Prélude
Nous avons déjà présenté aux lecteurs du blog
pédagogique la première partie des expériences des instituteurs de l’enseignement public en Tunisie à la fin du dix neuvième siècle , il s’agissait de trois extraits relatives
aux : méthodes de correction des devoirs des élèves - l’échange des
cahiers entre les élèves, et le contrôle des cahiers.
Nous présentons aujourd’hui une deuxième partie de ces expériences dans laquelle on évoque d’autres aspects de cette activité à
savoir la nécessité de la correction, les modes de correction, les moments de la correction
les plus bénéfiques et le rôle du maître et des élèves pendant la correction en commun.
.
Ce qui est caractérise cette partie du rapport ce sont les divers témoignages des
maîtres et des maîtresses exerçant dans les différentes régions du pays,
lesquels témoignages traduisent le dévouement et la grande passion des
instituteurs, ainsi que leur désir de faire évoluer leur pratiques pédagogiques
pour plus d’efficacité et d’utilité.
Le
premier extrait : la nécessité de la correction des devoirs
« Il y a une totale unanimité sur ce point, tous les
devoirs doivent être corrigés ; sinon, il est préférable de ne pas en
donner, même au cas où les parents le demandent. Certains parents, en effet,
jugent de la valeur d’une école d’après le nombre de pages de devoirs écrits
que le maître donne chaque jour aux enfants. Naturellement ces devoirs,
beaucoup trop long et trop nombreux ne sont ni expliqués ni corrigés. Ils sont
à peu près inutiles, plutôt nuisibles aux élèves, qui les font rapidement, sans
soin et sans attention. Les maîtres ne devraient pas, dans ce cas, céder aux
désirs des parents.
La crainte de salir le cahier, de gâter
l’aspect d’un devoir, même d’une page d’écriture, par des annotations, des
corrections, des traits énergiques sous les mots fautifs, n’est plus
aujourd’hui un obstacle à la correction des devoirs.
L’habitude de voir des devoirs corrigés,
annotés, surchargés, a fait perdre au « cahier de relevés » «
cahier de mise au net » « cahier au propre » ou mieux«
cahier propre » (comme le désignait les élèves par opposition au « cahier de brouillon » qui, lui,
pouvait être sale) une grande partie de son importance. On ne redoute plus
guère de montrer à l’inspecteur et aux visiteurs, au lieu du cahier aux pages
nettes et exemptes de toute écriture autre que celle de l’élève, sur lequel
étaient relevés des devoirs toujours parfaits, le cahier des devoirs quotidiens
avec tous les compléments, suppressions, rectifications, annotations,
surcharges que la correction y a amenés.
Pour les mêmes raisons, est condamné le
procédé superficiel et très insuffisant qui consiste à donner, après un examen
rapide et forcément incomplet, une note par un mot : bien, mal … ou un
chiffre, à chaque devoir, ou à chaque page du cahier, à la seule inspection de
l’écriture et de la tenue matérielle du cahier, sans faire aucune correction.
Cela n’est qu’un trompe-l’œil : La note n’est pas raisonnée ; elle
est généralement peu judicieuse. Des devoirs notés, bien, très bien… 8, 9, 10
renferment souvent de grosses et nombreuses fautes. ( p 246) »
Le
deuxième extrait : Les modes de correction
« …Le système des corrections
individuelles par le maître seul, après la classe est unanimement proscrit (sauf
pour la composition française) et
remplacé par la correction en commun (maîtres et élèves) en classe.
Le témoignage de Mme Bitaubé, institutrice à Bizerte « On ne saurait astreindre au maître à corriger
lui-même tous les devoirs de ses élèves. Ce travail fastidieux terminé, quelle
ardeur apportera-t-il à la préparation de sa classe, et quels loisirs
consacrera-t-il à sa culture personnelle ?
Il est cependant acquis que les jeunes
enfants apportent peu de soin à des
devoirs que le maître ne voit pas. Il me parait possible de concilier ces
exigences en substituant la correction de l’élève à celle du maître quand la
nature de l’exercice le permet, et en
prévenant la plupart des fautes par une bonne préparation orales des
devoirs ».
Le témoignage de M° Champaver , instituteur à Kairouan « La correction des devoirs écrits doit, comme
tous les travaux de l’école, être un exercice utile et intéressant ; pour
cela, elle doit être pratiquée avec intelligence. Elle ne doit consister à une
opération machinale et monotone, ne visant qu’à la suppression pure et simple
des fautes ; elle doit également contribuer à développer l’intelligence de
l’enfant ; à lui donner des habitudes de réflexion, de raisonnement ;
elle doit servir, enfin, à assurer les connaissances acquises et à les étendre.
La correction des devoirs doit, toutes
les fois que cela sera possible, être faite entièrement en classe, soit par les
élèves eux-mêmes, soit en leur présence ; ils doivent, quoiqu’il soit,
toujours y participer. J’ai acquis, par une longue expérience, la certitude
absolue que tout devoir corrigé en dehors des classes, c'est-à-dire en l’absence
de l’élève, est un devoir à peu près perdu : l’enfant, sauf de rares
exceptions, ne s’intéresse pas à ce travail fait en dehors de lui, et n’en
retire aucun profit.
La correction des devoirs doit,
enfin, être rapide, expéditive, sans
cesser, pour cela, d’être complète et sûre. : Qui dit rapide ne dit pas
superficielle. C troisième principe n’est que la conséquence de ceux qui
précèdent et comme leur conclusion naturelle. En effet, si l’on admet que la
correction doive être intelligente et que, pour cela, il est nécessaire de
corriger en classe tous les devoirs, on est amené à rechercher par quels moyens
on pourra concilier ces exigences avec celles d’un programme déjà fort chargé.
Cette difficulté est particulièrement
sensible dans les écoles comme la notre, où les élèves indigènes ne consacrent
à l’étude du français que la moitié, et même parfois le tiers, du temps
scolaire. Cependant, un maître soucieux des progrès de ses élèves, doit avoir
la préoccupation constante de rechercher tous les moyens d’employer utilement
le temps dont il dispose.
Pour ma part, j’ai résolu cette
difficulté, au moins dans le cours supérieur, en faisant faire en dehors de
l’école, la plus grande partie des devoirs écrits. Bien que cette solution des
devoirs dans la famille présente des inconvénients inévitables j’ai du m’y résoudre,
j’ai choisi des deux maux le moindre et j’ai préféré un devoir fait à la maison
et corrigé en classe à un devoir fait en classe et corrigé seulement par le
maître.
Dans le cours moyen, là où les exercices
écrits sont moins nombreux, moins longs et moins difficiles il a été possible
de réaliser toutes les conditions désirables, c'est-à-dire des devoirs faits et
corrigés en classe.
Enfin pour les cours élémentaires et le
cours enfantin, dans lequel les devoirs écrits ne consistent qu’en quelques
exercices très élémentaires de copie, de calcul et de dictée, la correction est
faite séance tenante , soit au tableau noir, soit directement par le maître
dans le cahier ou sur l’ardoise ».
Le témoignage de M° Chauffin,
instituteur à Tunis
« La correction d’un devoir n’a sa
raison d’être qu’autant que l’élève peut en tirer quelque profit. Il ne faut
pas oublier que le profit est en raison directe de l’effort. Donc, comme en
toute bonne éducation, il ne faut pas manquer les occasions de provoquer
l’effort chez l’enfant, tout système de corrections auxquelles l’élève ne
participe qu’au dernier plan, est à rejeter. D’après cela, on peut bannir sans
réserve, le genre de travail auquel s’astreint le maître, qui chaque soir,
relève les cahiers des élèves, les examine en détail, les annote et les rend le
lendemain matin, sans avoir bien entendu, le temps nécessaire pour donner à
chaque élève les appréciations qui conviendraient. D’ailleurs, la critique la
plus sérieuse que mérite ce système est celle-ci : il n’y a pas de travail
plus monotone, plus fastidieux, plus énervant pour le maître. Il faut donc
faire toutes les corrections en présence des élèves et avec leur concours, afin
qu’ils prennent à ce travail, une large part ».
Le témoignage de M° Defranchi ,
instituteur à Souk el khmis
« En général, les devoirs écrits
sont corrigés en classe. Les corrections faites après la classe sont le plus
souvent sans profit pour les élèves qui ne se donnent pas la peine de les
regarder ».
le témoignage de M° Frétel , instituteur
à Tunis
« Dans une école primaire, avec des
élèves jeunes, incapables d’un grand effort d’attention, les corrections faites
en dehors de la classe sont inutiles. Il faut corriger les devoirs en présence
des élèves, mieux encore obliger l’élève à corriger lui même son travail. Cette
façon de procéder se justifie aisément ; elle seule éveille suffisamment
l’attention de l’élève, condition indispensable de tout progrès
intellectuel ».
Le témoignage de M° Serres, instituteur à
Tunis
« la correction des devoirs faites
après la classe, n’est à mon avis,
d’aucune utilité pour les élèves, car les cahiers corrigés leur sont à peine
distribués, qu’aussitôt ils jettent un coup d’œil sur la note obtenue , et font
pour la plupart , fort peu attention aux fautes soulignées par le maître ;
aussi j’estime que la correction des devoirs en commun , au tableau noir est
préférable à la première ».
