Hédi Bouhouch |
Dans l'euphorie de l'indépendance; la Tunisie semblait se diriger vers l'arabisation progressive de l'enseignement secondaire par la création d'une section -A- où l'enseignement est donnée en langue arabe, mais quelques années après sa mise en place, il a été décidé de mettre fin à cette initiative.
le blog pédagogique a voulu revenir sur cette page de l'histoire de l'école tunisienne à travers des documents officiels ( discours, rapports, circulaires…) pour essayer de faire la lumière sur cette question.
Document 1: Extrait du discours du Président
de la République Habib Bourguiba du 15 octobre 1959
* Bourguiba annonce l'unification de
l'enseignement secondaire et la mise en place de la section -A-
« Nous avons résolu, au départ, de
supprimer progressivement tous les anciens types d’enseignement, notre souci
n’a pas été - comme certains pourraient l’imaginer , de supprimer le seul
l'enseignement zitounien, nous avons en fait supprimé l’enseignement moderne
français, l’enseignement moderne bilingue de type sadikien et l’enseignement traditionnel
zitounien.
Ces types
d’enseignement inadaptés, hybrides ou dépassés disparaissent pour faire place à
un enseignement national unique. »…
L’enseignement
secondaire compte deux sections :
- la section A dite normale où la langue véhiculaire pour
toutes les matières d’enseignement est
l’arabe et que nous développerons au fur et à mesure que nous aurons la possibilité d’enseigner
les matières scientifiques en langue arabe, des sections de ce type existent
dans divers collèges : collège Ibn Charaf et Ibn Rochd à Tunis, les
collèges de Sfax, de Kairouan, de Monastir, de Menzel Temime, le collège de
jeunes filles de la rue du Pacha, etc.
- la section B dite section transitoire où le français
continue provisoirement à être employé
comme langue véhiculaire pour les matières scientifiques notamment mais où la langue arabe a la place
prééminente de la langue de base pour la
culture et la formation. »
Source:
Bourguiba, Discours, Fascicule VI,
p. 289.
Commentaire La loi de 118-1958
du 4 novembre 1958 relative à l'enseignement avait occulté la
question, on n'y trouve aucune trace et c'est peut être une omission
volontaire afin de ne pas s'engager dans une voie incertaine. Néanmoins, le pays s'est engagé dans la voie du changement
de son système éducatif en instituant
au niveau de l'enseignement secondaire une section où l'enseignement est
totalement arabisé sans exclusion de l'apprentissage des langues vivantes :
le français et l'anglais. Et c'est le président lui même qui est intervenu à
l'occasion de la deuxième rentrée scolaire après la réforme de 1958 pour expliquer les choix du pays qui se
résument dans l'unification de l'enseignement et la création d'une section
totalement arabisée et d'une section bilingue transitoire qui devrait
disparaître quand le pays aurait formé en nombre suffisants les enseignants
capables d'enseigner toutes les
disciplines en utilisant la langue arabe. |
Document 2: Circulaire n° 57 du 11 janvier 1961 sur les modalités de
l'orientation vers la section A et la section - B-
" La
réforme de l'enseignement, en vigueur depuis octobre 1958, implique que tous
les élèves reçoivent un seul type d'enseignement et qu'ils ne soient
orientés qu'à la fin de la première
année de l'enseignement secondaire, selon leurs aptitudes, à la section
générale, économique ou technique.
L'enseignement
dispensé en première année se fait selon
un programme totalement unifié, mais les élèves sont répartis sur
trois sections
- Une
section A où l’arabe est la langue de la culture et la langue d'enseignement et des matières scientifiques , la
langue française a le statut de première
langue vivante.
- Une section
B en arabe et en français: où l’arabe est la langue de la culture et
le français est la langue dans laquelle les sciences sont enseignées
- Une
section C où le français est la langue de la culture et la langue dans
laquelle sont enseignées les matières scientifiques et techniques.
En conséquence:
Les élèves des écoles primaires
enseignant l'arabe et le français doivent choisir la section A ou la section B,
Les élèves qui ont suivi
l’enseignement primaire en langue
française choisissent la section C.
Ces différentes sections sont
indiquées dans les demandes de candidature - Ils faudrait barrer les mots inutiles.
L' enseignement moyen comprend aussi trois sections: une section générale et deux
sections de spécialité (commerciale et
industrielle), l'enseignement moyen se
fait en français, langue dans laquelle les matières sont enseignées selon les
deux sections suivantes:
La section B :
l'enseignement se fait dans les deux langues : l'arabe en tant que
langue d'enseignement et le français en tant que première langue vivante
La section C : l'enseignement se fait en
français; la langue d'enseignement est
en même temps une langue de culture et
la langue d'enseignement des matières
scientifiques et techniques.
Source: Chabâan , M. Les règlements
scolaires ( enseignement primaire); Textes officiels et directives. p,157, 3ème
édition, Tunis.
Commentaire Cette circulaire qui est paru au
cours de l'année scolaire 1960/1961 explique les modalités de l'orientation
des élèves qui réussissent au concours d'entrée en première année de l'enseignement
secondaire et de l'enseignement moyen. on en déduit : 1- la section A n'existe que dans
l'enseignement secondaire , elle est absente dans l'enseignement moyen , cela
pourrait s'expliquer par le fait que l'enseignement moyen comprend plusieurs
disciplines techniques et commerciales et que les enseignants tunisiens qui
pourraient les enseigner en arabe n'étaient pas disponibles . 2- Que les élèves ayant suivi leur scolarité primaire dans
des écoles enseignant l'arabe et le français peuvent choisir la section A ou
la section B. Cette liberté laissée aux élèves et à leurs parents allait
avoir beaucoup de conséquences sur l'avenir des deux sections comme nous
allons le déduire à partir du document 3 ci-dessous. |
Document 3- Circulaire n°66 du 3 février 1961 à propos des sections de
l'enseignement secondaire : la section A de l’enseignement secondaire
J’ai
constaté au cours des deux dernières années
que les élèves ne sont portés sur
la section A de l’enseignement secondaire lui préférant la section B de cet enseignement, en effet la plupart des candidats au concours d’entrée à la
première année de l’enseignement secondaire choisissent la section B et
n’accordent aucun poids à la section A .
Ainsi , je
vous rappelle que la section A a été instituée par la réforme de l’enseignement
depuis 1958 en même temps que les deux
sections B et C, et que la section A est la section permanente alors que les
deux autres sont des sections transitoires, et que la section A va les
remplacer un jour.
Il est à remarquer
que les trois sections de l’enseignement secondaire appliquent le même
programme, la seule différence entre
elles réside dans le choix de la langue d’enseignement, ainsi c’est la langue arabe qui est la langue
d’enseignement de toutes les matières scientifiques dans la section A , et
c’est la langue française qui est la langue d’enseignement de toutes les
matières scientifiques dans les sections B et C.
Ainsi ,
vous êtes appelés à expliquer aux candidats et à leurs parents au moment du
choix de la section et à prendre tout ce
qu’il faut pour que leur choix soit judicieux et afin qu'il ne résulte pas
d'autres critères que ceux dictés par les cours.
Il est
nécessaire de rappeler que la section -A- existe dans plusieurs écoles
secondaires de garçons et de jeunes filles. Il est aussi utile de rappeler que
les classes de la section -A- ne sont créées que
si le recrutement de professeurs formés dans des universités modernes et
détenteurs de diplômes requis( au moins la licence) et capables d'enseigner en
langue arabe le permet.
Ainsi, au
cas où le nombre de candidats pour la section -A- se trouve être insuffisant;
les classes créées pour cette section seront remplies par affectation
obligatoire du nombre nécessaire, dans le cas contraire, le surplus de candidats
à la section -A- sera orienté obligatoirement vers la section - B-.
Ainsi , il
faudrait veiller à ce que les candidats marquent leurs préférences dans l'ordre
des sections : A et B ou B et A.
Source: Chabâan , M. Les règlements
scolaires ( enseignement primaire); Textes officiels et directives. p,157, 3ème
édition, 1963.Tunis.
Commentaire Après deux années scolaires ( 1958/59 et 1959/60), cette
circulaire évoque les difficultés rencontrées par la nouvelle section -A- qui
se sont traduites par sa faible attraction en effet parents et élèves sont restés méfiants et
lui ont préféré la section - B - qui ressemble beaucoup à la section
tunisienne qui existait depuis l'époque du protectorat La circulaire tente de rassurer les parents en insistant
sur deux points : la première concerne la similitude des programmes 1961
ogrammes entre les deux sections
et la deuxième concerne la qualité des enseignants qui seront chargés
d'enseigner en arabe. Il semble que le Ministère était décidé à faire réussir la
nouvelle section, en imposant une orientation imposée d'un certain nombre d'élèves pour assurer
le remplissage des classes créées pour cette section, notons qn Al Hay
Azzaitouni) qui abritaient la section -A-. |
DOCUMENT 4 : extraits du rapport des commissions de
l'enseignement en1967[1]
* La sous commission du primaire
« Par
fidélité à la civilisation arabo-islamaique … La commission :
- estime
qu'il importe de rester fidèle à l'option fondamentale déjà adoptée qui fait de
l'arabisation de l'enseignement un objectif national devant aboutir à
l'épanouissement de la personnalité tunisienne …
- croit
profondément à la nécessité de maintenir notre civilisation ouverte à tous les
apports humains grâce à l'enseignement des langues vivantes…
- fait
observer que l'emploi de la langue française pour l'enseignement des sciences
est une nécessité inéluctable dans cette phase transitoire que traverse notre
pays, en attendant que soient consolidées les bases de notre université..
