dimanche 21 décembre 2014

Mémoire de l’éducation : La correction des devoirs à l’école primaire , à la fin du dix neuvième siècle : Méthodes et Modalités


Prélude :

Nous avions déjà traité la question de la correction des devoirs dans note du 24 février 2014 ; elle avait suscité, à l’époque, l’attention de nos fidèles lecteurs ; et avait enregistré un nombre important de visiteurs ; c’est la preuve que c’est une question qui interpelle les pédagogues et les parents.

 Vu l’importance de la question, nous avons voulu présenter, à partir de cette semaine, un document historique, qui remonte à la fin du dix neuvième siècle, c’est à dire aux premières années de l’école publique en Tunisie ; il s’agit d’un rapport officiel qui relate  les pratiques  de nos pionniers  instituteurs et institutrices, quant à la correction des devoirs.


 Présentation du rapport  

En mars 1899, [1]la Direction de l’instruction publique avait demandé à tous les instituteurs exerçant en Tunisie de lui faire part de leurs expériences et de leurs pratiques, quant à la correction des devoirs, quelque soit la nature des questions (leur rédaction), leur préparation matérielle et l’exploitation des résultats.
La Direction de l’instruction avait reçu 15 communications de la part d’instituteurs de Kairouan, Médenine, Bizerte, Tabarka, Tunis, Tébourba, Souk el khmis (Bousalem), Manouba et Jerba.
La Direction avait alors préparé un rapport de synthèse qu’elle a publié dans  le bulletin officiel[2], tout en déplorant le manque d’enthousiasme des directeurs des grandes écoles primaires publiques, et ceux des écoles congréganistes, et en remerciant les instituteurs qui ont répondu à l’appel et qui ont bien voulu faire profiter les autres instituteurs de leurs expériences et de leurs pratiques.   
Le rapport a été construit selon les thèmes suivants : La nécessité de la correction des devoirs, le type de correction collective auquel participent les élèves et l’instituteur, le rôle de l’élève et de l’instituteur, les moments de la correction, les techniques et les différents modes de correction, la correction des devoirs et des exercices particuliers, comme les exercices de grammaire et d’orthographe.
 Les thèmes ne sont pas traités d’un point de vue  théorique ; ils le sont d’une manière pratique et opérationnelle, en se basant sur des témoignages des instituteurs et des institutrices.
Ainsi le rapport est venu sous la forme d’un récit des expériences d’enseignants avec leurs élèves, clôturé par les trois conclusions suivantes qui « présentent  assez exactement les idées de l’administration au sujet de la correction des devoirs écrits » :
1.    « Il n’existe pas de système de correction unique méritant d’être recommandé à l’exclusion de tout autre. La manière de procéder doit varier selon les milieux, la composition de la classe, l’âge des élèves et la nature de l’épreuve. Tel procédé qui sera bon dans une classe d’élèves français sera inapplicable dans une classe formée d’élèves de nationalités différentes. Le maître doit rester libre de choisir le procédé qui lui paraitra le meilleur ; du reste son expérience professionnelle, son zèle, son tempérament particulier, seront pour beaucoup dans les résultats obtenus. »   
2.    « La correction doit suivre d’aussi près que possible l’exécution des devoirs. »
3.    « Les élèves doivent être associés à la correction pour qu’elle soit profitable ; le maître ne peut pas corriger personnellement tous les exercices, mais il doit examiner les cahiers de tous les élèves, et s’assurer que les corrections y sont faites avec soin. » p 259.

Nous présentons cette semaine trois extraits du rapport : Le premier décrit une méthode de correction de la rédaction française, le deuxième relate les avis de quelques instituteurs quant à le procédé d’échange des cahiers pour porter les corrections par les élèves, le troisième évoque quelques procédés de révision des cahiers par le maître, après la classe.

