Nous
consacrons cette quatrième partie à l’étude
de la place des inspecteurs et de
l'inspection pédagogique dans les structures administratives centrales et
régionales du ministère et aux questions relatives à la gestion de leurs
affaires, morales et matérielles.
I. La place de l’inspection pédagogique dans l'administration centrale : une question
qui n'est pas encore réglée.
L'inspection
pédagogique occupe une position clé dans
l'administration centrale, elle
fut pendant une longue période, chargée
de la conception et de la rédaction des
programmes scolaires, de la formation pédagogique initiale des nouveaux
enseignants, et de la formation continue du corps enseignant en exercice, l’inspection
pédagogique était chargée également de l’évaluation du système éducatif (évaluation
des enseignants , des programmes, des manuels scolaires et des établissements
d'enseignement).
L’importance de toutes
ces tâches explique peut être les tensions
entre l’autorité pédagogique représentée
par le corps des inspecteurs et l’autorité
administrative (centrale ou régionale), les rapports entre les deux autorités ont
été toujours marqués par la concurrence
et la rivalité ; et de méfiance.
1.
La
place des Inspecteurs généraux : une question encore non résolue.
Le
décret[1]
287 de 1961 a défini la place des Inspecteurs généraux dans l’organigramme du Secrétariat
d’état à l’éducation, ce corps se trouve attaché directement au
Secrétaire d’état « l’inspecteur général de l’éducation nationale relève
directement du Secrétaire d’état à l’éducation nationale, auquel il rend compte
de ses activités» (Art.- 5).
La
loi 1973 relative au statut de
l'inspection pédagogique a confirmé dans son article 2 que "les
Inspecteurs généraux de l'éducation nationale relèvent directement du Ministre de l'Éducation
nationale
..."
Cette
position a été entérinée, en 1980[2],
et elle est restée sans changement jusqu'en
1983 , année qui a vu la promotion de quatre inspecteurs principaux au grade d'inspecteur général de l’éducation
nationale ,il s’agissait de MM Ahmed souya , Mohsen Mezghanni et Abdelmajid
Dhouib et Abdul Karim Marrak, les nouveaux promus ont revendiqué l’application
du statut , ce qui a donné naissance à
un conflit ( un différend) avec le
Directeur général des programmes et de la formation continue de l’époque[3]
qui s’est terminé par une modification des prérogatives de la direction
générale des programmes et de la formation continue et qui fait d’elle la direction de tutelle
puisque la modification stipule que « toutes les initiatives et
activités des inspecteurs généraux doivent
être réalisés sous l’égide de la direction générale des programmes et de la
formation continue. » ( art 4
nouveau)[4]
, l’article 6 nouveau charge la dite
direction de « superviser l’organisation des travaux et des activités
pédagogiques et de formation que prennent les inspecteurs généraux et d’en
assurer la coordination »
.
Mais
ce nouveau texte n’a pas mis fin à la tension et dans un souci d’apaisement le Ministre charge chaque inspecteur général d’une mission, Ahmed souya
prend la direction du bulletin
pédagogique de l’enseignement secondaire, Mohsen Mezghanni fut chargé du
dossier de l’école de base, Abdelmajid Dhouib de la question de l’évaluation
des élèves et du contrôle continue enfin
Abdel Karim al Marrak fut chargé du
dossier du stage pédagogique
des nouvelles recrues.
En
réalité la question de la place des inspecteurs généraux s’était posée en 1983
,car c’était la première fois dans l’histoire de l’éducation nationale que des
Inspecteurs généraux du terrain sont promus à ce grade, il était de tradition que
l’inspecteur général se trouvait à la tête d’une structure administrative centrale
ou régionale, dans ce cas la question de sa place ne se posait même pas.
Mais
la crise ou plutôt l’affaire de 1983 a
laissé des séquelles très profondes, car les inspecteurs généraux n’ont pas admis
cette mise sous tutelle d’une direction centrale,
alors qu’ils se considéraient toujours comme les conseillers du ministre et ses
adjoints. Paradoxalement, la situation s’est compliquée avec la création de l’Inspection générale de
l'éducation, au début des années quatre vingt dix[5],
car le décret de sa création n'a pas traité
cette question, de même que le décret de
2001[6] qui a fixé le statut particulier du corps des
inspecteurs a omis d’en parler aussi, pour débloquer la situation , un Conseil des
inspecteurs généraux fut instauré ( sans aucune assise juridique) supervisé par le ministre qui définit les missions
de ses membres, mais , très vite , il
s’est avéré que cette formule n'étaient ni pratique ni efficace, laissant les inspecteurs
généraux entre l'Inspection générale et le
cabinet , bénéficiant des services de l'inspection générale sans être tenu de lui rendre compte et sont désireux de faire
partie du cabinet tout en cherchant à
rester indépendant , mais sans en arriver à leur but. Vivant comme l’a bien dit l’un
d’entre eux « un sorte de chômage technique »
2.
La
place des autres grades d’inspecteurs dans l’administration centrale
En étudiant la
place du reste des catégories d’inspecteurs nous pouvons
distinguer trois périodes différentes:
a) Une première période: de l'indépendance au début des
années quatre-vingt: l'inspection pédagogiques dépendait directement des directions de l'enseignement.
Depuis le début
de l'indépendance, l’inspecteur pédagogique était rattaché aux directions
centrales, en fonction du degré de l'enseignement auquel il appartient, en
1972 le décret[7] relatif à l’organisation de l’administration centrale
a consacré cet état de fait.
§ Les inspecteurs des écoles primaires se trouvent
rattachés à la direction de l’enseignement primaire qui était chargée de
« l’inspection pédagogique de l’ensemble des enseignants du premier degré
, du contrôle et de coordination de l’activité des inspections régionales de
l’enseignement primaire, du contrôle pédagogique et administratif des écoles privées … » la dite direction
avait une sous direction pédagogique avec deux services dont l’une était
chargée des « stages , de l’animation pédagogique …»
§ Les inspecteurs de l'enseignement secondaire et de
l’enseignement moyen étaient sous la tutelle de la direction de l'enseignement
secondaire et de technique et professionnel, qui a était chargée ente autre de «
de l’inspection et du complément de formation pédagogique de l’ensemble des enseignants
du second degré ", et « du contrôle et de la coordination des activités des inspections
régionales de l’enseignement secondaire[8] ».
pour remplir ces tâches cette direction comportait un service de l'inspection de pédagogique ".
b) La deuxième période : de la création de la
direction des programmes (1976) à la naissance de l’inspection générale (1992)
Cette situation
est restée sans changements notables jusqu’ en 1980[9]
et la réorganisation de l’administration centrale du ministère suite à la
création de la direction des programme en 1976[10]
, cette réorganisation un changement de
l’autorité de tutelle pour les inspecteurs de l’enseignement secondaire ,
désormais ces derniers relèvent de la direction des programmes qui se voit
chargée entre autre de « l’organisation des concours de recrutement
des inspecteurs de l’enseignement secondaire[11]
ainsi que leurs affectation et leur promotion » quant aux inspecteurs de l’enseignement
primaire, la situation n’a pas changé et ils continuent à dépendre de la
direction de l’enseignement primaire qui se voit doter d’une sous direction de
la pédagogie qui comportait un « service de la formation continue, de
l’inspection et de l’animation pédagogique ».
c) La troisième période : début des années 90 et la
naissance de l’inspection générale de l’éducation
Après
une gestation difficile, et grâce au l’action militante de plusieurs
générations d’inspecteurs dans le cadre de l’amicale des inspecteurs de
l’enseignement secondaire, l’inspection générale de l’éducation a pu voir le
jour en 1992 [12]
, Mustapha ben nejma , inspecteur général de l’éducation fut nommé à sa tête ,
secondé par mustapha Neifer ,inspecteur principal de français et Amor
Bennour , inspecteur principal d’arabe.
Cette nouvelle
structure a connu deux phases depuis sa création :
§ Une première phase de 1992 à 1998 au cours de
laquelle l’inspection générale de l’éducation( IGE) était chargée « de diriger l’inspection
pédagogique des lycées et des collèges » et de « l’exploitation des
rapports d’inspection dans le but de faire évoluer les méthodes d’évaluation
des enseignants , elle est aussi appelée à participer au recrutement des
inspecteurs des collèges et des lycées.et à la nomination des inspecteurs et
des conseillers pédagogiques, quant aux inspecteurs des écoles primaires ils
continuent à dépendre de la direction générale du premier cycle de
l’enseignement de base.
§ Deuxième période : depuis la fin des années
quatre vingt dix
Il
a fallu attendre l’année 1998, pour voir
des inspecteurs des écoles primaires rejoindre l’IGE qui se voit confier
« l’inspection pédagogique des écoles primaires, pour assurer cette
nouvelle charge , l’IGE est renforcée par une nouvelle direction « la
direction de l’inspection du premier cycle de l’enseignement de base » .
