4.3. pourquoi le problème d’une contre-réforme
est-il alors posé ?
4.3.1. y
a-t-il un problème réel de manque de qualifications ?
La
stratégie MANFORME a été élaborée et inscrite dans la mouvance du processus de
mise à niveau ; elle est ainsi conçue pour répondre aux besoins de mise à
niveau du pays dans la limite des échéances fixées par l’accord de partenariat
avec l’Union Européenne soit l’horizon 2008 .
Les
objectifs assignés à MANFORME ont été établis sur la base d’un grand nombre
d’études approfondies ayant porté sur
les impacts attendus de la restructuration des entreprises sur le marché
de l’emploi, et partant, les besoins de l’économie en main d’œuvre qualifiée
aux différents nivaux.
Ainsi, l’objectif de
60.000 diplômés par an a été estimé sur cette base et comme une approximation
anticipée des besoins des entreprises en compétence à la date d’entrée en
pleine production des investissements réalisés dans le secteur de la formation professionnelle
durant la période 1996-2002. Dans le
même ordre d’idées, l’objectif de 60.000, équivaut à une capacité installée de
120 à 130 milles postes de formation. De même , il convient de rappeler que cet
objectif concerne l’ensemble du dispositif de formation , public et privé, et
non pas seulement les centres relevant directement du Ministère de la Formation
Professionnelle et de l’Emploi.
La
réforme, en profondeur du dispositif de formation professionnelle , tous
opérateurs confondus, publics et privés , consiste à substituer
une logique professionnelle d’entreprise à la logique scolaire qui a,
jusqu’ici, dominé la scène du système d’éducation et de formation.
Cette transformation se traduit
sur le terrain par un
recentrage intégral du fonctionnement du système de formation qui voit son
centre de gravité se déplacer de l’école à l’entreprise en impliquant les
professionnels au même titre que les pédagogues dans la gestion du système de la
formation professionnelle.
La
formation
en alternance appliquée à l’organisation technique et pédagogique des
enseignements, l’approche par compétences appliquée à l’élaboration des
programmes de formation, à l’ingénierie pédagogique et à la formation des
formateurs, sont autant de supports à la mise en œuvre opérationnelle de cette
extraordinaire mutation du système qui semble susciter, chez les formateurs,
une motivation réelle et remarquable.
L’employabilité
du profil formé, but ultime de cette reforme qualitative,
émerge ainsi comme un concept central dans la problématique de l’articulation
Formation -Emploi. Son respect en tant qu’indicateur de réussite de la
formation au double niveau de l’individu et de l’institution de formation est
une responsabilité conjointe et partagée entre cette dernière et l’entreprise.
Et
c’est pour cela que, de bout en bout, MANFORME a recours au partenariat entre
le dispositif de formation et le système productif. Tous les projets de
création ou de restructuration de centre de formation professionnelle sont,
sans exception, l’objet d’un accord de partenariat avec la profession concernée
dans le cadre duquel une collaboration étroite entre les deux parties est
assurée dans toutes les phases du cycle de projet.
Il
s’agit là d’une procédure novatrice et par conséquent contraignante, complexe
du point de vue de la gestion des projets mais qui est le chemin unique de
l’employabilité.
Par
ailleurs et si MANFORME répond parfaitement aux besoins à long terme de
l’économie, les besoins à court terme sont aussi pris en compte grâce à
une panoplie d’instruments adaptés aux
différentes situations.
Ainsi,
et en plus du dispositif de formation professionnelle, il existe une large
panoplie d’instruments qui sont utilisables pour satisfaire les besoins
ponctuels des entreprises ou pour aider certaines catégories de demandeurs
d’emploi à s’insérer.
Dans une certaine
mesure , on peut dire que les abandons scolaires , à tous les niveaux du
système éducatif, trouvent un traitement approprié par l’intermédiaire d’une
panoplie variée de programmes de formation et d’insertion ,unique en son genre
. Le problème qui se pose est celui du coût comparé , en termes économiques et
en termes de potentiel de développement , d’une prise en charge de ces jeunes
par le système éducatif, par les
instruments de formation et d’insertion et par la société dans la mesure où ces
jeunes courent des risques de marginalisation et/ou de régression vers
l’analphabétisme lorsqu’ils quittent l’école à un âge précoce .
4.3.2.
Y
a-t-il une urgence en Juin 1998 au niveau de l’examen de l’école de base ?
Quel
serait le nombre d’abandons scolaires pour cause de non- réussite à l’examen de
l’école de base en juin 1998 ? Ce nombre serait-il important pour
justifier des mesures exceptionnelles ?
Les
réponses à ces questions peuvent être déduites des statistiques du Ministère de
l’Education relatives à l’année scolaire en cours et à celles des examens de
juin 1997.
La lecture de ces
données montre que l’effectif en 9ème année de l’école de base n’est pour l’année 97/98 que de 102 milles.
Cet effectif est anormalement bas comparé à celui de la 3ème année
du tronc commun (TC) de la dernière promotion d’avant l’école de base en 96/97
qui était de 122 milles ! L’école de base était pourtant sensée pouvoir
amener davantage de jeunes à ce niveau scolaire que l’ancien système éducatif.
Cette baisse s’explique
par deux raisons majeures :
1.
Une rétention exceptionnelle en 8ème
année effectuée en juin 97 qui s’est traduite par un taux de redoublement
anormalement élevé.
|
95/96 |
96/97 |
Taux
de redoublement en
8ème année de l’EB |
13% (2èmeTC) |
24% (8èmeEB) |
2.
Un taux de réussite en 3ème du TC plus
élevé que d’habitude .
|
95/96 |
96/97 |
Taux de passage en
3ème TC |
82% |
87% |
La combinaison de ces
deux mesures a permis de réduire les
effectifs de la 9ème année d’au moins 23 milles et d’avoir comme
candidats, dans les établissements publics, seulement 102 milles dont seulement
164 jeunes ont épuisé leur droit au
redoublement.
Notons
que le phénomène du redoublement s’est particulièrement accentué depuis
l’arrivée de la population de l’école de base en 7ème année et le
nombre total des redoublements autorisés
a été porté à 4 pour l’école de base.
|
Avant
dernière promotion avant
EB |
Dernière
promotion Avant
EB |
1ère
promotion EB |
2ème
promotion EB |
Redoublement en 7ème
année |
16% |
16% |
22% |
24% |
Redoublement en 8ème
année |
12% |
13% |
24% |
|
En définitive , et en
anticipant sur les résultats de l’examen de Fin d’Etudes de Base , il y aurait
donc très peu d’abandons scolaires à
l’issue de l’examen de la 9ème année de l’école de base en juin
1998. Le problème ne se poserait qu’en 1999 , voire même en 2000.
Mais
l’échéance de 1998 n’aura été que différée: la recherche de scenarii n'est pas
moins urgente.
Mais
il est bien évident que la collectivité nationale gagnerait à voir les
problèmes inhérents au fonctionnement du système éducatif stricto-sensu
traitées dans ce cadre et sans le secours, fort onéreux , de systèmes de
systèmes de récupération des déchets qui ne feraient que nourrir des illusions
.
Ce
serait une régression grave que de revenir à un système de récupération des
défaillants scolaires via le dispositif de formation professionnelle .
L’enseignement
privé , autre voie commode et privilégiée de récupération des défaillants
scolaires gagnerait à être traité
autrement .
L’enseignement
secondaire privé s’est développé en l'absence d'une vision claire concernant
son rôle et son positionnement par rapport au système éducatif public. Il a été
confiné dans une logique de rétention et de récupération qui découle par
ailleurs de la logique interne du système public décrite auparavant.
Les
expériences internationales montrent que d’autres alternatives sont possibles et
nettement plus profitables aussi bien pour l’administration que pour les
familles. Ces expériences, riches en enseignement, tournent autour
de deux principes:
« l'Etat
subventionne la demande d’éducation et encourage le développement d'un marché sur lequel les
fournisseurs essayent de satisfaire cette demande. La subvention de l’Etat
revêt le caractère de don ou de prêt que le jeune peut utiliser pour payer sa
formation dans un établissement de son choix.
« une
partie du financement va aux établissements privés selon des critères de
qualité et de performance et non pas par un mécanisme de dotation budgétaire au
prorata du nombre des inscrits.
Les mêmes mécanismes
utilisés au niveau de l’enseignement secondaire, valent pour l’enseignement
supérieur et pour la formation professionnelle.
Un
enseignement
privé de qualité , encadré par le Ministère de l’Education Nationale en
tant que composante à part entière du dispositif national d’éducation ,
soutenu et encouragé par l’Etat ,de même qu’un dispositif de formation
professionnelle , public et privé, de qualité , et se positionnant l’un et
l’autre , chacun dans sa vocation , comme des alternatives crédibles et
valorisées au système d’enseignement public , pourraient être la
solution pour casser la logique de l’échec scolaire et du gaspillage des ressources
humaines .
4.3.3. Le baccalauréat
professionnel ? Signification et utilité ?
Que
signifie le terme « Baccalauréat professionnel » ? Dans la
terminologie tunisienne le baccalauréat
est un diplôme qui donne accès à l’enseignement supérieur . Dans ces conditions
la création d’un baccalauréat professionnel ne peut relever que de la recherche
d’une solution à deux problèmes éventuels :
1. Permettre
l’accès à l’enseignement supérieur d’une population qui n’a pas cette
possibilité aujourd’hui. Et auquel cas il faut connaître cette population.
2. Changer
le profil des étudiants qui accèdent à certaines filières de l’enseignement
supérieur et auquel cas il faut aussi les connaître et voir si leur
organisation nécessite ces changements.
Toute
autre question en relation avec la satisfaction des besoins de l’économie est
forcément exclue du
fait que l’objectif principal ne peut être que l’accès à l’enseignement
supérieur, à moins d’un changement fondamental de tous les baccalauréats.
Quelle
est la population qu’on veut faire accéder à l’enseignement supérieur au moyen
d’un diplôme de l’enseignement secondaire et qui ne peut pas le faire?
Aujourd’hui , tous les
jeunes scolarisés dans le secondaire et qui obtiennent le baccalauréat, notamment
le baccalauréat technique, ont la possibilité d’accéder à l’enseignement
supérieur.
Le rajout d’une autre
option au baccalauréat ne changera donc rien sur ce plan et nul ne voit ce que pourrait
ajouter un baccalauréat professionnel par rapport au baccalauréat technique.
Le diplôme de technicien
de la Formation Professionnelle est homologué au Baccalauréat sur le marché de
l’emploi.
De plus, les jeunes
diplômés de la formation professionnelle ont de par les dispositions de la loi
d’orientation de la formation professionnelle (
Loi 93-10 articles 31 et 47)
la
possibilité d’accéder à l’enseignement supérieur ;
Le décret relatif à
l’accès à l’enseignement supérieur par voie de formation continue est déjà pris
et mis en application, le second correspondant à l’article 31 n’est pas encore
paru d’abord pour:
1. des
considérations de priorité
et en attendant la consolidation des options de la réforme de la formation
professionnelle et son orientation vers l’emploi.
2. l’état
d’avancement de la réforme de l’enseignement supérieur qui ne s’est pas encore attaqué au
problème de sa professionnalisation et
n’a pas encore défini des modalités pratiques pour l’accès de jeunes à profil
professionnalisé.
Là aussi donc la création d’un
baccalauréat professionnel n’ajoute rien du tout à la situation actuelle.
En
fait la problématique de l’articulation optimale éducation-formation n’est pas
spécifique à la Tunisie ; elle s’est posée au niveau mondial depuis la fin
des années 80. Elle oppose , au niveau international , les courants qui ont
opté schématiquement pour le « tout
scolaire , c’est à dire la scolarisation de la formation professionnelle et
de l’enseignement supérieur » et les pays qui ont opté pour une liaison
solide entre la formation professionnelle et l’enseignement supérieur d’un côté
et les besoins de l’économie de l’autre. Il n’y a pratiquement pas de pays
développé qui ne s’est pas posé ce genre de question au début des années
90. La Tunisie s’est engagée dans cette
réflexion en même temps que la plupart des pays européens.
En général , et dans la plupart des
pays, cette question a été tranchée en même temps que s’éclaircissait au niveau
international l’option de la mondialisation. S’il n’y a pas , au niveau du
détail , de modèle unique, du fait des spécifités nationales, il y a tout de
même deux catégories de pays. Ceux qui ont eu la volonté nécessaire et la force
de réformer et ceux qui ont dû se
contenter de rafistolages.
La Tunisie fait partie du premier
groupe. La réforme de la
formation professionnelle engagée en 1993 correspond à ce qui se fait au mieux
actuellement au niveau mondial.
Dans
d’autres , les velléités de réforme n’ont pas pu ou
su venir à bout des inerties éducationnelles. La France est un exemple de ces
pays où il a été impossible d’engager une réforme de fond. Des tentatives de
réformes récurrentes ont été soit
bloquées par les enseignants soit vidées de leur contenu. Elle s’est contentée
de quelques aménagements tels que le baccalauréat
professionnel qui permet une petite ouverture de l’éducation sur le monde de
l’emploi, lequel baccalauréat ne permet par ailleurs l’accès automatique à
l’enseignement supérieur.
