dimanche 20 décembre 2020

A propos du travail des enseignants du secteur public dans les établissements scolaires privés ( première partie)

 


Hédi Bouhouch

Au mois de septembre 2018 , le ministre de l'éducation Hatem Ben Salem avait annoncé «lors de la conférence de presse tenue au sein du ministère de l’Education, qu'à partir de l’année scolaire, 2019-20, il sera interdit aux enseignants de la fonction publique d’enseigner dans les écoles et lycées privés ..
»[1]et a demandé aux responsables de ses institutions de  s'y préparer.

 Cette décision a provoqué beaucoup de réactions parmi les professionnels de l'enseignement privé , la publication d'une note de service le 23 juillet 2019 qui annonce l'entrée en vigueur de la décision ministérielle a ravivé le débat.

Le blog pédagogique a voulu  faire  l'histoire de cette question à partir des textes officiels que nous avons pu trouvés .

Bref aperçu historique de la question

La loi interdit aux fonctionnaires d'exercer un travail lucratif  en dehors de leurs fonctions, mais elle a prévu des dérogations pour le corps enseignant.

L'interdiction aux fonctionnaires de l'état d'exercer un travail lucratif  en dehors de leurs fonctions  n'est pas nouvelle, déjà en 1935, un décret beylical [2] " interdit aux fonctionnaires et agents de toutes les administrations et services publics de la Régence … soit de remplir un emploi rétribué, soit d'effectuer, à titre privé, un travail moyennant rémunération ". Seulement l'article avait prévu deux dérogations à l'interdiction  en permettant aux "dits fonctionnaires et agents de donner les enseignements de même nature. et ce "exceptionnellement et pour chaque cas par une décision du Secrétaire général du Gouvernement Tunisien, après avis du Chef de l'administration dont dépend le fonctionnaire ou l'agent intéressé. Cette décision prise à titre précaire sera toujours révocable dans l'intérêt du service".

Document 1: Décret du 8 octobre 1935 (11 redjeb 1354) relatif à l'interdiction aux fonctionnaires

Nous, Ahmed Pacha-Bey, Possesseur du Royaume de Tunis,

Vu les décrets français des 28 août 1935, relatifs au cumul d'une fonction publique et d'un emploi privé;

Vu le rapport au Président de la République qui les précède et en expose les motifs;

Vu nos décrets qui réorganisent nos différentes administrations et fixent le statut de leur personnel;

Sur la proposition du Secrétaire général du Gouvernement Tunisien et la présentation de notre Premier Ministre,

Avons pris le décret suivant :

ARTICLE PREMIER. — Il est interdit aux fonctionnaires et agents de toutes les administrations et services publics de la Régence soit d'exercer une profession industrielle ou commerciale, soit de remplir un emploi rétribué, soit d'effectuer, à titre privé, un travail moyennant rémunération.

ART. 2, — Cette interdiction ne s'applique pas à la production des œuvres scientifiques, littéraires ou artistiques.

Les dits fonctionnaires et agents, peuvent, en outre, avec l'agrément du Secrétaire général du Gouvernement Tunisien, donner les enseignements de même nature.

ART. 3. — En dehors des cas visés à l'article 2, il ne pourra être dérogé à l'interdiction prévue à l'article premier qu'exceptionnellement et pour chaque cas par une décision du Secrétaire général du Gouvernement Tunisien, après avis du Chef de l'administration dont dépend le fonctionnaire ou l'agent intéressé. Cette décision prise à titre précaire sera toujours révocable dans l'intérêt du service.

ART. 4. — Le Secrétaire général du Gouvernement Tunisien est chargé de l'exécution du présent décret.

Vu pour promulgation et mise à exécution :

Tunis, le 8 octobre 1935.

Le Résident Général de la République Française à Tunis, Peyrouton.

 

Avec l'indépendance, le statut général des personnels de l'état[3], des collectivités publiques locales et des établissements publics à caractère administratif de 1968[4] et de 1983[5] reprend pratiquement  les mêmes dispositions, son article 5 dit qu' "il est interdit à tout agent public d'exercer à titre professionnel, une activité privée lucrative de quelques nature que ce soit, les conditions dans lesquelles il peut être dérogé à cette interdiction sont fixées par décret.."

En 1995 , un décret[6] du premier ministère confirme dans son article 5 cette dérogation " Les personnels du corps enseignant … peuvent exercer une profession libérale découlant de la nature de leurs fonctions. Les conditions d'exercice de cette profession sont déterminées dans les statuts particuliers des personnels en question". 

Le  département de l'éducation nationale a produit plusieurs texte sur la question

En parcourant les différents textes publiés par le département de l'éducation nationale ( lois, décrets, arrêtés, circulaires et notes)  qui ont traité la question du travail des enseignants du secteur étatique  dans les écoles privées, nous constatons une double évolution , la première montre qu'on est  passé d'une ignorance totale de la question pour devenir un élément présent dans les textes des lois, pour la deuxième évolution , on est passé de la permission conditionnée à l'interdiction totale.  

La loi de 1958 n'a pas évoqué la question

La première loi sur l'enseignement (loi 1958/118 du 4 novembre 1958), qui a consacré un chapitre entier à l'enseignement privé ( titre IV avec 17 articles), n'a pas évoqué la question de l'emploi  des enseignants du secteur public dans les écoles privées,  cette omission fut corrigée par une série de circulaires : les circulaires 64 du 6 janvier 1961, 77 du 1 janvier 1966 , 54 du 15 mai 1972 et 136 du 12 décembre 1972, c'est cette dernière circulaire que nous avons trouvée , elle  indique  clairement  que les  écoles privées  pourraient  recourir aux " maîtres encore en activité auprès des écoles publique" en précisant que si cela " n'est pas interdit,… il nécessite une autorisation du Ministère de l'éducation , laquelle " ne peut être accordée que dans des cas exceptionnels et pour un nombre d'heures raisonnable".

