Le blog pédagogique fête, cette semaine, son troisième
anniversaire. En effet, c’était le 29 décembre 2013 que nous avions annoncé sa
naissance, et le 30 décembre 2013 nous avions publié le premier point de vue que
nous avions voulu un hommage à la politique tunisienne au sujet de la
scolarisation des jeunes filles.
Aujourd’hui, nous sommes à la 150 ème
note ; le blog pédagogique a été régulier ; tous les lundis matin, il
offre à ses fidèles une nouvelle publication hebdomadaire ; mais cette
semaine, on va faire l’exception ; nous allons reproduire les deux
premiers textes de cette belle aventure ; il s’agit de l’éditorial, et
d’un point de vue intitulé le secret de la suprématie des filles dans les
études.
Nous
souhaitons longue vie au blog pédagogique ; et puisse Dieu nous accorder
la force et l’énergie pour continuer ce passionnant travail, et merci à tous
nos fidèles lecteurs et Bonne année 2017
Hédi
Bouhouch & Mongi Akrout
Le texte
publié le 29 décembre 2013 qui avait annoncé la naissance du blog.
La
première production du blog, publié le 30 décembre 2013
la suprématie des filles dans les études ?
La fille tunisienne est plus présente
à l’école que les garçons, et elle réussit beaucoup mieux. Alors, comment
peut-on expliquer ce phénomène ? S'agit-il d’un phénomène local,
spécifique au système éducatif tunisien, ou est-ce un phénomène mondial ?
I: les manifestations de la
présence de filles et de leur supériorité.
La présence des filles et leur supériorité
se manifestent dans de nombreux aspects, dont :
1 . Une croissance numérique remarquable
Aujourd’hui, les filles représentent
plus de la moitié des élèves des établissements scolaires ,( les écoles
primaires , les collèges et les
lycées) , soit 50,69 %[1]
, alors qu’elles ne représentaient , au début du siècle dernier, ( 1903) que
1,31 %, soit quelques dizaines (39 ) sur 2959 élèves inscrits ; en bref, les statistiques
montrent que les filles représentent
aujourd'hui la majorité des inscrits, après avoir été presque absente de la
scène scolaire , il faut noter que la tendance est vers une consolidation de
cette supériorité numérique .
Seulement il faudrait préciser que la présence de la
fille varie selon les différents degrés de l’enseignement :
A l’école primaire les garçons représentent encore la
majorité des inscrits avec 51,94 %, mais leur proportion connait une
baisse alors que celle de fille tend vers la hausse, elle s'élevait à 48,06%
au cours de l'année scolaire 2011 - 2012, alors qu’elle n’était que de 44,07 %
au cours de l'année scolaire 1984-1985. (Voir annexe : Tableau 1).
Graphique 1 : Evolution des effectifs de l’école primaire par
genre
Aux collèges et aux lycées la proportion des filles a dépassé,
depuis l'année scolaire 1997 - 1998, celle des garçons, elle était au cours
de l'année scolaire 2011-2012 de 53,59 %.(voir annexe : Tableau 2).
Graphique 2 : Evolution des effectifs des collèges et des lycées
par genre
2 – Supériorité des filles au niveau du rendement et
les résultats scolaires
Tous les indicateurs retenus par les
institutions concernées par l'étude de ce phénomène démontrent la suprématie
des filles. Parmi ces indicateurs, nous citons le taux d’obtention du
diplôme ; le taux de décrochage ou d’abandon, le taux d'achèvement de la
scolarité et taux de réussite aux examens nationaux (diplôme de fin des
études de l’enseignement de base ou le baccalauréat).
En effet, les filles enregistrent des
taux de réussite supérieurs à ceux des garçons, à tous les niveaux
d’enseignement, la différence entre les deux taux dépassent les 15 points au
collège, qui est considéré comme une étape
très délicate pour les garçons. (Voir annexe : Tableau 3)
Figure 3: taux de passage par cycle
Les filles s'accrochent plus que les
garçons, leur taux de décrochage est toujours inférieur à celui des garçons.
Bien que la différence entre les sexes fût insignifiante, à l'école primaire,
(0,3 points), elle dépasse les 6 points au collège et 4 points au lycée, ce
qui explique la supériorité numérique des filles à ce niveau. ( voir annexe : Tableau 4)
Figure 4:
Taux d'abandon par cycle ( 2011-2012)
Le ratio de filles est supérieur au
ratio de garçons, tant au niveau des candidats qu’au niveau de la réussite
aux examens nationaux .Si nous prenons la session 2011 du Baccalauréat, par
exemple nous constatons que les filles ont :
représenté 57,3% des candidats. ce taux grimpe à
61,22 % si on considère
les candidats des institutions publiques uniquement,
formé la majorité des bacheliers (60,54 %) du total
des bacheliers et 61,87 % des bacheliers des institutions publiques.
réalisé au cours de cette session, comme lors des sessions
précédentes, un taux de réussite meilleur que celui les garçons (67,48 %,
contre 59,07 % pour les garçons), soit un écart de plus de 8 points. L’écart
persiste, quoique dans une moindre marge, même si l'on ne considère que dans
les élèves de l’enseignement public (72,76 % contre 70,78 %)
Au concours d’entrée aux collèges
pilotes de 2013, par exemple, les filles représentaient 57,08 % des reçus à
ce concours.
Le taux d’achèvement des études secondaires avec
succès était en 2004 pour les filles de 35,3%, contre 24,2 pour les garçons
d’après une étude réalisée par l'Institut tunisien de la concurrence et des études quantitatives[2] qui nous fait remarquer note que ce
taux[3] a triplé depuis 1984.
Avec ces indicateurs, la Tunisie a
réalisé le cinquième but des objectifs de Dakar émanant de la Conférence
mondiale sur l'éducation 2000, qui vise à « éliminer les disparités entre les
sexes dans l’enseignement primaire et secondaire dans le courant l'année 2005
et l’instauration de l'égalité entre les filles et les garçons d'ici 2015, en
garantissant le libre accès des filles à une éducation de qualité et les
chances de succès[4].
Section II : tentatives d'explication du phénomène
et ses conséquences
1.
La supériorité les filles est un
phénomène mondial
Le phénomène de la supériorité des
filles à l’école est un phénomène répandu dans de nombreux pays, le rapport de
l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur l'éducation pour l'année 2012[5]
rapporte que « dans la plupart des pays de l’OCDE, le pourcentage
de filles qui terminent leurs études
secondaires, dans les délais prévus est 74 %, alors qu’il n’est que de 66 %
chez les garçons ». Une étude française[6] a montré " que les filles réussissent mieux à
tous les niveaux dans le système scolaire.... Il y a près de 8 filles sur
10 atteignent le niveau du baccalauréat ; alors qu’il n’y a que 6 garçons sur
10.. Et le taux de réussite des filles au Baccalauréat est de 84,4 % contre 79,9% chez
les garçons, un garçon sur 5 quitte le système éducatif sans diplôme, alors
que ce chiffre tombe à 1 sur 7 pour les filles. " (Statistiques de 2006)
2.
intérêt croissant des chercheurs
La propagation du phénomène a attiré
l’attention de beaucoup de chercheurs dans le domaine de l'éducation et de la
sociologie, et plusieurs lectures furent avancées, la plupart ont convenu que
la disparité entre les sexes à l’école n'est pas due à des raisons
biologiques ou génétiques, mais elle est le résultat de facteurs sociaux,
psychologiques et pédagogiques.
a.
Les facteurs explicatifs de la
supériorité des filles
Le rapport de l'OCDE précédemment cité
avance une série de facteurs qui expliquent le taux d'abandon scolaire élevé
chez les garçons, ce sont : la pauvreté, l'attractivité du marché du
travail, l’environnement scolaire, les comportements des enseignants et la
piètre performance des garçons en lecture. )
La pauvreté et le besoin et
l'attractivité du marché de l'emploi : au Honduras par exemple 6 garçons sur 10, âgés
entre 15 et 17 ans, exercent un travail payé, seuls deux d'entre eux continuent
d'étudier, le rapport pour les filles est de deux jeunes filles sur 10. Cette
situation ne s'applique pas dans les sociétés riches et développées, et au
cas où elle existerait elle reste limitée aux classes les plus pauvres.
L’environnement scolaire et l’attitude
des enseignants
dont les comportements diffèrent selon le sexe des élèves, ce qui pousse
nombre de garçons à déserter l’école. Cette explication, toutefois, ne
résiste pas à l'expérience : en effet quelques pays anglo-saxons, ont formé
des classes non mixtes et ont constitué des classes par niveau, les
performances des élèves n’ont pas enregistré des modifications significatives.
Mauvaise performance des garçons en
lecture dans les évaluations internationales et locales par rapport aux
filles : Les
résultats de l'évaluation PISA[7] 2009 ont montré"
que les filles manifestent une nette avance dans le domaine compréhension de l’écrit " sur les garçons
de 39 points en moyenne, ce qui correspond à une année scolaire complète.
" cette faiblesse expliquerait
peut-être l’interruption précoce des études par les garçons.
D'autre part, un chercheur français dans un livre[8] sur la question a avancé
un certain nombre de facteurs pour expliquer la différence entre les sexes,
parmi lesquels :
·
les représentations sociales et les mentalités, qui croient que les enfants mâles
peuvent intégrer le marché du travail (travail manuel) facilement, même en
cas d’échec à l'école alors que les filles - elles- sont obligées de réussir
pour trouver un travail, ce qui pousse la famille à s’occuper d’avantage de leur scolarité.
·
Décalage de l’âge de maturité entre
les sexes
: La fille atteint généralement la maturité avant que le garçon, alors qu'ils
partagent la même classe et cela à un grand impact sur leurs motivations respectives
et sur leur projet professionnel futur.
·
l'impact de la forte proportion de
femmes dans les professions de l'éducation en France : Depuis la deuxième année de leur
vie les enfants sont pris en charge
par des enseignants et des cadres dominés par l'élément féminin , donnant à
la jeune fille une référence et un modèle, contrairement aux garçons , toutes
les professions qu’ils connaissent sont occupées par des femmes , et où ils ne se voient pas , réduisant ainsi sa motivation pour le travail et la
réussite .
·
le rôle négatif de la stimulation par l’exemple du bon élève qui
est souvent une jeune fille, le garçon ,en situation d' échec , n’est
pas tenté de suivre la brillante jeune fille , et voit dans cela une atteinte à sa virilité, en
particulier au niveau du collège et le début de l'adolescence, et il a
plutôt tendance à imiter un élève du même sexe , même si ses résultats
étaient faibles, et il entre ainsi dans la spirale de l’échec.
·
adoption
des mêmes méthodes pédagogiques par les enseignants dans les classes
mixtes, bien que les chercheurs insistent sur les différences des modes
d’apprentissage et celle des approches selon le sexe[9]
En ce qui concerne les facteurs qui
expliqueraient la supériorité des filles dans les études en Tunisie, et bien
que nous n’ayons pas eu connaissance d’études portant sur le sujet, on
pourrait en plus des facteurs déjà étudiés évoquer les facteurs des
spécifiques au cas tunisiens, à savoir :
·
L’ancienneté de l'éducation des filles
en Tunisie :
en effet, les premières écoles de l'ère moderne ont vu le jour
depuis la première moitié du XIXe siècle (1840)[10], avec les missionnaires
chrétiens et des exilés italiens, et la première école pour filles à
ouvert ses portes en 1900 avec cinq
jeunes filles, leur nombre atteint 1045
filles en1950[11]. Ainsi la scolarisation
des filles n'était pas un phénomène tardif, et ce qui peut expliquer son
accélération, après l'indépendance,
conformément aux
revendications du mouvement des « jeunes tunisiens », depuis
le début du XIX° siècle.
·
Le soutien institutionnel et familial : Depuis
l’indépendance, l'Etat tunisien a annoncé son intention d'investir dans
l'éducation, pour les garçons et les filles sans discrimination (généralisation,
obligation, et gratuité), et
généralisation des bourses pour
tous les étudiants et les étudiantes dans un premier temps , et les parents se sont engagés à ce projet –
il est vrai après un début difficile , l'éducation des enfants des deux
sexes est devenue parmi les priorités
de la famille tunisienne .