Dans
ses grandes lignes, le baccalauréat professionnel français a repris les
tendances internationales en matière de formation professionnelle : partenariat
avec la profession, formation avec l’entreprise. Ces orientations se retrouvent
en Tunisie au niveau du diplôme de
technicien professionnel.
La comparaison du chômage
d’insertion des jeunes de 18-25 ans entre les différents pays européens montre
qu’au-delà des conjonctures économiques plus ou moins bonnes selon les pays, la
scolarisation de la formation professionnelle
constitue un facteur déterminant de ce chômage d’insertion. Dans les
pays à formation professionnelle scolarisée (France, Italie), les jeunes ont
deux fois plus de difficulté à trouver
du travail que la population en général alors que dans les pays à formation
professionnelle pilotée par le monde économique les jeunes ont moins de difficulté à
s’insérer que le reste de la population.
Comparaison des taux de chômage en 1993
|
Taux
de chômage des jeunes (1) |
Taux
de chômage général (2) |
Ratio
entre les taux de chômage (1)/(2) |
Allemagne |
5,2% |
8,2% |
0,6 |
Danemark |
11,1% |
12,4% |
0,9 |
France |
23,6% |
11,6% |
2 |
Italie |
30,5% |
11,5% |
2,7 |
L’analyse
comparée des expériences internationales qui donnent des résultats intéressants
en terme d’insertion de jeunes dégage
les constantes suivantes :
1.
La formation
professionnelle se positionne après la scolarité obligatoire (9 ans) au même titre que l'enseignement
secondaire général en tant que voie de qualification diplômante.
2.
Les diplômés de
" l'école de base" s'orientent, en majorité, vers la formation
professionnelle sous ses diverses formes.
3.
Les études
supérieures sont ouvertes et l’accès des diplômés de la formation
professionnelle à ces formations, en général après une période active,
constitue la règle et non l'exception .
4.
Le déroulement
de la formation de manière simultanée à l'entreprise et à l'école se traduit
par une répartition équilibrée de la charge financière de la formation entre
l'Etat et les employeurs. Cette formule garantit en outre un taux élevé de
l'insertion des primo-demandeurs
d'emploi.
Pour la Tunisie, le baccalauréat
professionnel, s’il devait correspondre à une scolarisation de la formation
professionnelle, constituerait par conséquent plutôt une régression qu’un
progrès . S’il procédait d’une volonté d’ouvrir des horizons promotionnels et
attractifs pour les diplômés de la formation professionnelle, le Baccalauréat
professionnel n’apporte concrètement rien de plus parce que dans les textes
cette ouverture est possible et que dans les faits, avec ou sans baccalauréat
professionnel, l’ouverture d’horizon pour qu’elle soit réelle nécessite une
révision fondamentale de la structure de l’enseignement supérieur.
Conclusion
Les solutions à apporter au problème de la logique
de fonctionnement du système éducatif
procèdent du moyen et du long termes .
L’analyse qui précède n’a fait qu’évoquer ou mettre
en évidence un certain nombre de faits saillants qui se dégagent de la
dynamique de fonctionnement du système éducatif à travers les réformes
successives dont il a été l’objet.
Cette
analyse gagnerait de toute évidence à être approfondie. Aussi , loin de prétendre
à un diagnostic final , elle invite à engager sans tarder une réflexion
approfondie qui a besoin pour sa pertinence d’une information fine et
fiable sur le
fonctionnement du système éducatif.
Mais
il est d’ores et déjà clair que les phénomènes observés et les problèmes
soulevés, internes au système éducatif, sont d’une gravité telle qu’il
serait imprudent de leur chercher des solutions ailleurs et au détriment de
systèmes externes comme la formation professionnelle qui risque ainsi de subir
de graves préjudices sans pour autant
contribuer à la solution des problèmes posés .
L'examen du dossier
éducation-formation ,de la valorisation des ressources humaines , de la
recherche de la meilleure adéquation éducation -formation - emploi conduit en
fait à poser deux questions qui gagneraient à faire l’objet d’une analyse
approfondie : 1.
quel est
l’impact réel de la réforme de l’école de base, sachant que la première
promotion de ce cycle sort ce mois-ci ? 2.
Comment améliorer l’employabilité
des diplômés de l’enseignement supérieur,
sachant d’une part que
le stock de demandeurs d’emplois parmi cette catégorie atteint
actuellement un niveau très élevé et que d’autre part le fonctionnement de
l’enseignement supérieur est conditionné dans une large mesure par celle de
l’enseignement secondaire? |
Fin
de l'étude, pour revoir la 1° cliquer ICI, la 2° cliquer ICI, la 3° cliquer ICI .
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