Prélude :
Nous avions déjà traité la question de
la correction des devoirs dans note du 24 février 2014 ; elle avait
suscité, à l’époque, l’attention de nos fidèles lecteurs ; et avait enregistré
un nombre important de visiteurs ; c’est la preuve que c’est une question
qui interpelle les pédagogues et les parents.
Vu
l’importance de la question, nous avons voulu présenter, à partir de cette
semaine, un document historique, qui remonte à la fin du dix neuvième siècle, c’est
à dire aux premières années de l’école publique en Tunisie ; il s’agit
d’un rapport officiel qui relate les pratiques de nos pionniers instituteurs et institutrices, quant à la
correction des devoirs.
Présentation
du rapport
En mars 1899, [1]la Direction de l’instruction publique avait
demandé à tous les instituteurs exerçant en Tunisie de lui faire part de leurs
expériences et de leurs pratiques, quant à la correction des devoirs, quelque
soit la nature des questions (leur rédaction), leur préparation matérielle et
l’exploitation des résultats.
La Direction de l’instruction avait reçu
15 communications de la part d’instituteurs de Kairouan, Médenine, Bizerte, Tabarka,
Tunis, Tébourba, Souk el khmis (Bousalem), Manouba et Jerba.
La Direction avait alors préparé un
rapport de synthèse qu’elle a publié dans le bulletin officiel[2],
tout en déplorant le manque d’enthousiasme des directeurs des grandes écoles
primaires publiques, et ceux des écoles congréganistes, et en remerciant les
instituteurs qui ont répondu à l’appel et qui ont bien voulu faire profiter les
autres instituteurs de leurs expériences et de leurs pratiques.
Le rapport a été construit selon les thèmes
suivants : La nécessité de la correction des devoirs, le type de
correction collective auquel participent les élèves et l’instituteur, le rôle
de l’élève et de l’instituteur, les moments de la correction, les techniques et
les différents modes de correction, la correction des devoirs et des exercices particuliers,
comme les exercices de grammaire et d’orthographe.
Les
thèmes ne sont pas traités d’un point de vue théorique ; ils le sont d’une manière
pratique et opérationnelle, en se basant sur des témoignages des instituteurs et
des institutrices.
Ainsi le rapport est venu sous la forme d’un
récit des expériences d’enseignants avec leurs élèves, clôturé par les trois
conclusions suivantes qui « présentent
assez exactement les idées de l’administration au sujet de la correction
des devoirs écrits » :
1. « Il n’existe pas de système de correction
unique méritant d’être recommandé à l’exclusion de tout autre. La manière de
procéder doit varier selon les milieux, la composition de la classe, l’âge des
élèves et la nature de l’épreuve. Tel procédé qui sera bon dans une classe
d’élèves français sera inapplicable dans une classe formée d’élèves de
nationalités différentes. Le maître doit rester libre de choisir le procédé qui
lui paraitra le meilleur ; du reste son expérience professionnelle, son
zèle, son tempérament particulier, seront pour beaucoup dans les résultats
obtenus. »
2. « La correction doit
suivre d’aussi près que possible l’exécution des devoirs. »
3. « Les élèves
doivent être associés à la correction pour qu’elle soit profitable ; le
maître ne peut pas corriger personnellement tous les exercices, mais il doit
examiner les cahiers de tous les élèves, et s’assurer que les corrections y sont
faites avec soin. »
p 259.
Nous présentons cette semaine trois
extraits du rapport : Le premier décrit une méthode de correction
de la rédaction française, le deuxième relate les avis de quelques
instituteurs quant à le procédé d’échange des cahiers pour porter les
corrections par les élèves, le troisième évoque quelques procédés de révision
des cahiers par le maître, après la classe.
Premier extrait : la méthode suivie
par l’instituteur Chauffin exerçant à Tunis pour la correction de la rédaction (p
255)
« La veille du jour de correction, je relève les cahiers,
je lis tous les devoirs, rapidement en dehors de la séance. J’attribue à chaque
devoir une note qui résume l’impression générale qu’il m’a laissée, impression
produite principalement par le style, mais aussi par l’orthographe et les
détails secondaires : propreté, écriture, etc. Puis je corrige
complètement les deux ou trois meilleures copies, ainsi que les deux ou trois
plus mauvaises.
