1.
Les réformes de 1991 et
1993, objectifs et résultats :
1.1 Situation avant les réformes et objectifs :
Les
réformes du système éducatif de 1991 et celle de la formation professionnelle
de 1993 ont été précédées de réflexions et d’études prolongées et approfondies
sur la situation du système éducation - formation des années 80 qui avait été
mis en place pour l’essentiel en 1958.
Parmi
les études qui ont préparé à la réforme , il convient de citer le travail de la
Commission de réflexion sur la réforme de l’éducation présidée par Dr.H.Karoui
et qui a donné lieu à un rapport intitulé « Pour une réforme du système
éducatif » en date de janvier 1982.
La réforme préconisée n’a
pas pu être mise en application alors faute de volonté politique et en raison d’inertie administrative.
Ce n’est que près de 10
ans plus tard et grâce à la dynamique initiée par le changement qu’une réforme
en profondeur du système éducation-formation a pu être engagée.
La commission de
réflexion présidée par Dr.H.Karoui avait souligné que la prise de conscience de
la nécessité d’évaluer et de réformer le
système mis en place en 1958 était déjà posée en 1967, 1970, 1972 et 1979 .
« Malgré les déterminations qui
marquèrent les actions engagées, … le système a néanmoins continué à vivre dans
la crise et l’inadaptation et les problèmes posés jadis continuent à être posés
avec la même acuité »
Que
reprochait-on au fait au système éducatif ?
1.
l’ampleur de la défaillance
scolaire ,
2.
le manque
d’harmonie entre le système éducatif et le marché du travail dû
essentiellement à la non-opérationnalité des programmes et des méthodes de
l’enseignement ,
3.
l’importance des
ressources consacrées à l’éducation citée à la fois comme
motif de fierté et source de préoccupation .
Le
rapport de la commission de réflexion avait aussi souligné que « toutes les réformes engagées n’avaient
jamais touché la logique interne du
système » et que cette logique
reposait notamment sur :
1.
L’absence
d’une finalité propre au cycle primaire et secondaire général et que
tous ceux qui n’accèdent pas au cycle suivant constituent inévitablement des
déchets pour le système,
2.
La fermeture
du système éducatif : on ne
peut y accéder que par la base et on ne peut le quitter qu’à titre définitif.
Il en résulte une hantise de la sortie
et une rétention artificielle,
3.
La dévalorisation
des enseignements techniques et professionnels qui, situés
à l’intérieur du système éducatif, n’accueillent que les attardés
scolaires et les recalés et conduisant à des impasses.
Le
rapport de la commission préconisait comme alternative une réforme structurelle,
une réforme
de la logique du système et une réforme pédagogique.
La
réforme
structurelle consistait en :
1.
L’instauration d’une école de base de 9 ans
finalisée
et sanctionnée par un diplôme national,
totalement indépendant de l’accès au secondaire,
2.
Un cycle secondaire finalisé en parallèle
avec des « écoles de métiers »,
intimement liées avec le milieu productif, assurant une formation
professionnelle,
3.
Un cycle supérieur ouvert sur concours et dont l’entrée n’est pas articulée de manière rigide avec l’enseignement secondaire.
La
réforme
de la logique du système consistait en
la finalisation de chaque cycle,
la disparition des articulations rigides
entre les divers cycles et l’ouverture
permanente du système surtout au niveau du cycle supérieur et des écoles
des métiers.
Quant
à la réforme
pédagogique, elle devait intervenir en première urgence au niveau de
l’école de base pour que les programmes, méthodes et moyens mis en œuvre
permettent l’ouverture de ce cycle dans sa totalité au maximum de jeunes.
Le prêt sectoriel Education-formation de 1989
contracté auprès de la Banque Mondiale a servi à financer en partie le début de
la mise en œuvre de cette réforme.
Le
document de projet relatif à ce prêt faisait remarquer que « les filières d’enseignement professionnel
relevant de l’Education … sont inefficaces et coûteuses »
et recommandait en conséquence
qu’elles « devraient être supprimées le
plus vite possible ».
Ce
rapport recommandait par ailleurs de « résoudre
dans les meilleurs délais les problèmes
auxquels se trouve confronté le secteur de la formation professionnelle,
notamment la faible relation entre la
formation dispensée à l’époque et les besoins du marché de l’emploi, ainsi que
le manque de qualité de ses programmes de formation » et que « dans
l’avenir, les programmes de la formation professionnelle devraient être
étroitement liés aux besoins économiques et non pas liés à la croissance des
effectifs des jeunes sortants du système éducatif »
En présentant les
grandes lignes de la réforme, ce document mentionnait que « l’école de base consistera en un cycle d’études
formelles de 9 ans, ayant pour objectif de permettre l’accès à un plus grand
nombre d’élèves et à terme de rendre ce cycle obligatoire ». « La structure de l’enseignement secondaire
sera également modifiée par la suppression de l’enseignement technique qui
débouchait sur un diplôme de technicien ; une partie de l’infrastructure
correspondante devant être transférée à la formation professionnelle ».
