A l'occasion de
l'annonce des résultats de l’examen du baccalauréat,
l'opinion publique ,les
médias et les différents acteurs du système éducatifs braquent leurs yeux sur la réussite , les taux de réussite,
et la liste des lauréats de chaque section, de leurs moyennes générales et de leurs notes
dans les différentes
épreuves. Mais, si tout cela est très important, il ne doit pas nous
faire oublier les maux du système éducatif révélés par l’analyse des résultats du baccalauréat tels
que le taux d'échec très élevé , l’ inégalité des
chances, et la grande disparité.
Nous avons voulu consacré le point de vue de cette semaine pour aborder trois aspects qui entravent la marche
de l'école publique tunisienne, l'un des acquis les
plus importants de l'Etat de l'indépendance, qui sont les
taux d'échec élevés, et la grande disparité régionale, et enfin la grande
hétérogénéité des produits
de l’école.
Nous
avons analysé, la semaine passée dans une première partie les maux (ou défis) et nous essayons - cette semaine- de traiter des facteurs qui pourraient être à leur origine.
Deuxième partie : Eléments pour
comprendre et expliquer ces défis
Il
serait hasardeux d’essayer d’expliquer l’échec, l’inégalité et les disparités analysés dans la première partie par un élément particulier, parce que plusieurs facteurs s’interfèrent et se chevauchent, il est difficile de les
séparer, parce que les phénomènes sont eux même complexes.
Cependant, pour des raisons pratiques nous pouvons distinguer deux types de
facteurs:
Des facteurs externes au système éducatif et aux
espaces scolaires, donc par définition ils sont difficiles à contrôler par l'école et
à surmonter et des facteurs internes liés aux composantes du
système éducatif et aux différentes parties prenantes dans son fonctionnement, ces
facteurs peuvent être contrôlés entièrement ou partiellement par le système éducatif.
I.
facteurs externes au système éducatif
Les données
révèlent que les
régions qui enregistrent les taux de réussite les plus faibles sont situées dans les trois régions économiques[1] de l’intérieur, il s’agit des régions du nord-ouest, du centre-ouest et celle du sud-ouest, toutes les trois sont dominées par l'activité agricole et la ruralité, même si certaines d’entre elles sont riches en ressources naturelles comme le phosphate ( la région du sud-ouest).
Ce ci explique l’importante
proportion d’élèves d’origine rurale parmi la population scolaire qui fréquente
les établissements scolaires dans les gouvernorats de Sidi Bouzid, de Kasserine ,de Siliana et de Jendouba, ces élèves vivent des
conditions très difficile liées aux problèmes de transport (gaspillage d'énergie et de temps précieux )
qui se répercutent sur les conditions des études ce qui explique le taux élevé
d'analphabétisme et de pauvreté dans ces régions.
Beaucoup de parents, pris par leur travaux agricoles n'ont
pas le temps de suivre la scolarité de
leurs enfants, certains d’entre eux demandent
à leurs enfants de sécher des cours pendant les saisons de grands travaux agricoles, en
particulier la saison de la récolte et des
moissons.
Alors que les
gouvernorats qui obtiennent les meilleurs résultats sont tous situés dans les régions économiques de l'Est comme les région
du centre Est , celle du sud-est , et celle du nord-est, quoique à un degré moindre..
En
conclusion il est indéniable qu’il existe une relation entre les taux de
réussite à l'examen du baccalauréat
et les caractéristiques économiques, sociales et même climatiques des régions.
II. Les facteurs internes au système éducatifs
il s’agit de facteurs en rapport avec les élèves, les enseignants , le système d'orientation scolaire et le système
d'évaluation et de
passage et du redoublement , ce sont aussi des facteurs en rapport avec la nature des programmes et les résultats
des élèves dans les différents disciplines et de la nature des épreuves au cours du contrôle continu et aux examens nationaux.
1.
Facteurs en rapport avec les élèves
Des études et des rapports[2] ont essayé de d’analyser et d’interpréter
le phénomène de l'inégalité et ils sont arrivés aux conclusions suivantes:
a.Qu’il existe une relation significative entre les taux de
réussite et le régime scolaire dominant, ils ont constaté que dans ces gouvernorats ( Sidi Bouzid, Kasserine,Siliana,
Gafsa) le régime d’internat et de semi
internat concernent une proportion d’élèves
plus importantes que celle enregistrée dans les gouvernorats connus pour leur
bons scores aux examens nationaux, c'est-à-dire qu’il ya une défaillance au
niveau de l’organisation du régime de l’internat ( absence de confort minimal
et d’encadrement des études et du soutien scolaire …) quant aux externes de ces
mêmes régions , beaucoup d’entre eux
doivent passer beaucoup de temps pour regagner leur domicile , leurs
conditions sociales les empêchent d’avoir
la possibilité de recourir aux cours de soutien et de rattrapage.
b.Qu’il existe une relation entre les taux de réussite au
baccalauréat et le taux de redoublants parmi les présentés à l’examen, le taux
de réussite tend à baisser quand la proportion des redoublants augmente ,
notons que la proportion des redoublants parmi les candidats présentés à l’examen
dans les gouvernorats du Nord Est avait dépasser au cours de certaines sessions
le cinquième des candidats ; alors que cette proportion se situe à un niveau plus bas dans les
gouvernorats connus pour leurs bons scores au baccalauréat( autour de 12%)
c. Qu’il existe enfin un rapport entre le taux des admis
avec rachat et le taux général d’admis, chaque fois que le premier augmente le
second tend vers la baisse.
2.
Facteurs en rapport avec les enseignants : expérience et accompagnement.
a.Les régions
intérieures sont des régions de passage et de transit pour la majorité des enseignants,
ils y exercent mais n’y résident pas d’une façon définitive et permanente,
cherchant à les quitter à la première occasion, d’où l’instabilité du corps
enseignant qui se répercute sur leur rendement et leur implication dans la vie scolaire.la
situation est différentes dans les régions qui brillent par leurs bonnes
performances où le cadre enseignant est bien installé même si certain d’entre eux
ne sont pas originaires de ces régions, ce qui impactent positivement sur leur
rendement et sur leur rapport avec l’école et les élèves .
b. Les directions
de plusieurs établissements des régions intérieures, se trouvant à cours de
choix, sont souvent obligées d’affecter les classes d’examens à des débutants
manquant d’expérience pédagogique en général et d’expérience dans la
préparation aux examens, la situation a empiré depuis quelques années suite à
la décision de permettre aux licenciés( Bac + 3) de concourir pour des postes
d’enseignants de collèges et de lycées
c. Il semble enfin que l’accompagnement et l’encadrement pédagogiques des enseignants exerçant dans les régions intérieures soient insuffisants,
les visites des inspecteurs pour les classes terminales sont rares, les enseignants travaillant sans assistante
ni encadrement, et sans avoir appris et maîtrisé
l’art de l'enseignement. Il est connu
que la profession d'enseignant s’acquiert par la pratique et la réflexivité sur la pratique, qui était assurées par les stages pédagogiques qui duraient une
année scolaire au début de la carrière. Mais les nouvelles procédures de recrutement,
depuis 1999, ont mis fin à ce stage pédagogique obligatoire sans mettre en
place une nouvelle forme de formation pour les nouveaux enseignants.
3. Facteurs en
rapport avec le régime des études et de
l’enseignement
a.
La question des programmes
Il existe
aujourd’hui un consensus parmi les enseignants et les inspecteurs que les programmes de l’enseignement secondaire
sont chargés, ils restent souvent inachevés, en particulier dans les niveaux
antérieurs aux classes terminales, ce qui
a entraîne des lacunes dans la formation des élèves, qu’il est difficile de combler
en quatrième année. D'autre part, on constate un manque de cohérence entre les programmes conçus et construits
selon l’approche par compétences et les pratiques d'enseignement, qui continuent
à favoriser la pédagogie par objectifs ;
enfin on note l'absence d'harmonie entre la méthodologie suivie pour la
conception des programmes scolaires et les
consistances des épreuves de l'examen du
baccalauréat dont certaines remontent à
1994, c'est-à-dire bien avant l’entrée
en vigueur des nouveaux programmes .
Tous ces dysfonctionnements sont à l’origine des perturbations pour les
élèves et les enseignants et sont sources de difficultés et d’échec.
b. Le régime de passage et de redoublement qui remonte à 1992 est responsable du passage de nombreux élèves
au niveau supérieur sans avoir acquis les
savoirs et les savoirs faire qui pourraient leur garantir de poursuivre les
études d’un façon normale , car différentes mesures de rachat permettent ce
passage, celles-ci conjuguées avec les mauvaise pratiques pendant l’évaluation
interne ,devenues très célèbres, laquelle évaluation est devenue le mode de passage de l’école primaire au collège
et de celui-ci au lycée après la
suppression de l’examen d’entrée en 7°
en 2000[3] , et du brevet de fin d’études
de l’enseignement de base en 2001[4] , tout ceci a permis à plusieurs
élèves d’arriver en classe terminale sans avoir les moyens objectifs de réussir
le baccalauréat ,ce qui explique l’échec qui touche la moitié des candidats .
c. Le système
d’orientation scolaire à la fin de la première année du secondaire, année de la pré-orientation,
ainsi que la deuxième orientation à la
fin de la deuxième année, appelée aussi orientation finale, joue un rôle dans les disparités entres les
sections et contribue activement à la
« programmation » de l'échec
scolaire, dès le début de l'enseignement secondaire, car les critères fixés font que les meilleurs élèves sont dirigés
vers la section « mathématiques » ou « Sciences expérimentales »
tandis qu’un autre groupe d'élèves , très important en nombre, ne sont pas orientables, et sont orientés par
défaut, souvent en « lettres »
ou en « Economie gestion , alors qu’ils n’ont ni le désir ni les moyens de réussir leurs études dans ces sections ; si
ce système n’est pas responsable
directement des maux évoqués dans la
première partie , alors comment expliquons-nous :
- Que 75% des
bacheliers de la section «
mathématiques » et 45% de la section « sciences expérimentale »
ont obtiennent leur diplôme avec une mention.
- Que des dizaines de candidats de ces deux sections réussissent
avec des moyennes supérieures à 19 sur vingt.
- Qu’environ 50% des
candidats littéraires obtiennent aux épreuves de Français et d’anglais des notes
inférieures à 6 de 20.
d.
l'examen du baccalauréat a lui
aussi un rôle dans tout cela, en
particulier en ce qui concerne la nature des épreuves et leur consistance et
leur nombre. à ce titre les épreuves de
la section « lettres » reposent
entièrement sur la dissertation et la production écrite que ce soit en philosophie , en arabe, en histoire géographie en pensée islamique, et en
partie en français et en anglais, la consistances de ces épreuves ont peu
évolué alors que tout le monde est d’accord pour dire que les compétences de
rédaction sont de plus en plus défaillante chez
les élèves d’aujourd’hui . quand au nombre dé épreuves prévues au baccalauréat tunisien est probablement sans égal dans les autres systèmes éducatifs.
Epilogue
Il nous a été possible d’établir la relation entre l'échec au baccalauréat et les disparités et la situation économique et sociale , le redoublement , les critères de passage, le système d'évaluation
interne et les critères de l'orientation scolaire, les programmes et les
consistances des épreuves ...Cela signifie que la lutte contre l’échec et les
disparités exige une approche systémique, qui prend en compte les divers facteurs qui engendrent ces
maux et entravent la réussite , cela prendrait du temps, parce que le mal est profond, et son
éradication exige du temps et beaucoup d'efforts.
Si nous voulons la réforme
réussisse, nous devons éliminer tous les facteurs qui pourraient l’entraver, et
en premier toute mesure imposée pour des considérations politiques, au dépens
des dimensions scientifiques et pédagogiques, en second la marginalisation des
hommes du terrain et des spécialistes de l’éducation, tertio l’oubli de
l’intérêt de l’élève au profit de la querelle
des disciplines.
Et on reste perplexe devant l’inertie des différentes directions au niveau
centrale et au niveau régional face à ces
problèmes récurrents, que ça soit la direction générale de premier cycle de
l’enseignement de base ou la direction générale de second cycle de
l’enseignement de base et de l’enseignement secondaire qui sont responsables
des programmes , du recrutement des enseignants et de leur formation et du système d’évaluation et de l’orientation
scolaire. ou l’inspection générale pédagogique qui a la mission de superviser
l’application des programmes et la formation pédagogique et l’accompagnement
des enseignants surtout dans les régions démunies.
Hédi Bouhouch & Mongi Akrout, Inspecteurs généraux de l’éducation
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Le nord-est qui regroupe les gouvernorats de Tunis, Bizerte, Ariana, Mannouba, Benarous, zaghouan, Nabeul.
Le nord-ouest qui regroupe les gouvernorats de Béja, Jendouba, AlKef et Siliana.
Le centre-est qui regroupe les gouvernorats de Sousse, Monastir, Mahdia, Sfax.
Le centre-ouest qui regroupe les gouvernorats de Kairouan, Alkasserine et Sidi bouzid
Le sud-est qui regroupe les gouvernorats de Gabes, Mednine et Tataouine.
Le sud-ouest qui regroupe les gouvernorats de Gafsa, Touzer et Kbelli.
.
[3] 2000 fut la dernière session de l’examen régional
pour l’entrée en 7° de l’enseignement de base, le passage se fait depuis selon
les résultats de l’évaluation interne , le taux de promotion qui ne dépassait
que rarement 50% au temps du concours d’entrée en 6° au cours des années 80 ,
puis autour de 70% au temps l’examen régional pour l’entrée en 7° , a explosé
depuis pour frôler 90% ( 89 .2 au
cours de l’année scolaire 2010 - 2011)
[4] 2001 fut la dernière session du diplôme
de fin d’études de l’enseignement de base qui donnait à ceux qui le réussissent
l’accès au lycée depuis le passage se fait sur la base des résultats du
contrôle continu et le taux de promotion a
dépassé les 70% ( 73.9 en
2010-2011)
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