lundi 27 janvier 2020

Conseil de l'Instruction publique (Session ordinaire de 1905): Procès-verbaux des séances( 2ème, 3ème et 4ème point à l'ordre du jour)



Hédi Bouhouch
Dans le cadre de l'histoire du conseil supérieur de l'éducation, le blog pédagogique présente à ses lecteurs un document vieux de plus d'un siècle , il s'agit du procès verbal de la session  du conseil de l'instruction publique tenue au mois de mai 1905 au siège de la direction de l'instruction publique (équivalent du ministère de l'éducation) .
Les travaux de la session étaient présidés par le directeur de l'instruction publique Louis Machuel avec la participation de tous ses membres dont la majorité appartenait à l'enseignement à l'exception de deux représentants de la justice, notant en passant qu'aucun membre tunisien ne figurait à cette époque au CIP.

Le conseil était appelé à étudier dix questions inscrites à l'ordre du jour , ce qui avait nécessité deux journées entières pour achever  l'ordre du jour .
La lecture du PV montre qu'il y avait un véritable débat contradictoire et qu'à la fin les décision sont prises à la majorité.
Enfin , ce qui est remarquable ,c'est que le PV est rendu public , puisqu'il est publié dans le bulletin officiel de l'enseignement public qui mis à la disposition de toutes les établissements scolaires .


Première séance.
Le vendredi 12 mai 1905, à 9 heures du matin, le Conseil de l'Instruction publique s'est réuni à la Direction de l'Enseignement, dans le bureau du Directeur.
Étaient présents :
MM. Machuel, Directeur de l'Enseignement public, président ;
Berge, Président du Tribunal de Tunis ;
Bourgeon, Procureur de la République à Tunis ;
Delmas, Professeur à la Chaire publique d'arabe, Directeur du Collège Sadiki;
MM. Buisson Inspecteur d'académie, Directeur du Collège Alaoui. Duval, Proviseur du Lycée Carnot ; Baille, Inspecteur de l'Enseignement primaire àTunis; Patou, Professeur au Lycée Carnot,  Veyrier, Directeur de l'école annexe du Collège Alaoui ,  Aurès, Instituteur à l'école annexe du Collège Alaoui ; Ouziel, Directeur des Ecoles de l'Alliance Israélite en   Tunisie ; Mlle Guillot, Directrice de l'Ecole Jules Ferry; Mme Brulé, Institutrice à l'Ecole Jules Ferry ;
M. Tremsal,  chef du cabinet du directeur de l'enseignement, secrétaire.


Deuxième point à l'ordre du jour : Surveillance des établissements  d’enseignement  privés.

Cette question est également mise à l'étude et confiée à une commission composée de mm. buisson, Duval, Baille, Tremsal, Aurès et Ouziel. à ce propos, M. Berge et M. Bourgeon expriment le regret que leurs occupations ne leur permettent pas de prendre part aux travaux de la commission, dont ils examineront les conclusions avec le plus vif intérêt et avec le désir d'apporter au conseil le concours de leur compétence juridique.
le conseil décide ensuite de discuter immédiatement la question de la fixation du nombre maximum d'élèves par classe dans les locaux construite à  usage  d'école.

Troisième point à l'ordre du jour: fixation du nombre  maximum, etc.

Le président tient à faire connaître d'abord les raisons qui en ont motivé l'inscription à l'ordre du jour. les écoles sont installées, soit dans des locaux loués à des particuliers, soit dans des bâtiments construits par l'état pour cet usage. en ce qui concerne les écoles de la seconde catégorie, il serait bon de déterminer à l'avance le maximum des élèves que pourra contenir chaque salle de classe. cela rendrait service aux directeurs qui bien souvent ne se croient pas autorisés, en l'absence d'une réglementation précise, à refuser les enfants qui se présentent, et l'on éviterait ainsi d'avoir, comme cela s'est produit, des classes de plus de cent élèves confiées à un seul maître, il y a deux points de vue à envisager, d'abord l'hygiène, qui exige un cube d'air suffisant pour chaque enfant, puis l'enseignement, qui ne peut être donné avec fruit qu'à un nombre limité d'élèves, variable suivant la force des études. M. Baille précise les données du problème. il ne faut pas faire entrer uniquement en ligne de compte le cube d'air disponible, mais la superficie de la salle et ses rapports avec les dimensions du matériel, il faut au moins 1 mètre carré par élève, soit 4 à 5 mètres cubes en raison de la hauteur des salles.
mais le maximum d'élèves à admettre peut être inférieur, pour des raisons d'ordre pédagogique, à celui que la classe peut matériellement contenir : ce n'est pas parce qu'il y a place pour 100 élèves que l’on doit aller jusqu'à ce chiffre. dans les cours enfantins, fait remarquer M. Aurès la population scolaire ne devrait pas dépasser le chiffre de 30 élèves; dans les classes du certificat d'études, il faut que le nombre des élèves ne dépasse pas 25 ou 30 pour permettre au maître d'assurer la correction des devoirs et la préparation des candidats;

M. Berge voudrait que cette limitation fut étendue aux classes d'examen du lycée et de l'école Jules-Ferry dont plusieurs sont très chargées, mais le président fait remarquer qu'en ce qui concerne ces établissements, il y a pour le moment impossibilité matérielle. Le dédoublement de ces classes entraînerait des frais considérables que le budget de ces établissements n'est pas en mesure de supporter.

