lundi 30 janvier 2017

L’Ecole Normale Supérieure de Tunis : Première institution de formation de professeur de l’enseignement secondaire (2ème partie)




Avant-propos

Au lendemain de l'Indépendance, l’école normale supérieure de Tunis (ENS)[1]  a ouvert ses portes au mois d’octobre 1956, deux ans avant la publication du décret fondateur le 13 Décembre 1958[2].Cette illustre institution a fourni au pays une élite de cadres enseignants de haut niveau qui ont joué un rôle important dans la vie éducative et politique du pays.
Si, aujourd’hui, l’ENS continue sa mission, son histoire ne fut pas sereine ; elle fut marquée par de nombreuses péripéties, au cours desquelles elle a connu plusieurs ajustements au niveau de sa mission, de son système d'étude, et des modes de recrutements de ses étudiants ; elle a même disparu un certain temps du paysage universitaire.


Deuxième  partie 

4.    la quatrième étape de 1997à 2005: Après six ans d’absence l’ENS  renaît de ces cendres  à Tunis, mais  avec une nouvelle mission et une nouvelle image : créée par la loi 87 de 1996[3] l’école normale supérieure de Tunis," s’est installée  dans un bâtiment sise  place des chevaux ( Bathaa al khayl)   située dans le quartier Al Gorjani ; le bâtiment est chargé d’histoire puisqu’il avait abrité l’ancienne école normale des instituteurs de Tunis,  puis  l'Institut supérieur de  formation des maîtres de Tunis.
L’examen du texte fondateur de la nouvelle école montre une rupture aves les objectifs, les missions, les régimes des études et les modes de recrutement des étudiants des anciennes écoles normales supérieures.
a.     les missions de l’école (L’article 2) :
La nouvelle ENS est appelée à :
§  Former des enseignants de haut niveau dans les différentes disciplines pour les besoins de l'enseignement secondaire et supérieur et la recherche scientifique.
§  « Assurer à ses élèves une formation académique qui les rende aptes à assumer un rôle d'avant-garde dans la promotion du niveau de l'éducation, de l'enseignement et de la recherche dans les diverses institutions, Préparer ses élèves au concours d’agrégation de l’enseignement secondaire ».
§  Organiser toutes les activités de recherche à même de contribuer au développement de l’enseignement et l'éducation dans pays.
§  Organiser toutes les activités qui permettent de développer la culture générale des élèves et leur formation sociale

La mission  de l’ENS  ne se limite plus à la formation des professeurs  pour l’enseignement secondaire,  elle est chargée de former les professeurs pour les institutions de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique ; elle est ainsi chargée de préparer  ses élèves au concours d’agrégation ; c’était  là une nouvelle conception qui s’oriente vers une approche sélective et élitiste, surtout que les postes  ouverts d’agrégation, chaque année, étaient très limités, en comparaison avec le nombre de postes ouverts par le Capes  et que le nombre de reçus  au concours de l’agrégation est encore plus réduit dont très peu rejoignent l’enseignement secondaire .
  Devant cette réalité nous pouvons affirmer que la formation des professeurs l'enseignement secondaire n’est plus une priorité pour l’ENS, à un moment où les institutions de formations des enseignants du secondaire sont totalement absentes, le ministère de l’éducation recrute ses enseignants parmi les diplômés des différentes facultés lesquels n’ont pas été préparés, à la profession de l'enseignement.

b.    Le régime des études et des examens 

Le "cadre général pour le régime des études et des stages de l’école normale supérieure"  a été fixé par décret.
 Les  études durent trois ans, au cours des deux premières années les élèves de l’ENS  suivent les cours du deuxième cycle  dans l'un des établissements d'enseignement supérieur de Tunis ( facultés de lettres ou de sciences) selon les spécialités de chaque élèves ; ils subissent les examens de la faculté qui leurs  délivre le diplôme (la maitrise ) ;  la troisième année est  consacrée à la préparation de l’agrégation ; elle se fait dans les institutions habilitées , les élèves scientifiques préparent leurs agrégations  à l’institut préparatoire des études scientifiques et techniques de la Marsa selon le régime français !!  En plus de la préparation de l’agrégation, certains élèves peuvent être autorisés de s’inscrire en première année du diplôme des études approfondies (DEA).
En plus des cours dans les facultés respectives, les élèves de l’ENS reçoivent, un complément de formation académique au sein de l’école, et participent à des activités des recherches dont certaines sont d’ordre pédagogique et didactique ; enfin ils poursuivent des stages pédagogiques, animés par des inspecteurs de l’enseignement secondaire.  
c.     Le recrutement des élèves de l’ENS

L’entrée[4] à l’ENS se fait par voie de concours sur épreuves écrites et orales . « Le concours est ouvert dans les disciplines littéraires et de sciences humaines ainsi que de sciences fondamentales, pour lesquelles un concours d'agrégation est organisé  (art 2) »  aux candidats âgés de moins de 23 ans, et qui ont réussi dans les examens de deuxième année du premier cycle , sans avoir redoublé et obtenu au cours une moyenne égale ou supérieure à 11/20 dans les filières des lettres et sciences humaines et à 13/20 dans les filières des sciences fondamentales  ,et  aux étudiants de la deuxième année des classes préparatoires aux concours d'entrée aux écoles d'ingénieurs  ; dès 2004, le concours est ouvert pour les étudiants de deuxième année des classes préparatoires des études littéraires et sciences humaines .

Le « concours comporte des épreuves écrites d'admissibilité et des épreuves orales d'admission notées de 0 à 20. ... une note inférieure à 7/20 à l'une des épreuves est éliminatoire ».

Les étudiants admis au concours d’entrée à l’ENS,  doivent s’inscrire  dans l'un des établissements d'enseignement supérieur de Tunis désigné par le ministre de l'enseignement supérieur, après avis du directeur de l'école normale, pour y suivre les enseignements du deuxième cycle supérieure et d'en subir les examens.  En plus des enseignements assurés par l’ENS.
 « Le passage d'année en année à l'école normale supérieure est subordonné :
 -  A l'obtention d'une moyenne générale égale ou supérieure à 10 sur 20 dans les examens des première et deuxième années du deuxième cycle de la maîtrise organisés par les établissements concernés.
- A l'obtention d'une moyenne générale égale ou supérieure à 10 sur 20 dans les examens des première et deuxième années des enseignements complémentaires organisés par l'école normale supérieure.
- A la réalisation du programme d'études et d'activités établi par le direction de l’école pour chaque élève. (Art 20)

Tout élève qui ne réussit pas aux examens de passage d'année en année cesse d'appartenir à l'école normale supérieure, car « le redoublement n'est pas autorisé à l'école normale supérieure[5] ».
Toutefois, le conseil scientifique de l'école normale supérieure peut autoriser les élèves de troisième année qui n'ont pas réussi au concours d'agrégation à redoubler une seule fois ».( Art. 21)
Ainsi, une grande partie de la formation des élèves de l’ENS  est assurée au cours des deux premières années par des facultés  choisies par la direction de l’école,  mais elle échappe à son contrôle ; or nous savons que les conditions de et les circonstances dans les quelles se déroule cette  formation sont loin d’être de qualité irréprochable, tant au niveau de la qualité des enseignants qu’au niveau de l’environnement et des  moyens.
Il est permis de se poser des questions sur la pertinence de choix  qui a été dicté par la faiblesse des effectifs des élèves de l’ENS ( ce choix rappelle les pratiques précédentes  au cours de la deuxième période )  car comment pouvons-nous préparer des enseignants de haut niveau  dans un  milieu dominé par des  étudiants très moyens ? ( le système de l’orientation fait que la population qui est dirigée vers les facultés est constituée par les bacheliers les moins performants)
5.     la cinquième étape : De 2005 à aujourd'hui
Cette  dernière étape,  qui est toujours en cours ( 2015),  a vu l’ENS retrouver   son autonomie  et sa spécificité , en recrutant  ses  propres enseignants qui y exercent  à temps plein, et en faisant appel  à des enseignants  d’autres institutions pour assurer des cours en cas de besoin .

Le corps enseignants de l’ENS comprend des professeurs agrégés affectés directement à l’école.
Désormais, toute la formation des élèves  est assurée à l’école même ; les élèves ne sont plus partagés entre  les facultés et l’école comme ce fut le cas auparavant.
Enfin, l’ENS se remet à délivrer son propre diplôme aux élèves qui ont réussi les examens de la troisième année, et qui ont suivi régulièrement les cours complémentaires décidés par le conseil scientifique de l’école et les stages de formation pédagogique dans les collèges et les lycées. Ce diplôme est le certificat de l’école normale supérieure[6]".

Avec la mise en place du système LMD , c’est à dire  , Licence (3 ans) , Master (deux ans) et  Doctorat (3 ans)[7], les 3 années  des études à l’ENS ont été réaménagées de la façon suivante :

- La première année، qui est l'équivalent de la troisième année de la licence، comprend huit spécialités scientifiques، littéraires et les humanités.
- La deuxième année constitue la première phase de la préparation de l’agrégation
- La troisième année est la deuxième phase préparatoire pour la préparation l’agrégation. [8]

L’aménagement de cette phase préparatoire  pour l’agrégation de deux années correspondant aux dispositions du texte qui régit le concours de l’agrégation qui stipule que les détendeurs de la licence sont astreints à suivre deux années de formation post licence  pour la préparation de l’agrégation, alors  que les détendeurs de la maitrise de l’ancien régime ne devait suivre qu’une seule année après la maitrise.    Ainsi, la durée des études à l’ENS est devenue de trois ans, aboutissant à l'obtention du diplôme de professeur agrégé.

Les Conditions d’admission à l’ENS sont, elles aussi, modifiées, le concours est ouvert   pour :
- les étudiants admis en troisième année de licences fondamentales
- Les étudiants de deuxième année du cycle préparatoire des études littéraires et des sciences humaines et qui ont passé avec succès l'examen final
- Les étudiants de deuxième année du cycle préparatoire des études scientifiques qui ont suivi leurs études jusqu’à la fin de l'année universitaire[9].

Le concours de l’année universitaire 2013 -2014 a enregistré un nouvel aménagement des conditions d’admission des étudiants admis au concours national des écoles d’ingénieurs qui sont dispensés des épreuves écrites, et ne doivent subir que les épreuves orales.[10]
Le concours de 2011 est ouvert dans  huit spécialités , deux spécialités scientifiques[11] ( mathématiques et sciences physiques et chimie) , trois spécialités littéraires( arabe, français, anglais), trois spécialités en sciences humaines( histoire, géographie et philosophie) ; le nombre de postes variait entre 10 et 20 selon les spécialités , soit un total de 130 postes .

Conclusion : Pour une nouvelle mission pour l’ENS

Nous avons essayé d’écrire l’histoire de l’école normale supérieure,  avec ses hauts et ses bas, une histoire tumultueuse avec des changements répétés, tant au niveau  de la mission et des objectifs qu’au niveau du régime des études et des conditions d'admission des étudiants.
Au départ, c’était une institution universitaire pour former les professeurs de l’enseignement secondaire ; au final, elle est devenue une institution de préparation à l’agrégation, c’est-à-dire, elle est passée d'une école pour promouvoir la formation de base des enseignants à une école qui s’intéresse à une élite.

L’évolution de l’ENS traduit les perceptions des responsables éducatifs dans notre pays ; il semble que la génération  des premières années de l’indépendance était consciente  de l’enjeu  et du défi de la formation des enseignants, et du besoin  des collèges  et des lycées professeurs compétents et formés sur de bonnes bases ; cette conscience s’est  traduite  par l’élaboration d’un plan national pour former  les enseignants dont le pays avait besoin , et la création d’un réseau d'institutions pour les  former , comprenant  les écoles normales des instituteurs , les écoles normales des institutrices , les sections normales dans les lycées ,l’école normale des professeurs adjoints  , et l’école normale  supérieure[12], alors que  les générations suivantes de  responsables,  surtout celles du début des années  quatre-vingt, n'ont pas accordé  suffisamment d’importance  à la question de la formation  des enseignants du  secondaire ; cela s’est traduit par une grande hétérogénéité du corps enseignants qui était recruté sur  la base du diplôme académique uniquement  .
Il n’y a plus un plan national pour la préparation des enseignants ; le rôle des écoles normales des instituteurs enregistre un certain  déclin, l'école normale  des professeurs adjoints est  fermée , la fonction du recrutement  se limitait à  « Combler les vacances» et  àmettre à la disposition de l’école des personnes  auxquels on confie les enfants ,  sans se soucier des exigences  de la profession et du métier d’enseigner.
.
Dès l’an 2000, on  commençait à s’intéresser  de plus en plus  à la question de la formation des  enseignants, au niveau mondial et national, surtout que la plupart  des études démontrent que l'enseignant est le facteur le plus important dans la réussite des systèmes d'éducation, et  que le développement de l'identité professionnelle chez l’enseignant dépend de  la formation scientifique et pédagogique et morale dans ces institutions spécialisées ; cette formation,  tout en le préparant à devenir un professionnel de l’éducation, l’aide à prendre conscience de la noblesse de sa mission  et à aimer  son travail, pour se dévouer à ses élèves.

Dans cette  optique , l’ENS pourrait avoir un rôle clé dans la formation des enseignants ( de tous les grades : primaire- secondaire - supérieur)  , à condition  que cela soit dans le cadre d'une stratégie nationale dans la quelle l’ENS serait  la maison mère ou le cerveau  ,au niveau national, qui  aurait la responsabilité de la conception des modèles et des programmes de formation et les méthodes de la  leur mise en œuvre et de leur évaluation ; pour cela l’ENS doit être relayée par d'autres institutions de formation, chacune se spécialisait  dans un domaine du savoir : lettres et langues , sciences humaines et sociales et économiques, sciences  fondamentales et technologiques( TIC) ; ces institutions relais doivent se situaient impérativement dans des pôles universitaires pour leurs assurer l’encadrement adéquat.
Ces institutions recruteraient ses étudiants licenciés en fonction des besoins des différents cycles de l’enseignement (une coordination totale et étroite est obligatoire avec les différents services de prospection des ministères de l’éducation et de l’enseignement supérieur, afin de garantir une adéquation entre les besoins et les diplômés) ; la durée de la formation et ses modalités sera en fonction du cycle d’enseignement.

Hédi Bouhkouch & Mongi Akrout ; Inspecteurs généraux de l’éducation retraités,
Tunis , 2014

Etudes et références
- Le journal officiel de la république tunisienne
- Siino François, de la science et pouvoir Dans la Tunisie contemporaine, Paris / Aix-en-Provence, Karthala / IREMAM, 2004, 405 p., Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée [En ligne], 121-122 | avril 2008, mis en ligne le 15 avril 2008, consulté le 09 novembre 2014. URL: http://remmm.revues.org/4583
- Le site officiel de l’école http://www.ens.rnu.tn/fr/historique.htm







[1] Le terme Ecole normale supérieure utilisée en Tunisie au Maroc et en Algérie correspond dans les pays arabes à la faculté de l’éducation
[2]  Paru au jort n° 74  du 16 décembre 1958, p 1147
[3] Loi n° 96-87 du 6 novembre 1996, portant création de l'école normale supérieure, jort N° 90  du 8 novembre 1996
[4]Décret n° 97-449 du 3 mars 1997, fixant les conditions et les modalités d'organisation du concours d'admission
des élèves à l'école normale supérieure. Journal Officiel de la République Tunisienne — N° 20 ,11 mars 1997 ; modifié par le décret 2004- 1264 du 31 mai 2004 , Jort n° 45 du 4 juin 2004.
[5] Décret n° 97-451 du 3 mars 1997, fixant le cadre général du régime des études et des stages à l'école normale supérieure.

[6] Décret 2001-2494 du 31 octobre 2001 portant modification du décret 1997-451 du 3 mars 1997 fixant le cadre général du régime des études et des stages à l'école normale supérieure.( les articles modifiés sont les articles 13 et 18

[7] Décret 2001- 2494 du 31 octobre 2001 modifiant le décret 1997-451
[8] L’article 3  de l’ Arrêté du ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique du 2 mai 2011, portant ouverture du concours d'admission des élèves à l'école normale supérieure dans les disciplines littéraires et des sciences humaines ainsi que dans les sciences fondamentales, au titre de l'année universitaire 2011-2012 jtrt n° 32 du 26 ma 2011.
[9] L’article 4 de l’arrêté ci-dessus
[10] L’article 3  de l’Arrêté du ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique du 29 avril 2013, portant ouverture du concours d'admission des élèves à l'école normale supérieure dans les disciplines littéraires et des sciences humaines et dans les sciences fondamentales, au titre de l'année universitaire 2013-2014.

[11] Article 2  Arrêté du ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique du 2 mai 2011, portant ouverture du concours d'admission des élèves à l'école normale supérieure dans les disciplines littéraires et des sciences humaines ainsi que dans les sciences fondamentales, au titre de l'année universitaire 2011-2012.
[12] Malgré l’absence de plusieurs spécialités comme l’économie, la gestion, l’éducation civique et islamique, et bien d’autres 

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