Hédi Bouhouch |
Au mois de septembre 2018 , le ministre de l'éducation Hatem Ben Salem avait annoncé «lors de la conférence de presse tenue au sein du ministère de l’Education, qu'à partir de l’année scolaire, 2019-20, il sera interdit aux enseignants de la fonction publique d’enseigner dans les écoles et lycées privés ..»[1]et a demandé aux responsables de ses institutions de s'y préparer.
Cette décision a provoqué beaucoup de
réactions parmi les professionnels de l'enseignement privé , la publication
d'une note de service le 23 juillet 2019 qui annonce l'entrée en vigueur de la
décision ministérielle a ravivé le débat.
Le
blog pédagogique a voulu faire l'histoire de cette question à partir des
textes officiels que nous avons pu trouvés .
Bref
aperçu historique de la question
La
loi interdit aux fonctionnaires d'exercer un travail lucratif en dehors de leurs fonctions, mais elle a prévu
des dérogations pour le corps enseignant.
L'interdiction
aux fonctionnaires de l'état d'exercer un travail lucratif en dehors de leurs fonctions n'est pas nouvelle, déjà en 1935, un décret
beylical [2] " interdit aux
fonctionnaires et agents de toutes les administrations et services publics de
la Régence … soit de remplir un emploi rétribué, soit
d'effectuer, à titre privé, un travail moyennant rémunération
". Seulement l'article avait prévu deux dérogations à l'interdiction en permettant aux "dits
fonctionnaires et agents de donner les enseignements de même nature. et ce
"exceptionnellement et pour chaque cas par une décision du Secrétaire
général du Gouvernement Tunisien, après avis du Chef de l'administration dont
dépend le fonctionnaire ou l'agent intéressé. Cette décision prise à titre
précaire sera toujours révocable dans l'intérêt du service".
Document 1: Décret du 8 octobre
1935 (11 redjeb 1354) relatif à l'interdiction aux fonctionnaires
Nous,
Ahmed Pacha-Bey, Possesseur du Royaume de Tunis, Vu les décrets français des 28
août 1935, relatifs au cumul d'une fonction publique et d'un emploi privé; Vu le rapport au Président de la
République qui les précède et en expose les motifs; Vu nos décrets qui réorganisent
nos différentes administrations et fixent le statut de leur personnel; Sur la proposition du Secrétaire
général du Gouvernement Tunisien et la présentation de notre Premier
Ministre, Avons pris le décret suivant : ARTICLE PREMIER. — Il est interdit
aux fonctionnaires et agents de toutes les administrations et services
publics de la Régence soit d'exercer une profession industrielle ou
commerciale, soit de remplir un emploi rétribué, soit d'effectuer, à titre
privé, un travail moyennant rémunération. ART. 2, — Cette interdiction ne
s'applique pas à la production des œuvres scientifiques,
littéraires ou artistiques. Les dits fonctionnaires et agents,
peuvent, en outre, avec l'agrément du Secrétaire général du Gouvernement
Tunisien, donner les enseignements de même nature. ART. 3. — En dehors
des cas visés à l'article 2, il ne pourra être
dérogé à l'interdiction prévue à l'article premier
qu'exceptionnellement et pour chaque cas par une décision du Secrétaire
général du Gouvernement Tunisien, après avis du Chef de l'administration dont
dépend le fonctionnaire ou l'agent intéressé. Cette décision prise à titre
précaire sera toujours révocable dans l'intérêt du service. ART. 4. — Le Secrétaire général du
Gouvernement Tunisien est chargé de l'exécution du présent décret. Vu pour promulgation et mise à
exécution : Tunis, le 8 octobre 1935. Le Résident Général de la
République Française à Tunis, Peyrouton. |
Avec
l'indépendance, le statut général des personnels de l'état[3], des collectivités
publiques locales et des établissements publics à caractère administratif de
1968[4] et de 1983[5] reprend pratiquement les mêmes dispositions, son article 5 dit qu'
"il est interdit à tout agent public d'exercer à titre professionnel,
une activité privée lucrative de quelques nature que ce soit, les conditions
dans lesquelles il peut être dérogé à cette interdiction sont fixées par décret.."
En 1995 , un
décret[6] du premier ministère confirme
dans son article 5 cette dérogation " Les personnels du corps
enseignant … peuvent exercer une profession libérale découlant de la nature de
leurs fonctions. Les conditions d'exercice de cette profession sont déterminées
dans les statuts particuliers des personnels en question".
Le département de l'éducation nationale a produit
plusieurs texte sur la question
En parcourant
les différents textes publiés par le département de l'éducation nationale (
lois, décrets, arrêtés, circulaires et notes) qui ont traité la question du travail des
enseignants du secteur étatique dans les
écoles privées, nous constatons une double évolution , la première montre qu'on
est passé d'une ignorance totale de la
question pour devenir un élément présent dans les textes des lois, pour la
deuxième évolution , on est passé de la permission conditionnée à
l'interdiction totale.
La
loi de 1958 n'a pas évoqué la question
La première
loi sur l'enseignement (loi 1958/118
du 4 novembre 1958), qui a consacré un chapitre entier à l'enseignement privé (
titre IV avec 17 articles), n'a pas évoqué la question de l'emploi des enseignants du secteur public dans les
écoles privées, cette omission fut
corrigée par une série de circulaires : les circulaires 64 du 6 janvier 1961,
77 du 1 janvier 1966 , 54 du 15 mai 1972 et 136 du 12 décembre 1972, c'est
cette dernière circulaire que nous avons trouvée , elle indique clairement que les écoles privées pourraient recourir aux " maîtres encore en
activité auprès des écoles publique" en précisant que si cela "
n'est pas interdit,… il nécessite une autorisation du Ministère de l'éducation
, laquelle " ne peut être accordée que dans des cas exceptionnels et pour
un nombre d'heures raisonnable".