Premier extrait : la méthode suivie par l’instituteur Chauffin exerçant à Tunis pour la correction de la rédaction (p 255)

« La veille du jour de correction, je relève les cahiers, je lis tous les devoirs, rapidement en dehors de la séance. J’attribue à chaque devoir une note qui résume l’impression générale qu’il m’a laissée, impression produite principalement par le style, mais aussi par l’orthographe et les détails secondaires : propreté, écriture, etc. Puis je corrige complètement les deux ou trois meilleures copies, ainsi que les deux ou trois plus mauvaises.
Le lendemain, la leçon venue, je fais connaitre aux élèves mon appréciation générale s’il y a lieu : Le devoir est assez bon, le sujet n’est pas mal traité ; manque d’ordre, incomplet, des oublis, etc. Je signale les défauts que j’ai trouvés communs à plusieurs devoirs, les mauvaises tournures qui s’y rencontrent.
Après ce début, je passe à la correction détaillée d’une mauvaise copie. (Les élèves sont invités à découvrir eux mêmes les fautes commises et les rectifications à opérer). Je la lis tout entière, à haute voix, d’un seul jet. De cette manière, les enfants peuvent se rendre compte des fautes de fond ; mauvais plan ou plan mal suivi, pas d’ordre, oubli grave, etc. ; ils me font part, à haute voix, de leurs observations que je redresse au besoin. Puis, nous arrivons à la correction détaillée de la forme : phrases lourdes, incomplètes, mal construites, équivoques, etc.
Suit un examen semblable de l’une des meilleures copies. Les élèves peuvent faire leur profit de la comparaison de ces deux devoirs successifs.
Si l’heure le permet, je corrige de la même manière un ou deux autres devoirs. Enfin, je rends compte rapidement des notes numériques attribuées à chaque copie, en adressant quelques brèves appréciations qui justifient ces notes.
Cette partie de la leçon se termine par la lecture, soit du meilleur devoir d’élève, soit du sujet traité dans un livre.
Remarque.- En général, ce sont les mêmes élèves qui font chaque fois les meilleures copies ; de même ce sont, souvent, les mêmes qui font les plus mauvaises. Il convient de prendre ses dispositions pour éviter que les mêmes élèves bénéficient continuellement de la correction détaillée. »

Deuxième extrait : parmi les techniques de correction : l’échange des cahiers entre les élèves (p 251)

Il existe plusieurs techniques et différents styles qu’on peut utiliser pour la correction des devoirs, parmi lesquels, on pourrait citer :
a.     « L’emploi d’un écran, rideau, carte, pour couvrir le tableau et tenir caché le devoir corrigé, préparé avant la leçon. »  
b.     L’utilisation du crayon noir, de l’encre ou le crayon de couleur rouge et le crayon de couleur bleue, l’encre rouge est utilisée par les élèves et l’encre bleue pour les annotations du maître.
c.      Le changement de cahiers. » c’est cette technique que nous avons choisie de présenter ».

 Les avis des instituteurs sont partagés quant à la pertinence de cette technique : M° Baccar, instituteur exerçant à Kairouan, pense que « les élèves profitent mieux en corrigeant eux mêmes leur cahier » ; M. Tapie répond : « je serais d’un avis un peu différent ; l’enfant remarque mieux les fautes commises par son camarade ». M. Champaver, instituteur à Kairouan proscrit ce procédé, il pense que : « le procédé de correction qui consiste à faire échanger les cahiers me parait plutôt condamnable. Par ce procédé, en effet, non seulement l’attention de l’élève ne se trouve pas attirée sur ses propres fautes, mais encore vous mettez sous se yeux des mots incorrects qu’il doit rectifier ; or c’est un procédé déjà condamné en pédagogie, en raison du rôle incontestable que l’aspect des mots joue en matière d’orthographe. » On peut ajouter que la correction ne profite pas à l’élève qui a fait les fautes, et, qu’au point de vue de la tenue matérielle du cahier, il n’est pas sans inconvénient de confier à un élève qui peut ne pas être soigneux le cahier d’un enfant qui le tient habituellement bien. »
M. Surdon, instituteur à Djerba, emploie un procédé mixte qu’il décrit dans ces termes : « les élèves échangent leurs cahiers. Pendant la correction, chacun souligne au crayon, sur le cahier qu’il a devant lui, les fautes faites par son camarade ; puis les cahiers sont rendus à leurs propriétaires qui corrigent eux mêmes les mots fautifs soulignés ».  

