lundi 20 janvier 2020

Conseil de l'Instruction publique (Session ordinaire de 1905): Procès-verbaux des séances





Hédi Bouhouch
Dans le cadre de l'histoire du conseil supérieur de l'éducation, le blog pédagogique présente à ses lecteurs un document vieux de plus d'un siècle , il s'agit du procès verbal de la session  du conseil de l'instruction publique tenue au mois de mai 1905 au siège de la direction de l'instruction publique (équivalent du ministère de l'éducation) .
Les travaux de la session étaient présidés par le directeur de l'instruction publique Louis Machuel avec la participation de tous ses membres dont la majorité appartenait à l'enseignement à l'exception de deux représentants de la justice, notant en passant qu'aucun membre tunisien ne figurait à cette époque au CIP.
Le conseil était appelé à étudier dix questions inscrites à l'ordre du jour , ce qui avait nécessité deux journées entières pour achever  l'ordre du jour .
La lecture du PV montre qu'il y avait un véritable débat contradictoire et qu'à la fin les décision sont prises à la majorité.
Enfin , ce qui est remarquable ,c'est que le PV est rendu public , puisqu'il est publié dans le bulletin officiel de l'enseignement public qui mis à la disposition de toutes les établissements scolaires .


Première séance.
Le vendredi 12 mai 1905, à 9 heures du matin, le Conseil de l'Instruction publique s'est réuni à la Direction de l'Enseignement, dans le bureau du Directeur.
Etaient présents :
MM. Machuel, Directeur de l'Enseignement public, président ;
Berge, Président du Tribunal de Tunis ;
Bourgeon, Procureur de la République à Tunis ;
Delmas, Professeur à la Chaire publique d'arabe, Directeur du Collège Sadiki;
MM. Buisson Inspecteur d'académie, Directeur du Collège Alaoui. Duval, Proviseur du Lycée Carnot ; Baille, Inspecteur de l'Enseignement primaire àTunis; Patou, Professeur au Lycée Carnot,  Veyrier, Directeur de l'école annexe du Collège Alaoui ,  Aurès, Instituteur à l'école annexe du Collège Alaoui ; Ouziel, Directeur des Ecoles de l'Alliance Israélite en   Tunisie ; Mlle Guillot, Directrice de l'Ecole Jules Ferry; Mme Brulé, Institutrice à l'Ecole Jules Ferry ;
M. Tremsal,  chef du cabinet du directeur de l'enseignement, secrétaire.

Le Président, en ouvrant la séance, prononce l'allocution suivante:
Mesdames, Messieurs,
Je déclare ouverte la deuxième session du Conseil de l'Instruction publique.
Avant de passer à l'examen des questions inscrites  à votre ordre du jour, permettez moi d'adresser nos souhaits de bienvenue à notre distingué collègue, M. Berge, Président du Tribunal de Tunis. Comme son prédécesseur, M. Fabry, qui s'intéressait si vivement aux questions d'enseignement et d'éducation, M. Berge voudra bien nous prêter   le concours de son expérience, de son esprit éclairé et de son impartialité, qui lui ont si justement attiré les sympathies et le respect de tous ceux qui ont appris à le connaître,
Je suis aussi l'interprète du Conseil en adressant à notre collègue, M. Delmas, nos félicitations les plus affectueuses à l'occasion de sa guérison : c'est une grande satisfaction pour nous de le voir participer aux travaux de cette session.
Enfin, à vous tous, mes chers collègues, je souhaite également la bienvenue dans ce nouveau local, que vous inaugurez. C'est en effet la première fois que cette salle sert à une commission. Je vous y reçois avec la plus grande cordialité et je vous prie du croire au dévouement de votre président qui s'efforcera toujours de faciliter votre tâche, comme vous voulez bien lui faciliter la sienne.

