Le blog pédagogique publie cette semaine un deuxième
article du professeur Houcine Jaïdi où il traite des malheurs
du concours d’agrégation en Lettres et en des Sciences Humaines , cet article est paru
dans le journal électronique « Leaders » le 01.07.2016
[1] , et, nous avons sollicité l’autorisation de son auteur pour le publier dans le blog
pédagogique pour lancer un débat sur l’avenir de ce concours qui n’a pas réussi
à décoller , au nom des lecteurs du blog
nous remercions vivement le professeur Jaidi pour cette réflexion .
NB. Nous nous sommes permis d’insérer un commentaire publié
par le professeur Mohamed Koubaa, pour enrichir le débat
Houcine Jaïdi est Professeur d’enseignement supérieur à l’Université de Tunis ( spécialiste d’histoire ancienne ) , il s’intéresse à coté
de sa spécialité aux questions relatives à l’éducation, l’enseignement
supérieur , la recherche scientifique et le patrimoine culturel , il a de
nombreuses contributions dans des conférences scientifiques , les revues et la presse tunisienne et
étrangères
L’agrégation en
Lettres et en Sciences Humaines : un concours
maltraité
Depuis son institution, en
Tunisie, il y a 45 ans, le concours d’agrégation en Lettres et celui des
Sciences Humaines n’a jamais suscité autant de commentaires, de toutes sortes.
Le concours, créé en France, il y a deux siècle et demi, a concerné, dans
notre pays, d’abord la Langue, les Lettres et la Civilisation arabes,
depuis 1971, avant d’être étendu, au cours des 25 ans suivants, à la
Philosophie, l’Histoire, la Géographie ainsi qu’aux Langues, Lettres et
Civilisation françaises et anglaises.
En Tunisie, comme en France, le concours
de l’agrégation de l’enseignement du Second degré a été créé,
d’abord, en vue de former les enseignants du Cycle Secondaire avec la
possibilité d’un recrutement au niveau de l’Enseignement Supérieur. Ce concours
est à distinguer de celui propre à certaines disciplines telles que les
sciences économiques et la médecine et qui sert à recruter pour les grades du
professorat de l’Enseignement Supérieur.
Pour 2016, une annonce tardive et un calendrier saugrenu
De l’annonce tardive a découlé un
calendrier aux échéances insolites : une inscription au concours à la fin du
mois de juin et des épreuves écrites qui se dérouleront à partir du … 20
juillet. Quant aux épreuves orales, dont les dates sont fixées par les jurys
des différents concours, elles ne pourront pas avoir lieu avant le début du
mois d’août. Ainsi les membres des jurys et les candidats auront à prolonger
leur année universitaire de plus d’un mois et à travailler en pleine canicule
dans des salles d’examens et des bibliothèques qui ne qui ne sont généralement
pas climatisées.
Les Lettres et les Sciences Humaines,
parent pauvre de l’Enseignement Supérieur
Les candidats au concours de
l’agrégation des Lettres et des Sciences Humaines sont de trois catégories : un
petit nombre d’étudiants de l’ENS jouissant d’une préparation spéciale et d‘une
bourse préférentielle, des enseignants du Secondaire désireux d’améliorer leur
statut et des diplômés qui n’ont pas encore été recrutés dans la fonction
publique. Les résultats des dernières années montrent que les candidats formés
par l’ENS ont des résultats très discutables.
En revanche, les enseignants du
Secondaire décrochent, régulièrement, une bonne partie des postes ouverts.