Le lendemain, la leçon
venue, je fais connaitre aux élèves mon appréciation générale s’il y a
lieu : Le devoir est assez bon, le sujet n’est pas mal traité ;
manque d’ordre, incomplet, des oublis, etc. Je signale les défauts que j’ai
trouvés communs à plusieurs devoirs, les mauvaises tournures qui s’y
rencontrent.
Après ce début, je
passe à la correction détaillée d’une mauvaise copie. (Les élèves sont invités
à découvrir eux mêmes les fautes commises et les rectifications à opérer). Je
la lis tout entière, à haute voix, d’un seul jet. De cette manière, les enfants
peuvent se rendre compte des fautes de fond ; mauvais plan ou plan mal
suivi, pas d’ordre, oubli grave, etc. ; ils me font part, à haute voix, de
leurs observations que je redresse au besoin. Puis, nous arrivons à la
correction détaillée de la forme : phrases lourdes, incomplètes, mal
construites, équivoques, etc.
Suit un examen
semblable de l’une des meilleures copies. Les élèves peuvent faire leur profit
de la comparaison de ces deux devoirs successifs.
Si l’heure le permet,
je corrige de la même manière un ou deux autres devoirs. Enfin, je rends compte
rapidement des notes numériques attribuées à chaque copie, en adressant
quelques brèves appréciations qui justifient ces notes.
Cette partie de la
leçon se termine par la lecture, soit du meilleur devoir d’élève, soit du sujet
traité dans un livre.
Remarque.- En général, ce sont les mêmes élèves
qui font chaque fois les meilleures copies ; de même ce sont, souvent, les
mêmes qui font les plus mauvaises. Il convient de prendre ses dispositions pour
éviter que les mêmes élèves bénéficient continuellement de la correction détaillée. »
Deuxième extrait : parmi les techniques de correction :
l’échange des cahiers entre les élèves (p 251)
Il existe plusieurs techniques et différents styles qu’on peut utiliser
pour la correction des devoirs, parmi lesquels, on pourrait citer :
a. « L’emploi d’un écran, rideau, carte, pour couvrir le
tableau et tenir caché le devoir corrigé, préparé avant la leçon. »
b. L’utilisation du
crayon noir, de l’encre ou le crayon de couleur rouge et le crayon de couleur bleue,
l’encre rouge est utilisée par les élèves et l’encre bleue pour les annotations
du maître.
c. Le changement de
cahiers. » c’est cette technique que nous avons choisie de présenter ».
Les avis des instituteurs sont partagés quant
à la pertinence de cette technique : M° Baccar, instituteur exerçant à
Kairouan, pense que « les
élèves profitent mieux en corrigeant eux mêmes leur cahier » ;
M. Tapie répond : « je serais d’un avis un peu différent ; l’enfant remarque
mieux les fautes commises par son camarade ».
M. Champaver, instituteur à Kairouan proscrit ce procédé, il pense que : « le procédé de correction qui
consiste à faire échanger les cahiers me parait plutôt condamnable. Par ce
procédé, en effet, non seulement l’attention de l’élève ne se trouve pas
attirée sur ses propres fautes, mais encore vous mettez sous se yeux des mots
incorrects qu’il doit rectifier ; or c’est un procédé déjà condamné en pédagogie,
en raison du rôle incontestable que l’aspect des mots joue en matière
d’orthographe. » On peut ajouter que la correction ne profite pas à
l’élève qui a fait les fautes, et, qu’au point de vue de la tenue matérielle du
cahier, il n’est pas sans inconvénient de confier à un élève qui peut ne pas
être soigneux le cahier d’un enfant qui le tient habituellement bien. »
M.
Surdon, instituteur à Djerba, emploie un procédé mixte qu’il décrit dans ces
termes : « les
élèves échangent leurs cahiers. Pendant la correction, chacun souligne au
crayon, sur le cahier qu’il a devant lui, les fautes faites par son
camarade ; puis les cahiers sont rendus à leurs propriétaires qui
corrigent eux mêmes les mots fautifs soulignés ».
Troisième
extrait : Quelques exemples de procédés de révision des cahiers par le
maître après la classe (p 258-259)
« Après la classe, je m’assure que tout a été
corrigé, lorsque je revois les cahiers » Bauquier, instituteur à Médenine.
« Le mercredi et le samedi, je
relève les cahiers, je les examine le lendemain tant au point de vue de l’ordre
que de l’écriture des devoirs. Je résume mon appréciation par une note qui
figure sur le carnet de correspondance. » Mme Bitaubé, institutrice à
Bizerte.
« La maîtresse revoit tous les
cahiers à la fin de chaque semaine et donne une note générale sur l’écriture et
la tenue des cahiers » Mme Canton, institutrice à Tunis.
« Tous les cahiers sont vus une
fois par semaine. Le lundi, je corrige les cahiers de la première division, et
le mardi ceux de la deuxième. Je choisis dans chaque cahier une dictée
quelconque de la semaine écoulée, et je la revois attentivement, pour savoir si
elle a été bien corrigée ; je marque les fautes au crayon bleu. Si je
trouve des négligences, la note générale de correction sera mauvaise et
entrainera des retraits de bons points ou une punition.
J’opère de même pour les autres devoirs
corrigés en classe (grammaire et problèmes)
J’ai remarqué que l’écriture de certains
devoirs était négligée, j’ai résolu de marquer une note générale spéciale pour
l’écriture des devoirs.
Une autre note est donnée pour la tenue
des cahiers et la disposition des devoirs » .M° Cleyet, instituteur à Tébourba.
« A la fin de chaque classe, je
corrige d’une façon très complète quelques devoirs du cahier d’un élève de
chacun des deux cours qui me sont confiés, puis chaque semaine, je fais
ramasser les cahiers et je procède à la révision complète de quelques devoirs
dans chaque cahier. J’annote les devoirs corrigés et j’y ajoute une
appréciation d’ensemble » M° Surdon, instituteur à Djerba.
Un instituteur a reproduit
ses « Notes
d’inspection » : « la révision générale des cahiers doit permettre à l’instituteur
de contrôler le cahier de chaque élève une fois par semaine au moins. On peut
diviser le nombre de cahiers à revoir en deux si la révision se fait le jeudi
et le dimanche, ou au mieux en cinq, et alors le travail se fait chaque jour de
classe.
Dans chaque cahier, revoir complètement
un devoir de chaque espèce : Dictée, grammaire, écriture…Faire les
remarques et les corrections à l’encre rouge très nettement.
Au dessous du dernier devoir du cahier,
dans le corps même du cahier, inscrire une appréciation brève générale sur la
rédaction, le soin apporté à leur correction, l’écriture et la tenue matérielle
du cahier ».
Commentaires
Les extraits du rapport- que nous venons de reproduire
ci-dessus, (nous publierons d'autres parties dans les prochaines semaines)
appellent quelques commentaires, dont les plus importants sont :
1. que toutes les initiatives relatives aux
modalités de la correction, de ses méthodes et de ses techniques proviennent des
instituteurs, elles sont le fruit de leur expérience éducative ; il n'y a
aucune instruction ou recommandation officielle qui est édictée par l'autorité
de tutelle que l’instituteur se doit d’appliquer.
2. que l’autorité administrative et
pédagogique était à l’écoute attentive et bienveillante à toutes les
initiatives des enseignants, cherchant à les valoriser, et à les diffuser.
3. que nos prédécesseurs enseignants pratiquaient
dans le quotidien, depuis la fin du XIXe siècle, ce qu’on appelle aujourd’hui
l’évaluation formative.
4. Que nos anciens instituteurs étaient
convaincus de la nécessité d’adopter une approche participative entre
l'enseignant et l'apprenant, qui confère un rôle actif à l’élève qui lui permet
de prendre conscience de ses erreurs et de chercher à y remédier, le rôle de l’enseignant
est plutôt un rôle d’encadrement, c’est une ressource pour l’apprenant, le cas
échéant.
Alors, que
penser de ces pratiques et de ces attitudes ? ne nous rappellent- elles
pas les pratiques que recommandent les nouvelles théories de l’éducation, et plus
particulièrement dans le domaine de l'évaluation scolaire ?
Hédi bouhouch
& Mongi Akrout ; Inspecteurs généraux de l'éducation
Tunis, Décembre
2014
Articles sur le même
thème
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire