Lundi dernier, j'ai été invité à m'exprimer sur les ondes de la radio nationale avec le journaliste et
poète Ezzedine Ben Mahmoud dans son émission hebdomadaire "Juste une
question" à propos de la consultation nationale sur l'éducation et
l'enseignement décidée par la Présidence
de la République, j'ai exprimé alors
quelques réflexions que j'ai voulues
partager avec vous dans ce billet.
Précisons d'emblée que je ne fais pas partie de ceux qui rejettent
absolument cette initiative, ni de ceux qui placent tous leurs espoirs dans une
telle initiative, compte tenu des nombreuses réserves et des
multiples craintes que j'ai ( j'ai vécu
et accompagné un tel nombre de
consultations, de séminaires consultatifs, de dialogues nationaux, de
commissions de réflexion, d'ateliers de
réforme et de tables rondes destinés pour faire des diagnostics et pour
examiner l'état de l'école tunisienne ,
de quoi remplir d'énormes volumes de
littérature, de propositions et de solutions , mais ils n'ont souvent pas abouti
sur des résultats tangibles ayant laissé
un impact significatif sur la réalité de notre école)... Au contraire, je suis
toujours enthousiasmé par tout projet, surtout quand il est présenté d'une
manière claire et annonce ses intentions, quelles que soient
les démarches adoptées pour le mettre en œuvre, la composition des structures
qui le pilotent, le temps que cela prendra, ainsi que la disponibilité de
conditions favorables objectivement et subjectivement.
Cependant, cela ne m'empêche pas d'avoir de nombreuses réserves
sérieuses sur ce projet dont dépend sa réussite selon moi, je souhaite les évoquer, en le référant à nos expériences
antérieures, non seulement dans le domaine de l'éducation, mais aussi dans
presque tous les domaines.
Qu'est-ce qui me fait nourrir un peu d'espoir, même de manière
prudente et critique ?
"Quand tout va mal,
l'espoir devient une nécessité nationale"... Cela peut être notre seule
devise pendant cette période de notre histoire, car nous n'avons devant nous
qu'une seule patrie que nous défendrons -
chacun avec ses moyens - pour surmonter
les déboires successifs - et nous resterons attachés à une lueur d'espoir qui
pointe à l'horizon parce que nous
n'avons pas d'autres options face à la dégringolade retentissante de notre
système d'éducation publique et aux lourdes pertes au niveau des ressources
humaines qui s'ensuivent, si ce n'est que d'essayer de réformer ou, au moins, de colmater les graves fissures parues dans le béton afin d'éviter
l'effondrement final, et parce personne ne peut prétendre détenir la recette
magique qui pourrait sauver notre école et la guérir, ce qui nécessite une
large travail collectif qui sera une source de force créatrice d'idées, de
propositions , de solutions et de traitements...
À cause de tout cela, je m'abstiens personnellement de trouver les
justifications pour boycotter la
consultation et ne pas reconnaître ses résultats, comme certains le réclament,
parfois parce qu'il s'agit pour certains
d'une consultation formelle dont les résultats seront ignorés , et pour d'autres
parce que n'importe qui l'avait confectionnée
(comme l'écrivait récemment quelqu'un parmi ceux qui considèrent qu'il n'y a
pas de succès pour toute réforme sans leur supervision ), avec toute mon
respect pour certaines voix sincères qui
ont exprimé des réserves fondées sur une lecture objective du climat politique
général que traverse le pays, et une évaluation sereine des expériences
précédentes dans le domaine comme la
fameuse expression « je suis venu vous consulter sur une décision que j'ai déjà
prise »
Quatre réserves majeures dont nous espérons qu'ils tiennent compte :
Premièrement : Comme si on ne voulait pas rompre avec les
politiques du gaspillage et avec le complexe
de « ce que les autres ont fait ne sera pas nécessairement.
Dans ce contexte,
nous pouvons dire que le projet de réforme de 2015 - 2016,
qui a été sabordé pour des considérations purement politiciennes et
pseudo-syndicales et non pour des insuffisances
ou des imperfections apparues au
niveau de ses résultats et des dizaines de documents produits par les commissions
techniques spécialisées , a constitué
une véritable opportunité historique pour jeter les bases d'une réponse à la
crise de notre école tunisienne et de tout le système de formation. Je dis cela
compte tenu du large éventail de participation au dialogue national qui a eu
lieu dans toutes les régions et dans tous les établissements d'enseignement
primaires, préparatoires et secondaires, et qui s'est étendu du 15 mai au 17
juillet 2015, avec la participation de centaines de milliers d'élèves, de
parents et d'acteurs éducatifs divers, et compte tenu du quasi consensus national sur un projet de
réforme qui s'est traduit par la
participation des différents ministères concernés, de l'UGTT et de plusieurs 'acteurs
de la société civile , et troisièmement, compte tenu de l'énorme travail
accompli par les experts et les spécialistes au sein des quatorze commissions
qui ont travaillé sur les axes les plus importants liés à la question de
l'éducation, et enfin quatrièmement (et c'est peut-être la considération la
plus importante) parce que tous les commissions avaient terminé leurs travaux et avaient
produit d'importants documents de référence allant du diagnostic aux
propositions de solutions , à une synthèse des orientations et des choix généraux. ... jusqu'à la loi
d'orientation pour l'éducation qui devrait être présentée au Parlement pour ratification,
mais la Kasbah s'est entendue avec le Bardo et le projet fut enterré. Par conséquent, nous
n'avons pas le droit de nier cet énorme effort et ne pas chercher à en tirer parti et à en tirer profit
dans les réformes futures
Deuxièmement : La nécessité d'avoir une vision complète de la
réforme, car le slogan «L'école publique est en déperdition et qu'il faut lui redonner son éclat » n'est pas un projet de réforme.
J'ai personnellement écouté quelques-uns des discours officiels
qui ont accompagné la préparation de la consultation électronique attendue, la
plupart d'entre eux ont repris quelques éléments du diagnostic connus par tous
et qui ont été évoqués même par des mères postées devant les écoles… comme par
exemple la nécessité de réhabiliter
l'école publique, d'arrêter l'hémorragie du décrochage scolaire , de s'attaquer
aux manifestations de violence et de délinquance en milieu scolaire, etc. …
sans que rien n'indique que les décideurs prêtent vraiment attention à ce qui
se cache derrière ces slogans et aux mesures qui doivent être prises et aux politiques qui doivent être arrêtées pour contenir
l'incendie, car « ce qui se conçoit bien s'énonce clairement. Et
les mots pour le dire arrivent aisément" comme le
disait bien l'écrivain français Nicolas Boileau,
Troisièmement : la bataille de l'éducation ne peut pas être menée par le ministère de l'Éducation uniquement.
Quand on voit l'ampleur de la désagrégation du système national
d'éducation, d'enseignement et de formation
en Tunisie , la logique prédominante dans le type de pensées chez les hauts responsables
et la logique selon laquelle il ne
faut «pas toucher les privilèges acquis .. »…
surtout quand il n'y a pas de coordination, aussi minime soit-elle, entre les
ministères directement concernés par l'avenir des générations entières (par
exemple, quand l'enseignement supérieur ignore ce qu'étudient les lycéens qu'ils
vont accueillir après le bac, ou quand le ministère de
l'éducation ignore le nombre de défaillants chaque année et ignore les
possibilités de leur intégration dans d'autres voies ou encore quand le secteur
de la formation professionnelle ne connait pas le nombre de ceux qui le
rejoignent après le baccalauréat afin de
prendre les mesures nécessaire pour en faire face à temps…) Quand cette
politique maladroite va
persister au détriment de générations
entières, nous ne pouvons qu'attirer l'attention - avec insistance - sur la
nécessité de tout mettre en œuvre afin que les services de ces différents
ministères puissent se rencontrer quotidiennement pour rattraper le retard et pour préparer l'avenir selon une
approche systémique.
Quatrième :
Une réforme globale, complète et définitive est, à mon avis... illusion, leurre
et fantasme.
Nous
ne savons pas encore si la consultation électronique répondra aux questions de
la réforme de l'éducation et si elle définira ses orientations générales, ou si
ses résultats seront transmis à des spécialistes pour examen et pour les
opérationnaliser, ou encore s'ils vont déboucher sur quelque chose comme une
loi d'orientation qui sera soumise au Parlement ... Nous ignorons aussi qui pilotera la réforme : est-ce le Conseil
supérieur de l'éducation qui n'a pas encore vu le jour, ou que celui-ci va se
contenter de fixer des orientations générales, et une autre instance se
chargera de remettre les choses à leur place... ?
D'un
autre coté, nous sommes en droit de nous interroger sur la méthodologie de la
réforme, par où commencera-t-elle, quel est le calendrier de sa mise en œuvre,
et comment assurer le financement ?
Nous
posons cette question car parier sur une réforme éducative de fond et globale qui
touchera tous les domaines, comme la formation des acteurs éducatifs,
l'amélioration de la vie scolaire, la révision des programmes, des manuels et
du temps scolaire, la résolution de la question de la langue d'enseignement des
sciences, la place des langues dans nos programmes, et le resserrement des
liens avec les différents ministères et organismes concernés... est, à mon avis,
une perte de temps précieux et une dispersion des forces et la construction de
rêves immenses que nous ne sommes pas en mesure de mettre en œuvre d'un seul
coup ... Par conséquent, il est impératif d'opter plutôt pour des réformes ciblées et urgentes pour sauver
ce qui peut être sauvé (maintenant, et non pas demain) et remettre le train de
l'éducation sur la voie.
Moncef Khemiri, conseiller général en information et en orientation scolaire et
universitaire
Tunis,
mai
2023
Traduction Mongi Akrout,
inspecteur général de l'éducation
De très bonnes idées émanant d'un homme du domaine qui peuvent être exploitées quand la dite réforme verra effectivement le jour. Mais je crois que le contexte actuel ne s'apprête pas à s'engager dans une réforme de grande envergure. Une telle œuvre nécessite surtout la STABILITÉ, les moyens et surtout la volonté politique...Malheureusement ces conditions ne sont pas encore réunies et t la consultation prévue semble pour le moment sans intérêt. Merci chers collègues pour nous avoir créé ce sujet de débat
RépondreSupprimerExcusez moi mon nom n'est apparu sur le commentaire ci-dessus . Ben Khemiss M.Taher.
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