C’est
ainsi que le corps des inspecteurs pédagogiques, exerçant dans les divers
cycles de l’enseignement fut regroupé au
sein d’une même et seule structure pour la première fois dans l’histoire de
l’école tunisienne , qui s’occupe du recrutement et participe dans la promotion
et veillent sur tout ce qui touche aux aspects matériels et morals de la
carrière de l’inspecteur ; mais cette «union» fut mal acceptée par une
grande partie des inspecteurs du primaire au début, ils avaient des inquiétudes
injustifiées tel que le risque de la prépondérances des inspecteurs de l’enseignement
secondaire, mais quelques années de cohabitation ont a rapidement démenti
toutes ces appréhensions , au contraire les inspecteurs du premier cycle de
l’enseignement ont beaucoup gagné quand ils ont rejoint l’IGE , car elle leur a
permis de renforcer l’autonomie de leur
décision pédagogique, elle leur a permis de participer aux mouvements
annuellement selon des critères connus par tous et appliqués sans aucune
distinction.
II. La place de l’inspection pédagogique au niveau
régional.
A
la fin des années soixante (1967-1968) a vu la création des premières
directions régionales de l’enseignement, mais l’inspection pédagogique est
restée un corps relevant de la direction
centrale qui entretient des relations fonctionnelles avec les directions régionales,
En
1972 le corps des inspecteurs commence à
se détacher de l’administration centrale
avec la création des inspections régionales de l’enseignement, en effet le
décret réorganisant l’administration centrale du ministère de l’éducation
nationale a permis la création :
§ Des inspections régionales au sein de la direction de
l’enseignement primaire qui se sont traduites par la création d’une inspection
dans chaque gouvernorat.
§ Et des inspections régionales de l’enseignement
secondaire au sein de la direction de l’enseignement secondaire, technique et
professionnel qui se sont traduites par la création de trois inspections
régionales de l’enseignement secondaire en janvier 1973 , la première à Béja regroupant les établissement du nord
ouest , la deuxième à Sousse pour les gouvernorats du sahel et du centre, la
troisième à Sfax pour les gouvernorats du sud ; les établissements de
Tunis et de Nabeul continuent relever directement de l’administration centrale.
Les
inspecteurs des écoles primaires ont intégrés les inspections régionales de
l’enseignement primaire, exerçant leurs activités sous l’autorité directe de l’inspecteur
régional, les inspecteurs de l’enseignement secondaire exerçant dans les
régions dépendantes des inspections régionales dans le cadre de celles-ci sans
avoir un chef ou une autorité régionale à qui il se devait de rendre comte de
ses activités, alors que ceux qui exerçaient dans les régions qui ne relèvent
d’aucune inspection régionale continuent à dépendre dd l’administration
centrale.
La
situation n’a guère changé avec la création des directions régionales de
l’enseignement secondaire en 1981 et des commissariats régionaux de
l’enseignement primaire dans chaque gouvernorat en 1981[13],
dirigé par un inspecteur régional des écoles primaires, depuis on assiste au
raffermissement de l’appartenance de l’inspecteur des écoles primaires aux
structures de la région, cela pourrait s’expliquer par le choix des
commissaires régionaux exclusivement parmi les inspecteurs régionaux qui furent depuis
longtemps les chefs hiérarchiques des
inspecteurs des écoles primaires dans
les circonscriptions , ces rapports se sont consolidés avec la mise en place ‘un
conseil des inspecteurs dans chaque commissariat régional présidé par le
commissaire régional , qui se réunit périodiquement pour débattre des questions
pédagogiques et éducatives de la région.
Alors
que le statut de l’inspecteur de l’enseignement secondaire est resté sans
changement c'est-à-dire que ses rapports avec le directeur régional sont des
rapports fonctionnels bien que les prérogatives des directions régionales touchent
les aspects administratifs, financiers et aussi pédagogiques tels que l’organisation
et la coordination de l’inspection pédagogique des enseignants, l’organisation, la gestion et
le suivi des activités pédagogiques dans
la région, cette situation très ambigüe s’explique peut être par le fait que la
plupart des inspecteurs à cette époque travaillaient sur plusieurs directions
tout en étant attachés administrativement à une seule direction , chose qui n’a
pas manqué de provoquer plusieurs problèmes et
de tensions, surtout quand le directeur régional n’appartenait pas au
corps des inspecteurs.
La
situation s’est maintenue même après la décision de fusionner les commissariats du primaire et les directions du secondaire en une seule institution par gouvernorat sous
les appellations successives suivantes : « direction régionale de
l’enseignement , puis direction
régionale de l’enseignement et de la formation en 2007 et enfin le commissariat régional de l’éducation dès 2010[14]
Depuis
2007[15],
le place du corps des inspecteurs au niveau régional a connu un changement
notable surtout après :
§ l’institution d’un conseil pédagogique régional qui
deviendra par la suite « conseil
pédagogique du commissariat régional de l'éducation » et dont la mission est « d’assister
le commissaire régional dans
l'accomplissement de ses attributions relatives au suivi et à l'évaluation
§ Et la mise en place d’une « Direction de l’évaluation,
de la formation et du suivi pédagogique » dirigée par un inspecteur pédagogique [16]
, cette direction comporte une sous direction de l’inspection pédagogique et du
suivi des projets pédagogiques dont la mission était « le
contrôle pédagogique des établissements d’enseignement et de formation publics
et privés, l’organisation et la
coordination de l’inspection des enseignants et des formateurs , le suivi des
inspections , l’analyse et l’exploitation des rapports des inspecteurs - l’organisation
des activités pédagogiques dans la région et la supervision de leurs mises en œuvre.
