lundi 19 octobre 2015

La gouvernance du système éducatif tunisien


 Le blog pédagogique avait déjà publié les contributions de plusieurs collègues (M.M Brahim Ben Salah, Amor Bennour, Ali Rahmouni, Nasreddine Dridi, Abdelaziz Jerbi), qui ont enrichi le blog par leurs points de vue et leurs analyses pertinentes.
Cette semaine, le bloc  pédagogique ouvre ses pages à la plume d’un collègue qui jouit d’un estime et d’un grand respect parmi le corps des inspecteurs et la famille éducative ; il s’agit de M. Omrane Boukhari, Inspecteur général et Directeur général des programmes et de la formation continue,  durant  plus de deux décennies, au cours desquelles le système éducatif tunisien a vu le lancement de plusieurs chantiers et beaucoup de nouveautés, au niveau des programmes et des approches pédagogiques ; il s’est ouvert aussi  largement sur les systèmes éducatifs les plus avancés au monde. Monsieur Boukhari a accompagné toutes les gestations avec beaucoup de professionnalisme et une grande patience.


M. Boukhari a choisi de traiter d’un sujet très à la mode, mais controversé ; c’est la question de la gouvernance. Après une brève introduction consacrée à la définition du concept, l’auteur a montré que ce concept était absent du système éducatif tunisien qui était marqué, depuis la réforme de 1958, par un centralisme excessif que la conjoncture avait imposé ; mais, cette politique, malgré les grandes réalisations, avait  desservi le système.
M. Omrane estime que la réforme de 1991, et surtout celle de 2002, « avait  opéré une avancée importante en matière de gouvernance, à travers les questions de la décentralisation, de l’autonomie et de la participation ; » mais « Les promesses de changement dans le mode de gouvernance du système éducatif tunisien ont connu un naufrage désolant dû à quelques facteurs » ; cela n’a pas empêché l’auteur de conclure sur une note « d’optimisme conditionné », en disant que « le nouveau cadre, ( né de la révolution ), doit , en théorie, profiter à notre école pour lui donner des ailes à condition de se dépouiller de ces tares ancestrales, que sont le corporatisme, le laxisme et le non professionnalisme. »  
Nous félicitons Si Omrane pour sa contribution et nous espérons qu’elle sera suivie par d’autres.

Hédi Bouhouch & Mongi Akrout

La gouvernance des systèmes éducatifs

A quoi renvoie la notion de gouvernance ?

Au-delà de la connotation idéologique que l’on peut lui attribuer (idéologie de désengagement de l’État – providence), ou encore de la prolifération des catégories conceptuelles susceptibles de la galvauder : gouvernance politique, publique, privée, locale, urbaine, territoriale, gouvernance de l’entreprise, de la famille, gouvernance stratégique …la bonne gouvernance conserve indéniablement un noyau dur irréductible. Elle peut être recnnaissable parmi plusieurs concepts plus ou moins proches (gouvernement, gestion, transparence, performance, partenariat, démocratisation…), de par certaines de ses caractéristiques intrinsèques : accès à l’information, lutte contre la corruption, responsabilisation, gestion efficace des ressources, culture professionnelle ...

La gouvernance est une notion controversée, définie de manière parfois contradictoire. Cependant, malgré la multiplicité des usages du mot, il semble recouvrir des thèmes proches du « bien gouverner ».
Chez la plupart de ceux qui, dans le secteur public ou privé, emploient ce mot, il désigne avant tout un mouvement de « décentrement » de la réflexion, de la prise de décision, et de l'évaluation, avec une multiplication des lieux et acteurs impliqués dans la décision ou la construction d'un projet.
Il renvoie à la mise en place de nouveaux modes de pilotage ou de régulation plus souples, fondés sur un partenariat ouvert et éclairé entre différents acteurs et parties prenantes, tant aux échelles locales que globales.
                                                Wikipédia (article Gouvernance)
Gouvernance du système éducatif tunisien : cadrage politique
Au lendemain de l’indépendance, la priorité des priorités était de mettre en place les structures d’un Etat moderne et fort en mesure d’enrayer les velléités de divergence oh combien nombreuses, d’une part, et d’assurer un développement socio-économique du pays dans le cadre de « l’unité nationale », d’autre part.
Le mode de développement politique qui correspondait à cette exigence dictait la mise en place d’institutions et de structures plutôt uniques fonctionnant sur le mode mono (parti unique, organisations nationales uniques et fonctionnant dans le giron de ce parti, institutions de représentation monocolores…)
Quant au développement socioéconomique il incombait essentiellement aux entreprises étatiques chargées de mettre en œuvre une politique conçue dans le cadre de plans de développement décidés selon une démarche très peu participative.
Le système éducatif mis en place à la faveur de la loi de novembre 1958 ne pouvait échapper à cette règle, il a même été mis à contribution pour assoir une société homogène privilégiant l’uniformité en tout.
Ce cadre politique global exerçait une influence directe sur la stratégie, la gouvernance du système éducatif et son mode de fonctionnement désormais centralisé à l’extrême et autorégulé.
Gouvernance du système éducatif tunisien : état des lieux
Durant plusieurs décennies le système éducatif  dans sa globalité est soumis aux ordres  d’un centre  qui accapare  les fonctions de conception, de mise en œuvre, de pilotage, d’évaluation et le cas échéant de  régulation, fournit les intrants et fixe le cap ;

Ce mode de fonctionnement concerne à la fois le volet pédagogique et le volet de la gestion des ressources humaines et matérielles.
  Sur le plan pédagogique, les mêmes programmes, les mêmes manuels scolaires, le même système d’évaluation, les mêmes organisations pédagogiques des apprentissages sont préconisés, nonobstant les environnements et les rythmes d’apprentissage différents.  La conformité est cultivée et les moindres écarts sont sanctionnés.
  La gestion des ressources humaines et matérielles obéit aux mêmes règles rigoureuses :
  Centralisation du recrutement, de la promotion et de la mobilité des différents personnels,
   Uniformité du choix et de l’achat du mobilier de base, de la définition et de   l’acquisition des équipements didactiques
Petit à petit, le système éducatif tunisien s’est mis à tourner en vase clos, agissant théoriquement au profit de la collectivité, mais fonctionnant en réalité pour lui-même et cela en l’absence de vrai vis-à-vis social représentant ses usagers (parents – élèves – communautés locales).La notion de redevabilité était étrangère à l’école et à tous ses acteurs.
·        
Fin de la période de grâce !
Au milieu des années 70, au moins 3 éléments viennent remettre en cause le mode de gouvernance du système éducatif tunisien :
1.    Les contres performances de notre école en termes de qualité de la formation dispensée (apparition du chômage des diplômés de l’enseignement secondaire général et technique),
2.    Le taux de déperdition scolaire croissant,
3.    Le coût de plus en plus élevé de l’éducation par rapport au PIB du pays.
Tentatives de remédiation
La réforme de 1991 semblait vouloir initier de vrais changements dont le plus important reste la lutte contre l’échec scolaire par l’institution d’un enseignement de base obligatoire de 9 ans.
Vu le contexte politique très particulier dans lequel s’est déroulé cette réforme, les pouvoirs publics ont privilégié la formation du citoyen plus que le fonctionnement du système. C’est pour cela que la question de la gouvernance était quasi absente de cette réforme.
La réforme de 2002 s’inscrivait dans la continuité de celle de 1991 au niveau des principes et des finalités, tout en visant une articulation plus nette entre l’école et la société,
Cette réforme opère une avancée importante en matière de gouvernance à travers les questions de la décentralisation, de l’autonomie et de la participation. De nouveaux mécanismes ayant pour vocation de mettre en place une nouvelle culture de responsabilisation, de  participation  et même de reddition sont prévus. Il s’agit du :
  Conseil pédagogique des enseignants dédié à la gestion de l’organisation des apprentissages, les rythmes scolaires ainsi que l’évaluation continue permettant de prendre des initiatives collégiales visant à adapter certaines dispositions et mesures à la réalité de l’établissement.
  Conseil de l’établissement censé concevoir, mettre en œuvre, suivre et évaluer un Projet de l’établissement visant d’une part l’implication de tous les acteurs de l’école et d’autre part l’amélioration de la qualité des services éducatifs.
  Les projets des établissements appartenant à une même direction régionale sont agrégés dans le cadre d’un projet fédérateur appelé Projet de la région qui est une déclinaison des choix et programmes nationaux permettant ainsi une gestion de proximité et plus soucieuse des spécificités locales et régionales.
  En outre, le décret relatif à la vie scolaire introduit plusieurs mesures dont la vertu est de responsabiliser les différentes parties en présence et d’assouplir le fonctionnement des établissements, de sorte que ce partage des attributions et des territoires rende légitime de demander des comptes à rendre. 
Cependant
Les promesses de changement dans le mode de gouvernance du système éducatif tunisien ont connu un naufrage désolant dû à quelques facteurs dont :
1.    L’absence de culture de l’évaluation-reddition dans tous les domaines,
2.    Le laxisme qui sévissait un peu partout, généré par l’impunité, corollaire de l’hyper centralisme. Réduits à de simples exécutants de choix, de politiques et de programmes conçus à Bab Benet, les divers responsables éducatifs sont, de fait, dédouanés de toute responsabilité des résultats de l’école,
3.     Le corporatisme rampant des divers personnels de l’éducation est derrière le refus catégorique de toutes les formes d’innovation et des initiatives visant à déscléroser l’Ecole. 
L’espoir est- il permis ?
Les rafales qui soufflent sur notre pays depuis plus de 4 ans offrent de nouvelles opportunités, un nouveau cadre de développement des institutions politiques, économiques, sociales et culturelles.
 Ce nouveau cadre doit, en théorie, profiter à notre école pour lui donner des ailes à condition de se dépouiller de ces tares ancestrales que sont le corporatisme, le laxisme et le non professionnalisme.
Le Smig serait de remettre à l’ordre du jour les mesures préconisées par la loi d’orientation relative à l’éducation et l’enseignement scolaire de 2002 et citées précédemment. Peut-être que le nouveau contexte politique est plus favorable à la mise en œuvre de ces innovations.
La nouvelle Constitution prévoit dans son Chapitre VII relatif au Pouvoir Local, des dispositions qui, une fois mises en œuvre, accordent aux structures régionales et locales une grande marge d’initiatives jamais envisagée auparavant. Décentralisation, Responsabilisation, Gestion collégiale, Élection des responsables, Autonomie administrative et financière…
Quel serait l’impact de cette nouvelle approche de la gestion des affaires publiques sur le secteur de l’Education ?

Omrane Boukhari, Inspecteur général de l’éducation et ancien directeur général des programmes et de la formation continue

Traduction Hédi bouhouch & Mongi Akrout , révisée et validée par l’auteur





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire