lundi 17 octobre 2016

Éducation et formation : les armes de construction massive en Tunisie




Le blog pédagogique publie cette semaine un article du professeur Radhi Mhiri où il traite la problématique des rapports entre les différentes voies de la formation des ressources humaines dans  notre pays, à savoir l’enseignement scolaire, la formation professionnelle et l’enseignement supérieur et la place de la technologie dans tout cela .

 cet article est paru au mois 2016 dans le journal électronique Leaders , et vu l’importance des idées et des thèses présentées par l’auteur , nous avons obtenu  l’accord de son auteur pour le publier , qu’il en soit remercié vivement


Radhi Mhiri est Professeur à la faculté des sciences de Tunis et conseiller-expert pour des projets en innovation technopédagogique à l’École de technologie supérieure de Montréal et d’autres institutions canadiennes. Il a une large expérience de formation et d’enseignement en Tunisie, en Allemagne, au Koweït et au Canada. Il a été responsable et initiateur de divers projets innovateurs à l’ENSET, ISET Radès, UVT, CENAFFIF, ESTI, ESPRIT, Commission de veille pour l’enseignement technologique…Il a dirigé et réalisé plusieurs projets de recherche appliquée au niveau universitaire et industrielle. 


Un appel juste pour reconsidérer le rapport entretenu jusqu'ici entre les voies de l'enseignement scolaire, de la formation professionnelle et de l'enseignement supérieur, et ce en accordant à l'enseignement technologique la place qui lui revient dans un environnement très mouvant des métiers et avec une jeunesse native dans les nouvelles technologies. Cet appel d'un fin connaisseur et d'un acteur de plusieurs réformes en la matière, reprend quelques moments décisifs de l'histoire des institutions et de certaines personnes qui ont été plus que des initiateurs. J'aurais aimé voir Si Radhi Mhiri proposer des modalités et des mesures pratiques qui aideraient nos décideurs à se retrouver dans ce dossier extrêmement complexe. Merci infiniment cher Radhi.

Omrane BOUKHARI . Inspecteur général de l’éducation et ancien Directeur général des programmes et de la formation continue  au Ministère de l’éducation

Cinq ans après des évènements du 14 janvier 2011, après la succession  de tous les modèles de gouvernements et leurs diverses approches économiques, politiques, sociales… et toutes leurs promesses décevantes … il est légitime de s’inquiéter et  se demander où en sommes-nous d’une véritable révolution ?? L’inquiétude va plus loin quand on regarde le déchirement et la division que vit le monde arabe. 

En Tunisie, on n’a pas beaucoup manqué à la règle de la division. Si elle n’a pas donné beaucoup de résultats en jouant sur le régionalisme l’intensité religieuse et les disparités régionales, elle s’est imposée sans équivoque dans l’échiquier politique. Toutes les composantes politiques sont traversées par cette sacrée division! Explorer  les arbres  généalogiques de tous les partis et vous allez tout comprendre. Cette caractéristique se retrouve même dans la structure du pouvoir à travers la répartition des ministères, leurs compétences et leurs fonctionnements.

L’exemple le plus frappant est celui des ministères en charge de l’éducation et de la formation des jeunes. Alors qu’aujourd’hui, toute l’attention devrait être orientée vers la préparation des jeunes à leurs vies d’adultes, on continue à fonctionner avec des structures de gestion totalement séparées entre éducation, enseignement supérieur et formation professionnelle. Dans tous les gouvernements successifs, et à chaque fois qu’on parlait de gouvernement réduit, on s’attendait à voir la fusion de ces ministères… mais jamais, on n’a osé le faire. La seule fusion s’est faite dans le gouvernement de « Jomaa » entre enseignement supérieur et TIC et je n’ai jamais compris la pertinence de ce regroupement. 

Aujourd’hui, quand on pense aux réformes, il est insensé de continuer à élaborer une stratégie de réforme sans qu’il y ait une vision globale sur ces trois composantes qui joueront un rôle principal pour la préparation de l’avenir de la Tunisie. Les analystes portent la responsabilité de la crise tunisienne sur différents facteurs économiques, sociaux et autres …mais je continue à croire que l‘origine de toute notre crise est issue de notre système de formation décousu et centré beaucoup plus sur la satisfaction des responsables que sur les besoins des jeunes et la pertinence de leur formation! Cette décomposition qui est le fruit des années 90, n’a jamais pu être rattrapée… d’ailleurs, la tentative de regroupement éducation et formation professionnelle s’est vouée à l’échec dans les années 2000. 

Aujourd’hui, il faut saluer ce mouvement de rénovation des locaux des écoles et cette dynamique  de la réforme des programmes…, mais la réforme doit voir plus large et repositionner l’ensemble des acteurs intervenant dans la formation des jeunes. On devrait surtout  commencer par se poser quelques questions fondamentales pour amorcer une rénovation sérieuse et efficace.  