Avec
cette nouvelle organisation, le corps des inspecteurs relève, théoriquement, des
directions régionales puis des commissariats régionaux du moins administrativement,
mais sur la plan pratique rien n’a changé au fond surtout que depuis 2010 avec
la création des commissariats régionaux , la direction de l’évaluation et du suivi pédagogique disparait et elle est remplacée par le bureau de
l’inspection pédagogique qui se trouve attaché directement au cabinet du
commissaire régional sans préciser ses attributions
Conclusion
Telles
sont les étapes et les évolutions de
l'histoire de l'inspection pédagogique en Tunisie, qui ont touché aussi bien les tâches que les grades et les modes
de recrutement et de promotion sans pour autant résoudre la question de fond , à
savoir la place de l’inspection dans le système éducatif tunisien .
Hédi Bouhouch et Mongi Akrout,
inspecteurs généraux de l’éducation
Tunis
octobre 2014
La
semaine prochaine: le dernier papier de l’histoire
de l’inspection sera consacré au bilan
et aux perspectives.
Précédents articles sur
le même thème
[1]
Décret 287 du 18 aout 1961 fixant le statut particulier des personnels
communs aux divers ordres d’enseignement.
[2] Décret n° 955 de 1980 daté du 19 juillet 1980 portant
réorganisation de l’administration centrale du Ministère de l’éducation, jort
n° 44 du 5 Août 1980.
[3] Le directeur général des programmas et de la formation
continue de l’époque était feu Abdelaziz ben Hassan lui même inspecteur général
[4] Décret n° 83-38 du 22 janvier 1983
portant modification du décret 80-955 du 19 juillet 1980 relatif à la
réorganisation de l’administration centrale du Ministère de l’éducation
nationale- Jort n° 6- du 21-25 janvier 1983.
[5] L’inspection générale de l’éducation a
été créée par le décret 1929 - 1992, en date du 2 novembre 1992 paru au Jort n°
75 du 10 novembre 1992.
[6] le décret de 2001- 2348 du 2 octobre 2001 , fixant le
statut particulier du corps du personnel
de l’inspecteur pédagogique du Ministère de l’éducation- Jort n°81 du 9 octobre
2001.
[7] Décret 303 en date du 29 septembre 1972
relatif à l’organisation de
l’administration centrale du ministère de l’éducation nationale- Jort n° 56 du
21 septembre 1972.
[9] Décret 955 - 1980 en date du 19 juillet
1980 relatif à la réorganisation de l’administration centrale - Jort n°44 du 5
aout 1980.
[10] Décret 829 - 1976
en date du 13 septembre 1976, relatif à
la création de la direction des programmes - Jort n°56 du 21 Septembre1976.
[11] Cette
fonction fut transférée en 1983 à la nouvelle direction des examens qui se
chargeait depuis cette date de l’organisation des concours de recrutement des inspecteurs des deux degrés , Décret
1001 - 1983 en date du 26 octobre 1983 relatif à la création de la direction
des examens - Jort n°70 du 10 novembre 1983 .
[12] Décret 1929- 1992 du 2
novembre 1992 - jort n° 75 en date du 10 novembre 1992
[13] Décret 1981-214 du 18 février 1981 fixant les
prérogatives et l’organisation des commissariats régionaux de l’enseignement
primaire.
[14] Loi n° 2010- 14 du 9 mars 2010 relative aux commissariats
régionaux de l’éducation et Décret
2205-2010 du 6 septembre 2010 portant création des commissariats
régionaux de l'éducation et fixant leur organisation administrative et
financière et leurs attributions ainsi que les modalités de leur fonctionnement - jort n° 74 du 14 septembre
2010
[15] Décret 2007-463 du 6 septembre 2007 fixant
l’organisation et les attributions des directions régionales de l’éducation et
de la formation, jort n° 21 du 13 septembre 2007
[16] Le décret de 2007 ne stipule guère cela, d’autre part le
décret continue à entretenir l’ambiguïté quant aux rapports entre cette
nouvelle direction et le corps des inspecteurs, puisqu’il ne précise pas
clairement qu’elle était leur l’autorité de tutelle.
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