Le blog pédagogique donne cette semaine la
parole à M° Amor Bennour, inspecteur général de l’éducation et ancien directeur
de l’inspection générale pour poursuivre ses réflexions à propos de la réforme
de l’éducation, la note de cette semaine est la dernière d’une série de
notes déjà publiées par le blog
pédagogique,
rappelons que dans la 1ère
intitulée : A propos de la réforme éducative , l’auteur a essayé de
mettre la question de la réforme dans son cadre général et d’exposer un
certains nombre de principes auxquels se réfèrent les responsables des réformes
éducatives partout dans le monde , dans la 2ème note intitulée : A propos de la réforme éducative : les références juridiques ,
M° Bennour a présenté le cadre juridique des différentes réformes qu’a connu
notre pays , afin de montrer les points forts et les faiblesses de notre
système éducatif et surtout le décalage entre la théorie et la pratique, dans
la 3ème note, sous le titre : A propos de la réforme éducative: les références pédagogiques ( 2), l’auteur a analysé les référents
pédagogiques de la dernière réforme de 2002 et plus précisément deux documents
de référence à savoir « le programme des programmes » et « les programmes officiels ».
Le blog pédagogique salue ce travail de grande valeur et souhaite pouvoir recevoir
d’autres communications de la part de M° Bennour et que d’autres suivent son exemple, le blog
pédagogique sera toujours là pour publier leurs réflexions sur les questions
pédagogiques.
Hédi Bounouch&Mongi Akrout
Octobre
2016
A propos de la réforme éducative : les référents
pédagogiques (2) : L’approche par compétences
Nous avons étudié dans une précédente
note les référents pédagogiques pour parler d’un document appelé « le programme des
programmes » , du document des
programmes officiels et enfin des théories pédagogiques , et nous allons
consacré cette note aux aspects pratiques de ces théories , mais en nous
limitant à l’approche par compétences qui a été l’objet de l’intérêt des
acteurs éducatifs et de tous ceux qui s’intéressent à l’éducation.
L’approche
par compétence
Depuis le début de son introduction en Tunisie
à titre expérimental , l’approche par compétence ( APC) a fait couler beaucoup
d’encre et a engendré un long débat qui
ne s’est pas encore arrêté, rappelons que l’APC
avait commencé à titre expérimental pilotée par l’institut national des sciences de
l’éducation avant qu’il ne devienne le
centre national d'innovation pédagogique et de recherche en éducation, l’expérience
qui avait bénéficié du soutien financier
du bureau de l’Unicef et l’assistance technique d’experts belges, a démarré
dans un certain nombre d’écoles primaires appartenant - selon mes souvenirs - à la direction de
l’enseignement du Kef et celle de Monastir, puis l’expérience fut étendue petit
à petit à d’autres régions , jusqu’au moment où le ministère décida son
adoption officielle et a entamé sa généralisation année par année , pour
toucher tous les niveaux de l’enseignement de base ( neuf années) , seulement
l’application de l’APC s’est arrêté au
niveau du premier cycle de l’enseignement de base ( ancien enseignement
primaire) suite à une décision sans
justifications d’un des Ministres de l’éducation.
Deux décennies
,après le commencement de l’expérience, le débat ne s’est pas arrêté quant à l’efficacité et à l’intérêt de l’APC , à mon sens la cause principale de cela , c’est le
cafouillage qui avait accompagné la phase de la généralisation , car la
formation des inspecteurs et des enseignants était dense et dans un laps de
temps assez court et concomitant à l’application et non avant celle-ci , ce qui ne leur a pas laissé le temps d’assimiler , de réfléchir, de
digérer et enfin de se convaincre de la valeur de la nouvelle approche.
Parmi les autres
causes, il y avait le fait que la phase d’expérimentation, qui a duré quelques
années, étaient perçue par certains enseignants comme une décision imposée d’en
haut et donc ils l’ont pas acceptée facilement.