La circulaire N°36 - 1972 conseille aux responsables des établissements privés de recruter leur personnel enseignant

 

 Le premier document  que nous avons trouvé est une circulaire qui remonte à  l'année 1972 signée par Le Ministre  de l'éducation nationale Mohamed Mzali, mais il semble que ce n'est pas la première circulaire qui ait traité la question qui nous intéresse  car d'après les références citées par cette circulaire , il y a eu trois autres circulaires (comme nous l'avons indiqué dans l'aperçu historique) il s'agit des circulaires 64 du 6 janvier 1961, 77 du 1° janvier 1966 , 54 du 15 mai 1972 . 

Cette circulaire en langue française est parue 11 jours après la circulaire en langue arabe datée du 12 décembre 1972, elle était destinée   aux directrices et aux directeurs  des écoles privées d'enseignement primaire et secondaire, alors que la version arabe n'était destinée qu'aux écoles primaires privées, enfin  la version française ne comportait pas les références citées dans la version arabe  (Références: circulaires n° 64,77,54 datées du 6 janvier 1961 et  4 janvier 1966 et 15 mai 1972), ces références donnent la preuve que la question  préoccupait les responsables du Ministère, puisque certaines circulaires  remontaient au temps du secrétaire d'état Mahmoud Messadi (1961 et 1966), malheureusement nous n'avons pas réussi à retrouver ces premières circulaires.

La circulaire conseille aux  directeurs et directrices des établissements privés de recruter leurs propres enseignants, mais elle n'interdit pas le recours aux enseignants exerçant dans le public, elle rappelle que  le recours  des écoles primaires privées aux " maîtres encore en activité auprès des écoles publique" n'est pas interdit,  mais il nécessite une autorisation du Ministère de l'éducation, laquelle " ne peut être accordée que dans des cas exceptionnels et pour un nombre d'heures raisonnable".

On remarque que la circulaire  était très  souple , elle  conseille et oriente et elle ne comporte aucune mesure de contrôle  ni des sanctions pour ceux qui ne " veillent pas  à la bonne exécution des dispositions de la circulaire".

 

Document 2: Circulaire N°136,  Tunis le 23 décembre 1972

 

 

Circulaire N°136  émanant du cabinet                    Tunis le 23 décembre 1972

Le Ministre de l'éducation nationale

à

Mesdames les directrices et Messieurs les Directeurs

 des écoles privées d'enseignement primaire et secondaires

Références[7],: circulaires n° 64,77,54 datées du 6 janvier 1961 et  4 janvier 1966 et 15 mai 1972.

Comme suite à mes circulaires citées en référence, j'ai l'honneur de rappeler que les maîtres encore en activité auprès des écoles publiques ne peuvent enseigner dans les écoles privées  en heures supplémentaires qu'après avoir été préalablement autorisés par le Ministère de l'éducation susvisés, de s'assurer qu'il détient bien une autorisation à cet effet pour l'année en cours.

 Je tiens à préciser, à ce propos  , que l'autorisation en  question ne peut être accordée que dans des cas exceptionnels et pour un nombre d'heures raisonnable.

Aussi , les Directeurs d'écoles privées ont-ils le plus grand intérêt  à recruter des maitres à plein temps  spécialement attachés à leurs établissements.

De tels maîtres pourraient être recrutés :

1)    Pour l'enseignement du niveau primaire parmi les normaliens sortants qui ont accompli tout le cycle de l'école normales mais n'ont pas pu être recrutés pour les écoles publiques. Des contacts avec les Directrices et les Directeurs des écoles normales pourraient faciliter le choix le cas échéant.

2)    Pour l'enseignement du niveau secondaire :

a)     soit parmi les titulaires d'une licence complète ou de certificats d'études supérieures qui n'exercent pas encore. Des contacts avec les Directeurs des différentes facultés pourraient faciliter le choix le cas échéant.

b)    soit parmi le personnel déjà en exercice , par voie de détachement à solliciter du Ministère de l'Education Nationale.

Mesdames les directrices et Messieurs les Directeurs des établissements  privées d'enseignement primaire et secondaires sont donc priés de veiller à la bonne exécution des dispositions de la présente circulaire.

Le Ministre de l'Education Nationale

Mohamed Mzali

 

Fin de la première partie, à suivre

Présentation et commentaire Mongi Akrout & Abdessalem Bouzid, Inspecteurs généraux de l'éducation

Tunis, décembre 2020

Pour accéder à la version Ar, CliquerICI



[2] Décret du 8 octobre 1935 (11 rejeb 1354) relatif à l'interdiction aux fonctionnaires d'exercer une profession industrielle ou commerciale en dehors de leurs fonctions

[3] la première loi portant statut général du personnel de l'état publiée en 1959( loi 59-12 du 5 février 1959) n'a pas évoqué la question , ce n'est que la loi de 1968 qui lui a consacré l'article 5.

[4] Loi n°68-12 du 3 juin 1968 portant statut général des personnels de l'état , des collectivités publiques locales et des établissements publics à caractère administratif

[5] Loi n°  83-112 du 12 décembre 1983 portant statut général des personnels de l'état , des collectivités publiques locales et des établissements publics à caractère administratif

[6] Le décret  95 -83 du 19-01-1995 relatif à l'exercice à titre professionnel d'une activité privée lucrative par les personnels de l'Etat, des collectivités publiques locales, des établissements publics à caractère administratif et des entreprises publiques

 

[7] les références sont tombées de la version française , nous avons du les reproduire à partir de la version arabe

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