La circulaire N°36 - 1972 conseille
aux responsables des établissements privés de recruter leur personnel
enseignant
Le premier document que nous avons trouvé est une circulaire qui
remonte à l'année 1972 signée par Le Ministre de l'éducation nationale Mohamed Mzali, mais
il semble que ce n'est pas la première circulaire qui ait traité la question
qui nous intéresse car d'après les
références citées par cette circulaire , il y a eu trois autres circulaires (comme
nous l'avons indiqué dans l'aperçu historique) il s'agit des circulaires 64 du
6 janvier 1961, 77 du 1° janvier 1966 , 54 du 15 mai 1972 .
Cette
circulaire en langue française est parue 11 jours après la circulaire en langue
arabe datée du 12 décembre 1972, elle était destinée aux directrices et aux directeurs des écoles privées d'enseignement primaire et
secondaire, alors que la version arabe n'était destinée qu'aux écoles primaires
privées, enfin la version française ne
comportait pas les références citées dans la version arabe (Références: circulaires n° 64,77,54 datées
du 6 janvier 1961 et 4 janvier 1966 et
15 mai 1972), ces références donnent la preuve que la question préoccupait les responsables du Ministère,
puisque certaines circulaires
remontaient au temps du secrétaire d'état Mahmoud Messadi (1961 et
1966), malheureusement nous n'avons pas réussi à retrouver ces premières
circulaires.
La circulaire
conseille aux directeurs et
directrices des établissements privés de recruter leurs propres enseignants,
mais elle n'interdit pas le recours aux enseignants exerçant dans le public,
elle rappelle que le recours des écoles primaires privées aux "
maîtres encore en activité auprès des écoles publique" n'est pas interdit, mais il nécessite une autorisation du
Ministère de l'éducation, laquelle " ne peut être accordée que dans des
cas exceptionnels et pour un nombre d'heures raisonnable".
On
remarque que la circulaire était
très souple , elle conseille et oriente et elle ne comporte
aucune mesure de contrôle ni des
sanctions pour ceux qui ne " veillent pas à la bonne exécution des dispositions de la
circulaire".
Document 2: Circulaire
N°136, Tunis le 23 décembre 1972
Circulaire
N°136 émanant du cabinet Tunis le 23 décembre 1972 Le
Ministre de l'éducation nationale à Mesdames
les directrices et Messieurs les Directeurs des écoles privées d'enseignement primaire
et secondaires Références[7],: circulaires n° 64,77,54 datées du 6 janvier 1961 et 4 janvier 1966 et 15 mai 1972. Comme
suite à mes circulaires citées en référence, j'ai l'honneur de rappeler que
les maîtres encore en activité auprès des écoles publiques ne peuvent
enseigner dans les écoles privées en
heures supplémentaires qu'après avoir été préalablement autorisés par le
Ministère de l'éducation susvisés, de s'assurer qu'il détient bien une
autorisation à cet effet pour l'année en cours. Je tiens à préciser, à ce propos , que l'autorisation en question ne peut être accordée que dans des
cas exceptionnels et pour un nombre d'heures raisonnable. Aussi
, les Directeurs d'écoles privées ont-ils le plus grand intérêt à recruter des maitres à plein temps spécialement attachés à leurs
établissements. De
tels maîtres pourraient être recrutés : 1)
Pour
l'enseignement du niveau primaire parmi les normaliens sortants qui ont
accompli tout le cycle de l'école normales mais n'ont pas pu être recrutés
pour les écoles publiques. Des contacts avec les Directrices et les
Directeurs des écoles normales pourraient faciliter le choix le cas échéant. 2)
Pour
l'enseignement du niveau secondaire : a)
soit
parmi les titulaires d'une licence complète ou de certificats d'études
supérieures qui n'exercent pas encore. Des contacts avec les Directeurs des
différentes facultés pourraient faciliter le choix le cas échéant. b)
soit
parmi le personnel déjà en exercice , par voie de détachement à solliciter du
Ministère de l'Education Nationale. Mesdames
les directrices et Messieurs les Directeurs des établissements privées d'enseignement primaire et
secondaires sont donc priés de veiller à la bonne exécution des dispositions
de la présente circulaire. Le
Ministre de l'Education Nationale Mohamed
Mzali |
Fin de la première partie, à suivre
Présentation et commentaire Mongi
Akrout & Abdessalem Bouzid, Inspecteurs généraux de l'éducation
Tunis, décembre 2020
Pour accéder à la version Ar, CliquerICI
[2] Décret du 8 octobre 1935 (11 rejeb 1354) relatif à
l'interdiction aux fonctionnaires d'exercer une profession industrielle ou
commerciale en dehors de leurs fonctions
[3] la première loi portant statut général du personnel de l'état publiée en 1959( loi 59-12 du 5 février 1959) n'a pas évoqué la question , ce n'est que la loi de 1968 qui lui a consacré l'article 5.
[4] Loi n°68-12 du
3 juin 1968 portant statut général des personnels de l'état , des collectivités
publiques locales et des établissements publics à caractère administratif
[5] Loi n°
83-112 du 12 décembre 1983 portant statut général des personnels de
l'état , des collectivités publiques locales et des établissements publics à
caractère administratif
[6]
Le décret 95 -83 du 19-01-1995 relatif à l'exercice à
titre professionnel d'une activité privée lucrative par les personnels de l'Etat,
des collectivités publiques locales, des établissements publics à caractère
administratif et des entreprises publiques
[7] les références sont tombées de la version française ,
nous avons du les reproduire à partir de la version arabe
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