Troisième extrait : Quelques exemples de procédés de révision des cahiers par le maître après la classe (p 258-259)

 « Après la classe, je m’assure que tout a été corrigé, lorsque je revois les cahiers » Bauquier, instituteur à Médenine.
« Le mercredi et le samedi, je relève les cahiers, je les examine le lendemain tant au point de vue de l’ordre que de l’écriture des devoirs. Je résume mon appréciation par une note qui figure sur le carnet de correspondance. » Mme Bitaubé, institutrice à Bizerte.
« La maîtresse revoit tous les cahiers à la fin de chaque semaine et donne une note générale sur l’écriture et la tenue des cahiers » Mme Canton, institutrice à Tunis.
« Tous les cahiers sont vus une fois par semaine. Le lundi, je corrige les cahiers de la première division, et le mardi ceux de la deuxième. Je choisis dans chaque cahier une dictée quelconque de la semaine écoulée, et je la revois attentivement, pour savoir si elle a été bien corrigée ; je marque les fautes au crayon bleu. Si je trouve des négligences, la note générale de correction sera mauvaise et entrainera des retraits de bons points ou une punition.
J’opère de même pour les autres devoirs corrigés en classe (grammaire et problèmes)
J’ai remarqué que l’écriture de certains devoirs était négligée, j’ai résolu de marquer une note générale spéciale pour l’écriture des devoirs. 
Une autre note est donnée pour la tenue des cahiers et la disposition des devoirs » .M° Cleyet, instituteur à Tébourba.
« A la fin de chaque classe, je corrige d’une façon très complète quelques devoirs du cahier d’un élève de chacun des deux cours qui me sont confiés, puis chaque semaine, je fais ramasser les cahiers et je procède à la révision complète de quelques devoirs dans chaque cahier. J’annote les devoirs corrigés et j’y ajoute une appréciation d’ensemble » M° Surdon, instituteur à Djerba.
Un instituteur a reproduit ses   « Notes d’inspection » : « la révision générale des cahiers doit permettre à l’instituteur de contrôler le cahier de chaque élève une fois par semaine au moins. On peut diviser le nombre de cahiers à revoir en deux si la révision se fait le jeudi et le dimanche, ou au mieux en cinq, et alors le travail se fait chaque jour de classe.
Dans chaque cahier, revoir complètement un devoir de chaque espèce : Dictée, grammaire, écriture…Faire les remarques et les corrections à l’encre rouge très nettement.
Au dessous du dernier devoir du cahier, dans le corps même du cahier, inscrire une appréciation brève générale sur la rédaction, le soin apporté à leur correction, l’écriture et la tenue matérielle du cahier ».

Commentaires
Les extraits du rapport- que nous venons de reproduire ci-dessus,   (nous publierons d'autres parties dans les prochaines semaines) appellent quelques commentaires, dont les plus importants sont :
1.  que toutes les initiatives relatives aux modalités de la correction, de ses méthodes et de ses techniques proviennent des instituteurs, elles sont le fruit de leur expérience éducative ; il n'y a aucune instruction ou recommandation officielle qui est édictée par l'autorité de tutelle que l’instituteur se doit d’appliquer.
2.  que l’autorité administrative et pédagogique était à l’écoute attentive et bienveillante à toutes les initiatives des enseignants, cherchant à les valoriser, et à les diffuser.
3.   que nos prédécesseurs enseignants pratiquaient dans le quotidien, depuis la fin du XIXe siècle, ce qu’on appelle aujourd’hui l’évaluation formative.
4.  Que nos anciens instituteurs étaient convaincus de la nécessité d’adopter une approche participative entre l'enseignant et l'apprenant, qui confère un rôle actif à l’élève qui lui permet de prendre conscience de ses erreurs et de chercher à y remédier, le rôle de l’enseignant est plutôt un rôle d’encadrement, c’est une ressource pour l’apprenant, le cas échéant.
 Alors, que penser de ces pratiques et de ces attitudes ? ne nous rappellent- elles pas les pratiques que recommandent les nouvelles théories de l’éducation, et plus particulièrement dans le domaine de l'évaluation scolaire ?

Hédi bouhouch &  Mongi Akrout ; Inspecteurs généraux de l'éducation
Tunis, Décembre 2014



Articles sur le même thème













[1] Bulletin officiel de l’instruction publique, n° 15, Mars 1899, p 186.
[2] Bulletin officiel de l’instruction publique, n° 18, Juin 1899, p 245/259.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire