Hédi Bouhouch |
Cette note s’intéresse à la période qui correspond au passage du Professeur Moncer
Rouissi au ministère de l’éducation et de la formation entre le 25 janvier 2000
et le 25 août 2003 .
Il semble que l’apparition de nouvelles
approches pédagogiques , l’intérêt porté aux grands projets éducatifs et le
désir de placer le système éducatif tunisien sur la voie des systèmes éducatifs connus par l’efficacité de leur rendement et la qualité de leurs output , ont
été parmi les facteurs qui accélérer la décision de remplacer la loi de
l’enseignement de 1991 ( dix ans seulement après sa promulgation)[1] et qui n'a été modifiée
qu'un fois[2] par une nouvelle loi qui a
essayé de s’adapter aux grandes mutations
auxquelles est confronté le système éducatif tunisien au niveau de
l’enseignement secondaire.
I.
Le contexte général
Au moment où le pays connaissait depuis l’année 2000 quelques mouvements à
caractère social , et des protestations
de la presse contre l’absence de liberté
, le pouvoir en place n’a pas cessé de donner à l’élite des promesses tout en
poursuivant la même politique , d’autre part cette période fut marquée par
l’organisation d’un référendum le 27 mai 2002
pour approuver la révision de la constitution[3] du 1er juin 2002 qui ouvre la voie à une
« consécration de la présidence à vie »[4] et accorde « au président de la république l’immunité
juridictionnelle durant ses fonctions et après la fin de celles-ci en ce qui concerne les actes qu’il accomplis à
l’occasion de l’exercice de ses fonctions »[5]
Sur le plan socio économique, le modèle
de développement économique commence à montrer des signes d’essoufflement, en dépit de l’expansion de la consommation,
le chômage est en augmentation, les décisions qui concernent le pays sont
prises dans le cadre de la famille du
président et la corruption a touché tous
les secteurs de la vie économique.
Sur le plan éducatif , la consultation
sur l’école de demain a permis de
produire un rapport qui traça les
grandes lignes de la future école
attendue par les tunisiens et approuvées
par les autorités politiques et éducatives du pays, le ministère fut chargé de
préparer un plan quinquennal pour la mise en œuvre des orientations du rapport
, le résultat fut le document connu sous
le nom de « la nouvelle réforme du système éducatif tunisien :
programme pour la mise en œuvre du
projet de l’école de demain (2002/2007)[6] »
sous la devise : « vers
la société du savoir ».
D’un autre coté , l’union européenne[7] a accepté de financer un programme qui vise l’amélioration de
l’enseignement de base et le développement du l’efficacité su système éducatif ,
« les principaux objectifs fixés s’articulent autour des axes
suivants :
§ améliorer l’efficacité du système éducatif en agissant
sur l’échec scolaire
§ généraliser les prestations éducatives en
milieu rural ;
§ modifier les pratiques pédagogiques en
instaurant une culture de l’évaluation ;
§ renforcer une réelle
décentralisation/déconcentration pour encourager l’initiative et l’innovation
au niveau des régions et des établissements scolaires ;
§ généraliser le recours aux supports
pédagogiques modernes et aux technologies informatiques"[8].
II. Les défis de la nouvelle réforme et ses
principaux axes.
Le programme pour la mise en œuvre
du projet de l’école de demain (2002/2007) a établi dans le chapitre intitulé « le cadre
stratégique de la nouvelle réforme éducative » une évaluation générale du
système en place qui a permis de dégager les insuffisances suivantes[9] :
§ « La faiblesse du rendement des
institutions éducatives
§ La prédominance de l’aspect quantitatif
dans les programmes scolaires
§ La faiblesse des acquis des élèves en
langues et en sciences
§ L’absence de la culture de l’évaluation
§ Le manque de professionnalisme des
enseignants
Sur la base de ces constats, le projet
avait fixé les nouveaux défis suivants
pour l’école tunisienne[11] :
§ Former des têtes bien faites ;
§ Maitriser les nouvelles
technologies de l’information et de
communication ;
§ Préparer les jeunes à la vie active ;
§ Garantir une éducation de qualité pour
tous ;
§ Inter agir positivement avec le
milieu ;
§ Libérer les initiatives ;
§ Professionnalisation du système »[12]
Enfin , le diagnostic et la prospective ont
permis de déterminer ,le programme a déterminé six grandes orientations pour la nouvelle réforme , il s’agit :
§ « de placer l’élève qui l’acteur
principal du système éducatif , au centre de l’action éducative ;
§ Mettre les nouvelles technologies de
l’information et de la communication au service des activités d’enseignement-apprentissage ;
§ Professionnaliser le métier d’enseignant[13] ;
§ Centrer sur l’institution scolaire en
tant cellule de base du système éducatif ;
§ Mettre en œuvre le principe
d’équité entre les régions et les écoles ;
§ Moderniser le système éducatif et
améliorer sa capacité à répondre aux demandes renouvelées de la société »[14].