Notre système de formation a connu, au fil des années, plusieurs réformes et restructurations entre primaire, secondaire et collégial …. Mais de toutes ces transformations, le nombre total des années d’études est resté 13 ans. Certain y voit probablement un chiffre porte-bonheur, d’autre y voit une superstition … mais ce qui est certain, c’est un chiffre symbole de gaspillage dans notre contexte! Quand on voit le tableau comparatif ci-dessous, on voit que la majorité des pays accomplissent les années de scolarité au maximum en 12 ans! Pour ceux qui ont une 13ème année, elle correspondrait déjà à une formation qualifiante ou pré-universitaire. 


On a toute une année de plus sur la plupart des pays répertoriés sur ce graphique. Les questions qui se posent : est- ce que nos élèves seront, à la fin de leur scolarité plus compétents ? ou bien ils sont à  la base moins intelligents et nécessitent plus de temps pour se préparer pour la suite de leurs chemins? Je n’oserais même pas poser la question est ce que nos enseignants ont réellement besoin de ce surplus de temps?  

La réponse, on pourrait la trouver en analysant  le paradigme sur lequel fonctionne notre école : C’est toujours une suite de chapitres  et de volume horaire qu’il faut absolument faire passer aux élèves et qui fait toujours la discorde entre les participants aux commissions des réformes … Lequel des participants aura la voix  la plus autoritaire pour s’accaparer le plus de temps pour la spécialité qu’il enseigne! Ailleurs, on place l’élève au centre de toutes les préoccupations et on raisonne en termes d’intégration et de compétences pour développer une pensée critique, une imagination audacieuse, une compréhension empathique des expériences humaines dans toute leur diversité. On veille à donner au jeune les outils scientifiques et technologiques de base pour qu’il puisse aller plus loin dans le chemin qu’il aura choisi.
Peut-on commencer la révolution?
Si aujourd’hui le débat tourne autour du modèle économique du pays, des conditions sécuritaires et de l’urgence de relancer la croissance… il faut reconnaitre que dans le futur rien ne pourra changer sans qu’il y ait un changement véritable au niveau du système de formation… les ratés de ce système ont créé le désespoir, le chômage et ont produit la délinquance, la violence et ont favorisé le terrorisme. La question est comment commencer une véritable révolution pour faire de l’éducation et l’enseignement une arme de construction massive, pour faire renaitre l’espoir et préparer une jeunesse qui trouve pleinement sa place dans la société et dans le processus économique. 
Le défi est comment optimiser le temps et les moyens pour assurer un dosage équilibré entre L'enseignement des humanités, des sciences et des technologies particulièrement pour immuniser nos jeunes des différentes dérives de délinquances et d’extrémisme, pour favoriser  le développement de l’esprit d’analyse et de critique, et leur ouvrir  les différents parcours  de formation selon les aptitudes et le choix de chacun.
Technologie et pédagogie
La place de la technologie retiendra une grande importance et nécessitera beaucoup de clarifications et mises  au point. La technologie s’apparente pour plusieurs à la mécanique, l’électronique et autre spécialité du génie…. Aujourd’hui, le terme a tendance à être réservé à la sphère de l’informatique, l’internet et les TIC. On a surement  grand besoin de  rectifier cette confusion et de voir que La technologie est l'utilisation des connaissances rationnelles, qu'elles soient scientifiques ou techniques, pour satisfaire des besoins, des désirs, voire des fantasmes, par la création, la diffusion et la gestion industrielle de biens et de services, comme le suggère Bernard DECOMPS. De là, on comprendra la dimension intégrative de la technologie et la nécessité de l’inclure comme composante principale de la formation de tous les jeunes du 21ème siècle. On comprendra aussi que l’enseignement technologique est  la composante incontournable pour ouvrir les horizons des métiers pour les jeunes et faire renaitre les espoirs et les ambitions. 

L’enseignement technologique se trouve à la croisée des chemins entre le lycée, les centres de formations professionnelles et différentes formations universitaires. Il est souvent perçu comme l’héritier des formations des  lycées techniques exterminés pendant  les années 90. Le grand investissement fait au niveau de la formation professionnelle à cette époque, a laissé croire que la filière va être fortement attractive pour les jeunes  et que les centres vont pouvoir répondre à la massification pour préparer les jeunes à l’emploi. La tentative de réintroduire une formation technologique au niveau des lycées dans les années 2000 a été avortée, car la technologie est vite devenue la chasse gardée de la formation professionnelle et de la direction des ISET à l’époque. Le résultat est sans équivoque … les jeunes qu’on aurait dû sensibiliser à la technologie, les rapprocher des différents métiers et leur ouvrir les horizons pour une vie professionnelle ambitieuse, ces jeunes ont décroché d’une école qui n’a pas su les intéresser et ils ont alimenté le soulèvement du 14 janvier, puis certains d’entre eux ont rempli les embarcations de la mort vers l’Europe et d’autres ont été des proies faciles pour  l’intégrisme puis le terrorisme!