Mais la cause principale , d’après nous, est une
cause d’ordre pédagogique , en effet au
cours de la phase initiale , les responsables du projet avait axé leur action
de sensibilisation, d’initiation et puis de formation sur les caractéristiques de la nouvelle approche
en comparaison avec l’approche en cours et
sur la définition des concepts et surtout au niveau de l’évaluation du travail
de l’élève , sans accorder aux références scientifiques de l’APC l’attention
qu’elle aurait du avoir pour consolider la légitimité de la nouvelle expérience , en plus du
fait que les dimensions apprentissage et
formation n’ont pas eu l’intérêt qu’avait eu la dimension évaluation, pour
laquelle on a adopté un procédé lourd qui fut rejeté par les instituteurs,
signalons que même la formation des inspecteurs qui a eu lieu à l’étranger ( en
Belgique et au Canada ) elle fut centrée
sur la dimension évaluation du travail des élèves au détriment des méthodes d’apprentissage
exigées par l’APC.
Après cette phase ,
l’expérience avait connu une importante évolution, qui a permis de remédier aux insuffisances et cela a pu se
réaliser grâce au rôle joué par les
cadres tunisiens , qui ont enrichi l’approche belge par l’expérience canadienne
et par le travail sur le terrain à partir de la réalité tunisienne , dans les
ateliers de réflexion , les séminaires mais aussi par la pratique dans les
classes, cette dynamique a engendré la production d’une grande quantité de
documents tunisiens destinés aux instituteurs et aux cadres d’encadrements pédagogiques par la
direction générale des programmes et le CNIPRE
et le CENAFE , en plus des documents produits par des personnes ou des groupes de personnes
au niveau régional et local.
On s’occupa alors de la dimension
apprentissage de l’APC , et on allégea le protocole de l’évaluation si bien qu’on peut affirmer sans prétention
que nous avons aujourd’hui une approche par compétence tunisienne , qui a
dépassé les frontières de notre pays,
nous avons accueilli des délégations de
pays africaines du sud du Sahara et
d’autres de pays arabes qui sont venues pour voir l’expérience tunisienne , le
groupe belge l’a prise pour l’exporter en Mauritanie et peut être à d’autres
pays , nous estimons qu’il aurait été
plus judicieux d’investir nos efforts et
d’exporter notre expérience et notre savoir-faire , d’ailleurs je ne manquerai
pas de signaler que l’équipe belge qui est venue pour asseoir l’ACP en a
beaucoup profité grâce au suivi de l’expérience dans les classes et grâce aux
échanges qu’elle a eu avec les enseignants et les inspecteurs à tel point que
l’un des membres de l’équipe belge Xavier Roegiers avait publié un ouvrage
volumineux intitulé :
« Pédagogie de l’intégration :compétences et intégration des
acquis dans l’enseignement , et il a cité dans l’introduction les différentes
parties qui l’ont aidé à réaliser son livre
dont l’accompagnement scientifique et méthodologique du programme
« Compétences de Base » dans l’enseignement primaire et secondaire
tunisien (élaboration des curriculums, formation des différents d’acteurs,
recherche-action, élaboration d’outils pédagogiques, etc.), son ouvrage est
devenu une référence en la matière.
A ma connaissance , aucune approche
avant celle-ci, n’a connu un suivi et
une évaluation comme ceux qu’avait
connus l’APC , elle a fait l’objet de plusieurs évaluations internes et externes,
l’union européenne plusieurs fois avait commandité plusieurs évaluations dont la dernière fut celle effectuée au cours de l’année scolaire
2008-2009 , enfin l’application de l’approche fut encadrée par plusieurs experts étrangers et tunisiens et suivie de près par l’Unicef, et
aujourd’hui , après avoir atteint la maturité et s’être imposée en tant
un élément essentiel de la pratique éducative dans notre pays à l’instar de plusieurs systèmes éducatifs de pays
développés , il est regrettable d’entendre aujourd’hui des voix s’élever pour
appeler ( sans aucune connaissance de cause )
à l’abandon l’ACP, au lieu de demander le renforcement des succès et des
points positifs et la remédier aux insuffisances, et l’intensification de la
formation pour les nouveaux arrivants parmi les instituteurs et les inspecteurs
qui se comptent par milliers et d’assurer la formation continue des anciens ,et
au lieu de demander de l’étendre au deuxième cycle de l’enseignement de base
qui constitue une entité , surtout que l’expérimentation a été effectuée dans certaine matières en 7ème
, 8ème et 9ème année et que les programmes avaient été
réécris selon l’APC , sans entrer pour autant en application.
