L’évaluation de la production écrite de
type dissertation (philosophique, littéraire ou en histoire géographie…) soulève beaucoup de
questionnements dont le plus frappant est celui de l’écart entre les correcteurs ;
cet écart, confirmé par plusieurs recherches, traduit en réalité des
conceptions et des représentations différentes entre les correcteurs ; en
schématisant à l’extrême, on pourrait distinguer deux grandes catégories de
correcteurs :
- les « sévères[1] » qui ne permettent pas la moindre
défaillance au niveau des idées ou au niveau méthodologique et de l’expression ;
cette catégorie limite ses notes dans un intervalle qui se situe dans la partie
basse de l’échelle théorique de la notation qui s’étale entre 0 et 20.
- les « généreux ou les
indulgents » qui laissent passer certaines insuffisances, car, pour eux,
les conditions particulières de l’examen pourraient affecter les possibilités
du candidat ; cette deuxième catégorie de correcteurs aurait tendance à
choisir d’utiliser l’intervalle de notation qui se situe dans le niveau
supérieur de l’échelle.
Plusieurs recherches effectuées sur des
copies réelles de baccalauréat en France
avaient toutes confirmé ce phénomène. [2]
Dans une récente étude de l’IREDU[3] (Institut
de recherche sur l'éducation en France ), le chercheur « a soumis six copies de sciences économiques et
sociales (SES) des sessions 2006 et 2007 du bac à la correction de soixante-six
professeurs de deux académies différentes. Les copies sont celles de candidats
reçus à l'examen : deux sont des bons devoirs ayant reçu la note de 15/20 et quatre
sont moyens, notés de 9 à 11/20. Le résultat est sans appel puisqu'un même
devoir peut, selon le correcteur, être noté de 4 à 14/20 ou de 8 à 18/20 ! » La démonstration du chercheur est
d'autant plus aboutie que dans les appréciations justifiant la note qu'ils ont
attribuée, "les jugements professoraux diffèrent tout autant
que les notes". Par exemple, une copie est notée 14/20 et qualifiée de "bon devoir, les connaissances sont
maîtrisées", tandis qu'un autre
correcteur lui attribue la note de 4/20, estimant que "l'élève ne maîtrise pas les notions".[4]
Nous avons pu constater le même
phénomène au cours d’une formation de jeunes enseignants stagiaires de
philosophie, où la même copie a obtenu des notes qui variait entre 6/20 et 15/20 ; quant aux observations qui ont accompagné les
notes, un premier stagiaire a mentionné qu’il s’agit d’un « bon devoir ,
profond et argumenté , le deuxième parle
d’un « devoir moyen en général », et enfin,
pour le troisième, c’est un
« devoir superficiel qui a négligé les aspects de la problématiques »[5] .
Comment faire face à ces
« aléas » ?
Les chercheurs ont proposé plusieurs
mesures pour limiter ces écarts dans la notation de ce type classique
d’épreuves, car il serait prétentieux de pouvoir les enrayer[6], parmi ces mesures, il faudrait :
Ø Elaborer un corrigé et un barème de correction et de
distribution de la note aussi précis que détaillés et les discuter par les
membres du jury avant le démarrage de la correction.
Ø constituer des commissions de correction
équilibrées où siègeraient un correcteur « sévère » et un correcteur
« indulgent ».
Ø Fournir à chaque correcteur ou à chaque commission un feed back sur la
distribution des notes qu’il (ou qu’elle) a accordées avec la courbe des autres
correcteurs ou des autres commissions pour
se situer , l’outil informatique peut rendre de grands services dans ce
domaine)
Que fait on en Tunisie ?