·
L’auto motivation : les jeunes filles et un grand nombre
de parents ont pris conscience que la seule garantie et la seule façon
d’émancipation la jeune fille passe, par le succès avec brio dans les études,
car ceci permet de vaincre les réserves de la famille, quant à la poursuite
des études de la jeune fille, même loin de son village ou de sa ville natale
et de sa famille.
Conclusion
En résumé, les multiples recherches multidisciplinaires , ont confirmé que le
phénomène de la supériorité des jeunes
filles qui tend à devenir un phénomène mondial, en dépit des spécificités des systèmes éducatifs, et
que les facteurs qui l’expliquent sont
complexes et très variés ; certains sont d’ordre institutionnel ; d’autres d’ordre
sociétal lié aux représentations, à l’emploi et au progrès
social ; certains sont d’ordre pédagogique en rapport avec le comportement des enseignants et leurs
rapports avec les élèves
des deux sexes, ainsi que les approches pédagogiques adoptées .
Si
l'Etat tunisien a gagné le pari
de la scolarisation pour les filles et les garçons, sans discrimination
fondée sur le sexe , chose qui permis la
libération de la
femme de l'analphabétisme et de l'ignorance et d’occuper une
place considérée
dans la société, ce succès ne doit pas
occulter la situation scolaire des garçons
qui sont de plus en plus
nombreux à décrocher et déserter les bancs de l’école pour la rue et
ses institutions (cours / cafés / salons de thé ... ) . Comment la société pourrait-elle
réconcilier les garçons avec l'école et assurer leur retour à l’école, et comment pourrait elle les motiver à apprendre, et les aider ainsi à assumer pleinement les rôles
sociaux et économiques qui leur sont assignés ?
Annexes
Tableau n°1 : Evolution de la population scolaire
par sexe au 1° cycle de l’école de base
Tableau n°1 : Evolution de la population scolaire
par sexe au 2° cycle de l’école de base et au lycée
Tableau 3 : taux de passage, de redoublement et d’abandon au 1° et 2° cycle de l’école de base et au lycée
( année scolaire 2010-2011)
Tableau 4 : taux de passage et d’abandon par cycle et par sexe(
année scolaire 2010-2011)
Source : Statistiques scolaires
; Ministère de l’éducation tunisien , 2010 -2011
Hédi bouhouch et Mongi Akrout ,Inspecteurs Généraux
de L’Education retraités
Tunis . juin 2013 |
[1] Source : statistiques scolaires – Ministère de l’Education
– Année scolaire 2011- 2012 et l’annuaire statistique annuel de l’Institut national de statistique
[2] Le système éducatif tunisien :
Enjeux et défis ; Institut Tunisien de la compétitivité et des études
quantitatives (ITCEQ) ;Septembre 2011- www.ieq.nat.tn/upload/files/.../education_medpr_final_syn_finale-F.pdf
[3]
Le taux d’achèvement des études est un
taux brut obtenu en divisant le nombre d’admis à la fin d’un cycle donné sans
considérer l’âge règlementaire à la fin du cycle ( voir opt cité)
[4]
Roser.Cusso :
L’impact des politiques de scolarisation des filles ;Mauritanie, Tunisie,
Inde, Bangladesh et Sénégal ;Institut international de planification de
l’éducation / l’Unesco http://www.unesco.org/iiep/PDF/G113.pdf
consulté 16 /O5/2013
[6] Auduc .Jean-Louis : filles et
garçons dans le système éducatif français. Une fracture sexuée.
www.cafepedagogique.net › L'expresso.
[7] Résultats du PISA 2009 : Synthèse- www.oecd.org/pisa/46624382.pd PISA est une enquête menée tous les trois ans auprès de jeunes de
15 ans dans les 34 pays membres de l'OCDE
[8] Auduc, Jean-Louis, Sauvons les garçons,
Descartes, 2009 ,Paris ,102 pages- Dossier : S.O.S. Garçons ! - Entretien avec
Jean-Louis Auduc Par Jarraud, François.
[10] Mizouri Laroussi : L’enseignement européen en
Tunisie ; Actes du V° congrès d’histoire et de civilisation du Maghreb.
Les cahiers de Tunisie N° 157 - 158 ; 1991.FSHST
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