Aujourd’hui, quand on appelle à
l’abandon de cette option, savons-nous qu’est-ce qu’on va abandonner ? Est-ce
qu’on va abandonner les apports de l’approche ? comme faire acquérir à
l’élève des compétences, donner à l’apprentissage un sens, les situations d’apprentissage , la médiation
cognitive, la situation-problème, donner une place aux représentations de l’élève dans l’apprentissage, tenir compte
des conflits sociocognitifs, le recours aux différents types d’évaluation (
surtout l’évaluation diagnostique et formative ) , mais au-dessus de tout cela
allons-nous abandonner le principe « apprendre comment apprendre » ,
imaginer , aujourd’hui un enseignement qui ne se réfère pas à ces fondements et
sur d’autres que nous n’avons pas cités, quel serait cet enseignement ? Je
pense qu’on retrouverait le bourrage des crânes au lieu de leur formation.
Et afin d’éviter de tomber sous
l’influence de ce type de position et des ses envies , et afin d’éviter de
prendre des mesures et des décisions qui ne s’appuient pas sur des références
sûres , des études et des évaluations
objectives je pense qu’il serait sage de
confier l’étude de cette question et
d’autres à des institutions ou à des
personnes spécialisées , après quoi on pourrait prendre , en fonction
des conclusions et des recommandations de ces études , les mesures qui peuvent
renforcer cette orientation. Et c’est pour cela
que j’aurais souhaité que les commissions des programmes aient été des
commissions permanentes dont les travaux ne s’achèveraient pas une fois
l’élaboration des programmes terminée.
Et elles seront chargées , en plus de
l’élaboration des programmes et de la coordination entre les différents cycles
de l’enseignement , d’une deuxième mission
qui consiste à étudier les rapports d’évaluation (scientifiques et
pédagogiques) relatifs aux programmes et tout ce qui est en rapport avec les
programmes comme les organisations et les instructions pédagogiques, les
manuels et les différents outils didactiques, ces rapports qui doivent être
étudiés et suivis par les différentes directions et services concernés , ces
commissions proposeront , en fonction des rapports d’évaluation les
aménagements nécessaires ; ces commissions auront une troisième
mission qui consiste à suivre les
innovations dans le domaine de l’éducation de part le monde à partir des
rapports que devrait produire l’observatoire national de l’éducation qui se
trouve au CNIPRE et d’autres organismes nationaux et étrangers. Ainsi
s’ajoutera, à ces fonctions premières de suivi et de proposition et de
remédiation , la mission de prospection
et de collecte de données pour préparer les programmes d’avenir , ainsi nous
aurions un programme en cours d’application et un projet de programme qui
attend d’être mis en application , et c’est comme cela qu’on mettrait un
terme aux décisions personnelles et
intempestives qui ont fait beaucoup de mal à l’éducation avant et après la
révolution et il semblerait qu’elle va continuer à en souffrir, et puisqu’il
s’agit de commissions techniques , il faudrait que leurs membres
soient des spécialistes de l’éducation et des praticiens exerçant aux
différents cycles de l’enseignement ( préscolaire, primaire, secondaire et
supérieur) et elles pourraient faire
appel à des personnes compétentes dans le domaine de l’éducation , je crois que
l’existence de ces commissions permanentes,
qui se réunissent régulièrement et qui
fonctionne en toute autonomie , va faire de leur travail un meilleur soutien
aux orientations judicieuses et nous évitera les questions marginales qui suscitent aujourd’hui un débat stérile et
contre productif, j’irais plus loin en
disant, qu’avec de telles commissions, on pourrait se passer de la direction
des programmes.
Amor Bennour , inspecteur général de l’éducation bennour.amor@gmail.com
Traduction du texte : Bouhouch Hédi et Mongi
Akrout
Tunis , septembre 2015
Notes
produites par le professeur Amor
Bennour et publiée par le blog pédagogique sur le même thème
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire