Le blog
pédagogique avait déjà publié les contributions de plusieurs collègues (M.M
Brahim Ben Salah, Amor Bennour, Ali Rahmouni, Nasreddine Dridi, Abdelaziz
Jerbi), qui ont enrichi le blog par leurs points de vue et leurs analyses
pertinentes.
Cette semaine, le bloc pédagogique ouvre ses pages à la plume d’un
collègue qui jouit d’un estime et d’un grand respect parmi le corps des
inspecteurs et la famille éducative ; il s’agit de M. Omrane Boukhari,
Inspecteur général et Directeur général des programmes et de la formation
continue, durant plus de deux décennies, au cours desquelles
le système éducatif tunisien a vu le lancement de plusieurs chantiers et
beaucoup de nouveautés, au niveau des programmes et des approches pédagogiques ;
il s’est ouvert aussi largement sur les
systèmes éducatifs les plus avancés au monde. Monsieur Boukhari a accompagné
toutes les gestations avec beaucoup de professionnalisme et une grande
patience.
M. Boukhari a choisi de traiter d’un
sujet très à la mode, mais controversé ; c’est la question de la
gouvernance. Après une brève introduction consacrée à la définition du concept,
l’auteur a montré que ce concept était absent du système éducatif tunisien qui
était marqué, depuis la réforme de 1958, par un centralisme excessif que la
conjoncture avait imposé ; mais, cette politique, malgré les grandes
réalisations, avait desservi le système.
M. Omrane estime que la réforme de 1991,
et surtout celle de 2002, « avait opéré une avancée importante en matière de
gouvernance, à travers les questions de la décentralisation, de l’autonomie et
de la participation ; » mais « Les promesses de changement dans
le mode de gouvernance du système éducatif tunisien ont connu un naufrage
désolant dû à quelques facteurs » ; cela n’a pas empêché l’auteur de
conclure sur une note « d’optimisme conditionné », en disant que
« le nouveau cadre, ( né de la révolution ), doit , en théorie, profiter à
notre école pour lui donner des ailes à condition de se dépouiller de ces tares
ancestrales, que sont le corporatisme, le laxisme et le non
professionnalisme. »
Nous félicitons Si Omrane pour sa contribution et nous espérons
qu’elle sera suivie par d’autres.
Hédi Bouhouch & Mongi Akrout
La gouvernance des systèmes éducatifs
A quoi
renvoie la notion de gouvernance ?
Au-delà de la connotation idéologique que l’on peut lui
attribuer (idéologie de désengagement de l’État – providence), ou encore de la
prolifération des catégories conceptuelles susceptibles de la galvauder :
gouvernance politique, publique, privée, locale, urbaine, territoriale,
gouvernance de l’entreprise, de la famille, gouvernance stratégique …la bonne
gouvernance conserve indéniablement un noyau dur irréductible. Elle peut être
recnnaissable parmi plusieurs concepts plus ou moins proches (gouvernement,
gestion, transparence, performance, partenariat, démocratisation…), de par
certaines de ses caractéristiques intrinsèques : accès à l’information, lutte
contre la corruption, responsabilisation, gestion efficace des ressources,
culture professionnelle ...
La gouvernance est une notion controversée, définie de
manière parfois contradictoire. Cependant, malgré la multiplicité des usages du
mot, il semble recouvrir des thèmes proches du « bien gouverner ».
Chez la plupart de ceux qui, dans le secteur public ou privé,
emploient ce mot, il désigne avant tout un mouvement de « décentrement »
de la réflexion, de la prise de décision, et de l'évaluation, avec une
multiplication des lieux et acteurs impliqués dans la décision ou la
construction d'un projet.
Il renvoie à la mise en place de nouveaux modes de pilotage ou
de régulation plus souples, fondés sur un partenariat ouvert et éclairé entre
différents acteurs et parties prenantes, tant aux échelles locales que
globales.
Wikipédia (article Gouvernance)
Gouvernance
du système éducatif tunisien : cadrage politique
Au lendemain de l’indépendance, la priorité des priorités était
de mettre en place les structures d’un Etat moderne et fort en mesure d’enrayer
les velléités de divergence oh combien nombreuses, d’une part, et d’assurer un développement
socio-économique du pays dans le cadre de « l’unité nationale », d’autre part.
Le mode de développement politique qui correspondait à cette
exigence dictait la mise en place d’institutions et de structures plutôt
uniques fonctionnant sur le mode mono (parti unique, organisations nationales
uniques et fonctionnant dans le giron de ce parti, institutions de
représentation monocolores…)
Quant au développement socioéconomique il incombait
essentiellement aux entreprises étatiques chargées de mettre en œuvre une
politique conçue dans le cadre de plans de développement décidés selon une
démarche très peu participative.
Le système éducatif mis en place à la faveur de la loi de
novembre 1958 ne pouvait échapper à cette règle, il a même été mis à contribution
pour assoir une société homogène privilégiant l’uniformité en tout.
Ce cadre politique global exerçait une influence directe sur la
stratégie, la gouvernance du système éducatif et son mode de fonctionnement
désormais centralisé à l’extrême et autorégulé.
Gouvernance du système éducatif tunisien : état des lieux
Durant plusieurs décennies le système éducatif dans sa globalité est soumis aux ordres d’un centre
qui accapare les fonctions de
conception, de mise en œuvre, de pilotage, d’évaluation et le cas échéant
de régulation, fournit les intrants et
fixe le cap ;
Ce mode de fonctionnement concerne à la fois le volet
pédagogique et le volet de la gestion des ressources humaines et matérielles.
