Le blog pédagogique publie cette semaine un article du
professeur Radhi Mhiri où il traite la problématique des rapports entre les
différentes voies de la formation des ressources humaines dans notre pays, à savoir l’enseignement scolaire,
la formation professionnelle et l’enseignement supérieur et la place de la
technologie dans tout cela .
cet article est paru au mois 2016 dans le journal
électronique Leaders , et vu l’importance des idées et des thèses présentées
par l’auteur , nous avons obtenu
l’accord de son auteur pour le publier , qu’il en soit remercié vivement
Radhi Mhiri
est Professeur à la faculté des sciences de Tunis et conseiller-expert pour des
projets en innovation technopédagogique à l’École de technologie supérieure de
Montréal et d’autres institutions canadiennes. Il a une large expérience de
formation et d’enseignement en Tunisie, en Allemagne, au Koweït et au Canada.
Il a été responsable et initiateur de divers projets innovateurs à l’ENSET,
ISET Radès, UVT, CENAFFIF, ESTI, ESPRIT, Commission de veille pour
l’enseignement technologique…Il a dirigé et réalisé plusieurs projets de
recherche appliquée au niveau universitaire et industrielle.
Un appel juste pour reconsidérer le rapport entretenu
jusqu'ici entre les voies de l'enseignement scolaire, de la formation
professionnelle et de l'enseignement supérieur, et ce en accordant à
l'enseignement technologique la place qui lui revient dans un environnement
très mouvant des métiers et avec une jeunesse native dans les nouvelles
technologies. Cet appel d'un fin connaisseur et d'un acteur de plusieurs
réformes en la matière, reprend quelques moments décisifs de l'histoire des
institutions et de certaines personnes qui ont été plus que des initiateurs.
J'aurais aimé voir Si Radhi Mhiri proposer des modalités et des mesures
pratiques qui aideraient nos décideurs à se retrouver dans ce dossier
extrêmement complexe. Merci infiniment cher Radhi.
Omrane BOUKHARI . Inspecteur général de l’éducation et
ancien Directeur général des programmes et de la formation continue au Ministère de l’éducation
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Cinq ans après des évènements du 14
janvier 2011, après la succession de tous les modèles de gouvernements et
leurs diverses approches économiques, politiques, sociales… et toutes leurs
promesses décevantes … il est légitime de s’inquiéter et se demander où
en sommes-nous d’une véritable révolution ?? L’inquiétude va plus loin quand on
regarde le déchirement et la division que vit le monde arabe.
En Tunisie, on n’a pas
beaucoup manqué à la règle de la division. Si elle n’a pas donné beaucoup de
résultats en jouant sur le régionalisme l’intensité religieuse et les
disparités régionales, elle s’est imposée sans équivoque dans l’échiquier
politique. Toutes les composantes politiques sont traversées par cette sacrée
division! Explorer les arbres généalogiques de tous les partis et
vous allez tout comprendre. Cette caractéristique se retrouve même dans la
structure du pouvoir à travers la répartition des ministères, leurs compétences
et leurs fonctionnements.
L’exemple le plus
frappant est celui des ministères en charge de l’éducation et de la formation
des jeunes. Alors qu’aujourd’hui, toute l’attention devrait être orientée vers
la préparation des jeunes à leurs vies d’adultes, on continue à fonctionner
avec des structures de gestion totalement séparées entre éducation,
enseignement supérieur et formation professionnelle. Dans tous les
gouvernements successifs, et à chaque fois qu’on parlait de gouvernement
réduit, on s’attendait à voir la fusion de ces ministères… mais jamais, on n’a
osé le faire. La seule fusion s’est faite dans le gouvernement de « Jomaa »
entre enseignement supérieur et TIC et je n’ai jamais compris la pertinence de
ce regroupement.
Aujourd’hui, quand on
pense aux réformes, il est insensé de continuer à élaborer une stratégie de
réforme sans qu’il y ait une vision globale sur ces trois composantes qui
joueront un rôle principal pour la préparation de l’avenir de la Tunisie. Les
analystes portent la responsabilité de la crise tunisienne sur différents
facteurs économiques, sociaux et autres …mais je continue à croire que
l‘origine de toute notre crise est issue de notre système de formation décousu
et centré beaucoup plus sur la satisfaction des responsables que sur les
besoins des jeunes et la pertinence de leur formation! Cette décomposition qui
est le fruit des années 90, n’a jamais pu être rattrapée… d’ailleurs, la
tentative de regroupement éducation et formation professionnelle s’est vouée à
l’échec dans les années 2000.
Aujourd’hui, il faut
saluer ce mouvement de rénovation des locaux des écoles et cette dynamique
de la réforme des programmes…, mais la réforme doit voir plus large et
repositionner l’ensemble des acteurs intervenant dans la formation des jeunes.