Cette dernière catégorie subit pourtant une injustice criarde : la
réglementation en vigueur ne lui permet pas de se préparer convenablement au
concours puisqu’ils ne sont pas déchargés de leurs enseignements. Cette
situation confortable n’existe que pour deux disciplines, les mathématiques et
les sciences physiques. Elle est obtenue, pour deux ans, à la suite de
l’admission à un concours organisé chaque année et ouvert aux enseignants du
Secondaire ainsi qu’aux diplômés non encore recrutés. La formation,
dispensée à l’Institut Préparatoire aux Etudes Scientifiques et Techniques
(IPEST), est comparable à celle qui est donnée aux étudiants de l’ENS. Au
cours des dernières années, de nombreux universitaires ont demandé à ce que les
candidats des Lettres et des Sciences Humaines soient traités de la même
manière que ceux des deux disciplines de sciences exactes privilégiées. Rien
n’a été fait malgré les promesses répétées dans le cadre d’une commission ad
hoc.
Le statut mineur, dans lequel les deux
autorités de tutelle tiennent les humanités, se reflète aussi à travers le
nombre de postes qui sont ouverts chaque année, particulièrement pour
certaines matières. Pour l’année 2016, le nombre de postes pour les trois
disciplines de Sciences Humaines est le suivant : 4 pour la Géographie, 3 pour
la Philosophie et 3 pour l’Histoire. Il faut savoir que, pour chaque
discipline, l’équipe pédagogique est formée d’une demi-douzaine d’enseignants,
ayant généralement le grade de Maître de conférences ou de Professeur de
l’Enseignement Supérieur. Chacun de ces enseignants consacre à son cours
d’agrégation près du tiers de l’horaire hebdomadaire dont il est redevable.
Aux enseignants s’ajoute, pour le jury
du concours, un Inspecteur général de l’Enseignement Secondaire et, parfois, un
Président du jury qui ne fait pas partie de l’équipe des enseignants. Il y a
aussi à rappeler le coût de la préparation des candidats inscrits à l’ENS dont
le cursus universitaire commence souvent à l’Institut Préparatoire aux Etudes
en Sciences Humaines et Sociales (IPELSHT) réservé aux élèves du Secondaire
ayant obtenu au Baccalauréat de bonnes moyennes. Il n’y a pas à être bon en
mathématiques pour déduire que la rentabilité financière du système n’est
pas du tout assurée.
Démagogie du discours des décideurs et réalités chaotiques
Le problème de l’agrégation en Lettres
et en Sciences humaines ne se pose pas seulement en matière de rentabilité
financière. Une question de fond d’abord : le système éducatif tunisien
a-t-il besoin de l’injection régulière d’un nombre raisonnable d’agrégés dans
l’Enseignement Secondaire ? La réponse est certainement oui compte tenu de deux
nécessités : l’amélioration de la formation des enseignants et la motivation
des enseignants pour une promotion au mérite. Se pose alors la question du nombre
de postes à ouvrir chaque année. Il faut avouer que trois ou quatre postes, par
an, pour certaines disciplines ne peuvent être d’aucun impact palpable. L’effet
est d’autant plus dérisoire qu’une bonne partie des agrégés finit par intégrer
l’Enseignement Supérieur.
De là à penser que le concours de
l’agrégation de Lettres et de Sciences Humaines est géré comme un mal
nécessaire …
A l’heure où le ministère de l’Education
proclame haut et fort sa volonté de s’occuper comme il le faut de la formation
des enseignants, ne vaut-il pas mieux commencer par utiliser le levier de
l’agrégation ? La lourdeur des incidences financières ne peut pas être invoquée
car la plupart des enseignants du Secondaire finissent, à coups de
promotions, par améliorer le niveau de leur traitement sans avoir à passer
le concours de l’agrégation
Le même ministère est généreux en
promesses concernant la formation des élèves dans et en dehors des salles de
classe dans des disciplines qui développent l’esprit critique, éloignent le
danger de l’endoctrinement et font découvrir le patrimoine naturel et culturel
du pays. Quelles disciplines sont propices à cela plus que la Philosophie, la
Géographie et l’Histoire ?
Depuis plusieurs années, les Tunisiens
sont matraqués par des slogans-alibi : ‘’l’Etat de droit’’, ‘’la culture qui
vaincra le terrorisme’’, ‘’je suis Bardo’’ … N’est-il pas temps de passer aux
travaux pratiques en commençant par la formation adéquate des enseignants
chargés, entre autres missions, de la transmission des valeurs. La formation de
haut niveau passe, partout dans le monde, par des concours bien conçus, y
compris au niveau des postes à pourvoir.