Ainsi la commission recommande-t-elle :
1) de
maintenir l'arabisation de l'enseignement dans les premières années du cycle
primaire,
2) de
poursuivre l'usage des deux langues dans les années suivantes du cycle
primaire…
3)
d'exiger un diplôme d'arabe ou des études en arabe à l'échelon universitaire de
tout candidat à une licence qu'elle soit de Lettres ou de science. Ainsi se
formera un cadre universitaire capable d'enseigner toutes les disciplines …en
langue arabe …cette exigence aura pour corollaire de doter le pays d'un corps
enseignant apte à enseigner en arabe aussi bien au cycle secondaire qu'à
l'Université.
* La sous commission du secondaire
« … La
commission propose que le secrétaire d'Etat à l'Education Nationale mette dès
maintenant à l'étude le problème de l'arabisation de l'enseignement secondaire
et qu'elle conçoivent pour le résoudre une orientation nouvelle inspirée des
principes qui ont été à l'origine de la section A. Pour atteindre cet objectif
la commission propose q'un plan précis soit établi et qu'une action rapide soit
entreprise pour former, dans le présent et l'avenir, les professeurs de
l'enseignement secondaire …»
commentaire Bien que les
recommandations à propos de l'arabisation de la commission semblaient assez
équivoques voire contradictoires car
tout en rappelant les choix
fondamentaux , elles laissent sous entendre que l'expérience de la section
A connaissait des difficultés pour preuve nous ne notons pas un appel
clair et net pour sa généralisation mais plutôt un appel à "la
conception d'une orientation nouvelle inspirée des principes qui ont été à
l'origine de la section pour résoudre le problème de l'arabisation de
l'enseignement secondaire" comme l'a recommandé la commission. La surprise est tombée lors de la conférence
de presse à l'occasion de la rentrée scolaire, le ministre de l'éducation
annonce que le ministère a décidé de se limiter à la seule section où
l'enseignement se fait en français et en arabe et d'abandonner les deux
autres sections B et C.[2] |
Conclusion
Ainsi ce fut la fin d'une aventure qui avait
enthousiasmé le rêve d'une génération de tunisiens lorsque par ces décisions le Ministère semble avoir abandonné le
principe de considérer la langue arabe comme la langue de culture et
d’enseignement et que la section A est la section de l’avenir de l’école
tunisienne et de consacrer le
bilinguisme mis en place depuis Kheirddine quand il avait fondé le collège
Sadiki, ce choix n’est pas étrange à ce que le président Bourguiba avait
déclaré dans son discour à Bizerte le 10 octobre 1968 dans lequel il affirmait
:” que l’usage de la langue française ne constitue guère une atteinte à notre
souveraineté nationale ni une trahison à notre fidélité à la langue arabe mais
il nous donne l’occasion d’avoir une ouverture sur le monde contemporain et si nous avons choisi la langue française
comme langue véhiculaire c’est pour mieux nous intégrer dans les courants de la
civilisation contemporaine et pour rattraper notre retard sur le convoi des
pays développés”.
Présentation et commentaire Mongi
Akrout & Abdessalem Bouzid, Inspecteurs généraux de l'éducation
Tunis, décembre 2020
Pour accéder à la version Ar, CliquerICI
[1] En 1967, c'est-à-dire
huit ans après la promulgation de la loi
d'enseignement de 1958, une opération d’évaluation est lancée par le chef de
l’état, le 31 janvier 1967. La commission présidée
par Ahmed Ben Salah, le secrétaire général adjoint du parti, fut scindée en
trois sous- commissions : une pour l’école primaire, la deuxième pour
l’enseignement secondaire, et la troisième pour l’enseignement supérieur, six
mois après elle rend public ses rapports , pour plus de détails voir les
billets du blog consacrés à la question en 2016.
D'après Bouhouch, H & Akrout,M. L’histoire des réformes scolaires en Tunisie,
depuis l’indépendance (Chapitre 3) : Evaluation de la réforme de 1958 et les
tentatives d’adapter le système à l’évolution continue de la réalité : Les
réformes de la période de 1967 à 1969.
http://bouhouchakrout.blogspot.com/2016/01/lhistoire-des-reformes-scolaires-en.html
[2] L’histoire des réformes scolaires en Tunisie, depuis
l’indépendance : 3ème chapitre : Évaluation de la réforme de 1958 et les
tentatives d’adapter le système à l’évolution continue de la réalité : Les
réformes de la période de 1967 à 1969.
http://bouhouchakrout.blogspot.com/2016/01/lhistoire-des-reformes-scolaires-en_25.html
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