Après cette allocution, la parole est donnée au Secrétaire, M. Tremsal, pour la lecture de l'ordre du jour de la session, qui comprend les questions suivantes :
A — Rappel de questions
1° Œuvres postscolaires. Cours aux adolescents :
2° Enseignement commercial au lycée Carnot.
B — Questions nouvelles.
1° Surveillance des établissements d'enseignement privé;
2° Fixation du nombre maximum d'élèves par classe, dans les locaux construits à usage d'école ;
3° Examens de passage dans les établissements d'enseignement ;
4° Application des programmes de l'enseignement primaire dans les écoles primaires et élémentaires des établissements d'enseignement secondaire;
5° Vacances scolaires ;
6° Listes d'ouvrages scolaires ;
7° Fête annuelle des écoles ;
8° Passages des fonctionnaires de l'enseignement.

Le Président fait remarquer que l'ordre dans lequel ces questions sont énumérées ne préjuge nullement de l'ordre dans lequel elles doivent être étudiées, qui est laissé à l'appréciation du Conseil. En principe, cette première séance doit être consacrée à l'examen des questions qui n'ont pas besoin d'être rapportées, comme la fixation du nombre d'élèves dans les classes, les passages gratuits pour les fonctionnaires de l'Enseignement, etc.

Œuvres post scolaires. - Cours  aux adolescents

Pourtant le Conseil décide d'ouvrir la discussion par la question, déjà posée, mais non réglée à la session précédente, des Œuvres post scolaires. Bien que cette importante étude méritât d'être confiée à une commission et de faire l'objet d'un rapport spécial, il était bon, vu sa complexité et son intérêt, qu'il y eût à son sujet un échange de vues préalable entre les membres de l'assemblée.
Mme Brûlé donne lecture d'un travail approfondi consacré aux cours d'adultes et plus spécialement aux cours d'adultes pour jeunes filles, très utiles, selon elle, pour compléter l'éducation morale et civique de la future épouse, de la future mère. Puis M. Aurès expose ses vues sur le sujet. Il désirerait que l’enseignement des adultes fut organisé au régiment et dans les grands centres et qu'on lui donnât un caractère nettement pratique : (enseignement professionnel pour les garçons, enseignement ménager, puériculture, hygiène et médecine usuelle pour les filles).

En ce qui concerne les étrangers et les indigènes, il faudrait leur parler de la France, de ses possessions, de son commerce, etc., au besoin dans leur propre langue. On pourrait en outre faire des conférences avec projections. Les professeurs et les conférenciers appartenant à l'Enseignement devraient être l'objet de récompenses honorifiques, ainsi que les patrons, qui pousseraient leurs ouvriers à suivre ces cours. Enfin, M. Aurès et Mme Brûlé demandant que le concours des maîtres et maîtresses soit rétribué.
M. Baille retrace l'historique de ces cours à Tunis. Plusieurs tentatives ont été faites à diverses reprises, soit par le Directeur de l'enseignement, soit par des sociétés dévouées à la cause de l'instruction populaire, Alliance Française, Ligue de l'enseignement, l'union de la Jeunesse. Le succès n'a pas entièrement couronné les efforts des organisateurs. La grande affluence d'auditeurs du début diminuait rapidement et au bout de quelques mois les cours n'étaient plus suivis que par quelques fidèles.
Cette constatation amena la Direction de l'Enseignement à remplacer momentanément les cours d'adultes par des conférences populaires, souvent accompagnées de projections. D'une façon générale, en ce qui concerne l’enseignement des adultes, il est nécessaire de stimuler l'assiduité des auditeurs non par des examens, mais par des diplômes ou des prix, sorte de primes a la fréquentation régulière.

M. Delmas fait ressortir la complexité de la question. Il y a lieu de déterminer d'une façon précise le but poursuivi par cet enseignement et les moyens de réaliser ce but. Cette tâche ne peut être utilement remplie que par une commission désignée par le Conseil. Mais, comme le fait remarquer M, Buisson, la discussion intéressante soulevée par ce problème ne peut qu'éclairer cette commission. M. Buisson ne croit pas que la désertion des cours d'adultes par les élèves doive les  faire condamner sans appel. Il y a là un phénomène d'ordre général que l'on constate même en France.
D'ailleurs les cours organisés par l'Alliance Française à Tunis ont eu un certain succès. Il faut seulement se préoccuper de rendre ces cours plus attrayants. M, Ouziel donne ensuite d'intéressants détails sur l'organisation des cours d'adultes dans les écoles de l'Alliance Israélite. Il croit que le problème essentiel est d'assurer la fréquentation.

M. Veyrier estime qu'on y arrivera en partie en rendant les cours attrayants, en diversifiant l’enseignement suivant la force et les goûts des élèves, en habituant les anciens élèves à considérer l'école comme une sorte de maison de famille où ils seront toujours bien accueillis. Du même coup on maintiendra le lien qui doit exister entre les élèves et l'école où  ils ont reçu l'instruction.
Après quelques observations de divers membres, relatives à des cours et conférences en langue étrangère, à l'instruction élémentaire des étrangers illettrés adultes, à la participation à l'enseignement postscolaire des sociétés d'anciens élèves déjà existantes, etc., le Président résume la discussion :Il se félicite de l'ampleur de ce débat qui prouve toute son importance et sa complexité et de la part active qu'y ont prise la plupart des membres du Conseil. La question des cours d'adultes n'est pas aussi simple à résoudre dans ce pays qu'en France en raison de la diversité des races. Mais il faut se préoccuper avant tout des élèves étrangers, qui quittent nos écoles dès 12 ou 13 ans et risquent dès lors de perdre le bénéfice de l'instruction reçue et des quelques idées françaises qu'on a pu leur inculquer, Il est indispensable que nous continuions notre action sur eux et que nous instituions à leur intention des cours, que l'on appellerait plus justement cours d'adolescents que cours d'adultes.

Cet enseignement devrait être plus attrayant, plus pratique et moins livresque que celui de l'école et porter principalement sur le dessin, l'écriture, la comptabilité, l'arithmétique pratique, l'hygiène, etc. Dans ces conditions on serait assuré du succès. Cela ne dispenserait pas d'ailleurs de continuer les conférences qui ne s'adressent pas au même auditoire et ont toujours été très suivies. En ce qui concerne les français, des cours proprement dits auraient moins d'intérêt : il n'y a plus actuellement dans la Régence de jeunes français illettrés. Quant aux Maltais et aux Italiens adultes illettrés, on pourrait se borner à leur donner quelques leçons de langage, de lecture et d'écriture.

A une question de M. Aurès, sur la neutralité de l'enseignement aux adultes, le Président répond qu'il ne serait pas prudent d'introduire la politique ou la religion dans l'école, même en dehors des classes. On sollicitera le concours, qui n'a jamais fait défaut, des Sociétés d'enseignement, mais les représentants des instituteurs désirent que l'administration de l'enseignement ait la haute main sur les cours et qu'elle les rétribue directement.
 M. Baille ajoute qu'un puissant moyen d'attacher les élèves à l'école française serait la création de mutualités scolaires qui comprendraient comme membres et les élèves et les anciens élèves, comme cela se fait en France : il y aurait lieu d'examiner le moyen d'organiser ces mutualités de manière à en permettre l'accès aux élèves étrangers.
Après cet échange de vues, le Conseil nomme une commission chargée d'étudier et de rapporter la question pour la prochaine séance. Font partie de cette commission MM. Delmas, Buisson, Baille, Aurès, Mme Brûlé.

Source: Protectorat Français , Gouvernement tunisien - Bulletin officiel de l'enseignement public, N° 52 , juin 1905

Fin de la discussion du premier point de l'ordre du jour, A suivre

Présentation Mongi Akrout,Inspecteur Général de l'enseignement retraité.
Tunis , janvier 2020
Pour accéder à la version AR,cliquer ICI


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