§ Le recours à
la double correction :
Dès l’organisation des premiers examens nationaux , Les autorités pédagogiques tunisiennes étaient
conscientes de l’importance de cette question
et de son impact sur les résultats des élèves , c’est ainsi que
l’article 25 de l’arrêté de 1957 relatif à l’organisation du premier bac
tunisien[8]
avait prévu un mécanisme pour éviter les éventuelles sous évaluations,
en précisant « qu’en ce qui concerne la rédaction arabe ( et dans les
séries transitoires la composition française) de toutes les séries de la
première partie , et la dissertation philosophique de toutes les séries de la
deuxième partie, il est procédé à une deuxième correction si la note donnée par
le premier correcteur est égale ou inférieure à 6/20 ; si la deuxième note
est différente de la première , la note de l’épreuve en est la moyenne. »
Cette mesure d’effectuer une deuxième
correction intéresse la rédaction arabe et française et la dissertation
philosophique, est considérée comme un mécanisme qui tend vers une évaluation plus juste ( objective)
et cherche à réduire les effets des différences entre les correcteurs ;
l’arrêté organisant le baccalauréat de
1963[9] a ajouté l’épreuve d’histoire
géographie à la liste des matière concernée par d’éventuelle double
correction , en 1970[10] la liste fut restreinte à la rédaction
arabe et à la dissertation philosophique lorsque la note attribuée par le
premier correcteur serait inférieure à 5/20.
Il semble que ce mécanisme s’est
avéré insuffisant pour réduire les
écarts entre les correcteurs , ce qui
explique la décision d’instituer la double correction systématique depuis 1981
ou la mise en place de « commissions consultatives de contrôle » pour les matières
spécifiques de chaque section[11] , c'est-à-dire les épreuves de
mathématiques et de sciences physiques pour les sections : «
Mathématiques et sciences » et « Mathématiques technique »
et l’épreuve de littérature et de
civilisation arabe et l’épreuve de philosophie pour la section
« Lettres ». mais dans la pratique la double correction ne fut
appliquée que pour les épreuves de dissertations, pour les autres matières (
les disciplines scientifiques) on s’est limité à recourir aux commissions de
contrôle.
Dès 1992 , les matières concernées par
la double correction sont fixées par arrêté [12] ,il s’agit des épreuves de l’épreuve de
littérature et de civilisation arabe
pour la section « Lettres » et l’épreuve de philosophie pour
toutes les sections, et l’épreuve d’économie pour la section « Economie et
gestion » ,le procédé de contrôle par des commissions fut généralisées à
toutes les autres épreuves quant aux
autres épreuves .
§
Le regroupement des correcteurs : En plus de ces mesures, et dans
un souci d’assurer les meilleures conditions de correction, il fut décidé de
regrouper les correcteurs dans des centres de correction où s’effectue la
correction sous la supervision d’un chef de jury (généralement un inspecteur ou
à défaut un professeur expérimenté) à partir d’un barème et un corrigé unique
conçu par une commission nationale.
§
L’adoption de grille d’évaluation : Quelques spécialités ont décidé , pour
réduire les écarts et rapprocher les évaluations, d’adopter des grilles d’évaluation,
les inspecteurs de philosophie étaient les pionniers dans ce domaine, suivi par
les inspecteurs d’arabe , il s’agit de grilles détaillées qui essayent de fixer
des intervalles de notes pour chaque domaine ou compétence à évaluer , l’expérience
a donné la preuve de l’efficacité de cet outil , d’autre part , les différentes
commissions nationales chargées d’élaborer les corrigés et les barèmes
travaillent de plus en plus dans cette voie , les corrigés qu’on peut consulter
sur le WEB ou dans la presse écrite en sont la preuve.
Toutes ces mesures visent la
rationalisation de l’opération de
correction des copies des candidats, surtout pour les épreuves de dissertation
qui continuent à être au centre d’une polémique quant à l’objectivité, la
fiabilité et l’équité de l’évaluation.
Hédi bouhouch & Mongi Akrout
Tunis , Juin 2015
Articles sur la question
La correction des copies au baccalauréat tunisien - le blog pédagogique
La note de philo : une loterie ? (Lettre au journal Le Monde)
http://www.rencontres-philo.com/billets/billet/25
http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2011/06/16/01016 20110616ARTFIG00727-comment-se-fabriquent-les-notes-du-baccalaureat.php
De l'harmonisation du bac au sens ducollectif - Les Cahiers ...
http://www.cahiers-pedagogiques.com/De-l-harmonisation-du-bac-au-sens-du-collectif
Baccalauréat général - Textes de référence - Harmonisation ...
Le Monde.fr avec AFP | 11.03.2008 à 19h44 •
Mis à jour le 11.03.2008 à 20h01
http://www.lemonde.fr/societe/article/2008/03/11/la-loterie-de-la-notation-au-bac-soulignee-par-une-etude_1021758_3224.html#L33fK0mH7GtA1fM4.99
http://www.lemonde.fr/societe/article/2008/03/11/la-loterie-de-la-notation-au-bac-soulignee-par-une-etude_1021758_3224.html#L33fK0mH7GtA1fM4.99
[1] Pour le chercheur Bruno Suchaut , il
n’existait pas de correcteurs « indulgents » ou «
sévères » , ils ne sont pas constants dans leurs pratiques de notation ,
ils peuvent noter très sévèrement une copie puis généreusement les deux autres
ou inversement » figaro
[2] Voir les études d’ Henri
Poiron , de Maurice Reuchlin , et
de Gilbert De Lansheere sur la question
[3] En savoir plus sur
http://www.lemonde.fr/societe/article/2008/03/11/la-loterie-de-la-notation-au-bac-soulignee-par-une-etude_1021758_3224.html#k3UcGlGSrazE1Y53.99
[4] La
"loterie" de la notation au bac soulignée par une étude de l'Iredu - Le
Monde.fr avec AFP | 11.03.2008 à 19h44 • Mis à jour
le 11.03.2008 à 20h01
[5] Akrout, les variations de l’évaluation
de la production des élèves par les correcteurs , publication du Créfoc de Sfax - 1990
[6]
Un professeur de philosophie « Lassé de lire dans la presse au
mieux des approximations dommageables et au pire des calomnies sur la
correction de l'épreuve de philosophie du bac » a écrit une lettre au journal « le Monde » dans la quelle il reconnait « qu’un écart est inévitable … la seule
façon de le supprimer serait de ne plus proposer des dissertations comme
exercice d’examen » pour justifier
ces écarts , il écrit « la dissertation est un exercice difficile qui
suppose la saisie du problème posé , la compréhension de ses enjeux , la mise en œuvre
d’une réponse grâce à une argumentation, comment évaluer un tel
exercice ? »
[7] L’harmonisation
de la notation est pratiquée en France «
La réunion d'harmonisation complète la réunion d'entente. Elle permet la
comparaison des résultats (des moyennes et des répartitions des notes entre
correcteurs et par sujet...), une nouvelle lecture de telle ou telle copie ou
type de copie, la recherche des causes objectives susceptibles d'expliquer les
écarts de notes importants, la révision éventuelle de certaines notes après
discussion. Elle doit avoir lieu en fin de correction, mais de façon à
permettre encore d'ultimes modifications. »
Harmonisation
de la notation aux épreuves écrites du baccalauréat,
http://eduscol.education.fr/cid46485/textes-de-reference-harmonisation-de-la-notation.html
[8] Arrêté du Ministre de l’éducation nationale en date du
17 avril 1957 relatif à l’organisation du baccalauréat de l’enseignement secondaire,
jort n° 32 du 19 avril 1957 .
[9] Arrêté du secrétaire d’état à l’éducation nationale du 1 avril 1963 relatif à l’examen du
baccalauréat de l’enseignement secondaire.
jort n° 16 du 2 avril 1963 .( article 12)
[10] Arrêté du ministre
de l’éducation, de la jeunesse et du
sport du 14 avril 1970 modifiant l’arrêté du secrétaire d’état à l’éducation
nationale du 1 avril 1963 relatif à
l’examen du baccalauréat de l’enseignement secondaire.( article 12 nouveau)
[11] L’article 13 Arrêté du
ministre de l’éducation nationale
du 16 avril 1981 relatif à l’examen du baccalauréat de l’enseignement
secondaire, (jort n°28 du 24 avril 1981) a précisé la manière de trancher les
cas où un écart excessif est constaté entre les deux correcteurs
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