Hédi BOUHOUCH |
Nous terminons cette semaine la série d'articles que nous avons consacrés à la question du travail des enseignants du public dans les établissements privés. Pour revenir à la 1° partie, cliquer ici , Pour revenir à la 1° partie, cliquer ici. Pour revenir à la 2° partie. Pour revenir à la 3° partie, cliquer ici.
Au mois de septembre 2018 , le ministre de l'éducation Hatem Ben Salem avait annoncé «lors de la conférence de presse tenue au sein du ministère de l’Education, qu'à partir de l’année scolaire, 2019-20, il sera interdit aux enseignants de la fonction publique d’enseigner dans les écoles et lycées privés ..»[1]et a demandé aux responsables de ses institutions de s'y préparer.
Cette décision a provoqué beaucoup de
réactions parmi les professionnels de l'enseignement privé , la publication
d'une note de service le 23 juillet 2019 qui annonce l'entrée en vigueur de la
décision ministérielle a ravivé le débat.
Le
blog pédagogique a voulu faire l'histoire de cette question à partir des
textes officiels que nous avons pu trouvés .
6ème document : la note de service de
juillet 2019.
2018 le tournant : arrêt des
permissions pour assurer des heures de cours dans les établissements
éducatifs privés pour tous les enseignants exerçant dans tous les
établissements éducatifs publics.
* septembre 2018 : l'annonce de la décision
Le 13 septembre 2018, Lors de la conférence de
presse tenue au sein du ministère de l’Education, Hatem Ben Salem le ministre
de l'éducation annonce qu'à partir de la rentrée 2019-20 , il sera interdit aux
enseignants relevant du Ministère de faire des heures supplémentaires dans les
établissements scolaires privée ( écoles primaires , collèges et lycées privés).
Le ministre précisa que cette décision a été prise en commun accord avec le
syndicat des propriétaires des établissements scolaires privés[2], il semble,
que le ministère, ait organisé une conférence nationale avec la participation
de représentants du secteur de l'enseignement privé, cette conférence a
recommandé l'organisation de conférences régionales sur le même sujet, en outre
le ministère affirme qu'il a informé tous les représentants du secteur depuis
la fin de l'année scolaire 2017/2018 , et qu'il leur a accordé un moratoire d'une année afin de
préparer la mise à niveau de leur cadre.
* Juillet 2019 : parution de la note de service qui met fin aux
autorisations et menace les contrevenants de sanctions
A la fin de l'année scolaire 2018/2019, le
ministère envoie une note aux délégués régionaux de l'éducation qui leur
demande :
.1. d''arrêter immédiatement et totalement d'accorder des autorisations aux enseignants
des écoles primaires , des collèges et des lycées pour assurer des cours dans
les établissements privés.
.2. d'informer les établissements scolaires
privés de leur circonscription du contenu de cette note et leur demander de se
conformer aux dispositions de cette décision et d'assure toutes les garanties
juridiques et professionnelles pour le cadre enseignant et des autres cadres qui y travaillent en adoptant
des contrats de travail types.
.3. de présenter le dossier de tout
établissement privé qui enfreint cette décision devant la commission
consultative régionale des établissements privés prévue à l'article 5 du décret
déjà cité.
.4. de prendre toutes les mesures juridiques et
administratives nécessaires à l'encontre de tout contrevenant aux dispositions de cette note parmi les
enseignants.
Document 6: Note du 23 juillet 2019 envoyée aux
délégués régionaux de l'enseignement
République tunisienne 23 juillet 2019 Le ministère de l'Éducation Le cabinet 15123 A Mesdames et Messieurs les délégués régionaux de l'enseignement Objet: À propos de l'enseignement dans des établissements
d'enseignement privés Dans le cadre de la volonté du ministère de réglementer le secteur de
l'enseignement dans les établissements d'enseignement privés et suite au non
respect de certaines dispositions du décret n°2008-486 du 22 février 2008
relatif aux conditions d’obtention d’une autorisation pour la création
d’établissements éducatifs privés,
ainsi qu’à leur organisation et leur fonctionnement, ainsi que son déclin qualitatif. Et suite
à la baisse au niveau de la qualité de l'enseignement et des conditions de travail dans ces
établissements qui en a découlé, en plus des effets sociaux sur le marché de
l'emploi et la réduction des occasions d'emploi offertes aux titulaires de
diplômes supérieurs offertes par des établissements d'enseignement privés, et
dans le but de protéger les intérêts suprêmes des élèves et de maintenir les
équilibres pédagogiques des établissements d'enseignement publics. Je vous informe qu' à compter de l'année scolaire 2019-2020, il a été
décidé de mettre fin à l'octroi des autorisations pour donner des heures de cours dans des établissements d'enseignement
privés à tous les enseignants qui exercent dans tous les établissements
d'enseignement publics (écoles primaires, collèges, lycées et les
établissements pilotes ) Par conséquent, il vous est demandé : 1. - d'arrêter immédiatement
et complètement l'octroi des autorisations aux enseignants des écoles primaires , des
collèges, des collèges techniques, des lycées et des établissements pilotes qui sont sous votre autorité, pour effectuer des
heures de cours dans des établissements d'enseignement privés, prévues par
l'article 39 du décret susmentionné. 2- d'informer les établissements
d'enseignement privés qui vous sont sous votre tutelle du contenu du présent note et les inviter à se conformer aux dispositions de la
présente décision et à fournir toutes les garanties juridiques et
professionnelles au cadre enseignant
et aux autres personnels (
parmi ceux qui ne relèvent pas des institutions publiques), sur la base de
contrats de travail modèles (qui paraitront ultérieurement), qui seront soumis à des
procédures de suivi et de contrôle conformément au Code du travail et aux
accords sectoriels communs. 3- De déférer le dossier de l’établissement scolaire privé, dont la violation de la
présente décision est avérée, devant
la commission consultative
régionale des établissements d’enseignement privé prévu par l'article 5 du décret susmentionné. -4 de prendre les mesures juridiques et
administratives nécessaires en cas de violation avérée des dispositions de
la présente note par l'un des enseignants qui est sous votre autorité. Compte tenu de l’importance du sujet, vous êtes invité à appliquer
les disposition de cette note avec le plus grand soin possible, dès que
vous aurez sa réception. Le Ministre de l'éducation Hatem Ben Salem |
La note du 23 juillet 2019 a représenté une
rupture avec la politique du Ministère en vigueur depuis le début des années 90
et même avant , lorsqu'elle a décidé de ne plus permettre aux établissements
scolaires privées de recourir aux enseignants du public.
Quelles étaient les motivations de cette
décision?
La note en a évoqué quelques unes dans son préambule, et le directeur général des affaires
juridiques du ministère les a précisées dans une interview qu'il a accordée à un
journal de la place nous citons parmi
ces motivations:
- le désir d'organiser le secteur, surtout après avoir constaté plusieurs irrégularités et le non respect des
dispositions prévues par le décret 486 de l'année 2008, comme par exemple le non
respecter du plafond de 10 heures
autorisées, certains enseignants font plus 15 heures supplémentaires ce qui se
répercute sur leur rendement" d'après le responsable du ministère[3].
- doter le secteur privé de son propre corps enseignant pour améliorer son rendement car d'après le
ministère « l'absence d'un cadre enseignant spécifique aux établissements privés a entrainé une
baisse qualitative de l'enseignement et des conditions de travail dans ces
établissements… l'amélioration et le développement de l'enseignement privé passent par le recrutement d'enseignants
diplômés de l'enseignement supérieur selon des conditions honorables et décentes
et non pas en faisant appel à des enseignants qui sont payés à l'heure".[4]
- Lutter
contre le chômage des diplômés du supérieur
grâce aux possibilités que peuvent offrir les établissements scolaires privés,
en se référant aux données de l'année scolaire 2015/2016 nous estimons que si
chaque école primaire recrute 2 instituteurs par classes , on pourrait donner
un emploi à environ 6000 diplômés puisque on comptait 3023 classes dans ces
écoles primaires, quant à l'enseignement
préparatoire et secondaire qui compte
346 établissements , si ceux-ci recruteraient 10 professeurs , on créerait 3460 emplois, soit
au total à peu près 10.000 postes d'emploi.
- Préserver les équilibres pédagogiques des établissements publics et protéger
l'intérêt suprême de l'élève , car il est évident qu'une surcharge horaire pour
les enseignants se répercuterait indéniablement sur la qualité de ses
prestations .
Réactions et contre réactions
Les mesures décidées par le ministère divisent, il y a ceux qui les dénoncent et les rejettent
et il y a ceux qui les ont applaudies.
Le clan du rejet
L'union tunisienne des instituts privés pour l'enseignement et la formation (UTIPEF) et la fédération
tunisienne des associations de parents d'élèves (FTAPE) ont dénoncé dès les premières heures les mesures décidées
par le ministère de l'éducation et ils appellent
à l'application des dispositions prévues par le décret de février 2008.
Le rejet des propriétaires des établissements privés était motivé
par deux causes, la première est d'ordre financier, les nouvelles mesures vont
engendrer une charge financière supplémentaire, la deuxième est
d'ordre pédagogique, pour eux les nouveaux diplômés ne peuvent pas assurer à
court terme un enseignement de qualité.
Quand aux parents; leur rejet est surtout d'ordre pédagogique, ils
s'inquiètent des répercussions de ces
mesures sur la qualité de l'enseignement qui sera donné à leurs enfants, « nous
refusons que nos enfants inscrits dans le secteur privé subissent une telle
décision, et soient livrés à des jeunes diplômés non expérimentés » déclara
président du FTAPE et propose d'appliquer les nouvelles dispositions « de manière
progressive pour trouver le temps de former les jeunes diplômés du supérieur
qui manquent d'expérience »[5]. Les deux organisations
appellent à la révision des décisions ministérielles et dénonce leur caractère
arbitraire, et une campagne de protestation s'organise via les média.
D'autres acteurs et associations sont entrés en ligne, comme l'association tunisienne pour la qualité de l'enseignement
(ATUQUE) qui estime « que les méfaits de ces mesures sont plus nombreux que
ses bienfaits… et que l'application des mesures risque de provoquer la
fermeture de plusieurs établissements ( surtout les petits) ce qui va entrainer
plus de chômage… et l'association de
proposer d'accorder un moratoire de cinq ans pour les classes terminales afin de donner aux
écoles privées le temps de préparer les
enseignants qu'ils vont recruter …»[6]
Le clan du pour : le syndicat de l'enseignement secondaire
Le secrétaire général du syndicat de l'enseignement secondaire qui est généralement très critique vis-à-vis
de la plupart des décisions du ministère, a soutenu le ministère dans cette
affaire , en déclarant que la décision
prise par le ministère est très importante pour l'école publique, la qualifiant
d'audacieuse et qu'il est de son droit
de la prendre pour pousser les établissements privés à recruter les diplômés[7] mais il a refusé que la formation des
enseignants du privés se fasse au frais de l'état .
L'Association
tunisienne des parents et des élèves soutient la décision du ministère de l'éducation.
Le président de
l'association tunisienne des parents et des élèves appelle à l'application de
la loi, estimant que " les établissements privés devraient s'orienter
vers la formation de leurs propres enseignants pour garantir la qualité "
[8]
La réaction du Ministère
Face à la contestation et aux accusations lancées par l'UTIPEF et
la FTAPE, le ministère publia un communiqué
le 31 juillet 2019 dans lequel il
récuse les accusations et où il affirme que la décision de suspendre
l'attribution des autorisations aux
enseignants pour faire cours dans les
écoles privées a été prise après consultation et en collaboration avec les représentants de
l'enseignement privé depuis à peu près deux ans, précisant que le ministère a
organisé une conférence nationale à laquelle ont été conviés des représentants
de l'enseignement privé , la conférence avait recommandé l'organisation de
conférences régionales sur le sujet, ces conférences régionales ont débouché sur une séance de travail tenue le 22 avril 2018
qui a réuni les représentants du ministère et les représentants de la chambre
nationale des établissements scolaires privés , à la fin de cette réunion, un
PV a été signé qui stipule dans le paragraphe 5 l'interdiction de recourir aux enseignants
des écoles primaires , des collèges et des lycées relevant du secteur étatique
par les établissement privés , en contre partie , le ministère offre la
possibilité de former les enseignants qui seront recrutés par ces dernier.
le communiqué précise en outre que tous les représentants du
secteur ont été informés de la décision
depuis la fin de l'année scolaire 2017/2018 et qu'ils disposent de l'année scolaire
2018/2019 pour se préparer et procéder à la mise à niveau de leur personnel.
Septembre 2019, le ministère opte pour un compromis et l'application progressive de l'interdiction
Devant les protestations des écoles privées , une
série de rencontres entre les deux parties ont abouti à la signature d'un
accord le 16 septembre 2019 entre le ministère de l'éducation et la chambre
nationale des établissements scolaires privés
affilée à l'union tunisienne de l'industrie , du commerce et de
l'artisanat (UTICA), l'accord stipule
l'application progressive de l'interdiction d'accorder des autorisations aux enseignants
des collèges et des lycées pour exercer dans les établissements privés,
l'accord accordera un moratoire pour les établissements qui accepteraient de le ratifier .
L'accord confirme le principe de l'application de la
décision de la note de juillet 2019 et ce à partir de l'année scolaire
2019/2020 comme décidé dans le respect de la loi , mais en réduisant progressivement
le nombre d'autorisation jusqu'à leur
arrêt total à la rentrée 2021/2022 , cette démarche prend en considération les
équilibres pédagogiques des écoles privées et le rythme de la formation des
diplômés qui seront recrutés. Ces dispositions ne concernent que les écoles qui
ont signé l'accord et se sont engagées à respecter ses termes et ont entamé le
recrutement et la formation, quant aux écoles qui ont refusé d'adhérer à
l'accord, elles ne peuvent obtenir des
autorisations pour utiliser les enseignants du public[9]
La démarche progressive prévue
devrait prendre la forme suivante: :[10]
pour l'année en cours 2019/2020 , il est prévu:
de permettre de faire appel aux enseignants du public
pout les classes terminales (9ème de base et 4ème secondaire) sans limites.
pour les autres niveaux , les autorisations seront
accordées dans la limite de 60% des besoins de l'école , les 40% restant
devraient être recrutés selon les modalités règlementaires .
pour l'année 2020/2021, il est prévu:
de continuer
à faire appel aux enseignants du
public pout les classes terminales ( 9ème de base et 4ème secondaire) mais dans
la proportion de 60% seulement.
pour les autres niveaux , les autorisations seront
accordées dans la limite de 50% des besoins de l'école , les 50% restant
devraient être recrutés selon les modalités règlementaires.
pour l'année scolaire 2021/2022 arrêt total des
autorisation.
En guise de conclusion, il nous semble que la question du recours des établissements scolaires aux enseignants
du secteur étatique qui est une question
récurrente n'est pas prête d'être
résolue, car il est bien de légiférer
mais il faudrait avoir les moyens de faire respecter la loi, or l'histoire
ancienne et récente montre que le ministère n'a pas les moyens de faire
respecter la loi, combien d'établissements privés ont-ils déclaré leurs corps
enseignants , le ministère a-t-il une base de données actualisées qui lui
permet de faire le suivi et le contrôle ,
l'exemple des mesures d'interdiction des cours particuliers dans les
maisons des enseignants est là pour nous montrer l'impuissance du Ministère
face aux dépassements que tout un chacun
voit tous les jours surtout à l'approche des période des contrôles
trimestriels.
Fin , pour revoir la première partie, Cliquer ICI- pour la 2° Cliquer ICI- pour la 3°
Akrout Mongi, & Abdessalam Bouzid Inspecteurs
généraux de l'éducation retraités &Brahim Ben ATIG Professeur Emérite
retraité
Tunis ; Janvier 2019.
Pour accéder à la version AR , Cliquer ICI
[2]
: https://directinfo.webmanagercenter.com et
https://www.tunisiemploi.com.tn/2018/09/14/tunisie-les-diplomes-peuvent-enseigner-dans-le-prive-avec-des-contrats-elabores-par-le-ministere/
[3] http://www.alchourouk.com/article/اتحاد-أصحاب-مؤسسات-التعليم-الخاص-وجمعية-الأولياء-يرفضان-قرار-وزارة-التربية
[4] opt.cité
[5]
déclaration du président à l'agence TAP
[6] http://www.alchourouk.com/article/بعد-منع-مدرسي-العمومي-التدريس-فيها-شبح-الغلق-يُخيّم-على-مؤسسات-التعليم-الخاصة
[7]
https://ultratunisia.ultrasawt.com/العودة-المدرسية-أزمة-في-المدارس-الخاصة-وأولياء-حائرون/رجاء-غرسة/مجتمع/تقاریر
[8] http://www.alchourouk.com/article/بعد-منع-مدرسي-العمومي-التدريس-فيها-شبح-الغلق-يُخيّم-على-مؤسسات-التعليم-الخاصة
[9]https://www.facebook.com/Ministere.education.Tunisie/photos/a.947377805299569/2569768306393836/?type=3&theater
[10] تصريح مدير العام للشؤون
القانونية لوزارة التربية يوم غرة أكتوبر لبرنامج أحلى
صباح على راديو
موزاييك
Ministère de l'éducation
Tunisie (page officielle)
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