Le programme a mis enfin un calendrier[15] pour la mise en œuvre des nouvelles mesures.
III.
La loi d’orientation de l’éducation et
de l’enseignement scolaire
En juillet 2002 , la nouvelle loi d’orientation de
l’éducation et de l’enseignement scolaire
est promulguée , cette loi a constitué le cadre législatif du système
éducatif[16] .
1)
La structure de la nouvelle loi
La loi
d’orientation est constituée de 70 articles répartis sur neuf chapitres (voir
le tableau suivant)
Tableau
comparatif des libellés des chapitres des lois 1991 et la loi 2002
Libellé des chapitres de loi d’orientation de 2002
|
Libellé des chapitres de la loi 1991
|
chapitre
|
De la mission de l'éducation et des
fonctions de l'école
|
Principes de base
|
I
|
Des droits et obligations de l'élève
|
de l’enseignement de
base et de l’enseignement secondaire
|
II
|
Du régime des études
|
de l’enseignement
supérieur
|
III
|
Des établissements éducatifs
|
de l’enseignement
privé
|
IV
|
Du personnel
éducatif et administratif et de la communauté éducative
|
dispositions
diverses
|
V
|
Du référentiel des
enseignements
|
VI
|
|
De l'évaluation
|
VII
|
|
De la recherche et
de l'innovation en éducation
|
VIII
|
|
Dispositions
transitoires
|
IX
|
Les deux lois s’accordent sur l’enseignement
de base et l’enseignement secondaire et l’enseignement privé auxquels la loi de
2002 consacre le chapitre III
libellé sous le titre « Du régime des études » et le chapitre IV « Des établissements éducatifs » ; on constate que la nouvelle loi a conservé la structure du système
sans changements notables, ce qui signifie que les concepteurs de la loi 2002 avaient jugé que la structure
mise en place par la loi de 1991 est encore valable , mais la loi 2002 a amené
plusieurs innovations , parmi celles-ci , on pourrait citer :
§ Le renouvellement du débat sur la
mission et les fonctions de l’école, surtout que certaines voix avaient divulgué des bruits
sur l’intention de l’état de brader l’enseignement public au temps de la privatisation.
§ La réservation d’un chapitre entier aux droits et aux devoirs
de l’élève, ce qui traduit l’importance de la place attribuée à l’élève par la
nouvelle loi.
§ L’introduction du concept
de la « communauté éducative ou de la
famille éducative » la loi définit le concept, sa composition et sa
mission.
§ L’introduction du concept
de la vie scolaire considérée par la nouvelle loi comme un prolongement des
apprentissages qui se passent en classe.
§ L’adoption de nouvelles structures de
gestion et de consultation au niveau de l’établissement.
§ La précision des référentiels des
enseignements qui fixent pour chaque
discipline les finalités de son enseignement afin d’assurer
sa complémentarité avec les autres disciplines.
§ La réservation d’un chapitre pour
l’évaluation en tant qu’une composante essentielle du système ( les fonctions
de l’évaluation , ses formes et ses outils)
§ Enfin la recherche en éducation a eu droit à un
chapitre qui précise ses objectifs et ses domaines
2)
La grille des objectifs et des concepts
de la nouvelle loi d’orientation
§ Considérer que le nouveau cadre
législatif est en même temps un
prolongement du mouvement éducatif tunisien dont les racines remontent au passé
et une prospective qui permet au système éducatif tunisien de s’inscrire dans
le mouvement mondial .
§ Rappeler que « l'éducation est une
priorité nationale absolue »[17]
ce qui signifie que le pays et la collectivité nationale s’engage à
fournir au système éducatif tous les moyens qui lui sont nécessaires pour
remplir sa mission et sa fonction, ce rappel et cette confirmation sont venus
pour rassurer tous ceux qui avaient des doutes
quant à l’avenir de l’école publique.
