dimanche 24 janvier 2021

Education-Formation, Quelle Complémentarité dans le contexte de la Mise A Niveau ?

 

 

Moncer Rouissi

En hommage à la mémoire du Professeur Moncer Rouissi, Le blog  pédagogique entame cette semaine la publication d'une étude de valeur qu'il a réalisée en 1998, cette étude est l'une des meilleures et des plus complètes réflexions sur l'état du système éducatif ; elle a le mérite de nous révéler plusieurs vérités et de rectifier certaines données, nous en citons  celles-ci

1- L'idée de l’instauration d’une école de base de 9 ans finalisée et sanctionnée par un diplôme national, totalement indépendant de l’accès au secondaire remonte à 1982 , c'est la première recommandation de la commission de réflexion sur la réforme de l'éducation présidée par Dr.H.Karoui.

2- La même commission avait recommandé la suppression de l’enseignement technique qui débouchait sur un diplôme de technicien . 

3- C'est le prêt sectoriel Education-formation de 1989 contracté auprès de la Banque Mondiale pour financer en partie le début de la mise en œuvre de la réforme qui avait recommandé de supprimer le plus vite possible ».l'enseignement professionnel relevant de l’Education car il est inefficace et coûteux .

En plus de cela l'étude  a procédé à une analyse critique de la réforme de 1991 montrant ces dérives par rapport aux finalités prédéfinies en reproduisant la même logique de la réforme de 1958.

Le blog pédagogique, janvier 2021

 

 

      1.        Les réformes de 1991 et 1993, objectifs et résultats :

1.1 Situation avant les réformes et objectifs :

Les réformes du système éducatif de 1991 et celle de la formation professionnelle de 1993 ont été précédées de réflexions et d’études prolongées et approfondies sur la situation du système éducation - formation des années 80 qui avait été mis en place pour l’essentiel en 1958.

Parmi les études qui ont préparé à la réforme , il convient de citer le travail de la Commission de réflexion sur la réforme de l’éducation présidée par Dr.H.Karoui et qui a donné lieu à un rapport intitulé « Pour une réforme du système éducatif » en date de janvier 1982.

La réforme préconisée n’a pas pu être mise en application alors faute de volonté politique et  en raison d’inertie administrative.

Ce n’est que près de 10 ans plus tard et grâce à la dynamique initiée par le changement qu’une réforme en profondeur du système éducation-formation a pu être engagée.

La commission de réflexion présidée par Dr.H.Karoui avait souligné que la prise de conscience de la nécessité d’évaluer  et de réformer le système mis en place en 1958 était déjà posée en 1967, 1970, 1972 et 1979 . « Malgré les déterminations qui marquèrent les actions engagées, … le système a néanmoins continué à vivre dans la crise et l’inadaptation et les problèmes posés jadis continuent à être posés avec la même acuité »

 

Que reprochait-on au fait au système éducatif ?

                                1.        l’ampleur de la défaillance scolaire ,

                                2.        le manque d’harmonie entre le système éducatif et le marché du travail dû essentiellement à la non-opérationnalité des programmes et des méthodes de l’enseignement ,

                                3.        l’importance des ressources consacrées à l’éducation citée à la fois comme motif de fierté et source de préoccupation .

 

Le rapport de la commission de réflexion avait aussi souligné que « toutes les réformes engagées n’avaient jamais touché  la logique interne du système » et que  cette logique reposait notamment sur :

 

                                  1.      L’absence d’une finalité propre au cycle primaire et secondaire général et que tous ceux qui n’accèdent pas au cycle suivant constituent inévitablement des déchets pour le système,

                                  2.      La fermeture du système éducatif : on ne peut y accéder que par la base et on ne peut le quitter qu’à titre définitif. Il en résulte une hantise de la sortie et une rétention artificielle,

                                  3.      La dévalorisation des enseignements techniques et professionnels qui, situés à l’intérieur du système éducatif, n’accueillent que les attardés scolaires et les recalés et conduisant à des impasses.

 

Le rapport de la commission préconisait comme alternative une réforme structurelle, une réforme de la logique du système et une réforme pédagogique.

 

La réforme structurelle consistait en :

                                  1.      L’instauration d’une école de base de 9 ans finalisée et sanctionnée par un diplôme national, totalement indépendant de l’accès au secondaire,

                                  2.      Un cycle secondaire finalisé en parallèle avec des « écoles de métiers », intimement liées avec le milieu productif, assurant une formation professionnelle,

                                  3.      Un cycle supérieur ouvert sur concours et dont l’entrée n’est pas  articulée de manière rigide avec  l’enseignement secondaire.

 

La réforme de la logique du système consistait en  la finalisation de chaque cycle, la disparition des articulations rigides entre les divers cycles et l’ouverture permanente du système surtout au niveau du cycle supérieur et des écoles des métiers.

 

Quant à la réforme pédagogique, elle devait intervenir en première urgence au niveau de l’école de base pour que les programmes, méthodes et moyens mis en œuvre permettent l’ouverture de ce cycle dans sa totalité au maximum de jeunes.

 

Le prêt sectoriel Education-formation de 1989 contracté auprès de la Banque Mondiale a servi à financer en partie le début de la mise en œuvre de cette réforme.

Le document de projet relatif à ce prêt faisait remarquer que   « les filières d’enseignement professionnel relevant de l’Education … sont inefficaces et coûteuses » et recommandait en conséquence qu’elles « devraient être supprimées le plus vite possible ».

 

Ce rapport recommandait par ailleurs de « résoudre dans  les meilleurs délais les problèmes auxquels se trouve confronté le secteur de la formation professionnelle, notamment  la faible relation entre la formation dispensée à l’époque et les besoins du marché de l’emploi, ainsi que le manque de qualité de ses programmes de formation » et que « dans l’avenir, les programmes de la formation professionnelle devraient être étroitement liés aux besoins économiques et non pas liés à la croissance des effectifs des jeunes sortants du système éducatif »

 

En présentant les grandes lignes de la réforme, ce document mentionnait que «  l’école de base consistera en un cycle d’études formelles de 9 ans, ayant pour objectif de permettre l’accès à un plus grand nombre d’élèves et à terme de rendre ce cycle obligatoire ». « La structure de l’enseignement secondaire sera également modifiée par la suppression de l’enseignement technique qui débouchait sur un diplôme de technicien ; une partie de l’infrastructure correspondante devant être transférée à la formation professionnelle ».

 

Il recommandait « la promotion d’accords cadres entre  la formation professionnelle et les fédérations professionnelles, définissant les rôles respectifs de chacune des parties dans le choix des objectifs de la formation et la gestion des centres. Les employeurs seront étroitement associés à toutes les étapes du développement des programmes et ils veilleront à ce que  les programmes répondent à leurs besoins. Un système national de certification assurera un partenariat avec la profession ».

1.2 - Quelle est la situation aujourd’hui ?

  La réforme du système éducatif’ commencée en 1989 a été engagée pour l’essentiel à partir de 1991. La première promotion de l’école de base sort au mois de juin 1998.

La réforme de la formation professionnelle, préfigurée par la création en 1990 du Ministère de la Formation Professionnelle et de l’Emploi a été engagée à partir de

                               ·            1993 au niveau institutionnel et celui des urgences liées au programme d’ajustement structurel,

                               ·            à partir de 1996 au niveau des orientations fondamentales pour accompagner le programme de mise à niveau engagé pour préparer l’insertion de la Tunisie dans l’économie mondiale.

 

La situation sur le marché de l’emploi aujourd’hui est de ce fait conditionnée dans une large mesure par les situations et les configurations des systèmes d’éducation et de formation d’avant les réformes ou résultant d’un manque d’approfondissement de ces réformes.

 

Comment caractériser cette situation et avec quels indicateurs ?

En terme de niveau de réalisation des objectifs initiaux des réformes, il y a lieu de faire le bilan séparément au niveau de   la formation professionnelle et celle de l’éducation, les réformes correspondantes ayant été engagées avec un décalage dans le temps, celle de la formation ayant pris au départ un retard de deux ans sur celle de l’éducation.

           1-2-1-   Au niveau de l’école de base :

La réforme de l’école de base était socialement la plus attendue. Elle devait résoudre notamment le problème de l’abandon scolaire. Cette réduction était en fait un objectif implicite de la réforme car du point de vue formel, les objectifs quantitatifs annoncés impliquaient le maintien du nombre des abandons scolaires à un niveau élevé.

 

Le document de projet de la Banque Mondiale indiquait en 1989 qu’au cours du 9ème plan, le nombre d’abandons scolaires au niveau de l’école de base n’atteindrait que 535.000 abandons soit 107.000 par an en moyenne au lieu de 132.000 par an sans la réforme .

 

La réforme n’a été en fait engagée que sur un seul volet de la barrière psychologique de l’examen-concours de la « sixième » et celle de l’enseignement professionnel qui était devenu graduellement « une garderie » de jeunes aigris et produisant des chômeurs non qualifiés.

La logique interne du système n’a pas été touchée ; l’école de base est restée un cycle non finalisé qui prépare simplement au cycle secondaire qui à son tour prépare au supérieur. Les méthodes et les contenus pédagogiques ont été conçus en conséquence, les dérapages constatés au niveau des programmes en sont des témoins.

De ce fait, le volume des abandons ne pouvait pas changer fondamentalement ; il ne pouvait être qu’atténué et déplacé légèrement du primaire vers le niveau 7, 8 et 9 de l’école de base.

Globalement, et pour l’ensemble du système éducatif, sur  la décennie 1987-1997, le nombre d’abandons scolaires était resté stable entre 120.000 et 140.000.

 

Parallèlement au phénomène d’abandons scolaires,   le problème du coût de l’éducation reste posé. En 1990, la part du PNB qu’allouait l’Etat tunisien à l’enseignement a atteint 6,1%.  Ce niveau dépasse largement la moyenne observée aussi bien dans les pays en développement (3.9%) que dans les pays industrialisés (4.9%). Comparée à celles d’autres pays plus ou moins similaires, la proportion du PNB consacrée par l’Etat tunisien à l’enseignement se révèle parmi les plus élevées. En 1960, cette part ne représentait que 3,3% du PNB.

 

 

Cette part croissante, allouée par l’Etat au système éducatif, a engendré fondamentalement un gonflement du coût moyen par élève scolarisé, et plus particulièrement un gonflement du coût de fonctionnement.

Entre 1962 et 1996, le coût moyen par élève scolarisé est passé de 229,2 à 376,8 dinars à prix constants, soit un taux d’accroissement annuel moyen de 1.9%.

Cet accroissement du coût par scolarisé provenait exclusivement de la composante coût de fonctionnement, qui a augmenté, en termes réels, de l’ordre de 2.4% par an. Par contre, la composante coût d’équipement a eu tendance à régresser, en termes réels, de l’ordre de -0.7% par an.

 

Si le gonflement du coût de fonctionnement par scolarisé trouve ses origines dans l’amélioration du niveau de vie des enseignants et dans la consolidation du taux d’encadrement,  le facteur le plus déterminant reste l’allongement de   la durée des études dû surtout au phénomène du redoublement.

Dépenses publiques dans l’enseignement (en % du PNB)

(échantillon de pays à développement humain moyen ou élevé)

 

1960

1990

Tunisie

3.3%

Malaisie

6.9%

Maroc

3.1%

Tunisie

6.1%

Malaisie

2.9%

Maroc

5.5%

Chili

2.7%

Mexique

4.1%

Corée du Sud

2.0%

Chili

3.7%

Mexique

1.2%

Corée du sud

3.6%

Tous les pays en développement

2.2%

Tous les pays en développement

3.9%

Tous les pays industrialisés

-

Tous les pays industrialisés

4.9%

Monde

-

Monde

4.8%

Source : « Rapport mondial sur le développement humain 1994 », publication du PNUD

 

L’impact de la durée relativement longue des études sur le coût de l’éducation (surtout pour le secondaire et le supérieur) a été toujours aggravé par le fort taux de redoublement dans tous les cycles éducatifs.

 

Evolution du redoublement dans le primaire et le secondaire

 

 

Primaire

Secondaire

 

Effectif annuel moyen

Taux de redoublement

Effectif annuel moyen

Taux de redoublement

1962-70

207 253

29.6

8 619

14.5

1971-80

225 082

21.6

22 070

14.3

1981-90

309 890

22.5

60 175

18.1

1991-97

203 750

18.2

111 857

18.0

Sources : * Annuaires statistiques de la Tunisie    

                   * Statistiques scolaires; Ministère de l’éducation           

 

Ces taux de redoublement apparaissent encore plus excessifs lorsqu’on les compare à ceux d’autres pays plus ou moins similaires. Le taux de redoublement dans le primaire est     le plus élevé de ceux observés dans l’échantillon de pays à développement humain moyen.

De même,  ce taux est équivalent à 2.5 fois le taux moyen relatif à tous les pays en développement (20% contre 8%) .

A l’autre extrême, certains pays se distinguent par un taux de redoublement dans le secondaire négligeable (Mexique, Philippines, Indonésie) ou nul (Corée du sud).

Taux de Redoublement dans des pays similaires à la Tunisie1990

(échantillon de pays à développement humain moyen ou élevé)

 

taux de redoublement                        dans le primaire

taux de redoublement                                        dans le secondaire

Pays par ordre décroissant

%

Pays par ordre décroissant

%

Tunisie

20%

Maroc

20%

Maroc

12%

Tunisie

16%

Venezuela

11%

Turquie

15%

Mexique

9%

Venezuela

6%

Turquie

7%

Mexique

2%

Bolivie

3%

Philippines

2%

Philippines

2%

Corée du Sud

0%

Tous les pays en développement

8%

Tous les pays en développement

5%

Source : Rapport mondial sur le développement humain 1994 , publication du PNUD, p : 168  

 

Ce phénomène semble avoir contribué aussi à creuser l’écart entre le coût de l’éducation en Tunisie et celui observé dans d’autres pays plus ou moins similaires. 

Globalement, le redoublement touchait environ 1 élève sur 5; ce qui signifie que le 1/5 du budget alloué par l’Etat à l’enseignement était constamment gaspillé par un allongement artificiel de la durée des études, dû à un fort taux de redoublement. En fait et compte tenu du redoublement multiple (4 autorisés au niveau de l’école de base) , le surcoût est encore plus grand.

 

L’approfondissement de la réforme de l’école de base est une urgence nationale aussi bien sur le plan social qu’économique.

 

 

      «    Le niveau de développement atteint par la Tunisie et  le nouveau contexte économique mondial font que, de plus en plus , une main d’œuvre à faible instruction et à faible qualification va devenir inutilisable

      «    L’acquisition des qualifications exigées par les nouvelles technologies et la nécessité de disposer de profils polyvalents et adaptables n’est plus par ailleurs possible avec un niveau d’instruction faible.

 

Cet approfondissement de la réforme doit permette l’éducation pour un plus grand nombre et à un coût unitaire plus faible. Cela est possible, les expériences internationales le prouvent.

Evolution des abandons scolaires 1987/88-1996/97




Fin de la première partie , à suivre

Tunis, janvier 2021

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