Sur le plan pédagogique, les mêmes programmes, les mêmes manuels scolaires, le même
système d’évaluation, les mêmes organisations pédagogiques des apprentissages
sont préconisés, nonobstant les environnements et les rythmes d’apprentissage
différents. La conformité est cultivée
et les moindres écarts sont sanctionnés.
La gestion des ressources humaines et
matérielles obéit aux mêmes règles
rigoureuses :
Centralisation du
recrutement, de la promotion et de la mobilité des différents personnels,
Uniformité du
choix et de l’achat du mobilier de base, de la définition et de l’acquisition des équipements didactiques
Petit à petit, le système éducatif tunisien s’est mis à tourner
en vase clos, agissant théoriquement au profit de la collectivité, mais
fonctionnant en réalité pour lui-même et cela en l’absence de vrai vis-à-vis
social représentant ses usagers (parents – élèves – communautés locales).La
notion de redevabilité était étrangère à l’école et à tous ses acteurs.
·
Fin de la période de grâce !
Au milieu des années 70, au moins 3 éléments viennent remettre
en cause le mode de gouvernance du système éducatif tunisien :
1.
Les
contres performances de notre école en termes de qualité de la formation
dispensée (apparition du chômage des diplômés de l’enseignement secondaire
général et technique),
2.
Le
taux de déperdition scolaire croissant,
3.
Le
coût de plus en plus élevé de l’éducation par rapport au PIB du pays.
Tentatives de remédiation
La réforme de 1991 semblait
vouloir initier de vrais changements dont le plus important reste la lutte
contre l’échec scolaire par l’institution d’un enseignement de base obligatoire
de 9 ans.
Vu le contexte politique très particulier dans lequel s’est
déroulé cette réforme, les pouvoirs publics ont privilégié la formation du
citoyen plus que le fonctionnement du système. C’est pour cela que la question
de la gouvernance était quasi absente de cette réforme.
La réforme de 2002
s’inscrivait dans la continuité de celle de 1991 au niveau des principes et des
finalités, tout en visant une articulation plus nette entre l’école et la
société,
Cette réforme opère une avancée importante en matière de
gouvernance à travers les questions de la décentralisation, de l’autonomie et
de la participation. De nouveaux mécanismes ayant pour vocation de mettre en
place une nouvelle culture de responsabilisation, de participation
et même de reddition sont prévus. Il s’agit du :
Conseil pédagogique des enseignants dédié à la gestion de l’organisation des apprentissages, les
rythmes scolaires ainsi que l’évaluation continue permettant de prendre des
initiatives collégiales visant à adapter certaines dispositions et mesures à la
réalité de l’établissement.
Conseil de l’établissement censé concevoir, mettre en œuvre, suivre et évaluer un Projet
de l’établissement visant d’une part l’implication de tous les acteurs de
l’école et d’autre part l’amélioration de la qualité des services éducatifs.
Les projets des établissements appartenant à une même direction
régionale sont agrégés dans le cadre d’un projet fédérateur appelé Projet de
la région qui est une déclinaison des choix et programmes nationaux
permettant ainsi une gestion de proximité et plus soucieuse des spécificités locales
et régionales.
En outre, le décret relatif à la vie scolaire introduit plusieurs
mesures dont la vertu est de responsabiliser les différentes parties en
présence et d’assouplir le fonctionnement des établissements, de sorte que ce
partage des attributions et des territoires rende légitime de demander des
comptes à rendre.
Cependant…
Les promesses de changement dans le mode de gouvernance du
système éducatif tunisien ont connu un naufrage désolant dû à quelques facteurs
dont :
1.
L’absence
de culture de l’évaluation-reddition dans
tous les domaines,
2.
Le
laxisme qui sévissait un peu partout, généré
par l’impunité, corollaire de l’hyper centralisme. Réduits à de simples
exécutants de choix, de politiques et de programmes conçus à Bab Benet, les
divers responsables éducatifs sont, de fait, dédouanés de toute responsabilité
des résultats de l’école,
3.
Le corporatisme rampant des divers
personnels de l’éducation est derrière le refus catégorique de toutes les
formes d’innovation et des initiatives visant à déscléroser l’Ecole.
L’espoir est- il permis ?
Les rafales qui soufflent sur notre pays depuis plus de 4 ans
offrent de nouvelles opportunités, un nouveau cadre de développement des
institutions politiques, économiques, sociales et culturelles.
Ce nouveau cadre doit, en
théorie, profiter à notre école pour lui donner des ailes à condition de se
dépouiller de ces tares ancestrales que sont le corporatisme, le laxisme et le
non professionnalisme.
Le Smig serait de remettre à l’ordre du jour les mesures
préconisées par la loi d’orientation relative à l’éducation et l’enseignement
scolaire de 2002 et citées précédemment. Peut-être que le nouveau contexte
politique est plus favorable à la mise en œuvre de ces innovations.
La nouvelle Constitution prévoit dans son Chapitre VII relatif
au Pouvoir Local, des dispositions qui, une fois mises en œuvre,
accordent aux structures régionales et locales une grande marge d’initiatives
jamais envisagée auparavant. Décentralisation, Responsabilisation, Gestion collégiale,
Élection des responsables, Autonomie administrative et financière…
Quel serait l’impact de cette nouvelle approche de la gestion
des affaires publiques sur le secteur de l’Education ?
Omrane Boukhari,
Inspecteur général de l’éducation et ancien directeur général des programmes et
de la formation continue
Traduction Hédi bouhouch
& Mongi Akrout , révisée et validée par l’auteur
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