Avec
cette dernière note nous achevons la
série d’articles que nous avons consacrés
à l’histoire du corps de
l’inspection pédagogique en Tunisie,
comme il s’agit du dernier épisode nous avons voulu le réserver pour faire le bilan de cette
longue histoire et évoquer les
perspectives telles que nous les espérons.
I.
Le bilan
1.
Une
place très importante et un rôle clé dans le système éducatif
Ce
qui apparait à travers l’histoire de l’inspection pédagogique en Tunisie c’est que
le ministère de l’éducation a depuis toujours compté sur l’expertise et les
compétences de ce corps pour assurer les tâches et les missions essentielles
dans le domaine de l’éducation et l’enseignement soit pour :
§ La mise en place de programmes scolaires nationaux qui
font la synthèse entre la culture nationale, les progrès des sciences modernes,
les nouvelles approches pédagogiques et les
nouvelles méthodes d’apprentissage.
§ Ou la production d’outils d’apprentissage au service
des enseignants et des élèves (manuels, outils didactiques, guides
pédagogiques…)
§ Ou la formation initiale et l’encadrement des nouveaux enseignants en
plus de l’encadrement et la formation continue des anciens.
§ Ou la préparation et la présidence des centres et des
jurys des examens nationaux, garantissant la qualité et la valeur des diplômes
nationaux.
Le
corps des inspecteurs a aussi joué, constamment, un rôle de premier ordre dans :
§ les grands choix éducatifs et les réformes successives
depuis la première réforme de 1958, tant au niveau de la conception que
l’application des réformes et leur suivi ;
§ le recrutement
des enseignants depuis l’institution du concours d’aptitude des professeurs du
secondaire en 1999[1] et leurs
promotions ;
§ La gestion administrative,
puisqu’un nombre important parmi les
inspecteurs ont été à la tête des directions régionales et d’autres ont été chargé
de diriger des directions centrales telle que la direction des programmes et de
la formation continue, la direction générale ses examens, la direction de
l’enseignement primaire ou encore l’inspection générale pédagogique[2].
2.
D’importants
changements dans l’organisation, les fonctions et le mode de recrutement.
Ce corps, si important dans le
système éducatif, a connu au depuis la réforme de 1991 de
nets progrès dans plusieurs
niveaux :
§ au niveau de l’organisation
avec la mise en place de l’inspection générale de l’éducation ( devenue
aujourd’hui la direction générale de la pédagogie) qui a réussi à fédérer ,
malgré tout, les membres de ce corps qui étaient répartis entre différentes
directions ( direction de l’enseignement secondaire et la direction de
l’enseignement primaire avant
1976 ; puis entre la direction des programmes et de la formation continue
et la direction de l’enseignement primaire
jusqu’à la création de l’inspection générale qui fut chargée de gérer la carrière des
inspecteurs et de leurs encadrement
§ au niveau de l’autonomie de la décision
de l’inspecteur des écoles primaires quant à l’évaluation des enseignants puisque la note attribuée ne relève plus que de
l’inspecteur et elle n’est plus une simple qu’une proposition qui doit être
validée par la hiérarchie administrative qui peut la modifier dans un sens comme dans
un autre.
§ Au niveau du recrutement,
le niveau de diplôme exigé est revu vers la hausse, puisque désormais le niveau
de la maîtrise est devenu nécessaire pour concourir aux postes d’inspecteurs
des écoles primaires depuis la parution du nouveau statut de 2001[3]
§ et au niveau de la professionnalisation
grâce à la réforme du mode de recrutement et la mise en
place d’un cycle de formation initiale[4]
spécifique depuis 2003 durant deux années[5]
qui alterne entre une formation théorique et académique au CENAFE et une formation professionnelle et
pratique dans les circonscriptions pédagogiques, on accédait à cette formation
après avoir passé avec succès un concours écrit et pratique.
Le programme de
formation est centré sur deux grands domaines :
-
le domaine des
savoirs et des langues qui prend 30% de l’horaire pour les inspecteurs du secod
degré et 40% pour les inspecteurs du premier degré.
-
Le domaine
professionnel et pratique qui prend le
reste de l’horaire[6]
II.
Les
contraintes et les freins
Mais
la situation est encore loin d’être parfaite, plusieurs freins continuent a
handicapé ce corps et ce à plusieurs
niveaux :
1.
