Docteur Mustapha Cheikh Zaouali vient de publié un livre sous le titre " Les enseignants et l'innovation", il s'agit d'un ouvrage qui reprend une partie d'une thèse de doctorat que l'auteur avait soutenue en 2015 dont le sujet s'intitulait : " Attitudes des enseignants à l’égard des innovations pédagogiques institutionnelles en Tunisie : Le cas des apprentissages optionnels et de l’étude de projet." L'ouvrage et la thèse traitent une
question très importante qui détermine de la destinée de tout projet de
réformes éducatives, il s'agit de l'attitude du principal acteur qui est
chargé de l'implémentation de la réforme sur le terrain, on parle ici de
l'enseignant. Plusieurs études ont montré que le succès de toute innovation
pédagogique dépend entre autre de l'attitude de l'enseignant " ce
sont les enseignants qui sont les
acteurs majeurs des réformes, et ce sont eux qui pourront en assurer le succès"
[1] et que " l’effet d’une politique
éducative n’est jamais mécanique et que le changement dépend de l’acceptation
par les professionnels" or
cette acceptation n'est pas acquise facilement, à cause de la résistance
" presque naturelle" aux changements et aux innovations , c'est ce
que l'auteur a essayé d'analyser dans sa thèse et dans son livre. Vu l'importance du sujet et son originalité, le blog pédagogique a
voulu en donner à ses lectrices et ses
lecteurs une brève présentation en reprenant le résumé de la thèse et la
présentation de l'ouvrage réalisée par M° Moncef Khmiri. Le blog pédagogique - Mars 2022 |
Présentation
du livre
Qu'en est-il des raisons qui éternisent les maux de
notre système éducatif ? Quels sont les moyens d'empêcher l'aggravation de sa
crise? Comment pouvons-nous parvenir à une réforme de fond de notre école
tunisienne lui permettant de remplir ses fonctions essentielles, et quelles
seraient les entrées à cette réforme ? Qu'est-ce qui a entravé les tentatives
des réformes successives ? Pourquoi n'avons-nous pas pu, depuis vingt ans, promouvoir,
ne serait-ce que partiellement, les performances de notre système éducatif ? Ce
sont là des questions que se posent la plupart des tunisiens (éducateurs,
politiciens, parents et journalistes...) ce qui dénote une complexité aux
contours difficiles à saisir. Essayer de répondre à ces problématiques
complexes ou d'en aborder certaines relève bien de l’aventure et une sorte
d’adhésion à l’idée du philosophe Pythagore qui disait
: « Choisissez toujours le chemin qui vous semble le plus approprié, même
s'il est le plus difficile : l'habitude se
chargera de le rendre agréable».
C'est pourquoi j'ai craint pour le chercheur Mustapha
Cheikh Zaouali lorsque je l'ai vu travailler sur la réforme de l'éducation de
2002. Je me suis demandé dans quelle mesure la dite réforme parviendrait à réaliser
les objectifs qu'elle s’est fixés en rapport avec la réalité sociale,
économique et politique dominante à l'époque, et en rapport également avec les
attitudes des enseignants, leurs personnalités et leurs parcours, et enfin en
rapport avec la réalité propre de l'institution éducative. En plus de sa
tentative à vouloir s’enquérir des controverses et polémiques qui ont entaché
la question des matières à option dans le cadre du système des apprentissages
formels, ainsi que les réactions qui ont dépassé le cadre de l'école pour être
abordées par des politiciens et des leaders d'opinion à l'intérieur et à
l'extérieur de la Tunisie.
Je craignais qu'il s’embourbe dans les sables mouvants
d'un sujet que tout le monde évitait parce que le problème est très épineux, et
que la question de l'innovation est difficile à cerner scientifiquement d'une
manière précise, comme ce fut souvent indiqué chez la plupart de ceux qui ont
travaillé sur le concept des innovations pédagogiques et éducatives, en plus
des appréhensions que j’ai eu quant au profil du public visé par ce livre, qui
ne devrait pas dépasser certains encadrants pédagogiques au sein de notre
système éducatif. Mais ma crainte s'est rapidement dissipée. Au fur et à mesure
que j'avançais dans ma lecture du livre,
j'ai eu la certitude qu'il était à la portée de tous ceux qui ne cessent de parler à longueur de
journée du déclin de l'école tunisienne parce que le livre est écrit dans une
langue innovante et fluide qui questionne soigneusement les textes de référence
sans se risquer à porter des jugements de valeur et se limite à poser des interrogations afin de recueillir quelques éléments de
réponses.
En dépit de l’acharnement de l'écrivain, du fait de
son extrême prudence académique, à vouloir se référer à chaque fois aux chercheurs
confirmés dans les domaines des sciences de l'éducation en général, notamment
ceux qui se sont spécialement penchés sur la question des innovations
pédagogiques afin d'assurer une rigueur scientifique et objective sans laquelle
aucune recherche scientifique ne serait crédible, il ne nous a pas privés de jouir
de ce que permettait le curriculum caché, à savoir la connaissance des biographies
d'enseignants animés par beaucoup d’originalité
et de profondeur, des acteurs qui avaient des positions controversées face
aux innovations instaurées par la dernière réforme de l'éducation en 2002. Les
observations de terrain, les « focus groupe » et les entretiens individuels,
permettent au lecteur de savourer des détails attachants sur des parcours de
vie individuels qui ont jeté leur ombre sur le comportement de ces individus
dans les étapes ultérieures quand ils sont devenus enseignants. Tantôt, ils s’approprient les
innovations et s'enthousiasment pour leur application, tantôt ils les rejettent
ou encore ils prennent à leur égard une attitude de spectateurs passifs, en
attendant l'émergence de nouveaux éléments dans la réalité éducative qui
trancheraient la question dans un sens ou un autre.
L'histoire retiendra ce nouvel ouvrage qui va enrichir
notre bibliothèque pédagogique tunisienne et arabe, compte tenu de
l'originalité des questions qu'il traite d'une part, et de la rareté des écrits
spécialisés en matière de pédagogie, d’enseignement,
et de l'évaluation du devenir des réformes éducatives successives. C’est
également du fait que le livre soumet les divers obstacles à l'épreuve de
l'étude objective et de la lecture analytique d'autre part. Il sera également
reconnu que ce livre a dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas. Il a
en effet cherché à démanteler la logique des syndicats qui rejettent toute
réforme (Nous nous sommes trouvés en présence de programmes de réforme souvent en
rupture avec ceux qui seront appelés à les mettre en œuvre). Une logique
sous-tendue soit par une phraséologie moderniste mais qui paralyse en réalité
tout projet qui cherche à faire sortir l'école des bas-fonds dans lesquels elle
s'est embourbée, soit animée par des considérations d’ordre identitaire brandissant
l'étendard de la préservation de l'authenticité, pérennisant ainsi une
situation scolaire précaire.
Les principales conclusions de Mustapha Chikh Zaouali concernant
les attitudes des enseignants à l'égard des innovations pédagogiques ainsi que
leurs réactions spontanées vis-à-vis des nouveaux programmes et approches qu'on
leur propose, nous renvoient nécessairement à la métaphore du crayon (à
laquelle recourent tous ceux qui ont travaillé sur la question complexe de
l'innovation parmi les chercheurs arabes et étrangers). Cette
métaphore met au premier plan du processus de changement certains pionniers, à
savoir le comité de pilotage, ou le projet lui-même. Le crayon ayant deux
bouts, d’un côté la pointe fine dédié à l’écriture, (et le nombre de ceux qui
jouent ce rôle est très faible), à l’autre bout il y a la gomme qui
représente les opposants cherchant à
empêcher (gommer) toute avance pour les projets innovants ; puis il y a le corps du crayon qui est le réservoir
(le plus grand nombre) qui rassemble tous les acteurs qui sont prêts à adopter
le changement, mais à condition de les motiver ou leur assurer une récompense
quelconque (formation continue, motivations diverses…).
Ce livre est à la fois important et agréable à lire.
Il est agréable parce que sa langue n'est pas tombée
dans le pédantisme tissé de grandes définitions, de concepts éloquents et de
termes savants, une coquille calcifiée habituellement utilisée par les
universitaires pour impressionner leurs lecteurs et pour se leurrer eux-mêmes
croyant qu'ils avancent des vérités révélées du ciel. Au contraire, la langue
du livre s'est aventurée à emprunter tantôt à la littérature et tantôt à la
philosophie, parfois à la psychologie et elle est allée jusqu'à l'écriture de
scénarios en échafaudant les biographies étudiées, ce qui a fourni un élan de lecture
attrayante en plein milieu de la quête d’une vérité fugace et le traitement
d’âpres questions.
Il est également important pour au moins deux raisons :
1. - Parce qu'il permet au lecteur qui
s'intéresse à l'école et qui suit l'histoire des réformes qu'elle a vécues, de
comprendre le fonctionnement du système éducatif de l'intérieur et les diverses interactions invisibles qui se
produisent dans ses méandres et qui
constituent dans la plupart des cas la cause de son bon ou mauvais
fonctionnement beaucoup plus que l'effet des mesures et instructions dictées
d'en haut. Il se peut que Mustapha Cheikh Zaouali, partagé, de par sa formation
et ses centres d'intérêt, entre la sociologie et les sciences de l'éducation,
ait pris cette voie (bien qu'il ne le déclare pas explicitement dans son
livre), influencé par les thèses des modernistes dans les écoles de sociologie
qui penchent du côté de « l'analyse des modes d'action ordinaires employés par
les acteurs sociaux ordinaires pour réaliser des activités ou des travaux ordinaires
», ce que Harold Garfinkel appelle « le raisonnement sociologique pratique
».
2-
Parce qu'il permet au lecteur, qui s'interroge sur ce qui entrave
l'application des réformes et des
innovations pédagogiques successives, de prendre conscience de la cause des dérives
aigues entre les nobles finalités affichées par la littérature de la réforme et
les visions pionnières inscrites dans les références-cadre et entre le contexte
du terrain qui est censé accueillir ces réformes et les orientations des
enseignants censés être la locomotive de la modernisation et l’un de ses principaux leviers.
La lecture de l'ouvrage de Mustapha Cheikh Zaouali, ouvre
à mon sens deux grands horizons : un horizon sur l'épistémologie des matières à option dans notre système
éducatif, comme système innovant et en harmonie avec ce que le monde développé
reconnaît aujourd'hui comme la diversité
du profil de l'élève du XXIe siècle, et
la nécessité de briser les barrières épaisses entre les différents domaines
d'apprentissage et de préparer d'une
façon précoce à des parcours académiques
divers auxquels il fera face plus tard.
Et un second à travers lequel nous dépistons l'arsenal d'obstacles et de freins qui
constituent le mur de résistance à tout ce qui est moderne et inhabituel.
Pourrons- nous un jour endiguer leurs discours nihilistes et improductifs.
Il convient également de préciser que l’ouvrage « Les
enseignants et l'innovation» est un extrait de la thèse de doctorat de
Mustapha Cheikh Zaouali «Attitudes des enseignants à
l’égard des innovations pédagogiques institutionnelles en Tunisie :
Le cas des apprentissages optionnels et de l’étude de projet.» Le fait de reposer
le sujet à ce moment particulier qui
connait un large débat national sur les questions de l'éducation et de
l'enseignement contribuera sans doute à lancer une réflexion générale sur la
prochaine réforme de l'éducation et les mécanismes qui seront adoptés pour
surmonter les difficultés, neutraliser les contraintes et réinventer l’entrée appropriée
pour reconstruire tout le système des matières à option selon une nouvelle
perspective qui capitalise les acquis du passé et circonscrit les causes de son
échec.
Moncef
Khemiri (Conseiller général
d’orientation à la retraite)
Traduction
: Mongi Akrout &Abdessalam Bouzid, Inspecteur généraux de l'éducation
retraités et revue par l'auteur .
Présentation des réformes éducatives en Tunisie Chapitre premier : quelques résultats dévoyées de la réforme de 2002
en Tunisie : les matières à option et
la réalisation de projets comme
exemple type I - Les matières à option et la
réalisation de projets 1- Motivations de l'étude et justifications du choix des deux
innovations 2- Le cadre juridique des matières optionnelles et de la réalisation
du projet 3- Le cadre théorique 4- le cadre pédagogique II- Des exemples des dérives des innovations sujet de la recherche 1- Les résultats de la recherche au sujet des matières à option 2- Les résultats de la recherche au sujet de la réalisation de projet Sources et références Deuxième chapitre : Parmi les
obstacles de la réforme de 2002 en Tunisie : Le style du Ministère et les
conditions de travail dans l'établissement scolaire Introduction Premièrement : Le style du ministère
dans le domaine des innovations pédagogiques Signification du concept de
style du ministère dans le domaine de
l'innovation Distinction entre les concepts de "style" et de
"moyen" Le style du ministère au regard des approches en rapport avec
l'innovation pédagogique Le style de la réforme de 2002 Les résultats de notre recherche au sujet de l'expérience des matières
optionnelles et de la réalisation de projet L'information et la formation Les grandes lignes du discours officiel au ministère de l'éducation La corrélation entre le style du ministère et les caractéristiques du
climat politique en place Enregistrement de quelques succès isolés Deuxièmement : Conditions de travail au sein de l'établissement
