dimanche 12 octobre 2014

Note : Brève histoire de l’inspection pédagogique en Tunisie Partie 5 : Bilan et perspectives

Avec cette  dernière note nous achevons la série d’articles que nous avons consacrés   à l’histoire du corps de l’inspection pédagogique  en Tunisie, comme il s’agit du dernier épisode nous avons voulu le réserver pour  faire le bilan  de cette  longue histoire  et évoquer les perspectives telles que nous les espérons.


      I.            Le bilan

1.    Une place très importante et un rôle clé dans le système éducatif
Ce qui apparait à travers l’histoire de l’inspection pédagogique en Tunisie c’est que le ministère de l’éducation a depuis toujours compté sur l’expertise et les compétences de ce corps pour assurer les tâches et les missions essentielles dans le domaine de l’éducation et l’enseignement soit pour :
§  La mise en place de programmes scolaires nationaux qui font la synthèse entre la culture nationale, les progrès des sciences modernes, les nouvelles approches pédagogiques  et les nouvelles méthodes d’apprentissage.
§  Ou la production d’outils d’apprentissage au service des enseignants et des élèves (manuels, outils didactiques, guides pédagogiques…)
§  Ou la formation initiale  et l’encadrement des nouveaux enseignants en plus de l’encadrement et la formation continue des anciens.  
§  Ou la préparation et la présidence des centres et des jurys des examens nationaux, garantissant la qualité et la valeur des diplômes nationaux.
Le corps des inspecteurs a aussi joué, constamment, un rôle de premier ordre  dans :
§  les grands choix éducatifs et les réformes successives depuis la première réforme de 1958, tant au niveau de la conception que l’application des réformes et leur suivi ;
§   le recrutement des enseignants depuis l’institution du concours d’aptitude des professeurs du secondaire en 1999[1] et leurs promotions ;
§   La gestion administrative, puisqu’un nombre important  parmi les inspecteurs ont été à  la tête  des directions régionales et d’autres ont été chargé de diriger des directions centrales telle que la direction des programmes et de la formation continue, la direction générale ses examens, la direction de l’enseignement primaire ou encore l’inspection générale pédagogique[2].
2.    D’importants changements dans l’organisation, les fonctions et le mode de recrutement.
Ce corps, si important dans le système éducatif, a connu au depuis la réforme de 1991   de nets progrès  dans plusieurs niveaux :
§  au niveau de l’organisation avec la mise en place de l’inspection générale de l’éducation ( devenue aujourd’hui la direction générale de la pédagogie) qui a réussi à fédérer , malgré tout, les membres de ce corps qui étaient répartis entre différentes directions ( direction de l’enseignement secondaire et la direction de l’enseignement primaire  avant 1976 ; puis entre la direction des programmes et de la formation continue et la direction de l’enseignement primaire  jusqu’à la création de l’inspection générale  qui fut chargée de gérer la carrière des inspecteurs et de leurs encadrement
§  au niveau de l’autonomie de la décision de l’inspecteur des écoles primaires quant à l’évaluation des enseignants  puisque la note attribuée ne relève plus  que  de l’inspecteur et elle n’est plus une simple qu’une proposition qui doit être validée par la hiérarchie administrative  qui peut la modifier dans un sens comme dans un autre.
§  Au niveau du recrutement, le niveau de diplôme exigé est revu vers la hausse, puisque désormais le niveau de la maîtrise est devenu nécessaire pour concourir aux postes d’inspecteurs des écoles primaires depuis la parution du nouveau statut de 2001[3]
  