§ Le 3ème principe concerne l’obligation
de l’enseignement « L'enseignement est un droit fondamental garanti,
l'enseignement est obligatoire de six à seize ans. » article premier
§ Le 4ème principe : « L'élève
est au centre de l'action éducative »[18] (art2) ,et c’est pour lui
que les programmes et les manuels sont
élaborés et que les enseignants sont recrutés et c’est pour eux que l’on a
conçu et programmé les activités culturelles et sportives, la loi d’orientation place l’élève
au cœur de l’action éducative c’est ce qui explique l’insistance de la
loi sur ses droits , comme le droit à
l’enseignement , droit à une information diversifiée et complète sur tout ce
qui a trait à l'orientation scolaire et universitaire »[19] (art 11) et aussi le droit d’établir une relation avec
les enseignants basée , d’une part , sur les principes de l’équité et le
respect de sa personnalité , et d’autre part
sur ses devoirs comme « le devoir de respecter l'enseignant et tous
les membres de la communauté éducative et … le respect dû à l'établissement
scolaire., le respect des règles de la vie en collectivité et les règlements
organisant la vie scolaire. Tout dépassement ou manquement à ces devoirs expose
son auteur à des sanctions disciplinaires. Le respect de l'assiduité et
l'accomplissement de ses devoirs scolaires »
Accorder aux enseignants une haute place car ils sont
les dépositaires et les garants de
l’éducation des jeunes, et ils ont la mission de réaliser les objectifs de la
politique éducative, c’est là une lourde responsabilité vis-à-vis de leurs
élèves et de la nation en même temps[20].
L’école a trois fonctions qui sont l’éducation, l’instruction et de qualification après avoir été longtemps confinée dans la fonction de l’instruction et elle est chargée entre autre
de :
-
D’éduquer les jeunes générations à la fidélité à la
patrie et au respect de l'ensemble des valeurs partagées par les Tunisiens
-
De garantir à tous les
élèves un enseignement de qualité qui leur permette d'acquérir une culture
générale et des savoirs théoriques et pratiques, de développer leurs dons et
leur aptitude à apprendre
par eux-mêmes, et de
s'insérer ainsi dans la société du savoir[21]. (Art. 9) ; l’école de
demain est appelée à être efficace et équitable, elle se doit de respecter le
rythme d’apprentissage des élèves et d’engager le processus de remédiation et
d’accompagnement à temps , pour faire en sorte que le décrochage avant la fin
de l’enseignement de base devient l’exception.
-
faire acquérir les compétences qui préparent les apprenants à participer à la vie économique et sociale et
culturelle …et contribuer à la construction d’une société libre, démocratique capable de suivre
le rythme de la modernité et du progrès » art 48.
-
Leur faire acquérir une méthodologie de travail et la
résolution des problèmes
§ Considérer « L'école en tant que la cellule de base du système éducatif et une
structure pédagogique à part entière. »[22] ( art 6) pour cela la
loi a créer « le projet de
l’école » qui constitue le cadre qui va accueillir un plan d’action
éducative qui vise à réaliser les objectifs spécifiques à l’établissement qui
tiennent compte de la réalité de l’école et de ses besoins , dans le cadre des
finalités et des objectifs de l’éducation nationale, la loi a aussi mis en
place deux structures consultatifs qui permettent aux différentes composantes de
la famille éducative d’exercer leurs prérogatives , il s’agit du « conseil
de l’établissement » où siègent « des représentants de toutes les
parties: communauté éducative, les représentants des parents et des élèves et des associations concernées » ce conseil est chargé d’élaborer le projet de l'école et
d’en assurer le suivi et l’évaluation , la deuxième structure est « Le
conseil pédagogique des enseignants » qui est chargé de discuter des questions « relatives à
l'organisation des enseignements, à l'évaluation continue, aux rythmes
scolaires, aux modalités de soutien et d'accompagnement des élèves, et ce dans
le cadre des normes nationales, et en tenant compte des spécificités de
l'école. »[23]
art 31 et 32.
§ Considérer
les parents comme des partenaires de l’école et
facteur actif, en effet la réalisation des objectifs éducatifs nationaux est le
résultat d’un effort commun entre le cadre enseignant et les familles, l’école
remplira sa mission en collaboration
avec la famille et en complémentarité avec elle »[24] (Art. 8.)
§ Considérer « la vie scolaire, avec
toutes les activités comme un
prolongement naturel des apprentissages et un cadre permettant, outre
l'apprentissage de la vie en collectivité, le développement de la personnalité
de l'élève et de ses dons. »[25] (Art. 49)
§ La nécessité pour tous les membres du
personnel éducatif et administratif de suivre, tout au long de leur carrière,
une formation continue, qui est dictée par les mutations qui affectent le
savoir et la société et par l'évolution des métiers » Art. 46
§ S’appuyer sur les référentiels
professionnels pour évaluer les performances
du personnel enseignant et administratif ( art 63)
§ Assujettir toutes les composantes du
système éducatif à une évaluation
périodique dont la mission est d’appuyer l’apprentissage, c’est pour cela l'évaluation
des acquis des élèves doit «
s'effectuer de façon permanente tout au
long des différents cycles d'enseignement, en complémentarité et en interaction
avec l'activité d'apprentissage. L'évaluation revêt un caractère formatif et
diagnostique au cours de l'apprentissage et un caractère certificatif au terme
de l'apprentissage » (art 59).
