Avant-propos
Au
lendemain de l'Indépendance, l’école normale supérieure de Tunis (ENS)[1] a ouvert ses portes au mois d’octobre 1956,
deux ans avant la publication du décret fondateur le 13 Décembre 1958[2].Cette
illustre institution a fourni au pays une élite de cadres enseignants de haut
niveau qui ont joué un rôle important dans la vie éducative et politique du
pays.
Si,
aujourd’hui, l’ENS continue sa mission, son histoire ne fut pas sereine ;
elle fut marquée par de nombreuses péripéties, au cours desquelles elle a connu
plusieurs ajustements au niveau de sa mission, de son système d'étude, et des
modes de recrutements de ses étudiants ; elle a même disparu un certain
temps du paysage universitaire.
Deuxième
partie
4.
la
quatrième étape de 1997à 2005: Après six ans
d’absence l’ENS renaît de ces
cendres à Tunis, mais avec une nouvelle mission et une nouvelle
image : créée par la loi 87 de 1996[3]
l’école normale supérieure de Tunis," s’est installée dans un bâtiment sise place des chevaux ( Bathaa al khayl) située dans le quartier Al Gorjani ; le
bâtiment est chargé d’histoire puisqu’il avait abrité l’ancienne école normale
des instituteurs de Tunis, puis l'Institut supérieur de formation des maîtres de Tunis.
L’examen
du texte fondateur de la nouvelle école montre une rupture aves les objectifs,
les missions, les régimes des études et les modes de recrutement des étudiants
des anciennes écoles normales supérieures.
a.
les missions de
l’école (L’article 2) :
La
nouvelle ENS est appelée à :
§ Former des enseignants de haut niveau dans les
différentes disciplines pour les besoins de l'enseignement secondaire et
supérieur et la recherche scientifique.
§ « Assurer à ses élèves une formation académique
qui les rende aptes à assumer un rôle d'avant-garde dans la promotion du niveau
de l'éducation, de l'enseignement et de la recherche dans les diverses
institutions, Préparer ses élèves au concours d’agrégation de l’enseignement
secondaire ».
§ Organiser toutes les activités de recherche à même de
contribuer au développement de l’enseignement et l'éducation dans pays.
§ Organiser toutes les activités qui permettent de
développer la culture générale des élèves et leur formation sociale
La
mission de l’ENS ne se limite plus à la formation des
professeurs pour l’enseignement
secondaire, elle est chargée de former
les professeurs pour les institutions de l’enseignement supérieur et de la
recherche scientifique ; elle est ainsi chargée de préparer ses élèves au concours d’agrégation ;
c’était là une nouvelle conception qui
s’oriente vers une approche sélective et élitiste, surtout que les postes ouverts d’agrégation, chaque année, étaient
très limités, en comparaison avec le nombre de postes ouverts par le Capes et que le nombre de reçus au concours de l’agrégation est encore plus
réduit dont très peu rejoignent l’enseignement secondaire .
Devant cette réalité nous pouvons affirmer
que la formation des professeurs l'enseignement secondaire n’est plus une
priorité pour l’ENS, à un moment où les institutions de formations des
enseignants du secondaire sont totalement absentes, le ministère de l’éducation
recrute ses enseignants parmi les diplômés des différentes facultés lesquels
n’ont pas été préparés, à la profession de l'enseignement.
b.
Le régime des
études et des examens
Le
"cadre général pour le régime des études et des stages de l’école normale
supérieure" a été fixé par décret.
Les
études durent trois ans, au cours des deux premières années les élèves
de l’ENS suivent les cours du deuxième
cycle dans l'un des établissements
d'enseignement supérieur de Tunis ( facultés de lettres ou de sciences) selon
les spécialités de chaque élèves ; ils subissent les examens de la faculté
qui leurs délivre le diplôme (la maitrise
) ; la troisième année est consacrée à la préparation de l’agrégation ;
elle se fait dans les institutions habilitées , les élèves scientifiques
préparent leurs agrégations à l’institut
préparatoire des études scientifiques et techniques de la Marsa selon le régime
français !!
En plus de la préparation de l’agrégation, certains élèves peuvent être
autorisés de s’inscrire en première année du diplôme des études approfondies
(DEA).
En
plus des cours dans les facultés respectives, les élèves de l’ENS reçoivent, un
complément de formation académique au sein de l’école, et participent à des
activités des recherches dont certaines sont d’ordre pédagogique et didactique ;
enfin ils poursuivent des stages pédagogiques, animés par des inspecteurs de
l’enseignement secondaire.
c.
Le recrutement
des élèves de l’ENS
L’entrée[4]
à l’ENS se fait par voie de concours sur épreuves écrites et orales . « Le
concours est ouvert dans les disciplines littéraires et de sciences humaines
ainsi que de sciences fondamentales, pour lesquelles un concours d'agrégation
est organisé (art 2) » aux candidats âgés de moins de 23 ans, et
qui ont réussi dans les examens de deuxième année du premier cycle , sans avoir
redoublé et obtenu au cours une moyenne égale ou supérieure à 11/20 dans les
filières des lettres et sciences humaines et à 13/20 dans les filières des
sciences fondamentales ,et aux étudiants de la deuxième année des
classes préparatoires aux concours d'entrée aux écoles d'ingénieurs ; dès 2004, le concours est ouvert pour les étudiants de
deuxième année des classes préparatoires des études littéraires et sciences
humaines .
Le « concours
comporte des épreuves écrites d'admissibilité et des épreuves orales
d'admission notées de 0 à 20. ... une note inférieure à 7/20 à l'une des
épreuves est éliminatoire ».
Les
étudiants admis au concours d’entrée à l’ENS,
doivent s’inscrire dans l'un des
établissements d'enseignement supérieur de Tunis désigné par le ministre de
l'enseignement supérieur, après avis du directeur de l'école normale, pour y
suivre les enseignements du deuxième cycle supérieure et d'en subir les
examens. En plus des enseignements
assurés par l’ENS.
« Le passage d'année en année à l'école
normale supérieure est subordonné :
- A l'obtention d'une moyenne générale égale ou
supérieure à 10 sur 20 dans les
examens des première et deuxième années du deuxième cycle de la maîtrise
organisés par les établissements concernés.
- A l'obtention
d'une moyenne générale égale ou supérieure à 10 sur 20 dans les examens des
première et deuxième années des enseignements complémentaires organisés par
l'école normale supérieure.
- A la réalisation
du programme d'études et d'activités établi par le direction de l’école pour
chaque élève. (Art 20)
Tout
élève qui ne réussit pas aux examens de passage d'année en année cesse
d'appartenir à l'école normale supérieure, car « le redoublement n'est pas
autorisé à l'école normale supérieure[5] ».
Toutefois,
le conseil scientifique de l'école normale supérieure peut autoriser les élèves
de troisième année qui n'ont pas réussi au concours d'agrégation à redoubler
une seule fois ».( Art. 21)
Ainsi,
une grande partie de la formation des élèves de l’ENS est assurée au cours des deux premières
années par des facultés choisies par la
direction de l’école, mais elle échappe
à son contrôle ; or nous savons que les conditions de et les circonstances
dans les quelles se déroule cette
formation sont loin d’être de qualité irréprochable, tant au niveau de
la qualité des enseignants qu’au niveau de l’environnement et des moyens.
Il
est permis de se poser des questions sur la pertinence de choix qui a été dicté par la faiblesse des
effectifs des élèves de l’ENS ( ce choix rappelle les pratiques
précédentes au cours de la deuxième
période ) car comment pouvons-nous
préparer des enseignants de haut niveau
dans un milieu dominé par
des étudiants très moyens ? ( le
système de l’orientation fait que la population qui est dirigée vers les
facultés est constituée par les bacheliers les moins performants)
5.
la cinquième étape :
De 2005 à aujourd'hui
Cette dernière étape, qui est toujours en cours ( 2015), a vu l’ENS retrouver son autonomie et sa spécificité , en recrutant ses
propres enseignants qui y exercent
à temps plein, et en faisant appel
à des enseignants d’autres
institutions pour assurer des cours en cas de besoin .
Le
corps enseignants de l’ENS comprend des professeurs agrégés affectés
directement à l’école.
Désormais,
toute la formation des élèves est
assurée à l’école même ; les élèves ne sont plus partagés entre les facultés et l’école comme ce fut le cas
auparavant.
Enfin,
l’ENS se remet à délivrer son propre diplôme aux élèves qui ont réussi les examens
de la troisième année, et qui ont suivi régulièrement les cours complémentaires
décidés par le conseil scientifique de l’école et les stages de formation
pédagogique dans les collèges et les lycées. Ce diplôme est le certificat de
l’école normale supérieure[6]".
