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Hier, samedi 28
novembre 2020, s’est éteint à la suite d’une crise cardiaque brusque l’un des
bâtisseurs de l’Etat tunisien et l’une des figures de l’éducation et de
l’enseignement en Tunisie, le professeur Mohamed Fayala qui est décédé à l’âge
de 93 ans alors qu’il rentrait à sa maison du lycée privé qu’il dirigeait
depuis des décennies.
Je n’ai pas été un
de ses élèves, car à l’époque de ma scolarité secondaire il était Directeur
Régional de l’Enseignement de Sousse (entre 1974 et 1990), par contre c’est lui
qui m’avait donné ma première nomination en tant que professeur d’histoire et
de géographie à l’automne 1988.
Feu Mohamed Fayala est né à Mahdia en 1927 où son
père Brahim Fayala travaillait à la Société de Transport du Sahel (STAS) à
l’époque du protectorat, c’est son père qui l’avait encouragé à poursuivre ses
études secondaires puis supérieures, c’est ainsi qu’il rejoignit le collège
Sadiki en octobre 1941.
Dans cette institution nationale (Cf. la photo
ci-jointe, le premier assis à gauche dans le premier rang), il fut l’élève
d’illustres professeurs comme Mohamed Souissi, professeur de Mathématiques qui
lui fit aimer les mathématiques, les professeurs Mahmoud Messadi et Abdelwaheb
Bakir (l’arabe), les professeurs Mohamed Rokbani et Cheikh Allani (la pensée
islamique) sous l’égide du directeur adjoint puis du directeur, Mohamed Attia.
Mohamed Fayala fut un membre actif de la
jeunesse scolaire, filiale du Néo destour, il eut comme compagnon de promotion
Tahar Chriaâ, Mohamed Mzali (qui l’a précédé de 02 ans), Mohamed Aouani,
Noureddine Bou Arrouj, Mokhtar Enneifer, Habib Jeddi et surtout Mohamed Ghnima
et Mohamed Fitouri, qui après avoir décroché la deuxième partie du baccalauréat
en juin 1950 au lycée Carnot, vont tous les deux l'accompagner en France, pour
poursuivre leurs études de Mathématiques et de droit à Bordeaux.
En juin 1954 lors de l’oral pour obtenir la
licence à la faculté de Bordeaux, le professeur examinateur lui posa une
question d’algèbre ardue se rapportant à un nouveau théorème (le théorème de
Fox), et en dépit de la difficulté de la question, Si Mohamed avait réussi à y
répondre brillamment et il fut reçu parmi les premiers, si bien que son
professeur lui a demandé de poursuivre ses études et de s’installer en France
lui promettant d’intervenir auprès des autorités françaises pour obtenir la
nationalité française, Mais il déclina la proposition en répliquant " je
veux rentrer au pays pour participer à former la jeunesse tunisienne , ce qui
n’a pas manqué d’étonner son professeur.
En 1954, les trois compagnons rentrent au pays
après avoir terminé leurs études avec brio et sont ainsi parmi les premiers
diplômés de l’enseignement supérieur qui ont intégré l’administration et le
corps enseignant au cours de la première année de la Tunisie autonome à côté
des fonctionnaires et des professeurs français. Si Mohamed Fayala avait opté
pour l’enseignement alors que son compagnon Mohamed Ghenima avait rejoint la
direction financière puis la banque centrale à sa création en octobre 1958 par
le professeur Hédi Nouira, il deviendra son gouverneur dans les années
quatre-vingt…
Si Mohamed a débuté sa carrière d’enseignant
de Mathématiques au Lycée de garçons de Sousse à l’automne 1954, il y resta
jusqu’en 1968 en enseignant surtout les classes terminales et c’est son élève
Mohamed Hédi Khélil qui venait de rentrer de Paris qui le remplace pour prendre
en charge les classes terminales.
En 1974, après une expérience en tant
qu’Inspecteur et Inspecteur Général, Mohamed Fayala est nommé à la tête de la
nouvelle direction régionale de l’enseignement de Sousse qui couvrait à
l’époque tous les gouvernorats du Sahel (Monastir, Mahdia) et du centre
(Kairouan, Kasserine et sidi Bouzid). Lorsqu’en 1987/1988 il atteint l’âge de
la retraite, son ancien élève et le Ministre de l’Education Nationale de
l’époque, Mr. Mohamed Hédi Khélil lui proposa de rester au poste, en
prolongeant son exercice durant trois années scolaires successives.
En 1991, il se présenta aux élections
législatives partielles et fut élu sur la circonscription de Sousse, il y resta
jusqu’en 1994, il évoque ce passage avec une certaine dérision, quand un jour
je l'appelle : « Ahlan Monsieur le Député », il me rétorqua
: « ce ne fut qu’un bout et non un mandat complet, cher ami » !
Sous la coupole du parlement, il retrouva son
collègue du lycée de Sousse et l’ancien ministre de la culture le professeur
Mohamed Yaalaoui, et son ancien élève et ancien ministre de l’éducation Mohamed
Hédi Khlil et le kairouanais et Imam de la grande mosquée Cheikh Abderrahmen
Khlif, tous les quatre vont former un groupe très actif par leur position au
cours des discussions des questions relatives à la culture, l’enseignement et l’éducation…
Quand j’enseignais au Lycée de garçons de
Sousse puis au lycée pilote de Sousse, je le rencontrais toujours se dirigeant
ou sortant de la direction régionale toute proche, ou lorsqu’il rendait de
brèves visites à son ami originaire de Kairouan, le directeur du lycée pilote
de Sousse, Monsieur Mongi Dridi. Il me parlait alors de ses années d’études en
France, et de ses souvenirs au collège Sadikien, il me demandait des nouvelles
sur l’avancement de ma thèse sur « L’élite moderne tunisienne : le cas des
étudiants des universités françaises 1880/1956"; il me fournissait des
données précieuses que je n’ai trouvées ni dans les archives tunisiennes, ni
dans les archives françaises !
Il me demandait souvent de venir faire des
cours pour les classes terminales lettres dans son établissement, mais mon
engagement moral avec le lycée privé Ettawfik
dirigé par le respectable, le père et l’ancien haut responsable dans l’état et
le parti, Mr. M’hammed Souayeh, m’empêchait de répondre favorablement à la
sollicitation de Si Fayala qui respecte mon attitude et me disait avec son
sourire habituel : « Le lycée est le
vôtre tu seras toujours le bienvenu ».
En 1996 nous avons une longue rencontre dans
son bureau au lycée à l’occasion de la visite du président de l’Association des
Anciens Elèves du Collège Sadiki, Mr. Foued Mbazza et son Secrétaire Général,
Feu Hamadi Sahli pour relancer « La
Revue Sadikienne » dans sa
nouvelle collection, il m’avait proposé alors de rejoindre son comité de
rédaction, ce que j’ai fait et je continue aujourd’hui à y écrire malgré les
difficultés que rencontrent les revues culturelles depuis 2011…
Malgré son attachement à sa ville natale
(Kairouan) qu’il visitait de temps à autre, son amour pour la ville de Sousse
était exceptionnel pour preuve son choix d’épouser la fille de la figure du
football et le président de la Patriote de Sousse, Rachid Shili, qui fut une
amie de jeunesse de ma mère que Dieu la garde. Si Mohamed a été élu aussi
membre du conseil municipal de la ville de Sousse à plusieurs reprises.
Je n’ajouterai
grand-chose à propos des dizaines manuels de Mathématiques élaborés, soit par
lui seul ou avec le professeur français d’origine polonaise et grand fervent du
sport de la marche, Henri Trebitch, ces manuels couvraient les différents
niveaux et en particulier les manuels destinés aux élèves des terminales, sans
oublier sa contribution dans l’élaboration des sujets du bac durant plusieurs
années.
Au cours de l’année scolaire 1963/1964 il a
créé avec Mohamed Hédi Khélil le premier bulletin scientifique et pédagogique
de Mathématiques, ils ont choisi de l’appeler "Al -Khawarizmi" (du
nom du grand savant mathématicien, géographe, astrologue et astronome Muhammad
Ibn Mūsā al-Khuwārizmī né à Khawarizm en 780 ap. J.-C et mort à Bagdad en 850
ap. J.-C.). La revue a réussi à s’imposer et a continué à paraître et à être
distribuée dans tout le pays régulièrement pendant plusieurs années avec la
collaboration de nombreux enseignants, la revue était une source et une
référence pour les professeurs de Mathématiques, ils y font recours pour
préparer leurs leçons et leurs devoirs.
En 2014, je l’ai sollicité pour participer à
mon programme radiophonique « Témoignages
vivants » que j’anime à la Radio Monastir, mais il a décliné ma
demande en me disant : « Mon fils
Adel, épargne moi cela , je n’aime pas apparaitre dans les moyens d’information
(radio et télévision) comme le font n’importe qui, quand j’ai insisté en
lui disant que je tenais à parler avec un professeur, un éducateur et un haut
responsable de l’éducation et de l’enseignement de la belle époque , il m’a
rétorqué en souriant : « Je te
conseille d’inviter mon élève Si Hédi Khélil », j’ai suivi son conseil
et j’ai contacté Mr. Hédi Khélil, son élève et l’ancien ministre de l’éducation
nationale et j’ai enregistré avec lui au mois d’août 2017 dans sa ville natale
Korba. Comme à l’accoutumée, Si Mohamed a suivi les trois épisodes de
témoignage de son ancien élève et il m’avait remercié lors de notre rencontre
quelque jours après.
L’œuvre de l’homme, ses qualités, ses
publications et ses réalisations dans le domaine scolaire et éducatif sont là
pour évoquer le riche parcours de Si Mohamed, je profite de l’occasion pour
proposer aux autorités régionales et en premier lieu le commissariat régional
de l’enseignement de donner le nom du défunt à l’un des établissements
secondaire de la ville, je pense que cela n’est pas trop demandé à Mr. Négib
Zbidi, le délégué régional de l’enseignement.
Le corps du défunt a
été inhumé après la prière d’Al Asr au cimetière de Sousse route de Monastir,
le dimanche 29 novembre en présence des membres de sa famille, de ses anciens
élèves, ses collègues et ses amis venus de toutes les villes du Sahel et
d’autres régions malgré l’épidémie et le couvre feu qui débute à 19 heures.
Que Dieu accorde sa
miséricorde à l’éducateur, l’ami,le responsable le professeur Mohamed Fayala.
Adel
Ben Youssef, Professeur d’histoire contemporaine à la faculté des lettres et
des sciences humaines de Sousse et ami du défunt.
Sousse,
le 29 Novembre 2020
Présentation
et traduction Mongi Akrout & Abdessalam Bouzid, inspecteurs généraux de
l’éducation retraités.
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