Avant-propos
Malgré
les réformes successives du système éducatif, en
Tunisie, avant l’instauration du protectorat français, telles que la réforme de l’enseignement Zitounien qui était l’enseignement dominant, ou
la création du collège Sadiki qui était une synthèse intelligente entre les traditions culturelles
arabo-islamiques et l'enseignement moderne européen, la jeune fille musulmane tunisienne
n'a pas eu sa part dans toutes ces réformes, jusqu’à la fondation, en 1900, d’une
école moderne pour « les filles musulmanes tunisiennes »[1],
connue aujourd'hui sous le nom du" lycée rue Al Pacha", à Tunis.
Quelles
sont les caractéristiques de la situation de l'enseignement à l’époque ?
Comment peut-on expliquer le retard de la scolarisation des jeunes filles, en
comparaison avec les garçons ? Quel fut le rôle cette école dans le dans le
développement de l'éducation des filles tunisiennes, en général ?
Première Partie : l'éducation des
filles tunisiennes avant le protectorat
Jusqu’au
début du vingtième siècle, la question de l’enseignement de la fille musulmane
et la promotion de sa scolarisation étaient la grande absente dans les différents
plans de réforme de l'enseignement en Tunisie.
L’apparition
d’écoles privées étrangères dès le milieu du dix neuvième
siècle n’a guère changé la situation de la scolarisation des filles tunisiennes, puisque leur présence y a été insignifiante[2],
l’éducation de la fille tunisienne musulmane se réduisait à l’apprentissage des
tâches ménagères , et de quelques métiers manuels artisanaux comme le tissage,
la broderie et la couture...Il n’est pas alors surprenant d’avoir en 1900 un taux d'analphabétisme autour de 99℅ parmi
les femmes tunisiennes ( musulmanes et juives).
1.
L’absence
d’un plan pour la promotion de la femme
Malgré
l'intérêt de certains réformateurs, tels que Ibn Abi Dhiaf et Khair-Eddine, pour la cause de la femme et son
éducation , à la lumière des questions qui leur ont été posées par les étrangers, visitant ou résidant en Tunisie, les
différentes réformes scolaires , y compris celles instituées par Khair-Eddine
Pacha, n’avaient décidé aucune mesure en faveur de la scolarisation de la jeune
fille musulmane tunisienne , ni au niveau
des kouttabs (enseignement coranique élémentaire), ni au niveau des annexes de
la grande mosquée. L’instauration du protectorat français, en 1881, n’a guère changé les choses, puisque
la Direction de l'instruction Publique qui avait en charge la question de
l’enseignement , n’a pensé à ouvrir la première école pour les filles musulmane qu’en
1908, c'est-à-dire , 25 ans après la
fondation des écoles franco-arabes, alors que la première école pour les filles
Françaises existait depuis 1885 ; il s’agit du "collège Jules Ferry", qui a été
fondé pour permettre aux familles
françaises installées en Tunisie d’assurer
à leurs filles un enseignement similaire
à ce que recevaient les filles françaises en France.
Le
retard de l’administration française et sa réticence s’expliquaient, peut- être,
par sa crainte des réactions des Oulémas et des familles tunisiennes qui voyaient dans
l'éducation moderne, en particulier l'éducation des filles, une violation des
traditions culturelles enracinées dans les pays arabo - musulmans.
2.
Les
écoles privées des Communautés étrangères
La
première école de filles, en Tunisie, remonte à l'année 1840, avec l’installation
des Sœurs de Saint Joseph de l'Apparition à Tunis, après leur expulsion d'Algérie[3].
Depuis, d’autres écoles de filles ont été fondées par des congrégations
religieuses pour atteindre 15 écoles modernes en 1852.
Depuis
1852, l’importante communauté italienne installée en Tunisie a, elle aussi,
ouvert ses propres écoles ; et, en 1855, le Consulat italien a fondé une
école de filles ; la communauté maltaise fonda une école anglo-maltaise
pour ses enfants.
Ainsi,
en 1881, à la date de l’instauration du protectorat français, la Tunisie
comptait 23 écoles étrangères, réparties comme suit : 20 écoles
gérées par des religieux chrétiens (10 pour les garçons et 10 pour filles) - et
trois écoles gérées par la communauté juive.
Le
caractère religieux, (chrétiens ou juifs) de ces institutions, dont certaines avaient
des fins de prosélytisme, explique la crainte et la réticence des familles
tunisiennes qui ne voulaient pas scolariser leurs enfants, et en particulier
les filles, dans ces établissement ; la présence des enfants tunisiens y était
très « faible et même négligeable »[4].
Cependant,
Ces écoles ont contribué à la propagation de l'éducation moderne dans le pays grâce
au soutien matériel et moral des beys de Tunis puis de celui des autorités
coloniales française depuis 1881.
3.