Troisième extrait : Moment de la
correction
Le témoignage de M° Chauffin, instituteur à Tunis
« la faire séance tenante, toutes
les fois qu’il est possible : Une correction , est par elle même une
sanction ; et une sanction a d’autant plus de valeur qu’elle suit de plus
près l’acte méritoire ou non, auquel elle s’applique. Autrement dit
l’appréciation d’un travail quelconque a son maximum de portée au moment où
l’élève est encore tout entier par la bonne exécution de ce travail ; elle
s’intéresse plus que médiocrement si elle se rapporte à un devoir fait les jours
précédents »
Très bon principe que la plupart des
maîtres suivent. Cependant, dans quelques cas, il peut y avoir intérêt à laisser un certain temps de réflexion et de
révision à l’élève entre la rédaction et la correction. D’autre part la
correction immédiate n’est pas toujours possible : Le temps de la leçon peut
être insuffisant ; le devoir peut avoir été fait à la maison ; la
succession des exercices de la classe (laquelle peut avoir plusieurs cours)
n’amène pas toujours, pour tous les cours, une leçon correspondante au devoir.
Dans ce cas force est de renvoyer à un moment ultérieur, au soir ou au
lendemain, la correction du devoir. C’est un inconvénient inévitable. La règle
dans ce cas, est que le devoir sera corrigé pendant la première leçon
correspondant, le problème pendant la leçon de calcul, la dictée au moment
réservé à la leçon d’orthographe, etc…Ce qu’il faut éviter c’est d’avoir un
moment dans la journée spécialement et exclusivement réservé à la correction de
tous les devoirs divers :calcul, dictée, exercice de grammaire, etc, faits
dans la journée.
Quatrième extrait : Rôle du maître et
des élèves pendant la correction en commun
Le maître dirige et surveille la
correction. Les élèves font eux-mêmes les corrections nécessaires sur les
cahiers.
1.
Le maître désigne l’élève qui doit prendre la parole
ou aller au tableau noir.
« les élèves passent à tour de
rôle au tableau noir ; l’attention de tous est sans cesse en éveil. Pour
que le plus grand nombre possible d’élèves
au tableau » témoignage de M° Carrier- Ain Draham
« Pour la correction, comme dans les autres
circonstances, j’envoie au tableau, de préférence, les élèves les moins
avancés, en ayant soin cependant de ne pas désigner trop suivant le même. Il y
a beaucoup de chance, en effet, pour que tout le monde ait compris, lorsque
l’élève médiocre, que j’ai envoyé au tableau, a compris lui-même » témoignage de M° Champaver - kairouan.
M.Cleyet désigne aussi les élèves parmi les plus
faibles.
M.Chauffin choisit l’un des plus faibles.
Chez M.Defranchi les élèves sont désignés à tour de rôle,
il en est de même chez M° Surdon mais l’ordre est indéterminé.
2.
Le maître arrête l’attention des élèves sur les fautes
rencontrées, et, par des questions appropriées, fait raisonner et rectifier les
erreurs par les élèves eux mêmes.
3.
Il a aussi une surveillance générale à exercer. « Pendant la correction, tout en surveillant ce
qui se fait au tableau noir, je jette un coup rapide sur les cahiers » témoignage de M° Carrier- Ain Draham
Quelques maîtres : Mme Canton, M. Cleyet, M.
Défranchi par exemple, corrigent le devoir fait sur le cahier de roulement
pendant que les élèves corrigent le devoir correspondant, renvoyant à la fin de
l’exercice la vérification générale de la correction des élèves.
4. Enfin, quelques uns, avant de clore
l’exercice, donnent une note brève aux devoirs. « cinq minutes me suffisent à jeter un coup d’œil
sur chaque copie et y inscrire une note générale, bien, passable, médiocre, qui
répond à la valeur du devoir et à celle de la correction ». témoignage de Mme Bitaubé
« Je trouve toujours un moment pour passer dans
les tables, pour constater si la correction a été faite consciencieusement et
pour donner une rapide note au crayon de couleur ». témoignage de M.Champaver .
Mêmes remarques de MM.Chauffin ( Tunis) , Surdon (Djerba), Maspoli(Tunis).
C’est à ce moment que le maître décide que tel devoir
est à refaire, tel autre à recopier après correction.
Commentaire
Cette deuxième
partie rappelle et confirme plusieurs règles pédagogiques relatives à
l’évaluation des devoirs écrits qui font l’unanimité parmi le corps enseignant
depuis cette époque, parmi lesquelles on peut citer :
§ La nécessité de faire la correction de
tous les devoirs et les exercices que les élèves font.
§ La correction des devoirs est une
opération délicate, avec des objectifs précis et non une simple formalité.
§ La préférence de la correction
participative (instituteur et élèves) à la correction individuelle effectuée
par l’instituteur tout seul.
§ La correction aide à développer les
capacités d’observation et de réflexion chez les apprenants.
§ La correction est plus efficace et plus
bénéfique si elle est effectuée par les élèves eux-mêmes.
Traduction et commentaires : Hédi
Bouhouch & Mongi Akrout
Tunis - Décembre 2014
Articles sur le même thème
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire