dimanche 5 octobre 2014

Partie 4 : Place des inspecteurs dans le système éducatif


          Nous consacrons  cette quatrième partie à l’étude de la place  des inspecteurs et de l'inspection pédagogique dans les structures administratives centrales et régionales du ministère et aux questions relatives à la gestion de leurs affaires, morales et matérielles.


I.      La place de l’inspection pédagogique dans  l'administration centrale : une question qui n'est pas encore réglée.
L'inspection pédagogique occupe une position clé dans  l'administration centrale,  elle fut pendant une longue période,  chargée de la conception  et de la rédaction des programmes scolaires, de la formation pédagogique initiale des nouveaux enseignants, et de la formation continue du corps enseignant en exercice, l’inspection pédagogique était chargée également de l’évaluation du système éducatif (évaluation des enseignants , des programmes, des manuels scolaires et des établissements d'enseignement).
 L’importance de toutes ces tâches  explique peut être les tensions entre l’autorité pédagogique  représentée par le corps des inspecteurs  et l’autorité administrative (centrale ou régionale), les rapports entre les deux autorités ont été toujours  marqués par la concurrence et la rivalité ; et de méfiance.  
1.    La place des Inspecteurs généraux : une question encore non résolue.
Le décret[1] 287 de 1961 a défini la place des Inspecteurs généraux dans l’organigramme du Secrétariat d’état  à l’éducation,  ce corps se trouve attaché directement au Secrétaire d’état «  l’inspecteur général de l’éducation nationale relève directement du Secrétaire d’état à l’éducation nationale, auquel il rend compte de ses activités» (Art.- 5).
La loi 1973  relative au statut de l'inspection pédagogique a confirmé dans son article 2 que "les Inspecteurs généraux de l'éducation nationale relèvent  directement du Ministre de l'Éducation nationale ..."
Cette position  a  été entérinée, en 1980[2], et elle est restée sans changement  jusqu'en  1983 , année qui a vu la promotion de quatre inspecteurs principaux  au  grade d'inspecteur général de l’éducation nationale ,il s’agissait de MM Ahmed souya , Mohsen Mezghanni et Abdelmajid Dhouib et Abdul Karim Marrak, les nouveaux promus ont revendiqué l’application du statut  , ce qui a donné naissance à un conflit ( un différend)  avec le Directeur général des programmes et de la formation continue de l’époque[3] qui s’est terminé par une modification des prérogatives de la direction générale des programmes et de la formation continue  et qui fait d’elle la direction de tutelle puisque la modification stipule que « toutes les initiatives et activités des inspecteurs généraux  doivent être réalisés sous l’égide de la direction générale des programmes et de la formation continue. » ( art 4 nouveau)[4] , l’article 6 nouveau  charge la dite direction de «  superviser l’organisation des travaux et des activités pédagogiques et de formation que prennent les inspecteurs généraux et d’en assurer la coordination » .
Mais ce nouveau texte n’a pas mis fin à la tension et dans un souci d’apaisement  le Ministre charge chaque  inspecteur général  d’une  mission,  Ahmed souya   prend la direction du bulletin pédagogique de l’enseignement secondaire, Mohsen Mezghanni fut chargé du dossier de l’école de base, Abdelmajid Dhouib de la question de l’évaluation des élèves et du contrôle continue  enfin  Abdel Karim al Marrak fut chargé du dossier   du stage  pédagogique  des nouvelles recrues.
En réalité la question de la place des inspecteurs généraux s’était posée en 1983 ,car c’était la première fois dans l’histoire de l’éducation nationale que des Inspecteurs généraux du terrain sont promus à ce grade, il était de tradition que l’inspecteur général se trouvait à la tête d’une structure administrative centrale ou régionale, dans ce cas la question de sa place ne se posait même pas.
Mais la crise ou plutôt l’affaire de 1983  a laissé des séquelles très profondes, car les inspecteurs généraux n’ont pas admis cette  mise sous tutelle d’une direction centrale, alors qu’ils se considéraient toujours comme les conseillers du ministre et ses adjoints. Paradoxalement, la situation s’est  compliquée  avec la création de l’Inspection générale de l'éducation, au début des années quatre vingt dix[5],  car le décret de sa création n'a pas traité cette question,  de même que le décret de 2001[6]  qui a fixé le statut particulier du corps des inspecteurs a omis d’en parler aussi, pour débloquer la situation , un Conseil des inspecteurs généraux fut instauré ( sans aucune assise juridique)  supervisé par le ministre qui définit les missions  de ses membres, mais , très vite , il s’est avéré que cette formule n'étaient ni pratique ni efficace, laissant les inspecteurs généraux  entre l'Inspection générale et le cabinet , bénéficiant des services de l'inspection générale sans être tenu de  lui rendre compte et sont désireux de faire partie du cabinet  tout en cherchant à rester indépendant  , mais  sans en arriver à leur but. Vivant comme l’a bien dit l’un d’entre eux «  un sorte de chômage technique »
2.    La place des autres grades d’inspecteurs dans l’administration centrale
En étudiant la place du reste des catégories d’inspecteurs  nous  pouvons distinguer trois périodes différentes:
a)    Une première période: de l'indépendance au début des années quatre-vingt: l'inspection pédagogiques  dépendait directement des directions de l'enseignement.
Depuis le début de l'indépendance, l’inspecteur pédagogique était rattaché  aux directions  centrales, en fonction du degré de l'enseignement auquel il appartient, en 1972 le décret[7] relatif  à l’organisation de l’administration centrale a consacré cet état de fait.
§  Les inspecteurs des écoles primaires se trouvent rattachés à la direction de l’enseignement primaire qui était chargée de «  l’inspection pédagogique de l’ensemble des enseignants du premier degré , du contrôle et de coordination de l’activité des inspections régionales de l’enseignement primaire, du contrôle pédagogique et administratif  des écoles privées … » la dite direction avait une sous direction pédagogique avec deux services dont l’une était chargée des «  stages , de l’animation pédagogique …»  
§  Les inspecteurs de l'enseignement secondaire et de l’enseignement moyen étaient sous la tutelle de la direction de l'enseignement secondaire et de technique et professionnel, qui a était chargée ente autre de «  de l’inspection et du complément de formation pédagogique de l’ensemble des enseignants du second degré ", et « du contrôle  et de la  coordination des activités des inspections régionales de l’enseignement secondaire[8] ». pour remplir ces tâches cette direction comportait  un service de l'inspection  de pédagogique ".
b)   La deuxième période : de la création de la direction des programmes (1976) à la naissance de l’inspection générale (1992)