§ Faire que la recherche pédagogique constitue un facteur essentiel
d'amélioration de la qualité de l'apprentissage, du rendement de l'école
et elle doit aussi suivre les innovations
et les diffuser.
Tels sont les principaux principes et les bases qui ont
été les fondements de la nouvelle réforme , et qui ont permis au système éducatif
tunisien de s’inscrire dans la modernité et qui répond aux normes internationales,
du moins théoriquement .
Fin de la première partie, A suivre
Hédi Bouhouch & Mongi Akrout , Inspecteurs
généraux de l'éducation retraités
[1] Certains
voient dans la décision de changer la loi de 1991 par une nouvelle loi est venue pour mettre fin à l’attribution de
la réforme de l’école au feu Mohamed Charfi
suite à ses prises de position critique en 2001 vis-à-vis de l’amendement de la constitution
pour permettre au président Ben ali de
se présenter pour un troisième mandat .
[2] voir
la loi n° 5 du 21 janvier 2002 relative à la modification de la loi 65 de
l'année 1991 relative au système éducatif , l'amendement a concerné l'article 10
relatif qu DFEEB qui devient facultatif.
[3] Éric Gobe, « Plasticité du droit constitutionnel et
dynamique de l’autoritarisme dans la Tunisie de Ben Ali », Revue des mondes musulmans et
de la Méditerranée [En ligne],
130 | février 2012, mis en ligne le 21 février 2012, consulté le 25
octobre 2015. URL : http://remmm.revues.org/7499
« …Le projet de loi constitutionnelle
présenté à la Chambre des députés, réunie en session extraordinaire, le 27
février 2002, prévoit de nombreux amendements à la Constitution. Mais la
modification la plus importante, noyée dans le flot des nouvelles dispositions,
concerne l’article 39 : elle rétablit de facto la présidence à vie en supprimant la
limitation du nombre de mandats présidentiels à trois… » In revue des mondes musulmans et de la
méditerranée , n° 130 , février 2012 , consulté le 25 octobre 2014 , p.
215-232
«
L’usage par le président Ben Ali du référendum pour approuver la révision de la
Constitution est là pour donner le label du suffrage populaire à une réforme
présentée par le chef de l’État comme un « acquis historique ». Les
résultats du référendum du 27 mai 2002 confirment que la consultation directe
du peuple est conçue par les gouvernants tunisiens comme un plébiscite pour le président
et sa politique puisque le texte du projet de loi constitutionnel aurait été
approuvé par 99,52 % des votants et que le taux de participation se serait
élevé à 99,59 % (Gobe, 2004). »
Opt cité
[5] Article 41, paragraphe 2 qui a été ajouté par
l’article 2 de loi constitutionnelle n°2002-51
du 1er juin 2002
[6] Ministère
de l’éducation et de la formation ; la nouvelle réforme du système
éducatif tunisien : programme pour la mise en œuvre du projet de l’école de demain (2002/2007)
; vers la société du savoir, octobre 2002, 120 p
[7] L’accord fut signé par le représentant de l’union européenne et le ministre tunisien
de la coopération nationale le 11 janvier 2000
pour un financement de 40 millions d’Euros
le président de la Commission
Européenne, Romano Prodi, et le ministre tunisien de la Coopération
Internationale et de l’Investissement extérieur, Fehti Merdassi, ont signé le
11 janvier à Tunis un projet pour la période 2000-2002, bénéficiant de 40
millions d’euros pour promouvoir l’éducation de base
[8] Cécile de Bouttemont,
« Le système éducatif tunisien », Revue internationale
d’éducation de Sèvres [En ligne], 29 | avril 2002, mis en
ligne le 25 novembre 2011, consulté le 25 octobre 2015. URL :
http://ries.revues.org/1928
[9] Opt cité18-22
[10] Opt cité p 33 -25
[12] Opt cité p 105-109
[14] Opt
cité p51
[15] Opt cité
p111-117
[16] Loi n°2002-80 du 23 juillet 2002 : la loi
d'orientation de l'éducation et de l'enseignement scolaire.
[17] La loi d’orientation relative à l'éducation et
à l'enseignement scolaire , article premier
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