Il recommandait « la promotion d’accords cadres entre la formation professionnelle et les
fédérations professionnelles, définissant les rôles respectifs de chacune des
parties dans le choix des objectifs de la formation et la gestion des centres.
Les employeurs seront étroitement associés à toutes les étapes du développement
des programmes et ils veilleront à ce que
les programmes répondent à leurs besoins. Un système national de
certification assurera un partenariat avec la profession ».
1.2 - Quelle est la
situation aujourd’hui ?
La réforme du système éducatif’ commencée en
1989 a été engagée pour l’essentiel à partir de 1991.
La première promotion de l’école de base sort au mois de juin 1998.
La
réforme de la formation professionnelle, préfigurée par la création en 1990 du
Ministère de la Formation Professionnelle et de l’Emploi a été engagée à partir
de
·
1993
au niveau institutionnel et celui des urgences liées au programme d’ajustement
structurel,
·
à partir de 1996
au niveau des orientations fondamentales pour accompagner le programme de mise
à niveau engagé pour préparer l’insertion de la Tunisie dans l’économie
mondiale.
La
situation sur le marché de l’emploi aujourd’hui est de ce fait conditionnée
dans une large mesure par les situations et les configurations des systèmes
d’éducation et de formation d’avant les réformes ou résultant d’un manque
d’approfondissement de ces réformes. |
Comment
caractériser cette situation et avec quels indicateurs ?
En
terme de niveau de réalisation des objectifs initiaux des réformes, il y a lieu
de faire
le bilan séparément au niveau de la
formation professionnelle et celle de l’éducation, les réformes correspondantes ayant été engagées avec un décalage dans
le temps, celle de la formation ayant pris au départ un retard de deux ans
sur celle de l’éducation.
1-2-1- Au
niveau de l’école de base :
La
réforme de l’école de base était socialement la plus attendue. Elle devait
résoudre notamment le problème de l’abandon
scolaire. Cette réduction était en
fait un objectif implicite de la réforme car du point de vue formel, les objectifs quantitatifs annoncés
impliquaient le maintien du nombre des abandons scolaires à un niveau élevé.
Le
document de projet de la Banque Mondiale indiquait en 1989 qu’au cours du 9ème
plan, le nombre d’abandons scolaires au niveau de l’école de base n’atteindrait
que 535.000 abandons soit 107.000 par an en
moyenne au lieu de 132.000 par an sans la réforme .
La
réforme n’a été en fait engagée que sur un seul volet de la barrière
psychologique de l’examen-concours de la « sixième » et celle de l’enseignement professionnel qui était
devenu graduellement « une garderie » de jeunes aigris et produisant
des chômeurs non qualifiés.
La
logique interne du système n’a pas été touchée ;
l’école de base est restée un cycle non finalisé qui
prépare simplement au cycle secondaire qui à son tour prépare au supérieur.
Les méthodes et les contenus pédagogiques ont été conçus en conséquence, les
dérapages constatés au niveau des programmes en sont des témoins.
De ce fait, le
volume des abandons ne pouvait pas changer fondamentalement ; il ne
pouvait être qu’atténué et déplacé légèrement du primaire vers le niveau 7, 8
et 9 de l’école de base.
Globalement,
et pour l’ensemble du système éducatif, sur
la décennie 1987-1997, le nombre d’abandons scolaires était resté
stable entre 120.000 et 140.000.
Parallèlement au
phénomène d’abandons scolaires, le
problème du coût de l’éducation reste posé. En 1990, la part du PNB
qu’allouait l’Etat tunisien à l’enseignement a atteint 6,1%. Ce niveau dépasse largement la moyenne
observée aussi bien dans les pays en développement (3.9%) que dans les pays
industrialisés (4.9%). Comparée à celles d’autres pays plus ou moins
similaires, la proportion du PNB consacrée par l’Etat tunisien à l’enseignement
se révèle parmi les plus élevées. En 1960, cette part ne représentait que 3,3%
du PNB.
Cette part croissante,
allouée par l’Etat au système éducatif, a engendré fondamentalement un
gonflement du coût moyen par élève scolarisé, et plus particulièrement un
gonflement du coût de fonctionnement.
Entre 1962 et 1996, le
coût moyen par élève scolarisé est passé de 229,2 à 376,8 dinars à prix
constants, soit un taux d’accroissement annuel moyen de 1.9%.
Cet accroissement du
coût par scolarisé provenait exclusivement de la composante coût de
fonctionnement, qui a augmenté, en termes réels, de l’ordre de 2.4% par an. Par
contre, la composante coût d’équipement a eu tendance à régresser, en termes
réels, de l’ordre de -0.7% par an.
Si le gonflement du
coût de fonctionnement par scolarisé trouve ses origines dans l’amélioration du
niveau de vie des enseignants et dans la consolidation du taux
d’encadrement, le facteur le plus déterminant
reste l’allongement de la durée des
études dû surtout au phénomène du redoublement.
Dépenses
publiques dans l’enseignement (en % du PNB)
(échantillon de
pays à développement humain moyen ou élevé)
1960 |
1990 |
||
Tunisie |
3.3% |
Malaisie |
6.9% |
Maroc |
3.1% |
Tunisie |
6.1% |
Malaisie |
2.9% |
Maroc |
5.5% |
Chili |
2.7% |
Mexique |
4.1% |
Corée du Sud |
2.0% |
Chili |
3.7% |
Mexique |
1.2% |
Corée du sud |
3.6% |
Tous les pays en développement |
2.2% |
Tous les pays en développement |
3.9% |
Tous les pays industrialisés |
- |
Tous les pays industrialisés |
4.9% |
Monde |
- |
Monde |
4.8% |
Source
: « Rapport
mondial sur le développement humain 1994 », publication du PNUD
L’impact
de la durée relativement longue des études sur le coût de l’éducation (surtout pour le secondaire et le supérieur)
a été toujours aggravé par le fort taux de redoublement dans tous les cycles
éducatifs.
Evolution du redoublement dans le
primaire et le secondaire
|
Primaire |
Secondaire |
||
|
Effectif annuel moyen |
Taux de redoublement |
Effectif annuel moyen |
Taux de redoublement |
1962-70 |
207 253 |
29.6 |
8 619 |
14.5 |
1971-80 |
225 082 |
21.6 |
22 070 |
14.3 |
1981-90 |
309 890 |
22.5 |
60 175 |
18.1 |
1991-97 |
203 750 |
18.2 |
111 857 |
18.0 |
Sources : *
Annuaires statistiques de la Tunisie
*
Statistiques scolaires; Ministère de l’éducation
Ces
taux de redoublement apparaissent encore plus excessifs lorsqu’on les compare à
ceux d’autres pays plus ou moins similaires. Le taux de redoublement dans le
primaire est le plus élevé de ceux
observés dans l’échantillon de pays à développement humain moyen.
De même, ce
taux est équivalent à 2.5 fois le taux moyen relatif à tous les pays en
développement (20% contre 8%) .
A l’autre extrême, certains pays se distinguent par un
taux de redoublement dans le secondaire négligeable (Mexique, Philippines, Indonésie) ou nul (Corée du sud).
Taux de
Redoublement dans des pays similaires à la Tunisie1990
(échantillon
de pays à développement humain moyen ou élevé)
taux de
redoublement
dans le primaire |
taux de
redoublement dans
le secondaire |
||
Pays par ordre décroissant |
% |
Pays par ordre décroissant |
% |
Tunisie |
20% |
Maroc |
20% |
Maroc |
12% |
Tunisie |
16% |
Venezuela |
11% |
Turquie |
15% |
Mexique |
9% |
Venezuela |
6% |
Turquie |
7% |
Mexique |
2% |
Bolivie |
3% |
Philippines |
2% |
Philippines |
2% |
Corée
du Sud |
0% |
Tous les
pays en développement |
8% |
Tous les
pays en développement |
5% |
Source : Rapport mondial sur le
développement humain 1994 , publication du PNUD, p : 168
Ce
phénomène semble avoir contribué aussi à creuser l’écart entre le coût de
l’éducation en Tunisie et celui observé dans d’autres pays plus ou moins
similaires.
Globalement,
le redoublement touchait environ 1 élève sur 5; ce qui signifie que le 1/5 du
budget alloué par l’Etat à l’enseignement était constamment gaspillé par un
allongement artificiel de la durée des études, dû à un fort taux de
redoublement. En fait et compte tenu du redoublement multiple (4
autorisés au niveau de l’école de base) , le surcoût est encore plus grand.
L’approfondissement
de la réforme de l’école de base est une urgence nationale aussi bien sur le
plan social qu’économique.
« Le
niveau de développement atteint par la Tunisie et le nouveau contexte économique mondial font
que, de plus en plus , une main d’œuvre à faible instruction et à
faible qualification va devenir inutilisable
« L’acquisition
des qualifications exigées par les nouvelles technologies et la
nécessité de disposer de profils polyvalents et adaptables n’est plus par
ailleurs possible avec un niveau d’instruction faible.
Cet approfondissement de la réforme doit permette l’éducation
pour un plus grand nombre et à un coût unitaire plus faible. Cela est possible, les
expériences internationales le prouvent.
Evolution des abandons scolaires 1987/88-1996/97 |
Fin de la première partie , à suivre
Tunis, janvier 2021
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