Avec
la mise en place du système LMD , c’est à dire , Licence (3 ans) , Master (deux ans) et Doctorat (3 ans)[7],
les 3 années des études à l’ENS ont été
réaménagées de la façon suivante :
- La première année، qui est l'équivalent de la troisième année
de la licence، comprend huit spécialités scientifiques، littéraires et les humanités.
- La deuxième
année constitue la première phase de la préparation de l’agrégation
- La troisième
année est la deuxième phase préparatoire pour la préparation l’agrégation.
[8]
L’aménagement
de cette phase préparatoire pour
l’agrégation de deux années correspondant aux dispositions du texte qui régit
le concours de l’agrégation qui stipule que les détendeurs de la licence sont
astreints à suivre deux années de formation post licence pour la préparation de l’agrégation,
alors que les détendeurs de la maitrise
de l’ancien régime ne devait suivre qu’une seule année après la maitrise. Ainsi, la durée des études à l’ENS est
devenue de trois ans, aboutissant à l'obtention du diplôme de professeur agrégé.
Les
Conditions d’admission à l’ENS sont, elles aussi, modifiées, le concours est
ouvert pour :
- les étudiants
admis en troisième année de licences fondamentales
- Les étudiants de
deuxième année du cycle préparatoire des études littéraires et des sciences
humaines et qui ont passé avec succès l'examen final
- Les étudiants de
deuxième année du cycle préparatoire des études scientifiques qui ont suivi
leurs études jusqu’à la fin de l'année universitaire[9].
Le
concours de l’année universitaire 2013 -2014 a enregistré un nouvel aménagement
des conditions d’admission des étudiants admis au concours national des écoles d’ingénieurs
qui sont dispensés des épreuves écrites, et ne doivent subir que les épreuves
orales.[10]
Le
concours de 2011 est ouvert dans huit
spécialités , deux spécialités scientifiques[11]
( mathématiques et sciences physiques et chimie) , trois spécialités
littéraires( arabe, français, anglais), trois spécialités en sciences humaines(
histoire, géographie et philosophie) ; le nombre de postes variait entre
10 et 20 selon les spécialités , soit un total de 130 postes .
Conclusion :
Pour une nouvelle mission pour l’ENS
Nous
avons essayé d’écrire l’histoire de l’école normale supérieure, avec ses hauts et ses bas, une histoire
tumultueuse avec des changements répétés, tant au niveau de la mission et des objectifs qu’au niveau
du régime des études et des conditions d'admission des étudiants.
Au
départ, c’était une institution universitaire pour former les professeurs de
l’enseignement secondaire ; au final, elle est devenue
une institution de préparation à l’agrégation, c’est-à-dire, elle est passée
d'une école pour promouvoir la formation de base des enseignants à une école
qui s’intéresse à une élite.
L’évolution
de l’ENS traduit les perceptions des responsables éducatifs dans notre pays ;
il semble que la génération des
premières années de l’indépendance était consciente de l’enjeu
et du défi de la formation des enseignants, et du besoin des collèges
et des lycées professeurs compétents et formés sur de bonnes bases ;
cette conscience s’est traduite par l’élaboration d’un plan national pour
former les enseignants dont le pays
avait besoin , et la création d’un réseau d'institutions pour les former , comprenant les écoles normales des instituteurs , les
écoles normales des institutrices , les sections normales dans les lycées
,l’école normale des professeurs adjoints
, et l’école normale supérieure[12], alors que les générations suivantes de responsables,
surtout celles du début des années
quatre-vingt, n'ont pas accordé
suffisamment d’importance à la
question de la formation des enseignants
du secondaire ; cela s’est traduit
par une grande hétérogénéité du corps enseignants qui était recruté sur la base du diplôme académique uniquement .
Il
n’y a plus un plan national pour la préparation des enseignants ; le rôle
des écoles normales des instituteurs enregistre un certain déclin, l'école normale des professeurs adjoints est fermée , la fonction du recrutement se limitait à
« Combler les vacances» et àmettre
à la disposition de l’école des personnes
auxquels on confie les enfants ,
sans se soucier des exigences de
la profession et du métier d’enseigner.
.