Dans l’organisation de la sélection des
étudiants à partir des facultés,
De l’IPELSHT et de l’IPEST en vue
de la présentation de leurs candidatures au concours de l’agrégation en lettres
et en sciences humaines, le ministère de l’Enseignement Supérieur et de la
Recherche Scientifique a plus d’une zone d’ombre à éclaircir.
Parmi ces dernières, citons le fort
taux d’échec à la fin de la formation à l’IPELSHT, les performances très
modestes des étudiants de l’ENS au concours de l’agrégation et le refus opposé,
depuis plusieurs années, à la demande d’autorisation de la formation en année
préparatoire au concours de l’agrégation (A1) malgré les nombreuses requêtes
formulées par des établissements qui le mériteraient
amplement.
L’insouciance particulière qui a caractérisé, cette année, l’organisation du concours de l’agrégation en Lettres et en Sciences Humaines est inquiétante à plus d’un titre. Une autocritique courageuse ne manquerait pas d’amener les deux ministères concernés à revoir un système devenu aussi obsolète qu’aberrant. Il y va de leur crédibilité et, surtout, de l’intérêt général.
Houcine Jaïdi
Professeur à l’Université de Tunis
commentaire
Professeur à l’Université de Tunis
commentaire
Un grand merci pour mon collègue et
ami,Pr. Houcine Jaidi, pour ses remarques pertinentes. Je voudrais ajouter deux
éléments: il faudrait peut être rappeler que la loi de 1990( ou 91?)[2] mentionne que seuls les
agrégés pourront enseigner aux lycées pilotes, aussi, faut- il renforcer le
nombre d'agrégés; quant à la modestie des résultats des étudiants de l'ENS,
elle est due avant tout à la sélection de ces étudiants à l'entrée de cette
institution: beaucoup viennent passer le concours sans avoir les compétences
requises. Mais comme l'ENS doit fonctionner, on prend les meilleurs parmi ceux
qui se présentent, et qui le font , pas par souci de réussir au concours
d'agrégation, mais pour être affecté à l'enseignement secondaire, sans passer
par le CAPES. Il y a plusieurs années que j'avais suggéré au directeur de
l'époque de faire comme faisait feu le Pr. Mohamed Abdesselem, demander aux différentes
facultés la liste des meilleurs étudiants de première et de deuxième année,dans
les disciplines concernées (lui, il prenait auprès du ministère de l'éducation
la liste des meilleurs bacheliers) et leur envoyer des lettres personnelles
leur disant qu'ils pourraient être des élèves de l'ENS s'ils réussissent au
concours. Une campagne d'information sur l'importance de l'ENS, sur le rôle
qu'elle a eu -et l'a encore- dans l'enseignement en général et - pourquoi pas -
rappeler les avantages dont jouissent ses étudiants .J'avais annoncé deux
remarques, je vais en ajouter une troisième: sommes-nous tous sûrs et certains
qu'au ministère de l'éducation, on a une idée claire de l'ENS, de l’Agrégation,
et que l'on est en train de prendre les décisions adéquates à leur égard?
Mohamed koubaa (ancien de l'ENS, agrégé
ès lettres, professeur de l'enseignement.supérieur - 02-07-2016 09:36
http://www.leaders.com.tn/article/20073-l-agregation-en-lettres-et-en-sciences-humaines-un-concours-mal-traite
[1] http://www.leaders.com.tn/article/20711-lycees-pilotes-la-re-ouverture-de-la-filiere-lettres-indispensable-mais-precipitee
[2] Le décret 92-1184
du 22juin 1992 portant l’organisation des lycées pilotes ne stipule pas cela , son article 3 dit que les enseignants son « choisis
parmi les professeurs titulaires détendeurs au minimum d’une maitrise… »
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