Le rôle des « dar
al moallma » ou des « maitresses - ouvrières »
A
défaut de la scolarisation, les familles aisées organisaient pour leurs
filles des cours particuliers à domicile,
où elles apprenaient les règles de la
religion musulmane, la lecture, l'écriture, et même les langues étrangères ;
quant aux autres familles, qui ne pouvaient ni financer des cours particuliers
à domicile pour leurs filles ni les envoyer aux kouttabs, ou aux annexes de la Grande Mosquée, elles choisissent
de les mettre en apprentissage dans des maisons qu’on appelait « Dar moallma », où elles apprennent
à tenir un foyer, et selon le milieu , la
couture, le tissage, la broderie , le tricotage
…,
c’est à dire les préparer à bien tenir un
foyer, et à dispenser les soins nécessaires à l’éducations de leurs
futurs enfants.
Ces
maisons se trouvaient dans les différents quartiers de la capitale et dans les autres
villes ; elles accueillaient les filles âgées de 5 à 12 ans ; elles
étaient gérées par des Moallmas qui supervisent l'apprentissage et l’éducation des
filles ; les Moallmas mettaient en vente - à leurs propres profits- les
objets et les travaux réalisés effectués par ses élèves.
Quand
les jeunes filles achèvent leur formation, certaines se mettaient à préparer
leur trousseau de mariage chez elles, alors que d’autres continuent à travailler
chez leur maîtresse italienne ou maltaise qui ne manquait pas de les exploiter,
en leurs achetant leurs travaux de broderie ou autres à des prix dérisoires,
pour les revendre.
Parmi les plus célèbres maisons de l’époque, on peut citer l’Ecole primaire de filles musulmanes de la
rue du Riche connue sous le nom "Dar Bint
al Fakhri ", qui enseignait, au début du XXe siècle, l'arabe et la
religion musulmane, la grammaire et l'arithmétique ainsi que la broderie, ce
qui a incité les autorités éducatives d’en
faire, dès 1911, une annexe de l'École Normale des institutrices de Tunis,
spécialisée dans la préparation des institutrices tunisiennes et européennes qui se destinaient
à exercer dans des écoles françaises, ou
dans les écoles franco-arabes.[5]
C’est
dans ce contexte qu’était née la première école de filles musulmanes qui a ouvert,
timidement, ses portes au mois de mai de l’année 1900[6].
A suivre la deuxième partie
Hédi Bouhouch et Mongi Akrout,
Inspecteurs généraux de l’éducation, retraités.
Août 2013.
Articles sur le
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AAA - L'enseignement de la Tunisienne du début du XXe siècle à l'Indépendance
Baccar bournaz Alia «La Dame de Dar El Bacha» Zoubeïda
Amira, première éducatrice tunisienne (1917-2006) la presse de la femme , 17-09-2010
Bakalti,
Souad, 1990, « L’enseignement féminin dans le primaire au temps de la Tunisie
coloniale » , revue de l’institut des Belles Lettres Arabes
,53 ,166 :249-273.
Bakalti ,Souad. (1996). La
femme tunisienne au temps de la colonisation 1881-1956. Paris: l'Harmattan.
Julia Clancy Smith, « L'École Rue du Pacha,
Tunis : l'enseignement de la femme arabe et « la Plus Grande
France » (1900-1914) », Clio. Histoire‚ femmes et
sociétés [En ligne], 12 | 2000, mis en ligne le 08 février 2005,
consulté le 09 janvier 2015. URL : http://clio.revues.org/186 ;
DOI : 10.4000/clio.186
Julia Clancy Smith, l’éducation des jeunes filles
musulmanes en Tunisie :
Missionnaires religieux et laïques , in Le pouvoir du genre :Laïcité et religions1905-2005 ; PUM 2007 Florence
Rochefort
Presses Univ.
du Mirail, 2007 - 272 pages
[1] Julia Clancy Smith, « L'École
Rue du Pacha, Tunis : l'enseignement de la femme arabe et « la Plus
Grande France » (1900-1914) », Clio. Histoire‚ femmes et
sociétés [En ligne], 12 | 2000, mis en ligne le 08 février
2005, consulté le 09 janvier 2015. URL : http://clio.revues.org/186 ;
DOI : 10.4000/clio.186
[2] En 1885 l’école
primaire pour jeunes filles tenue par les sœurs de saint Joseph de l’apparition
à la Goulette ne comptait parmi ses 148 élèves qu’une seule fille musulmane et
16 jeunes filles juives. Julia Clancy Smith, l’éducation des jeunes filles musulmanes
en Tunisie : Missionnaires religieux et laïques, in Le pouvoir du
genre : Laïcité et religions1905-2005 ; PUM 2007
[3] Ahmed bey (1837-1856) qui avait
accordé refuge Sœurs de Saint Joseph de l'Apparition après leur expulsion
d’Algérie , avait accordé aux sœurs le premier bâtiment de l’école situé à Sidi
Saber ( Julia Clancy Smith, l’éducation
des jeunes filles musulmanes en Tunisie :
Missionnaires religieux et laïques , in Le pouvoir du genre :Laïcité et religions1905-2005 ; PUM 2007
[4] - Souad BAKALTI, La femme tunisienne au temps de la
colonisation (1881-1956)
p 116 , L'Harmattan, 1996.
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