§  et au niveau de la professionnalisation grâce  à la  réforme du mode de recrutement et la mise en place d’un cycle de formation initiale[4]   spécifique depuis 2003  durant deux années[5] qui alterne entre une formation théorique  et académique  au CENAFE et une formation professionnelle et pratique dans les circonscriptions pédagogiques, on accédait à cette formation après avoir passé avec succès un concours écrit et pratique.
Le programme de formation est centré sur deux grands domaines :
-       le domaine des savoirs et des langues qui prend 30% de l’horaire pour les inspecteurs du secod degré et 40% pour les inspecteurs du premier degré.
-       Le domaine professionnel  et pratique qui prend le reste de l’horaire[6]
   II.            Les contraintes et les  freins
Mais la situation est encore loin d’être parfaite, plusieurs freins continuent a handicapé  ce corps et ce à plusieurs niveaux :
1.            Au niveau de l’organisation : l’ambiguïté de la question de l’autorité de tutelle doit être résolue,  pour se faire un équilibre qui reste à trouver entre la place et le rôle de l’administration  centrale (essentiellement l’inspection générale) qui doit être la seule autorité hiérarchique  de tous les inspecteurs   et l’administration régionale qui constitue le terrain d’action de l’inspecteur, le flou qui est entretenu par les uns et les autres ne peut qu’entraver l’action des inspecteurs.
2.              Au niveau de l’acte d’inspection: il est urgent de trouver un équilibre entre la fonction de contrôle qui est actuellement prédominante ( l’inspection sous sa forme classique) et la fonction d’accompagnement , qui est encore à ses premiers pas, les inspecteurs gagneraient  beaucoup en s’y engageant davantage après avoir assimilé et maitrisé  ses bases théoriques et scientifiques .
3.              au niveau de l’accomplissement des différentes fonctions : on constate un net déséquilibre entre les fonctions de conception d’une part, celle de l’exécution et celle du suivi d’autre part, tout en reconnaissant que la tache n’est guère facile car il s’agit de fonctions de nature très différente, mais l’inspecteur est appelé à concilier entre elles  

4.              Au niveau de  la sélection des futurs inspecteurs
Le mode actuel de sélection des futurs inspecteurs, bien  que meilleur que les systèmes qui prévalaient  avant 2003, comporte nombre d’insuffisances  parmi lesquelles on peut citer au moins deux :
-       La première concerne les conditions de participation au concours de recrutement, qui a prévu une ancienneté déterminée mais elles ne comportent aucune  limite d’âge maximale  pour les candidats appelés à suivre le cycle de formation, c’est ainsi  que certains  candidats ont été retenus et avaient entamé la formation alors qu’ils étaient à la veille de la retraite, ce qui constitue une véritable perte sèche pour le système éducatif.
-  La deuxième touche le profil des candidats , le concours  ne tient aucun compte ,au cours  de la  sélection du futur inspecteur, du passé professionnel  des candidats , le concours  ne prévoient pas  une étude du dossier administratif et pédagogique  des candidats  ( rapports d’inspection , les avis de leurs anciens directeurs , et de la direction régionale) ,  or une étude des dossiers  auraient permis de fournir une mine d’informations quant aux qualités du candidat , ses performances pédagogiques, ses qualités personnelles , or l’absence de toutes informations sur l’histoire du candidat  et  le fait de se limiter aux performances académiques , privent les jurys d’outils et d’indicateurs  pour sélectionner les profils capables de répondre aux besoins de la fonction de l’inspecteur  
C’est ainsi que le concours ,dans sa nouvelle version  depuis 2003, n’a  pas toujours permis de retenir les meilleurs éléments, ni de répondre aux besoins puisque les différentes sessions ont été marquées par un déficit, plusieurs postes ouverts  n’ont pas été pourvus.
Nous pensons que le concours , sous sa forme actuelle, manque de mécanismes efficaces qui permettraient de détecter les qualités spécifiques qui doivent être présentes  chez le futur inspecteur, ce qui a permis à un certain nombre de candidats de réussir le concours et d’entamer le cycle de formation sans avoir ni les compétence ni les qualités requises pour remplir la fonction de l’inspecteur ; or la formation d’une année ou même plus ne pourrait pas combler ce manque.
5.            Au niveau de la formation théorique :  Il faudrait préciser qu’à notre connaissance, aucune évaluation de la formation n’a été réalisée, même la décision de réduire la durée de la formation a été une décision  du ministre qui ne s’appuyait pas sur une évaluation préalable,  donc nous avons du utiliser les informations qu’on a pu avoir en étant pendant quelques sessions membres de la commission d’admission[7] en plus des témoignages de certains formateurs et d’anciens candidats , la plupart de ces témoignages évoquent    des insuffisances qui entravent  le bon fonctionnement de la formation des futurs inspecteurs , parmi lesquelles on pourrait citer à titre d’exemple :
a.    L’absence d’un référentiel professionnel officiel[8] qui fixe les compétences requises, et qui constituera la base de la formation initiale et la formation continue des inspecteurs ; mais en dépit de ce manque le CENAFE avait préparé un référentiel pour la formation qui est mis à la disposition des formateurs et des élèves inspecteurs, ce référentiel de la formation est une partie du référentiel professionnel.
b.   La qualité de la formation initiale assurée depuis quelques années par le centre national de formation des formateurs en éducation (CENAFE)[9],  par des  universitaires spécialistes en sciences de l’éducation cette formation ne fait pas l’unanimité certains n’hésitent pas à la critiquer et à dénoncer ses insuffisances qu’ils expliquent   essentiellement par :
-  la qualité et les compétences de certains formateurs chargés d’assurer la formation initiale théorique qui ne connaissent pas convenablement le passé et le présent du corps qu’ils sont chargés de former. Ces formateurs adoptent des méthodes qui ne sont pas adaptées à la population concernée par la formation en usant et abusant de longs cours magistraux, et de conférences et des résumés.
c.            La formation professionnelle et pratique souffre d’un, manque d’homogénéisation puisque la qualité des inspecteurs encadreurs ou tuteurs est très variable (souvent l’unique critère de choix est la proximité géographique) et le programme est souvent  laissé à la propre initiative de l’encadreur en l’absence de «  cahier  de charge » et d’un socle commun.  
III - Les perspectives
1.    Revoir les conditions de candidature au cycle de formation
Afin de dépasser les insuffisances citées précédemment et afin de consolider la professionnalisation, il est nécessaire de revoir les conditions de candidature  en y incluant :
a.     Une limite maximale d’âge, pour permettre au système de fructifier son investissement et pour assurer une meilleure rentabilité de la formation.
b.    L’exigence d’un certain nombre d’unités de valeur[10] en plus d’un certificat d’aptitude en langue arabe et en langue française et anglaise pour certaines spécialités ; un brevet en informatique  et en TIC.
c.      Une évaluation au parcours  pédagogique et professionnel des candidats.
d.  Exiger un diplôme post maitrise et post licence et transformer la formation pour en faire une formation diplômante.
2.    Réviser le programme de formation théorique  
a.     Il est nécessaire de réviser les unités de formation après une évaluation approfondie avec la participation des toutes les parties intéressées, certaines peuvent être préparées à distance (utilisation des compétences de l’école virtuelle) et intégrées dans les conditions de participation au concours, ce qui permet d’améliorer le profil des candidats et d’alléger le programme de formation en présentiel après l’admission  au cycle de formation.
b.    Consolider la formation professionnelle et pratique en respectant les proportions définies par les arrêtés d’organisation des cycles de formation.
c.     Alléger la formation théorique et assurer une meilleure synchronisation et une meilleure coordination  entre les formateurs académiques et les formateurs sur le terrain.
3.    Revoir les critères de désignation des inspecteurs tuteurs afin de choisir les plus aptes à assurer un tutorat de qualité, et veiller à mettre  en place un plan de formation aux objectifs clairs et précis.
4.    Consolider le  porte folio actuel par une recherche action où l’élève inspecteur traitera un problème ou une question qui est en rapport direct avec la circonscription où il a effectué son stage, cette recherche action sera une occasion au futur inspecteur de s’initier à la recherche.
Conclusion
Le corps de l’inspection pédagogique s’est engagé dans la voie de la professionnalisation, depuis la parution du nouveau statut de 2001, l’autonomie de ses décisions pédagogiques renforcée, l’inspection restera le garant d’un système éducatif moderne et neutre où les enseignants professionnels jouent un rôle de premier ordre, un système éducatif dont la finalité est de donner aux jeunes tunisiens une formation saine et complète qui s’intéresse à toutes les dimensions de leurs personnalités , tout en les respectant ; un système  éducatif où l’inspecteur pédagogique  est un accompagnateur et non pas seulement un contrôleur, qui veillent constamment à aider l’enseignant à développer ses compétences et ses capacités académiques et professionnelles , seules garant d’un enseignement de qualité et efficient capable de former le citoyen.     

Hédi Bouhouch et Mongi Akrout
Inspecteurs généraux de l’éducation.
Tunis, Août 2014.
 Précédents articles sur le même thème








[1] Le concours du CAPES a été institué par arrêté dus ministre de l’éducation et celui de l’enseignement supérieur en date du 16 janvier 1999 relatif au régime des concours d’aptitude au profesorat de l’enseignement secondaire, aux programmes, aux matières, et aux modes d’ouverture. Ce concours a connu plusieurs modifications puis il a été suspendu et remplacé en 2014 par le concours externe pour le recrutement des professeurs de l’enseignement secondaires, artistiques et techniques (arrêté du 21 Mars 2014, Jort N° 23 du 21 Mars 2014).  

[2] Un grand nombre d’inspecteurs ont été à la tête des directions régionales  comme Mohamed Fayala, Mohamed Boulabiar, Ahmed ben jamii,Moncef Bouabid, Mohsen Mezghzni, Mohsen Ben jemaa , Hsan Ghaddhoum, Taher Romdhan,Mde salah Charni , Mohamed Karrou
et bien d’autres encore  ;d’autres inspecteurs ont été chargés de diriger des directions centrales parmi eux Abdelaziz ben hsan,Moncef bouabid, Mahmoud Masmoudi, Omrane Boukhari , Mustapha Enneifer,abdelaziz jerbi qui ont dirigé la direction générale des programmes et de la formation continue , la direction  générale des examens a été dirigée par Mohamed Hédi Khlil, Sadok Gouider,Abdelmajid Gharbi,Hédi Bouhouch, Mongi Akrout ;l’inspection générale eut à sa tête Mustapha ben Nejma , Abdelmajid Gharbi,Hédi Bouhouch, les directions de l’enseignement ont été confiées à Mohamed Kobbi,Mohamed Khouini,Mohamed Karrou, Abdelaziz ben hsan, Mohamed Hédi Khlil, Mohsen Ben jemaa ;Amor Metjaouli dirigea la direction générale des services communs : Abdelmajid Attia dirigea l’institut national des sciences de l’éducation.
NB. Nous nous sommes limités aux inspecteurs qui sont à la retraite (certains nous ont hélas quittés qu’ils reposent en paix) et nous nous excusons pour ceux qu’on a omis de citer, et  nous souhaitons aux collègues encore en activité du succès dans leurs mission.



[3] Décret 2001-2348 daté du 2octobre 2001 relatif au statut du corps de l’inspection pédagogique du ministère de l’éducation, jort n°81 du 9 octobre 2001
[4]  Arrêté du ministre de l’éducation et de la formation  du 18 novembre 2003 relatif à l’organisation du concours externe sur épreuves pour l’accès au cycle de formation pour le recrutement d’inspecteurs des écoles préparatoires et de lycées secondaires, jort n°95 du 28 novembre 2003
Arrêté du ministre de l’éducation et de la formation  du 11 octobre 2003 relatif à au régime  du cycle de formation pour le recrutement d’inspecteurs des écoles préparatoires et de lycées secondaires, au centre national de formation des formateurs  en éducation de Carthage.
Arrêté du ministre de l’éducation et de la formation  du 18 novembre 2003 relatif à l’organisation du concours externe sur épreuves pour l’accès au cycle de formation pour le recrutement d’inspecteurs des écoles primaires, jort n°95 du 28 novembre 2003
Arrêté du ministre de l’éducation et de la formation  du 11 octobre 2003 relatif à au régime  du cycle de formation pour le recrutement d’inspecteurs des écoles primaires, au centre national de formation des formateurs  en éducation de Carthage.
[5] Ce cycle a été réduit à une seule année ( au temps du ministre Hatem Ben Salem) sans évaluation de l’expérience  ni étude  préalable.
[6] Voir le programme en annexe, il comporte les objectifs de la formation, ses thèmes classés en  domaines et compétences
[7] La commission  est composée, selon l’article 19 de l’arrêté organisant le cycle de formation des inspecteurs, de 6 membres qui sont le directeur général du CENAFE, les directeurs généraux de l’inspection générale, des examens, du deuxième cycle de l’enseignement de base et de l’enseignement secondaire, le coordinateur de la formation et un professeur formateur.
[8] Il existe un projet de référentiel professionnel, préparé par un groupe d’inspecteurs à l’occasion de la rencontre nationale sur l’inspection et la professionnalisation organisée par l’inspection générale en 2004  dont les actes sont publiés.
[9] La formation théorique est assurée par universitaires et par  des inspecteurs de différents grades, la formation pratique (du terrain) est assurée par des inspecteurs
  

[10] Ce système est déjà rodé dans l’institut de formation continu du Bardo et à l’institut supérieur de la magistrature 

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