Dès
l’an 2000, on commençait à
s’intéresser de plus en plus à la question de la formation des enseignants, au niveau mondial et national,
surtout que la plupart des études
démontrent que l'enseignant est le facteur le plus important dans la réussite
des systèmes d'éducation, et que le
développement de l'identité professionnelle chez l’enseignant dépend de la formation scientifique et pédagogique et
morale dans ces institutions spécialisées ; cette formation, tout en le préparant à devenir un professionnel
de l’éducation, l’aide à prendre conscience de la noblesse de sa mission et à aimer
son travail, pour se dévouer à ses élèves.
Dans
cette optique , l’ENS pourrait avoir un
rôle clé dans la formation des enseignants ( de tous les grades : primaire-
secondaire - supérieur) , à
condition que cela soit dans le cadre
d'une stratégie nationale dans la quelle l’ENS serait la maison mère ou le cerveau ,au niveau national, qui aurait la responsabilité de la conception des
modèles et des programmes de formation et les méthodes de la leur mise en œuvre et de leur évaluation ;
pour cela l’ENS doit être relayée par d'autres institutions de formation,
chacune se spécialisait dans un domaine
du savoir : lettres et langues , sciences humaines et sociales et
économiques, sciences fondamentales et
technologiques( TIC) ; ces institutions relais doivent se situaient
impérativement dans des pôles universitaires pour leurs assurer l’encadrement
adéquat.
Ces
institutions recruteraient ses étudiants licenciés en fonction des besoins des
différents cycles de l’enseignement (une coordination totale et étroite est
obligatoire avec les différents services de prospection des ministères de
l’éducation et de l’enseignement supérieur, afin de garantir une adéquation entre
les besoins et les diplômés) ; la durée de la formation et ses modalités
sera en fonction du cycle d’enseignement.
Hédi
Bouhkouch & Mongi Akrout ; Inspecteurs généraux de l’éducation
retraités,
Tunis
, 2014
Etudes
et références
- Le journal officiel de la république tunisienne
- Siino François, de la science et pouvoir Dans la
Tunisie contemporaine, Paris / Aix-en-Provence, Karthala / IREMAM, 2004, 405
p., Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée [En ligne], 121-122 |
avril 2008, mis en ligne le 15 avril 2008, consulté le 09 novembre 2014. URL:
http://remmm.revues.org/4583
- Le site officiel de l’école http://www.ens.rnu.tn/fr/historique.htm
[1] Le terme Ecole normale
supérieure utilisée en Tunisie au Maroc et en Algérie correspond dans les pays arabes
à la faculté de l’éducation
[3] Loi
n° 96-87 du 6 novembre 1996, portant création de l'école normale supérieure,
jort N° 90 du 8 novembre 1996
[4]Décret n° 97-449 du 3 mars 1997, fixant les conditions et
les modalités d'organisation du concours d'admission
des élèves à
l'école normale supérieure. Journal Officiel de la République Tunisienne — N°
20 ,11 mars 1997 ; modifié par le décret 2004- 1264 du 31 mai 2004 , Jort
n° 45 du 4 juin 2004.
[5] Décret n° 97-451 du 3 mars 1997, fixant le cadre général
du régime des études et des stages à l'école normale supérieure.
[6] Décret 2001-2494 du 31 octobre 2001 portant
modification du décret 1997-451 du 3 mars 1997 fixant le cadre général du
régime des études et des stages à l'école normale supérieure.( les articles modifiés sont les articles 13 et 18
[7] Décret 2001- 2494 du 31 octobre 2001
modifiant le décret 1997-451
[8] L’article 3 de l’ Arrêté
du ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique du 2
mai 2011, portant ouverture du concours d'admission des élèves à l'école
normale supérieure dans les disciplines littéraires et des sciences humaines
ainsi que dans les sciences fondamentales, au titre de l'année universitaire
2011-2012 jtrt n° 32 du 26 ma 2011.
[10] L’article 3 de l’Arrêté du
ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique du 29
avril 2013, portant ouverture du concours d'admission des élèves à l'école
normale supérieure dans les disciplines littéraires et des sciences humaines et
dans les sciences fondamentales, au titre de l'année universitaire 2013-2014.
[11] Article 2 Arrêté du
ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique du 2 mai
2011, portant ouverture du concours d'admission des élèves à l'école normale
supérieure dans les disciplines littéraires et des sciences humaines ainsi que
dans les sciences fondamentales, au titre de l'année universitaire 2011-2012.
[12] Malgré l’absence de plusieurs
spécialités comme l’économie, la gestion, l’éducation civique et islamique, et
bien d’autres
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