La démarche d’une réforme se basera sur les réajustements des structures et des paradigmes mais passera nécessairement par la reconsidération de la place et de la fonction de l’enseignant.

Il y a urgence à réhabiliter la profession d’enseignant qui est appelée à vivre un changement radical. L’enseignant n’aura plus sa place comme uniquement détenteur de savoir, mais comme un professionnel de l’apprentissage possédant les connaissances disciplinaires et les  compétences technopédagogiques pour accompagner les étudiants et assurer leurs formations et leurs réussites. Il est appelé à jouer pleinement son rôle de modèle de référence, défendeur des valeurs et respectueux de l’éthique.

L’école publique est appelée à  redevenir le générateur de l’espoir en se plaçant en mode sauvetage et veille continue pour restructurer ses filières et redéfinir sa politique à l’égard des approches pédagogiques et l’intégration des TIC avec des choix éclairés et sans tomber sous la séduction des  diverses publicités et propagandes des solutions et des outils miraculeux !  
Il était une fois l’ENSET
Notre système a hérité d’une bavure historique inexplicable qui remonte à  la traduction du titre de maitrise, devenu en arabe synonyme de titre de professeur أستاذية. Je n’ai jamais compris dans quel dictionnaire et avec quelle logique on a adopté cette traduction?! Cela a fait que n’importe quel maitrisard se considère comme prétendant légitime à un poste d’enseignant et du coup cela a fait marginaliser la profession et dégradé la qualité de l’enseignement. Les choses se sont aggravées encore avec l’élimination des écoles normales dans leurs rôles de former des enseignants pour les lycées.

Ceci me fait revenir au cas de l’ENSET (école normale de l’enseignement technique), abattue aussi à la suite de l’élimination des lycées techniques. Il s’agit d’une institution historique qui s’est distinguée par sa genèse et son rôle principal de formation des enseignants pour alimenter les lycées techniques, puis les institutions universitaires, par des compétences formées pédagogiquement et techniquement pour préparer toute une génération aussi bien pour l’emploi direct, que pour des études en génie. Mais cette institution s’est distinguée aussi par  ses innovations pédagogiques et son initiation à la recherche technologique. Dans les années 80, on parlait déjà de l’enseignement assisté par ordinateur et on s’aventurait  dans la recherche appliquée. Le toit de ses bâtiments témoignerait des expérimentations et exploits enregistrées pour le contrôle de l’énergie solaire et le prototypage de machine innovante dans ses ateliers. Le modèle de l’ENSET témoigne aussi des prouesses que peuvent réaliser des responsables patriotiques qui ont servi avec plein de dévouement et d’engagement l’enseignement et la recherche.  

C’est l’occasion de rendre hommage aux professeurs Mohamed Annabi et Mekki Ksouri qui ont piloté l’aventure de cette institution avec des moyens très réduits mais avec beaucoup de courage et  le soutien de plusieurs autres enseignants parmi lesquels je citerais Ahmed Borgi pour sa créativité pédagogique et sa passion pour les sciences. L’histoire de l’ENSET ne peut aussi oublier une icône hors pair qui a géré l’administration avec une main de fer dans gant de velours, feu Noureddine Ben Ammar qui a marqué les esprits des étudiants et des enseignants par sa rigueur et son discours éloquent et percutant. À lui seule, il représenterait aujourd’hui une véritable école pour la gestion des ressources humaines. On a le devoir de rendre hommage à des gens de cette trempe qui représentent des modèles de références pour les nouvelles générations mais qui se font oubliés en raison de leur modestie et leur humilité lors des cérémonies de décorations et de gratification.

L’idée aujourd’hui n’est pas de faire revivre des institutions ou recréer les lycées techniques, mais de reconsidérer le développement  de l’enseignement technologique dans un environnement scolaire et de  reconsidérer la dimension pédagogique et technopédagogique dans la formation et l’exercice des enseignants qui doivent être les acteurs de la réforme à tous les niveaux, de la maternelle à l’université et qui auront à faire à une génération surinformée, elle n’est pas née avec internet, mais dans internet; une génération qui apprend des choses à ses parents; elle ne demande pas à ses pères mais à ses pairs.

Radhi Mhiri  -  Publié par Leaders version électroniques le  06.08.2016







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