Cette situation est restée sans changements notables jusqu’ en 1980[9] et la réorganisation de l’administration centrale du ministère suite à la création de la direction des programme en 1976[10]  , cette réorganisation un changement de l’autorité de tutelle pour les inspecteurs de l’enseignement secondaire , désormais ces derniers relèvent de la direction des programmes qui se voit chargée entre autre de «  l’organisation des concours de recrutement des inspecteurs de l’enseignement secondaire[11] ainsi que leurs affectation et leur promotion »  quant aux inspecteurs de l’enseignement primaire, la situation n’a pas changé et ils continuent à dépendre de la direction de l’enseignement primaire qui se voit doter d’une sous direction de la pédagogie qui comportait un « service de la formation continue, de l’inspection et de l’animation pédagogique ».
c)    La troisième période : début des années 90 et la naissance de l’inspection générale de l’éducation
Après une gestation difficile, et grâce au l’action militante de plusieurs générations d’inspecteurs dans le cadre de l’amicale des inspecteurs de l’enseignement secondaire, l’inspection générale de l’éducation a pu voir le jour en 1992 [12] , Mustapha ben nejma , inspecteur général de l’éducation fut nommé à sa tête , secondé par mustapha Neifer ,inspecteur principal de français et Amor Bennour , inspecteur principal d’arabe.
Cette nouvelle structure a connu deux phases depuis sa création :
§  Une première phase de 1992 à 1998 au cours de laquelle l’inspection générale de l’éducation( IGE)  était chargée «  de diriger l’inspection pédagogique des lycées et des collèges » et de « l’exploitation des rapports d’inspection dans le but de faire évoluer les méthodes d’évaluation des enseignants , elle est aussi appelée à participer au recrutement des inspecteurs des collèges et des lycées.et à la nomination des inspecteurs et des conseillers pédagogiques, quant aux inspecteurs des écoles primaires ils continuent à dépendre de la direction générale du premier cycle de l’enseignement de base.
§  Deuxième période : depuis la fin des années quatre vingt dix
Il a fallu attendre l’année 1998, pour voir  des inspecteurs des écoles primaires rejoindre l’IGE qui se voit confier « l’inspection pédagogique des écoles primaires, pour assurer cette nouvelle charge , l’IGE est renforcée par une nouvelle direction «  la direction de l’inspection du premier cycle de l’enseignement de base » .
C’est ainsi que le corps des inspecteurs pédagogiques, exerçant dans les divers cycles de l’enseignement  fut regroupé au sein d’une même et seule structure   pour la première fois dans l’histoire de l’école tunisienne , qui s’occupe du recrutement et participe dans la promotion et veillent sur tout ce qui touche aux aspects matériels et morals de la carrière de l’inspecteur ; mais cette «union» fut mal acceptée par une grande partie des inspecteurs du primaire  au début, ils avaient des inquiétudes injustifiées tel que le risque de la prépondérances des inspecteurs de l’enseignement secondaire, mais quelques années de cohabitation  ont a rapidement démenti toutes ces appréhensions , au contraire les inspecteurs du premier cycle de l’enseignement ont beaucoup gagné quand ils ont rejoint l’IGE , car elle leur a permis de renforcer l’autonomie  de leur décision pédagogique, elle leur a permis de participer aux mouvements annuellement selon des critères connus par tous et appliqués sans aucune distinction.
II.   La place de l’inspection pédagogique au niveau régional.
A la fin des années soixante (1967-1968) a vu la création des premières directions régionales de l’enseignement, mais l’inspection pédagogique est restée un corps  relevant de la direction centrale qui entretient des relations fonctionnelles avec les directions régionales,
En 1972  le corps des inspecteurs commence à se détacher de  l’administration centrale avec la création des inspections régionales de l’enseignement, en effet le décret réorganisant l’administration centrale du ministère de l’éducation nationale a permis la création :
§  Des inspections régionales au sein de la direction de l’enseignement primaire qui se sont traduites par la création d’une inspection dans chaque gouvernorat.