Au
niveau de l’organisation : l’ambiguïté de la question
de l’autorité de tutelle doit être résolue, pour se faire un équilibre qui reste à trouver
entre la place et le rôle de l’administration centrale (essentiellement l’inspection générale)
qui doit être la seule autorité hiérarchique de tous les inspecteurs et
l’administration régionale qui constitue le terrain d’action de l’inspecteur,
le flou qui est entretenu par les uns et les autres ne peut qu’entraver l’action
des inspecteurs.
2.
Au
niveau de l’acte d’inspection: il est urgent de
trouver un équilibre entre la fonction de contrôle qui est actuellement
prédominante ( l’inspection sous sa forme classique) et la fonction
d’accompagnement , qui est encore à ses premiers pas, les inspecteurs
gagneraient beaucoup en s’y engageant
davantage après avoir assimilé et maitrisé ses bases théoriques et scientifiques .
3.
au
niveau de l’accomplissement des différentes fonctions : on
constate un net déséquilibre entre les fonctions de conception d’une part,
celle de l’exécution et celle du suivi d’autre part, tout en reconnaissant que
la tache n’est guère facile car il s’agit de fonctions de nature très différente,
mais l’inspecteur est appelé à concilier entre elles
4.
Au
niveau de la sélection des futurs
inspecteurs
Le
mode actuel de sélection des futurs inspecteurs, bien que meilleur que les systèmes qui prévalaient avant 2003, comporte nombre d’insuffisances parmi lesquelles on peut citer au moins deux :
-
La première
concerne les conditions de participation au concours de recrutement, qui a
prévu une ancienneté déterminée mais elles ne comportent aucune limite d’âge maximale pour les candidats appelés à suivre le cycle
de formation, c’est ainsi que
certains candidats ont été retenus et
avaient entamé la formation alors qu’ils étaient à la veille de la retraite, ce
qui constitue une véritable perte sèche pour le système éducatif.
- La deuxième touche le profil des candidats
, le concours ne tient aucun compte ,au
cours de la sélection du futur inspecteur, du passé
professionnel des candidats , le
concours ne prévoient pas une étude du dossier administratif et
pédagogique des candidats ( rapports d’inspection , les avis de leurs
anciens directeurs , et de la direction régionale) , or une étude des dossiers auraient permis de fournir une mine
d’informations quant aux qualités du candidat , ses performances pédagogiques,
ses qualités personnelles , or l’absence de toutes informations sur l’histoire
du candidat et le fait de se limiter aux performances
académiques , privent les jurys d’outils et d’indicateurs pour sélectionner les profils capables de
répondre aux besoins de la fonction de l’inspecteur
C’est
ainsi que le concours ,dans sa nouvelle version depuis 2003, n’a pas toujours permis de retenir les meilleurs éléments,
ni de répondre aux besoins puisque les différentes sessions ont été marquées
par un déficit, plusieurs postes ouverts n’ont pas été pourvus.
Nous
pensons que le concours , sous sa forme actuelle, manque de mécanismes efficaces
qui permettraient de détecter les qualités spécifiques qui doivent être présentes chez le futur inspecteur, ce qui a permis à
un certain nombre de candidats de réussir le concours et d’entamer le cycle de
formation sans avoir ni les compétence ni les qualités requises pour remplir la
fonction de l’inspecteur ; or la formation d’une année ou même plus ne
pourrait pas combler ce manque.
5.
Au
niveau de la formation théorique : Il faudrait préciser qu’à notre connaissance,
aucune évaluation de la formation n’a été réalisée, même la décision de réduire
la durée de la formation a été une décision du ministre qui ne s’appuyait pas sur une
évaluation préalable, donc nous avons du
utiliser les informations qu’on a pu avoir en étant pendant quelques sessions membres
de la commission d’admission[7]
en plus des témoignages de certains formateurs et d’anciens candidats , la plupart
de ces témoignages évoquent des insuffisances
qui entravent le bon fonctionnement de la
formation des futurs inspecteurs , parmi lesquelles on pourrait citer à titre
d’exemple :
a. L’absence d’un référentiel professionnel officiel[8]
qui fixe les compétences requises, et qui constituera la base de la formation
initiale et la formation continue des inspecteurs ; mais en dépit de ce
manque le CENAFE avait préparé un référentiel pour la formation qui est mis à
la disposition des formateurs et des élèves inspecteurs, ce référentiel de la
formation est une partie du référentiel professionnel.
b. La qualité de
la formation initiale assurée depuis quelques années par le
centre national de formation des formateurs en éducation (CENAFE)[9],
par des universitaires spécialistes en sciences de
l’éducation cette formation ne fait pas l’unanimité certains n’hésitent pas
à la critiquer et à dénoncer ses insuffisances qu’ils expliquent essentiellement par :
- la qualité et les compétences de certains formateurs
chargés d’assurer la formation initiale théorique qui ne connaissent pas
convenablement le passé et le présent du corps qu’ils sont chargés de former. Ces
formateurs adoptent des méthodes qui ne sont pas adaptées à la population
concernée par la formation en usant et abusant de longs cours magistraux, et de
conférences et des résumés.
c.
La formation
professionnelle et pratique souffre d’un, manque d’homogénéisation
puisque la qualité des inspecteurs encadreurs ou tuteurs est très variable (souvent
l’unique critère de choix est la proximité géographique) et le programme est
souvent laissé à la propre initiative de
l’encadreur en l’absence de « cahier
de charge » et d’un socle commun.
III - Les perspectives
1.
Revoir
les conditions de candidature au cycle de formation
Afin
de dépasser les insuffisances citées précédemment et afin de consolider la professionnalisation,
il est nécessaire de revoir les conditions de candidature en y incluant :
a. Une limite maximale d’âge, pour permettre au système
de fructifier son investissement et pour assurer une meilleure rentabilité de
la formation.
b. L’exigence d’un certain nombre d’unités de valeur[10]
en plus d’un certificat d’aptitude en langue arabe et en langue française et
anglaise pour certaines spécialités ; un brevet en informatique et en TIC.
c.
Une évaluation au
parcours pédagogique et professionnel
des candidats.
d. Exiger un diplôme post maitrise et post licence et
transformer la formation pour en faire une formation diplômante.
2.
Réviser
le programme de formation théorique
a. Il est nécessaire de réviser les unités de formation
après une évaluation approfondie avec la participation des toutes les parties
intéressées, certaines peuvent être préparées à distance (utilisation des
compétences de l’école virtuelle) et intégrées dans les conditions de
participation au concours, ce qui permet d’améliorer le profil des candidats et
d’alléger le programme de formation en présentiel après l’admission au cycle de formation.
b. Consolider la formation professionnelle et pratique en
respectant les proportions définies par les arrêtés d’organisation des cycles
de formation.
c. Alléger la formation théorique et assurer une
meilleure synchronisation et une meilleure coordination entre les formateurs académiques et les
formateurs sur le terrain.
3. Revoir les critères de désignation des inspecteurs
tuteurs afin de choisir les plus aptes à assurer un tutorat de qualité,
et veiller à mettre en place un plan de
formation aux objectifs clairs et précis.
4. Consolider le
porte folio actuel par une recherche action où
l’élève inspecteur traitera un problème ou une question qui est en rapport
direct avec la circonscription où il a effectué son stage, cette recherche
action sera une occasion au futur inspecteur de s’initier à la recherche.
Conclusion
Le
corps de l’inspection pédagogique s’est engagé dans la voie de la professionnalisation,
depuis la parution du nouveau statut de 2001, l’autonomie de ses décisions
pédagogiques renforcée, l’inspection restera le garant d’un système éducatif
moderne et neutre où les enseignants professionnels jouent un rôle de premier
ordre, un système éducatif dont la finalité est de donner aux jeunes tunisiens
une formation saine et complète qui s’intéresse à toutes les dimensions de
leurs personnalités , tout en les respectant ; un système éducatif où l’inspecteur pédagogique est un accompagnateur et non pas seulement un
contrôleur, qui veillent constamment à aider l’enseignant à développer ses compétences
et ses capacités académiques et professionnelles , seules garant d’un enseignement
de qualité et efficient capable de former le citoyen.
Hédi Bouhouch et Mongi
Akrout
Inspecteurs généraux de
l’éducation.
Tunis, Août 2014.
Précédents articles sur le même thème
Brève histoire de l’inspection pédagogique en Tunisie : 3°partie : Modes de recrutement et de promotion des inspecteurs en Tunisie.
Brève histoire de l’inspection pédagogique en Tunisie :4° partie : Place des inspecteurs dans le système éducatif
[1]
Le
concours du CAPES a été institué par arrêté dus ministre de l’éducation et
celui de l’enseignement supérieur en date du 16 janvier 1999 relatif au régime
des concours d’aptitude au profesorat de l’enseignement secondaire, aux programmes,
aux matières, et aux modes d’ouverture. Ce concours a connu plusieurs modifications
puis il a été suspendu et remplacé en 2014 par le concours externe pour le
recrutement des professeurs de l’enseignement secondaires, artistiques et
techniques (arrêté du 21 Mars 2014, Jort N° 23 du 21 Mars 2014).