On devrait surtout commencer par se poser quelques questions
fondamentales pour amorcer une rénovation sérieuse et efficace.
Notre système de
formation a connu, au fil des années, plusieurs réformes et restructurations
entre primaire, secondaire et collégial …. Mais de toutes ces transformations,
le nombre total des années d’études est resté 13 ans. Certain y voit
probablement un chiffre porte-bonheur, d’autre y voit une superstition … mais
ce qui est certain, c’est un chiffre symbole de gaspillage dans notre contexte!
Quand on voit le tableau
comparatif ci-dessous,
on voit que la majorité des pays accomplissent les années de scolarité au
maximum en 12 ans! Pour ceux qui ont une 13ème année, elle correspondrait déjà
à une formation qualifiante ou pré-universitaire.
On a toute une année
de plus sur la plupart des pays répertoriés sur ce graphique. Les questions qui
se posent : est- ce que nos élèves seront, à la fin de leur scolarité plus
compétents ? ou bien ils sont à la base moins intelligents et nécessitent
plus de temps pour se préparer pour la suite de leurs chemins? Je n’oserais
même pas poser la question est ce que nos enseignants ont réellement besoin de
ce surplus de temps?
La réponse, on
pourrait la trouver en analysant le paradigme sur lequel fonctionne notre
école : C’est toujours une suite de chapitres et de volume horaire qu’il
faut absolument faire passer aux élèves et qui fait toujours la discorde entre
les participants aux commissions des réformes … Lequel des participants aura la
voix la plus autoritaire pour s’accaparer le plus de temps pour la
spécialité qu’il enseigne! Ailleurs, on place l’élève au centre de toutes les
préoccupations et on raisonne en termes d’intégration et de compétences pour
développer une pensée critique, une imagination audacieuse, une compréhension
empathique des expériences humaines dans toute leur diversité. On veille à
donner au jeune les outils scientifiques et technologiques de base pour qu’il
puisse aller plus loin dans le chemin qu’il aura choisi.
Peut-on commencer la révolution?
Si aujourd’hui le
débat tourne autour du modèle économique du pays, des conditions sécuritaires
et de l’urgence de relancer la croissance… il faut reconnaitre que dans le
futur rien ne pourra changer sans qu’il y ait un changement véritable au niveau
du système de formation… les ratés de ce système ont créé le désespoir, le
chômage et ont produit la délinquance, la violence et ont favorisé le
terrorisme. La question est comment commencer une véritable révolution pour
faire de l’éducation et l’enseignement une arme de construction massive, pour
faire renaitre l’espoir et préparer une jeunesse qui trouve pleinement sa place
dans la société et dans le processus économique.
Le défi est comment
optimiser le temps et les moyens pour assurer un dosage équilibré entre
L'enseignement des humanités, des sciences et des technologies particulièrement
pour immuniser nos jeunes des différentes dérives de délinquances et
d’extrémisme, pour favoriser le développement de l’esprit d’analyse et de
critique, et leur ouvrir les différents parcours de formation selon
les aptitudes et le choix de chacun.
Technologie et pédagogie
La place de la
technologie retiendra une grande importance et nécessitera beaucoup de
clarifications et mises au point. La technologie s’apparente pour
plusieurs à la mécanique, l’électronique et autre spécialité du génie….
Aujourd’hui, le terme a tendance à être réservé à la sphère de l’informatique,
l’internet et les TIC. On a surement grand besoin de rectifier
cette confusion et de voir que La technologie est l'utilisation des
connaissances rationnelles, qu'elles soient scientifiques ou techniques, pour
satisfaire des besoins, des désirs, voire des fantasmes, par la création, la
diffusion et la gestion industrielle de biens et de services, comme le suggère
Bernard DECOMPS. De là, on comprendra la dimension intégrative de la
technologie et la nécessité de l’inclure comme composante principale de la
formation de tous les jeunes du 21ème siècle. On comprendra aussi que
l’enseignement technologique est la composante incontournable pour ouvrir
les horizons des métiers pour les jeunes et faire renaitre les espoirs et les
ambitions.
L’enseignement
technologique se trouve à la croisée des chemins entre le lycée, les centres de
formations professionnelles et différentes formations universitaires. Il est
souvent perçu comme l’héritier des formations des lycées techniques
exterminés pendant les années 90. Le grand investissement fait au niveau
de la formation professionnelle à cette époque, a laissé croire que la filière
va être fortement attractive pour les jeunes et que les centres vont
pouvoir répondre à la massification pour préparer les jeunes à l’emploi. La
tentative de réintroduire une formation technologique au niveau des lycées dans
les années 2000 a été avortée, car la technologie est vite devenue la chasse
gardée de la formation professionnelle et de la direction des ISET à l’époque.
Le résultat est sans équivoque … les jeunes qu’on aurait dû sensibiliser à la
technologie, les rapprocher des différents métiers et leur ouvrir les horizons
pour une vie professionnelle ambitieuse, ces jeunes ont décroché d’une école
qui n’a pas su les intéresser et ils ont alimenté le soulèvement du 14 janvier,
puis certains d’entre eux ont rempli les embarcations de la mort vers l’Europe
et d’autres ont été des proies faciles pour l’intégrisme puis le
terrorisme!
La démarche d’une
réforme se basera sur les réajustements des structures et des paradigmes mais
passera nécessairement par la reconsidération de la place et de la fonction de
l’enseignant.
Il y a urgence à
réhabiliter la profession d’enseignant qui est appelée à vivre un changement
radical. L’enseignant n’aura plus sa place comme uniquement détenteur de
savoir, mais comme un professionnel de l’apprentissage possédant les
connaissances disciplinaires et les compétences technopédagogiques pour
accompagner les étudiants et assurer leurs formations et leurs réussites. Il
est appelé à jouer pleinement son rôle de modèle de référence, défendeur des
valeurs et respectueux de l’éthique.
L’école publique est
appelée à redevenir le générateur de l’espoir en se plaçant en mode
sauvetage et veille continue pour restructurer ses filières et redéfinir sa
politique à l’égard des approches pédagogiques et l’intégration des TIC avec
des choix éclairés et sans tomber sous la séduction des diverses
publicités et propagandes des solutions et des outils miraculeux !
Il était une fois l’ENSET
Notre système a hérité
d’une bavure historique inexplicable qui remonte à la traduction du titre
de maitrise, devenu en arabe synonyme de titre de professeur أستاذية. Je n’ai
jamais compris dans quel dictionnaire et avec quelle logique on a adopté cette
traduction?! Cela a fait que n’importe quel maitrisard se considère comme
prétendant légitime à un poste d’enseignant et du coup cela a fait marginaliser
la profession et dégradé la qualité de l’enseignement. Les choses se sont
aggravées encore avec l’élimination des écoles normales dans leurs rôles de
former des enseignants pour les lycées.
Ceci me fait revenir
au cas de l’ENSET (école normale de l’enseignement technique), abattue aussi à
la suite de l’élimination des lycées techniques. Il s’agit d’une institution
historique qui s’est distinguée par sa genèse et son rôle principal de
formation des enseignants pour alimenter les lycées techniques, puis les
institutions universitaires, par des compétences formées pédagogiquement et
techniquement pour préparer toute une génération aussi bien pour l’emploi
direct, que pour des études en génie. Mais cette institution s’est distinguée
aussi par ses innovations pédagogiques et son initiation à la recherche
technologique. Dans les années 80, on parlait déjà de l’enseignement assisté
par ordinateur et on s’aventurait dans la recherche appliquée. Le toit de
ses bâtiments témoignerait des expérimentations et exploits enregistrées pour
le contrôle de l’énergie solaire et le prototypage de machine innovante dans
ses ateliers. Le modèle de l’ENSET témoigne aussi des prouesses que peuvent
réaliser des responsables patriotiques qui ont servi avec plein de dévouement
et d’engagement l’enseignement et la recherche.
C’est l’occasion de rendre
hommage aux professeurs Mohamed Annabi et Mekki Ksouri qui ont piloté
l’aventure de cette institution avec des moyens très réduits mais avec beaucoup
de courage et le soutien de plusieurs autres enseignants parmi lesquels
je citerais Ahmed Borgi pour sa créativité pédagogique et sa passion pour les
sciences. L’histoire de l’ENSET ne peut aussi oublier une icône hors pair qui a
géré l’administration avec une main de fer dans gant de velours, feu Noureddine
Ben Ammar qui a marqué les esprits des étudiants et des enseignants par sa
rigueur et son discours éloquent et percutant. À lui seule, il représenterait
aujourd’hui une véritable école pour la gestion des ressources humaines. On a
le devoir de rendre hommage à des gens de cette trempe qui représentent des
modèles de références pour les nouvelles générations mais qui se font oubliés
en raison de leur modestie et leur humilité lors des cérémonies de décorations
et de gratification.
L’idée aujourd’hui
n’est pas de faire revivre des institutions ou recréer les lycées techniques,
mais de reconsidérer le développement de l’enseignement technologique
dans un environnement scolaire et de reconsidérer la dimension
pédagogique et technopédagogique dans la formation et l’exercice des
enseignants qui doivent être les acteurs de la réforme à tous les niveaux, de
la maternelle à l’université et qui auront à faire à une génération
surinformée, elle n’est pas née avec internet, mais dans internet; une génération
qui apprend des choses à ses parents; elle ne demande pas à ses pères mais à
ses pairs.
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