Après discussion, le Conseil émet à l'unanimité le vœu que le nombre des élèves, dans les classes des écoles primaires élémentaires, ne dépasse pas les chiffres de 60 (cours enfantin et maternel), de 50 (cours élémentaire), de 40 (cours moyen) et de 30 (cours supérieur).


Quatrième point à l'ordre du jour: Application des programmes de l'enseignement primaire dans les classes Primaires et élémentaires des établissements  d’enseignement secondaire 

Il serait difficile, pour ne pas dire impossible, de rendre compte par le menu de la discussion relative à cette importante question. Aussi paraît-il préférable d'en donner un compte-rendu analytique.

Le Président estime que jusqu'à un certain âge tous les enfants doivent recevoir le même enseignement. Il ne faut pas que, dans une démocratie, parents et enfants puissent s'imaginer qu'il y a deux qualités d'enseignement primaire, l'une plus soignée, réservée aux élèves des lycées, l'autre, inférieure, concédée aux élèves des écoles primaires. D'autant plus que rien n'est plus contraire à la réalité et que les méthodes pédagogiques en usage dans nos écoles sont aussi bonnes que celles des classes similaires des lycées.

Il y a au lycée deux sections de classes primaires et élémentaires, ayant toutes à leur tête des maîtres de valeur, mais ne recevant pas les mêmes élèves. La section A. comprend en général des élèves français, la section B reçoit surtout des élèves indigènes et étrangers, et, d'une manière générale, l'enseignement y est un peu moins élevé. Or tous les enfants ont droit à recevoir la même instruction d'après les mêmes méthodes et les mêmes programmes.
De l'avis d'une haute personnalité de l’enseignement, le déchet que l'on constate dans les classes secondaires des lycées tient en partie à ce que les élèves n'ont pas  abordé les classes secondaires avec des connaissances primaires méthodiques et complètes, et aussi à ce que dans les lycées on se préoccupe plutôt, à l'inverse de ce qui se fait dans nos écoles, de pousser les élèves bien doués que de donner à l'ensemble un minimum de connaissances bien établies. 
Quoi qu'il en soit, il y a un fait indiscutable : en général les élèves des écoles primaires qui débutent au lycée en sixième réussissent aussi bien que ceux qui ont fait dans le même établissement toutes leurs études primaires. Ce fait est corroboré par l'opinion d'universitaires distingués qui déclarent devoir leur succès dans les études secondaires et même supérieures à une bonne instruction primaire reçue en dehors du lycée, M. Bourgeon partage cette manière de voir.
M. Duval, proviseur du lycée, prend la défense de l’enseignement donné dans les classes primaires de son établissement. Il fait valoir les difficultés qui s'opposent selon lui à l'unification complète des programmes et des méthodes. Il est impossible d'aller contre la différence, de recrutement et d'empêcher les parents en mesure de payer les frais d'études d'envoyer leurs enfants au lycée.
 D'autre part, comment concilier la durée moyenne des études primaires (6 ans) avec la nécessité de faire aborder aux élèves vers 10 ou 11 ans les études secondaires ? L'enseignement au lycée comporte en réalité trois cycles, qui doivent former un tout harmonieux. Le certificat d'études, qui pour les élèves des écoles primaires est le couronnement des études, n'est pour ceux du lycée qu'une étape de début. Enfin on ne peut supprimer dans les classes primaires du lycée certains enseignements accessoires, comme le dessin et les langues vivantes.
Au cours de cette discussion contradictoire, animée et toujours courtoise cependant, plusieurs membres du Conseil interviennent dans un sens ou dans l'autre. M. Buisson rappelle que dans un rapport au Ministère … en 1889,il demandait que l’enseignement primaire fût le même partout, l'enseignement secondaire devant en être la continuation naturelle.
Mlle Guillot, Mme Brûlé, MM. Baille, Aurès et Veyrier sont partisans de l'unification des programmes et estiment que l'enseignement des écoles primaires peut très bien convenir même au lycée : M. Aurès désire toutefois que l'unification des programmes n’entraîne pas pour les instituteurs du lycée, une augmentation de service, M. Patou reconnaît qu'en général les élèves venant des écoles primaires sont supérieurs pour les sciences, mais il estime, avec M. Delmas, que la plupart des membres du  Conseil ne connaissent qu'un des aspects de la question, suivant qu'ils appartiennent à l’enseignement primaire ou secondaire. Il désirerait que cette question fût soumise à l'examen d'une commission mixte.
Le Conseil décide néanmoins de clore la discussion et de passer au vote et le vœu  suivant est adopté, par 9 voix contre 2 et 3 abstentions :« Que les programmes et les méthodes d'enseignement primaire soient appliqués intégralement dans les classes primaires et élémentaires des établissements d'enseignement secondaire. »[1]
Source: Protectorat Français , Gouvernement tunisien - Bulletin officiel de l'enseignement public, N° 52 , juin 1905.


Fin de la discussion des 2ème , 3ème et 4ème  point de l'ordre du jour, A suivre
Pour revoir la discussion du 1° point , Cliquer ICI 

Présentation Mongi Akrout,Inspecteur Général de l'enseignement retraité.
Tunis , janvier 2020



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