[2] Un grand nombre d’inspecteurs ont été à
la tête des directions régionales comme
Mohamed Fayala, Mohamed Boulabiar, Ahmed ben jamii,Moncef Bouabid, Mohsen
Mezghzni, Mohsen Ben jemaa , Hsan Ghaddhoum, Taher Romdhan,Mde salah Charni , Mohamed
Karrou
et bien d’autres encore ;d’autres inspecteurs ont
été chargés de diriger des directions centrales parmi eux Abdelaziz ben hsan,Moncef
bouabid, Mahmoud Masmoudi, Omrane Boukhari , Mustapha Enneifer,abdelaziz jerbi
qui ont dirigé la direction générale des programmes et de la formation continue
, la direction générale des examens a
été dirigée par Mohamed Hédi Khlil, Sadok Gouider,Abdelmajid Gharbi,Hédi
Bouhouch, Mongi Akrout ;l’inspection générale eut à sa tête Mustapha ben
Nejma , Abdelmajid Gharbi,Hédi Bouhouch, les directions de l’enseignement ont
été confiées à Mohamed Kobbi,Mohamed Khouini,Mohamed Karrou, Abdelaziz ben hsan,
Mohamed Hédi Khlil, Mohsen Ben jemaa ;Amor Metjaouli dirigea la direction
générale des services communs : Abdelmajid Attia dirigea l’institut national
des sciences de l’éducation.
NB. Nous nous sommes limités aux inspecteurs qui sont à
la retraite (certains nous ont hélas quittés qu’ils reposent en paix) et nous
nous excusons pour ceux qu’on a omis de citer, et nous souhaitons aux collègues encore en
activité du succès dans leurs mission.
[3]
Décret 2001-2348 daté du 2octobre
2001 relatif au statut du corps de l’inspection pédagogique du ministère de
l’éducation, jort n°81 du 9 octobre 2001
[4] Arrêté
du ministre de l’éducation et de la formation du 18 novembre 2003 relatif à l’organisation
du concours externe sur épreuves pour l’accès au cycle de formation pour le
recrutement d’inspecteurs des écoles préparatoires et de lycées secondaires,
jort n°95 du 28 novembre 2003
Arrêté du ministre de l’éducation et de la formation du 11 octobre 2003 relatif à au régime du cycle de formation pour le recrutement
d’inspecteurs des écoles préparatoires et de lycées secondaires, au centre
national de formation des formateurs en
éducation de Carthage.
Arrêté du ministre de l’éducation et de la formation du 18 novembre 2003 relatif à l’organisation
du concours externe sur épreuves pour l’accès au cycle de formation pour le
recrutement d’inspecteurs des écoles primaires, jort n°95 du 28 novembre 2003
Arrêté du ministre de l’éducation et de la formation du 11 octobre 2003 relatif à au régime du cycle de formation pour le recrutement
d’inspecteurs des écoles primaires, au centre national de formation des formateurs en éducation de Carthage.
[5]
Ce cycle a été réduit à une seule
année ( au temps du ministre Hatem Ben Salem) sans évaluation de
l’expérience ni étude
préalable.
[6] Voir le programme en annexe, il comporte
les objectifs de la formation, ses thèmes classés en domaines et compétences
[7] La
commission est composée, selon l’article
19 de l’arrêté organisant le cycle de formation des inspecteurs, de 6 membres
qui sont le directeur général du CENAFE, les directeurs généraux de
l’inspection générale, des examens, du deuxième cycle de l’enseignement de base
et de l’enseignement secondaire, le coordinateur de la formation et un
professeur formateur.
[8] Il existe un
projet de référentiel professionnel, préparé par un groupe d’inspecteurs à
l’occasion de la rencontre nationale sur l’inspection et la
professionnalisation organisée par l’inspection générale en 2004 dont les actes sont publiés.
[9] La formation
théorique est assurée par universitaires et par
des inspecteurs de différents grades, la formation pratique (du terrain)
est assurée par des inspecteurs
[10] Ce système est déjà rodé dans l’institut de formation
continu du Bardo et à l’institut supérieur de la magistrature
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