dimanche 26 octobre 2014

L’enseignement de l’ignorance :Est-ce la mort de l’école et la faillite de l’éducation[1] ?

Présentation
Nous ouvrons cette semaine le blog pédagogique à notre honorable collègue Brahim Ben Salah , inspecteur général de l’éducation,  pour faire écho d’un cri de désarroi  lancé par un homme qui a connu l’école tunisienne en tant que professeur , puis en tant inspecteur , et en tant que penseur ,face aux menaces qui risquent d’entrainer l’effondrement de ce monument .
Alors à quand  le sursaut qui  sauverait l’école publique tunisienne ?

Merci pour notre collègue pour cette nouvelle contribution au blog pédagogique, nous espérons que cela va se poursuivre et que d’autres collègues suivront son exemple.
Hédi Bouhouch & Mongi Akrout



L’enseignement de l’ignorance :Est-ce la mort de l’école et la faillite de l’éducation[1] ?

A notre grand regret, il semble qu’on se dirige vers cette voie.
Tout ce qui a été bâti depuis la naissance de l’école, avec Ahmed Pacha Bey, Khair-Eddine Attounissi, Mahmoud Messadi, Mohamed Charfi, approche de sa fin.

L’école tunisienne est au bord d’une mort programmée ; c’est le constat fait par les élèves, les enseignants et les parents. Le niveau baisse à un rythme rapide et l’échec s’accentue comme s’il y avait un projet conçu par des puissances supranationales.
N’a-t-on pas le droit d’avoir de la nostalgie pour les temps révolus ? Quelle est cette modernité qui empêche notre passé d’avoir un avenir ? Une telle modernité n’est-elle pas qu’un retour à l’obscurantisme ? La modernité s’est dotée d’une nouvelle pédagogie et celle-ci n’est autre que la mort programmée du savoir, car son but est de former des abrutis.
La faillite de l’enseignement n’est plus un secret bien tenu par une minorité d’initiés, tout le monde est, aujourd’hui, témoin du déficit des savoirs, de l’indigence culturelle et de l’incapacité de penser chez les élèves d’aujourd’hui.
Tout un chacun connait « l’allergie » des élèves vis-à-vis des activités de l’esprit et l’état d’analphabétisme dans lequel ils vivent. Les parents sont scandalisés par le niveau de leurs enfants qui sont incapables de lire et d’écrire même quand ils  sont déjà à des niveaux scolaires avancés ; ces parents connaissent bien l’ennui de leurs enfants devant les longs cours ; ils savent aussi que ceux-ci sont incapables de communiquer oralement  ou par écrit dans une langue saine , incapables aussi de participer à un débat, de répondre à une question  d’une façon claire et convaincante, car ils ne pensent qu’aux motos et aux virées aux cafés.
Il y a, sans aucun doute, derrière cette indigence de l’esprit, ce laisser aller et cette insouciance, un plan ou un projet ; mais quand nous disons cela on n’entend pas par là qu’il y a un complot, personne ne pense qu’il y ait une partie qui programme la mort de l’école, mais il y a un projet de remplacer l’école nationale par une autre qui est celle du système néo capitaliste.
En réalité, il existe deux projets pour détruire l’école nationale :
Le premier est celui qui est conçu  par les néo- pédagogues qui parlent aujourd’hui selon la logique de la didactique des disciplines ; ce courant tend à remplacer l’art de l’apprentissage ou le véritable apprentissage ( cette question a constitué l’un des points de discorde entre les universitaires et le corps des inspecteurs au cours de la conception des nouveaux programmes à l’époque du Ministre Charfi[2]).
Le deuxième est le projet du néo- libéralisme qui s’est développé après les deux chocs pétroliers[3] et de la révolution informatique ; la priorité de ce projet est la formation de l’être nécessaire l’économie moderne, un être sans histoire et sans repères, un être malléable, souple, capable de s’adapter à toutes nouvelles situations, mais qui ne conteste pas, travaillant sans répit, conscient de la souffrance des chômeurs, et sachant être docile et obéissant.
Telle est cette nouvelle école tiraillée par deux forces : la force des pédagogues utopiques et la force des néo libéraux, alors comment s’en sortir et comment sauver l’école de ce piège ?
Le système néo- capitaliste veut former une main d’œuvre à bon prix, performante et compétitive et en situation précaire, à cause de l’existence d’une partie de la main d’œuvre en situation de chômage.  
Mais si cette école accueille les flux d’élèves sans tri et sans sélection, ne contribuera pas -t- elle à saper la qualité de l’enseignement, sans être consciente de cette contradiction ? Et si la société a besoin aujourd’hui même de plusieurs milliers de diplômés en informatique, est que ce sera le cas dans quelques années ? Et à quoi pourrait servir la maitrise en informatique dans les années à venir ? Aujourd’hui, le ministère de l’éducation est en train de les recruter pour enseigner les langues dans les écoles primaires, n’est pas là l’enseignement de l’ignorance, de la bêtise ?
Aujourd’hui, il n’est pas difficile de constater que le niveau des vieux bacheliers (ceux années 50, 60,70…) en langue et en savoirs est supérieur au maitrisard (quelque soit la spécialité).
En dépit de cette indigence, nous voyons, à la fin de chaque année scolaire, les nouveaux bacheliers fêter leurs diplômes ; certains d’entre eux, le fêtent doublement car ils l’ont obtenu sans fournir le moindre effort pour le mériter et grâce au 25% et à la grande souplesse des conditions de rachat, et grâce aux grilles d’évaluation « objectives».
Le néo-libéralisme sème la pauvreté et la misère, sans aucune gène ; il répand l’ignorance à sa manière spécifique, en accordant des diplômes pour cette ignorance, mais il s’agit  de diplômés stressés et minés par le sentiment d’impuissance ,  car   en dépit d’ une formation de bac + 3,4 ou même 5, ils se retrouvent au chômage, ou ils occupent un emploi qui ne correspond pas à leur profil et qui ne leur assure même pas l’argent de poche .
 Cette situation dramatique accroit leur doute, leur fait perdre toute la confiance dans une école qui les a bernés durant des années en leur vendant un mirage.  
Au cours des années soixante du siècle dernier , il y avait en Tunisie des écoles normales d’instituteurs et d’institutrices qui préparaient les élèves au diplôme de fin d’études normales, c’est un diplôme  qui équivaut  le baccalauréat des autres sections lettres ou sciences ; les diplômés de ces écoles suivaient une formation solide qui les habilitait à assurer un enseignement de base de haute facture aux élèves des écoles primaires ; et aujourd’hui que trouve - t- on ? Des licenciés ou des maitrisards à qui on offre une formation « fast-food » ne dépassant guère une vingtaine d’heures dans les rudiments de la langue pour enseigner en tant que professeur d’écoles primaires ? L’instituteur d’antan n’est-il pas mille fois meilleur que le professeur d’écoles d’aujourd’hui ? Ces derniers ne maitrisent aucune langue (ni l’arabe, ni le français ni encore moins l’anglais) ; ils ne maitrisent non plus aucune des sciences qu’ils sont chargées d’enseigner à leurs élèves.
On est en droit de se poser la question suivante : Est-ce que la mission de l’école est de former les enfants ou de résoudre la question de l’emploi des diplômés du supérieur ? Que peut-on espérer de cette école ? N’allait-elle pas produire des idiots et des abrutis ? Avec ces écoles on est entrain d’enseigner l’ignorance, nous avançons avec des pas rapide vers la société de l’ignorance et vers la mort de l’école publique, l’école de la république.
Brahim ben Salah, Inspecteur général de l’éducation
Traduit pat Hédi bouhouch et Mongi Akrout pour Blog pédagogique
Tunis Octobre 2014



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[1] François Durpaire, Béatrice Mabilon-Bonfils, La fin de l'école. L'ère du savoir-relation, PUF,274 p., ISBN 978-2-13-062527-8
François Durpaire est maître de conférences en sciences de l'éducation et aussi consultant média très connu. Béatrice Mabilon Bonfils,  professeure de sociologie
Evidemment ce n'est pas une idée nouvelle. On la trouve dans des ouvrages de science-fiction et de façon plus sérieuse par Ivan Illich
[2]  Mohamed Charfi fut ministre de l’éducation et de l’enseignement supérieur de 1989 (Avril) à 1994 ( Mai)
[3] Le deux chocs pétroliers  ont eu lieu respectivement en 1973-74 et 1978 -81, qui se sont traduits par une augmentation des prix du pétrole brut.

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