lundi 9 janvier 2017

L’agrégation en Lettres et en Sciences Humaines : un concours


Le blog pédagogique publie cette semaine un  deuxième article du professeur Houcine Jaïdi où il traite  des malheurs  du concours d’agrégation en Lettres et en  des Sciences Humaines , cet article est paru dans le journal électronique « Leaders »  le 01.07.2016
[1] , et, nous avons sollicité    l’autorisation  de son auteur pour le publier dans le blog pédagogique pour lancer un débat sur l’avenir de ce concours qui n’a pas réussi à décoller  , au nom des lecteurs du blog nous remercions vivement le professeur Jaidi pour cette réflexion .

NB. Nous nous sommes permis d’insérer un commentaire publié par le professeur Mohamed Koubaa, pour enrichir le débat


Houcine Jaïdi  est Professeur  d’enseignement supérieur à l’Université  de Tunis ( spécialiste  d’histoire ancienne ) , il s’intéresse à coté de sa spécialité aux questions relatives à l’éducation, l’enseignement supérieur , la recherche scientifique et le patrimoine culturel , il a de nombreuses contributions dans des conférences scientifiques , les revues et la presse tunisienne et étrangères

L’agrégation en Lettres et en Sciences Humaines : un concours
 maltraité

Depuis son institution, en Tunisie, il y a 45 ans, le concours d’agrégation en Lettres et celui des Sciences Humaines n’a jamais suscité autant de commentaires, de toutes sortes. Le concours, créé en France, il y a deux siècle et demi, a concerné, dans notre pays, d’abord la Langue, les Lettres et la Civilisation arabes, depuis 1971, avant d’être étendu, au cours des 25 ans suivants, à la Philosophie, l’Histoire, la Géographie ainsi qu’aux Langues, Lettres et Civilisation françaises et anglaises.
En Tunisie, comme en France, le concours de l’agrégation de l’enseignement du Second degré  a été créé, d’abord,  en vue de former les enseignants du Cycle Secondaire avec la possibilité d’un recrutement au niveau de l’Enseignement Supérieur. Ce concours est à distinguer de celui propre à certaines disciplines telles que les sciences économiques et la médecine et qui sert à recruter pour les grades du professorat de l’Enseignement Supérieur.
Pour  2016, une annonce tardive et  un  calendrier saugrenu
De l’annonce tardive a découlé un calendrier aux échéances insolites : une inscription au concours à la fin du mois de juin et des épreuves écrites qui se dérouleront à partir du … 20 juillet. Quant aux épreuves orales, dont les dates sont fixées par les jurys des différents concours, elles ne pourront pas avoir lieu avant le début du mois d’août.  Ainsi les membres des jurys et les candidats auront à prolonger leur année universitaire de plus d’un mois et à travailler en pleine canicule dans des salles d’examens et des bibliothèques qui ne qui ne sont généralement pas climatisées.
Les Lettres et les Sciences Humaines, parent pauvre de l’Enseignement Supérieur
Les candidats au concours de l’agrégation des Lettres et des Sciences Humaines sont de trois catégories : un petit nombre d’étudiants de l’ENS jouissant d’une préparation spéciale et d‘une bourse préférentielle, des enseignants du Secondaire désireux d’améliorer leur statut et des diplômés qui n’ont pas encore été recrutés dans la fonction publique. Les résultats des dernières années montrent que les candidats formés par l’ENS ont des résultats très discutables.
En revanche, les enseignants du Secondaire décrochent, régulièrement, une bonne partie des postes ouverts. Cette dernière catégorie subit pourtant une injustice criarde : la réglementation en vigueur ne lui permet pas de se préparer convenablement au concours puisqu’ils ne sont pas déchargés de leurs enseignements. Cette situation confortable n’existe que pour deux disciplines, les mathématiques et les sciences physiques. Elle est obtenue, pour deux ans, à la suite de l’admission à un concours organisé chaque année et ouvert aux enseignants du Secondaire ainsi qu’aux diplômés non encore recrutés.  La formation, dispensée à l’Institut Préparatoire aux Etudes Scientifiques et Techniques (IPEST), est comparable à celle qui est donnée aux étudiants de l’ENS. Au cours des dernières années, de nombreux universitaires ont demandé à ce que les candidats des Lettres et des Sciences Humaines soient traités de la même manière que ceux des deux disciplines de sciences exactes privilégiées. Rien n’a été fait malgré les promesses répétées dans le cadre d’une commission ad hoc.

Le statut mineur, dans lequel les deux autorités de tutelle tiennent les humanités, se reflète aussi à travers le nombre de postes qui sont ouverts chaque année, particulièrement pour certaines matières. Pour l’année 2016, le nombre de postes pour les trois disciplines de Sciences Humaines est le suivant : 4 pour la Géographie, 3 pour la Philosophie et 3 pour l’Histoire. Il faut savoir que, pour chaque discipline, l’équipe pédagogique est formée d’une demi-douzaine d’enseignants, ayant généralement le grade de Maître de conférences ou de Professeur de l’Enseignement Supérieur. Chacun de ces enseignants consacre à son cours d’agrégation près du tiers de l’horaire hebdomadaire dont il est redevable.
Aux enseignants s’ajoute, pour le jury du concours, un Inspecteur général de l’Enseignement Secondaire et, parfois, un Président du jury qui ne fait pas partie de l’équipe des enseignants. Il y a aussi à rappeler le coût de la préparation des candidats inscrits à l’ENS dont le cursus universitaire commence souvent à l’Institut Préparatoire aux Etudes en Sciences Humaines et Sociales (IPELSHT) réservé aux élèves du Secondaire ayant obtenu au Baccalauréat de bonnes moyennes. Il n’y a pas à être bon en mathématiques pour déduire que la rentabilité financière du système n’est pas du tout assurée.

Démagogie du discours des décideurs et réalités chaotiques
Le problème de l’agrégation en Lettres et en Sciences humaines ne se pose pas seulement en matière de rentabilité financière. Une question de fond d’abord : le système éducatif tunisien a-t-il besoin de l’injection régulière d’un nombre raisonnable d’agrégés dans l’Enseignement Secondaire ? La réponse est certainement oui compte tenu de deux nécessités : l’amélioration de la formation des enseignants et la motivation des enseignants pour une promotion au mérite. Se pose alors la question du nombre de postes à ouvrir chaque année. Il faut avouer que trois ou quatre postes, par an, pour certaines disciplines ne peuvent être d’aucun impact palpable. L’effet est d’autant plus dérisoire qu’une bonne partie des agrégés finit par intégrer l’Enseignement Supérieur.
De là à penser que le concours de l’agrégation de Lettres et de Sciences Humaines est géré comme un mal nécessaire …

A l’heure où le ministère de l’Education proclame haut et fort sa volonté de s’occuper comme il le faut de la formation des enseignants, ne vaut-il pas mieux commencer par utiliser le levier de l’agrégation ? La lourdeur des incidences financières ne peut pas être invoquée car la plupart des enseignants du Secondaire finissent, à coups de promotions, par améliorer le niveau de leur traitement sans avoir à passer le concours de l’agrégation
Le même ministère est généreux en promesses concernant la formation des élèves dans et en dehors des salles de classe dans des disciplines qui développent l’esprit critique, éloignent le danger de l’endoctrinement et font découvrir le patrimoine naturel et culturel du pays. Quelles disciplines sont propices à cela plus que la Philosophie, la Géographie et l’Histoire ?
Depuis plusieurs années, les Tunisiens sont matraqués par des slogans-alibi : ‘’l’Etat de droit’’, ‘’la culture qui vaincra le terrorisme’’, ‘’je suis Bardo’’ … N’est-il pas temps de passer aux travaux pratiques en commençant par la formation adéquate des enseignants chargés, entre autres missions, de la transmission des valeurs. La formation de haut niveau passe, partout dans le monde, par des concours bien conçus, y compris au niveau des postes à pourvoir.

Dans l’organisation de la sélection des étudiants à partir des facultés,
De l’IPELSHT et de l’IPEST en vue de la présentation de leurs candidatures au concours de l’agrégation en lettres et en sciences humaines, le ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique a plus d’une zone d’ombre à éclaircir.
Parmi ces dernières, citons le fort taux d’échec à la fin de la formation à l’IPELSHT, les performances très modestes des étudiants de l’ENS au concours de l’agrégation et le refus opposé, depuis plusieurs années, à la demande d’autorisation de la formation en année préparatoire au concours de l’agrégation (A1) malgré les nombreuses requêtes formulées par des établissements qui le mériteraient amplement.   

L’insouciance particulière qui a caractérisé, cette année, l’organisation du concours de l’agrégation en Lettres et en Sciences Humaines est inquiétante à plus d’un titre. Une autocritique courageuse ne manquerait pas d’amener les deux ministères concernés à revoir un système devenu aussi obsolète qu’aberrant. Il y va de leur crédibilité et, surtout, de l’intérêt général.
Houcine Jaïdi
Professeur à l’Université de Tunis          
commentaire
Bas du formulaire
Un grand merci pour mon collègue et ami,Pr. Houcine Jaidi, pour ses remarques pertinentes. Je voudrais ajouter deux éléments: il faudrait peut être rappeler que la loi de 1990( ou 91?)[2] mentionne que seuls les agrégés pourront enseigner aux lycées pilotes, aussi, faut- il renforcer le nombre d'agrégés; quant à la modestie des résultats des étudiants de l'ENS, elle est due avant tout à la sélection de ces étudiants à l'entrée de cette institution: beaucoup viennent passer le concours sans avoir les compétences requises. Mais comme l'ENS doit fonctionner, on prend les meilleurs parmi ceux qui se présentent, et qui le font , pas par souci de réussir au concours d'agrégation, mais pour être affecté à l'enseignement secondaire, sans passer par le CAPES. Il y a plusieurs années que j'avais suggéré au directeur de l'époque de faire comme faisait feu le Pr. Mohamed Abdesselem, demander aux différentes facultés la liste des meilleurs étudiants de première et de deuxième année,dans les disciplines concernées (lui, il prenait auprès du ministère de l'éducation la liste des meilleurs bacheliers) et leur envoyer des lettres personnelles leur disant qu'ils pourraient être des élèves de l'ENS s'ils réussissent au concours. Une campagne d'information sur l'importance de l'ENS, sur le rôle qu'elle a eu -et l'a encore- dans l'enseignement en général et - pourquoi pas - rappeler les avantages dont jouissent ses étudiants .J'avais annoncé deux remarques, je vais en ajouter une troisième: sommes-nous tous sûrs et certains qu'au ministère de l'éducation, on a une idée claire de l'ENS, de l’Agrégation, et que l'on est en train de prendre les décisions adéquates à leur égard?
Mohamed koubaa (ancien de l'ENS, agrégé ès lettres, professeur de l'enseignement.supérieur - 02-07-2016 09:36




http://www.leaders.com.tn/article/20073-l-agregation-en-lettres-et-en-sciences-humaines-un-concours-mal-traite





[1] http://www.leaders.com.tn/article/20711-lycees-pilotes-la-re-ouverture-de-la-filiere-lettres-indispensable-mais-precipitee

[2]  Le décret 92-1184 du 22juin 1992 portant l’organisation des lycées pilotes  ne stipule pas cela , son article  3 dit que les enseignants son « choisis parmi les professeurs titulaires détendeurs au minimum  d’une maitrise… »

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire