nous corrigeons ».
Quels mots faut-il épeler ? « Dans le cours élémentaire, on épelle
tous les mots ; dans le cours moyens, on se dispense d’épeler les particules
bien connues ».
(M. Carrier)
« je me garde de faire épeler machinalement tous les
mots de la dictée sans exception, ce serait peu utile, peu intéressant et peu intelligent,
on épelle donc seulement les mots offrant quelques difficultés ». (M. Champayer)
(M. Chauffin) « néglige les mots que chacun écrit correctement, les
articles , certains pronoms ,
certains mots invariables».
(M. Surdon) ne fait épeler que« les mots les plus difficiles».
Les explications, rappel des règles d’accord, critique de l’orthographe
fautive, justification de celle proposée et de toutes les questions se
rapportant à la correction sont généralement faites au cours de l’exercice au
fur et à mesure qu’il se développe .Quelque maîtres cependant réservent ce travail pour la fin de
la leçon, après la correction de toute la dictée.
M. Cleyet
fait inscrire au tableau noir, par un élève, au cours de la correction,
les mots présentant quelques difficultés, M. Chauffin fait
lui même au tableau les fautes d’usage.
Le relevé des mots fautifs se
fait par chaque élève , soit à la suite de la dictée, soit plus rarement sur un
carnet spécial « les élèves sont tenus de relever sur un carnet
spécial les mots fautifs, d’en chercher la signification et construire une
petite phrase sur chaque mot » M.
Canton
M. Chauffin
fait relever à chaque élève la liste de toutes les fautes d’usage de
l’ensemble des dictées - Inscription sur le cahier du nombre de fautes faites
par chaque élève.
3. La correction
des devoirs d’arithmétique, du système métrique et de calcul.
La correction a toujours lieu par un élève au tableau noir. Exécution
complète de tous les calculs.
Le raisonnement est simplement indiqué oralement, ou résumé par les
indications des opérations à effectuer ou parfois complètement écrit au tableau
noir. Les élèves corrigent d’après ces renseignements, soit au cours, soit à la
fin de l’exercice.
Quelques maîtres ajoutent ou font
ajouter sur les cahiers l’une des lettres E ou F (exact ou faux).
M. Bitaubé fait diviser la page en trois colonnes.
Une autre remarque de M. Chauffin : « je demande quels sont les élèves qui ont suivi une autre marche que
celle suivie par la correction. L’un d’eux vient l’indiquer au tableau. Chacun
peut comparer les deux raisonnements .J’indique lorsqu’il y a lieu, ce qui le
plus naturel et que, par suite, il aurait fallu adapter de préférence ».
4. La correction
des devoirs d’écriture
Quelques maîtres seulement ont parlé de cette matière
Témoignage de M.Carrier.
« Le modèle est mis au tableau, la leçon
est expliquée. Un élève passe au tableau, reproduit la lettre qui est à l’étude
.Je fais relever les défauts par les autres élèves ; je complète la
critique, s’il ya lieu, en y joignant le plus souvent un mot d’encouragement
.Pendant que les élèves écrivent, je passe rapidement près du plus grand possible,
ne corrigeant que la lettre formant l’objet de la leçon et je trace moi même un
modèle de cette lettre sur le cahier ».
Témoignage de M.Champaver « quelque soit la méthode
employée, cette correction a longtemps lieu pendant l’exécution même du devoir,
le maître passant derrière les élèves
pour rectifier les attitudes vicieuses, les lettres mal formées, les
mots incorrectement orthographiés, etc. Pendant les derniers instants de la
leçon le maître peut aussi commencer à donner les notes ».
Témoignage de M. Carrier
« Je distribue une ardoise à chaque élève qui la
place devant lui et croise les bras. J’énonce le problème. Sur un signal les
élèves prennent leur crayon, écrivent promptement leur réponse en gros caractères et posent leur crayon.sur
un deuxième signal ils lèvent leurs ardoises. Je me rends compte des résultats
obtenus. Je signale les réponses erronées. Je fais expliquer par un élève qui a
réussi la marche qu’il a suivi ».
Commentaire
Cette dernière partie du rapport confirme la règle pédagogique qu’on a
déjà relevée dans la première partie , qui consiste à laisser la libre
initiative à l’enseignant pour choisir la méthode , le style ou la technique qui
convient le mieux au milieu où il exerce et le type d’activité qu’il entreprend
et la matière .
D’autre part , cette partie du rapport montre l’importance de chaque
matière et les méthodes de correction qui lui est spécifique ; les différentes
expériences relatées par les instituteurs et institutrices montrent le grand intérêt
qu’ils accordent à la correction à l’école
primaire , la considérant comme l’un des pilier de l’apprentissage.
Il apparait , à travers les témoignages, que l’approche dominante à
cette époque au cours de l’évaluation était une approche « applicationniste »
puisque les exercices n’étaient que des applications directes d’une règles ou d’une
méthodes vues précédemment et que la bonne réponse était considérée par l’instituteur
comme la preuve de leur acquisition et leur assimilation par les élèves ;
c’est ce qui explique que la correction se faisait le plus souvent au tableau par un
élève selon la démarche stéréotypée suivante :
- mettre au tableau noir la
réponse d’un élève
- évaluer , critiquer et
éventuellement rectifier en cas de besoin ;
- rappel de la règle, de la technique ou de la marche à suivre ;
- la consolider par d’autres
exemples ;
- enfin, reproduire le corrigé et parfois la règle sur les cahiers ou
dans un carnet spécial pour faciliter la révision.
Au cours de la correction, l’instituteur
accompagne ses élèves, aidant à corriger
leurs fautes, rappelant les règles, reprenant ses explications en cas de besoin,
s’arrêtant sur certains détails quand il s’aperçoit que la classe ne les a pas
bien assimilés. C'est-à-dire on est en plein dans la pratique de l’évaluation
formative et loin de l’évaluation sanction.
Traduction et commentaires : Hédi Bouhouch &
Mongi Akrout, Inspecteurs généraux de l’éducation
Tunis - Décembre 2014
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