d'enseignement 1- Le modèle de gestion administrative existant 2- La vie scolaire 3- Les caractéristiques des élèves 4 - La place des enseignants 5- La crise du système éducatif et la crise de la société Conclusion Les sources et les références Troisième chapitre : les enseignants et l'innovation Introduction Le concept d'innovation Les documents officiels organisant l'innovation pédagogique en Tunisie La référence théorique de l'étude Les questions de l'étude L'outil de l'étude Les résultats de l'étude Les types d'orientation vis-à-vis de l'innovation Les facteurs émotionnels Les facteurs professionnels Les motivations du choix de la profession d'enseignement Les spécificités de la profession
d'enseignement et la spécificité de l'innovation dans le domaine éducatif L'innovation est incarne la valeur de la liberté L'effet de la formation et le rapport avec l'inspecteur L'effet du directeur de l'établissement Remarques générales et conclusions Conclusion Les ressources et les références Les annexes Premièrement : brève présentation des personnes et de leur biographie Deuxièmement : les détails des
biographies Biographie n° 1 : Mme Nour Biographie n° 2 : M. Abdallah Biographie n° 3 : M.Youssef Biographie n° 4 : M. Labib Biographie n° 5 : Mlle Samia Biographie n° 6 : M.Taher Biographie n° 1 : M.Ramzi Biographie n° 1 : M.Fadhel Biographie n° 1 : M.Borhan Annexe 2: les apprentissages optionnelles dans les communiqués du
Syndicat de l'enseignement secondaire Annexe 3 : les matières optionnelles dans les sites du journal le
Destour et ikhwanonline.com. Annexe 4 : Les deux exercices
qui ont suscité la polémique sur les apprentissages optionnels en 2003 |
Résumé de la thèse
Titre de la thèse: Attitudes des enseignants
à l’égard des innovations pédagogiques
institutionnelles en Tunisie :
Le cas des apprentissages optionnels et de l’étude de projet. Résumé Nous sommes
partis de la problématique générale et fondamentale suivante: Comment
pourrons-nous appliquer « des innovations pédagogiques
institutionnelles » répandues à l’échelle mondiale, mais qui sont aussi, le résultat d’évolutions historiques et
sociologiques de long terme des sociétés occidentales
qualifiées par les sociologues aujourd’hui comme « postmodernes, »
et « ayant un mode de production post-Capitaliste » ?
Comment appliquer ces innovations dans une société telle que la
société tunisienne où interfèrent les
conditions et les modes de vie pré-modernistes, modernistes et
post-modernistes? Notre
recherche a porté sur la clarification des problèmes dus à l’application de
deux cas d’innovations pédagogiques institutionnelles en Tunisie : Les
apprentissages optionnels et l’étude de projet. Pour entamer
notre recherche, nous avons posé un ensemble de questions portant sur les attitudes des
enseignants à l’égard de ces deux modèles d’innovations et sur les
facteurs qui influencent lesdites
attitudes. Nous avons démontré les limites des approches économistes et
technicistes de l’éducation et nous avons adopté une approche alternative
d’ordre culturel et anthropologique. Pour collecter nos
données, nous avons eu recours à
plusieurs techniques et
supports de recueils de données. Ceux-ci regroupent notamment
le questionnaire (n = 162), le focus group, l’observation directe sur
le terrain, les récits de vie (n=9), l’analyse de contenu de documents officiels et de statistiques
aussi bien du ministère de l'Éducation que ceux du syndicat des enseignants. Nous n’avons pas
trouvé de rejet de principe de l'innovation pédagogique par la majorité des
enseignants ayant participé à notre recherche. Nous n’avons pas trouvé, non
plus, de différences significatives intéressantes dans les attitudes des
enseignants à l’égard des apprentissages optionnels et de l’étude de projet, liées à l'un ou à
l’autre des facteurs suivants: la discipline scolaire enseignée, la formation
sur les innovations objet de la
recherche et l'expérience directe liée à ces innovations. En outre, nous
avons constaté que l’attitude réelle à l’égard des innovations pédagogiques
est le produit de l'équilibre des forces et des interactions entre une
variété de paramètres individuels en rapport avec la personnalité de
l'enseignant et avec les facteurs institutionnels liés au système
éducatif et à son environnement
social. Enfin, notre étude a révélé non seulement plusieurs effets pervers de
la réforme éducative de 2002, en Tunisie, mais également un écart grandissant entre, d’une
part, les paris d'innovations pédagogiques escomptés et d’autre part, les
résultats et les performances limitées dans la réalité. |
[1] Dupriez, Vincent : Politiques Éducatives, Formation et accompagnement des Enseignants : Comment favoriser la mise en œuvre effective d’une politique éducative à partir d’une stratégie d’accompagnement des enseignants ?, université catholique de Louvain (Belgique)
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