§  Et des inspections régionales de l’enseignement secondaire au sein de la direction de l’enseignement secondaire, technique et professionnel qui se sont traduites par la création de trois inspections régionales de l’enseignement secondaire en janvier 1973 , la première  à Béja regroupant les établissement du nord ouest , la deuxième à Sousse pour les gouvernorats du sahel et du centre, la troisième à Sfax pour les gouvernorats du sud ; les établissements de Tunis et de Nabeul continuent relever directement de l’administration centrale.
Les inspecteurs des écoles primaires ont intégrés les inspections régionales de l’enseignement primaire, exerçant leurs activités sous l’autorité directe de l’inspecteur régional, les inspecteurs de l’enseignement secondaire exerçant dans les régions dépendantes des inspections régionales dans le cadre de celles-ci sans avoir un chef ou une autorité régionale à qui il se devait de rendre comte de ses activités, alors que ceux qui exerçaient dans les régions qui ne relèvent d’aucune inspection régionale continuent à dépendre dd l’administration centrale.
La situation n’a guère changé avec la création des directions régionales de l’enseignement secondaire en 1981 et des commissariats régionaux de l’enseignement primaire dans chaque gouvernorat en 1981[13], dirigé par un inspecteur régional des écoles primaires, depuis on assiste au raffermissement de l’appartenance de l’inspecteur des écoles primaires aux structures de la région, cela pourrait s’expliquer par le choix des commissaires régionaux exclusivement parmi  les inspecteurs régionaux qui furent depuis longtemps les chefs hiérarchiques  des inspecteurs des écoles primaires  dans les circonscriptions , ces rapports se sont consolidés avec la mise en place ‘un conseil des inspecteurs dans chaque commissariat régional présidé par le commissaire régional , qui se réunit périodiquement pour débattre des questions pédagogiques et éducatives de la région.
Alors que le statut de l’inspecteur de l’enseignement secondaire est resté sans changement c'est-à-dire que ses rapports avec le directeur régional sont des rapports fonctionnels bien que les prérogatives des directions régionales touchent les aspects administratifs, financiers et aussi pédagogiques tels que l’organisation et la coordination de l’inspection pédagogique  des enseignants, l’organisation, la gestion et le suivi  des activités pédagogiques dans la région, cette situation très ambigüe s’explique peut être par le fait que la plupart des inspecteurs à cette époque travaillaient sur plusieurs directions tout en étant attachés administrativement à une seule direction , chose qui n’a pas manqué de provoquer plusieurs problèmes et  de tensions, surtout quand le directeur régional n’appartenait pas au corps des inspecteurs.
La situation s’est maintenue même après la décision de fusionner les commissariats  du primaire et les directions du secondaire  en une seule institution par gouvernorat sous les appellations successives suivantes : « direction régionale de l’enseignement , puis  direction régionale de l’enseignement et de la formation en 2007 et enfin le  commissariat régional de l’éducation dès 2010[14]
Depuis 2007[15], le place du corps des inspecteurs au niveau régional a connu un changement notable surtout après :
§  l’institution d’un conseil pédagogique régional qui deviendra par la suite  « conseil pédagogique du commissariat régional de l'éducation » et dont la mission est « d’assister  le commissaire régional dans l'accomplissement de ses attributions relatives au suivi et à l'évaluation
§  Et la mise en place d’une « Direction de l’évaluation, de la formation et du suivi pédagogique » dirigée par un inspecteur pédagogique [16] , cette direction comporte une sous direction de l’inspection pédagogique et du suivi des projets pédagogiques dont la mission était   « le contrôle pédagogique des établissements d’enseignement et de formation publics et privés, l’organisation  et la coordination de l’inspection des enseignants et des formateurs , le suivi des inspections , l’analyse et l’exploitation des rapports des inspecteurs - l’organisation des activités pédagogiques dans la région et la supervision de leurs mises en œuvre.
Avec cette nouvelle organisation, le corps des inspecteurs relève, théoriquement, des directions régionales puis des commissariats régionaux du moins administrativement, mais sur la plan pratique rien n’a changé au fond surtout que depuis 2010 avec la création des commissariats régionaux , la direction de l’évaluation  et du suivi pédagogique disparait  et elle est remplacée par le bureau de l’inspection pédagogique qui se trouve attaché directement au cabinet du commissaire régional sans préciser ses attributions  

Conclusion
Telles  sont les étapes et les évolutions de l'histoire de l'inspection pédagogique en Tunisie, qui ont touché  aussi bien les tâches que les grades et les modes de recrutement et de promotion sans pour autant résoudre la question de fond , à savoir la place de l’inspection dans le système éducatif tunisien .
Hédi Bouhouch et Mongi Akrout, inspecteurs généraux de l’éducation
Tunis octobre 2014
La semaine prochaine: le dernier papier de l’histoire de l’inspection  sera consacré au bilan et aux perspectives.
 Précédents articles sur le même thème










[1]  Décret 287 du 18 aout 1961 fixant le statut particulier des personnels communs aux divers ordres d’enseignement.
[2] Décret n° 955 de 1980  daté du 19 juillet 1980 portant réorganisation de l’administration centrale du Ministère de l’éducation, jort n° 44 du 5 Août 1980.
[3]  Le directeur général des programmas et de la formation continue de l’époque était feu Abdelaziz ben Hassan lui même inspecteur général
[4] Décret n° 83-38 du 22 janvier 1983 portant modification du décret 80-955 du 19 juillet 1980 relatif à la réorganisation de l’administration centrale du Ministère de l’éducation nationale- Jort n° 6- du 21-25 janvier 1983.
[5] L’inspection générale de l’éducation a été créée par le décret 1929 - 1992, en date du 2 novembre 1992 paru au Jort n° 75 du 10 novembre 1992.
[6] le décret de 2001- 2348 du 2 octobre 2001 , fixant le statut particulier du corps  du personnel de l’inspecteur pédagogique du Ministère de l’éducation- Jort n°81 du 9 octobre 2001.
[7] Décret 303 en date du 29 septembre 1972  relatif à l’organisation de l’administration centrale du ministère de l’éducation nationale- Jort n° 56 du 21 septembre 1972.
[8]  Le décret cité ci dessus
[9] Décret 955 - 1980 en date du 19 juillet 1980 relatif à la réorganisation de l’administration centrale - Jort n°44 du 5 aout 1980.
[10]  Décret 829 - 1976 en date  du 13 septembre 1976, relatif à la création de la direction des programmes  - Jort n°56 du 21  Septembre1976.
[11]  Cette fonction fut transférée en 1983 à la nouvelle direction des examens qui se chargeait depuis cette date de l’organisation des concours de recrutement  des inspecteurs des deux degrés ,  Décret 1001 - 1983 en date du 26 octobre 1983 relatif à la création de la direction des examens  - Jort n°70 du 10  novembre 1983 .

[12] Décret 1929- 1992  du  2 novembre 1992 - jort n° 75 en date du 10 novembre 1992
[13]  Décret 1981-214 du 18 février 1981 fixant les prérogatives et l’organisation des commissariats régionaux de l’enseignement primaire.


[14] Loi n° 2010- 14 du 9 mars 2010 relative aux commissariats régionaux de l’éducation et  Décret 2205-2010 du  6 septembre 2010 portant création des commissariats régionaux de l'éducation et fixant leur organisation administrative et financière et leurs attributions ainsi que les modalités de leur fonctionnement - jort n° 74 du 14 septembre 2010
[15] Décret 2007-463 du 6 septembre 2007 fixant l’organisation et les attributions des directions régionales de l’éducation et de la formation,  jort  n° 21 du 13 septembre 2007
[16] Le décret de 2007 ne stipule guère cela, d’autre part le décret continue à entretenir l’ambiguïté quant aux rapports entre cette nouvelle direction et le corps des inspecteurs, puisqu’il ne précise pas clairement qu’elle était leur l’autorité de tutelle.

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