Le Ministère tunisien de l’Éducation vient de publier
récemment le Rapport national sur l'éducation pour l'année 2014[1] ;
c’est un rapport de 131 pages avec 31 graphiques, 45 tableaux 4 et annexes ;
le rapport est composé de quatre chapitres : l'éducation pré-scolaire-
l'éducation et la réhabilitation - l'alphabétisation et l'éducation des adultes-
les leçons tirées et les perspectives pour l'après-2015.
Les chercheurs dans le domaine de l'éducation
et tous ceux qui s’intéressent aux questions de l'éducation en Tunisie trouveront
dans ce rapport un matériau riche et varié, sous forme de statistiques, de
graphiques, ainsi que des analyses et des commentaires se rapportant aux
différents aspects de l'éducation dans notre pays.
Nous avons pensé utile de traiter, dans le blog
pédagogique, certaines questions importantes soulevées dans ce rapport, et nous
avons choisi de commencer par la question de l'éducation préscolaire.
I.
L’éducation préscolaire :
Définition, sa place dans le SE tunisien
1.
Définition : « l’éducation
préscolaire… s’entend, au niveau international, comme l’éducation avant l’âge,
variable selon les pays – 4, 5, 6, 7 ans –, de la scolarité obligatoire et se
pense dès le début de la vie, dépassant et englobant les seules dimensions de
garde des très jeunes enfants et de soins à leur prodiguer » [2] .
En
Tunisie, la loi d’orientation de l’éducation et l’enseignement scolaire de 2002
avait défini l’éducation préscolaire et ses objectifs dans les termes suivants « l’éducation préscolaire est
dispensée dans des établissements et des espaces spécialisés ouverts aux
enfants de trois à six ans … elle permet
de développer :
§
La capacité de la communication orale,
§
Les
sens, les capacités psychomotrices et la saine perception du corps.
Elle permet, en outre,
d’initier les enfants à la vie collective. (Titre 1, art 16 de la loi d’orientation de l’éducation et l’enseignement scolaire.
de
2002).
Le rapport nous indique qu’il existe plusieurs types
d’institutions dépendantes de ministères différents, qui assurent l’éducation
préscolaire en Tunisie, on y trouve aujourd'hui:
§ les
garderies et jardins d'enfants, ce sont des institutions socio - éducatives appartenant
à des privés, des associations ou des organisations ; elles dépendent du
Ministère de la femme, et leurs activités sont régies par le cahier de charges
du 28 mars 2003.
§ Les
Kouttabs ou écoles coraniques : ces institutions dépendent du ministère
des affaires religieuses, elles accueillent les enfants entre 3 et 6 ans ,
leur mission principale est d'enseigner le Coran, la lecture, l’écriture et le calcul,
§ L’année
préparatoire : elle relève du Ministère en charge de l'éducation ; elle
est assurée par les écoles primaires publiques et privées. Elle accueille les
enfants à partir de cinq ans.
2.
Historique de l’éducation préscolaire : L'éducation préscolaire
a une longue histoire dans notre pays ; déjà le règlement scolaire[3]
de 1886 stipulait que «les écoles sont divisées en écoles maternelles (les
enfants de 3 ans), écoles enfantines (enfants entre 4 et 6 ans), écoles
primaires élémentaires et écoles primaires supérieures. »
Avec l'indépendance, les différentes lois sur
l'éducation ont confirmé l'éducation préscolaire ; en effet, la Loi sur
l'éducation[4]
de 1958 a indiqué dans les articles
8 et 9 que l’enseignement primaire «pourra être précédé par un court cycle
d’éducation enfantine … dans les écoles maternelles et les classes
enfantines ». On retrouve presque
la même orientation avec la loi de 1991,[5]
(chapitre II, art 5) qui parle d’«une
formation préscolaire préparant à
l’enseignement de base peut être organisée par une des institutions spécialisées
dont les conditions d'ouverture ainsi
que les programmes sont fixés par décret."
La loi de 2002[6] a constitué
une évolution importante , en consacrant l’intégration de l’année
préparatoire dans l’enseignement de base (art18), mais sans lui accorder le caractère obligatoire
, et se limitant de souligner que « l'état veille à généraliser l'année préparatoire, qui accueille les enfants de cinq année à six ans , dans le cadre
de la complémentarité entre l’enseignement public et les initiatives des collectivités locales ,
des associations et du secteur privé. " (Art 17)
3.
l'importance de
l'éducation préscolaire et son rôle dans la réussite des enfants
Les
études récentes, réalisées dans plusieurs pays, sont
arrivées dans la plupart du temps aux mêmes conclusions suivantes qui
s’accordent sur l’importance de l’éducation préscolaire ; nous
reproduisons certaines de ces conclusions :
a.
L'éducation préscolaire a un impact
positif sur l'éducation de base. « Les enfants qui ont fréquenté le
préscolaire sont mieux préparés pour l’enseignement élémentaire. C’est donc un
moyen efficace de maintien, d’amélioration de la qualité éducative, de
réduction des redoublements et d’abandons scolaires. »[7]
b.
L'éducation préscolaire contribue à une
plus grande équité, et aussi à « l’égalité des chances entre les enfants
ayant des caractéristiques socioéconomiques différentes » ; il est
démontré que le caractère sélectif et l'élitiste de certains systèmes éducatifs
trouvent leurs racines dans la situation de l'éducation préscolaire. Beaucoup
de pays l’ont reconnu et ont décidé d'investir dans l’éducation préscolaire (généralisation
et obligation), et aujourd’hui, ils récoltent les fruits de leurs efforts en réalisant
des résultats impressionnants dans les évaluations mondiales (comme les pays de
l’Europe du Nord).
c.
Enfin , l’éducation préscolaire a une
grande rentabilité , « des études américaines, ont avancé que l’investissement
mis dans le secteur du préscolaire engendre un bénéfice – en termes de capital
social – de huit fois supérieur au coût engagé, y compris son impact sur le réussite
des élèves à court terme (réussite dans
les études), et sur le moyen et long
terme (augmentation des chances de succès dans les études de l'enseignement
supérieur, et d'accès à un meilleur emploi. »[8]
II.
l’état de l'éducation
préscolaire[9]
en Tunisie en 2013
il faudrait préciser que nous allons nous
limiter à l’année préparatoire qui, comme nous l’avons déjà précisé, relève du
ministère de l’éducation.
1 : L'évolution du nombre d’inscrits en première année de
l’enseignement de base qui ont fait l’année préparatoire
Le taux des nouveaux inscrits en première année
de l'enseignement primaire qui ont suivi une année préparatoire est passé de
69%, au cours de l’année scolaire 2008/2009 ( année de son démarrage), à 80,50%
au cours de l'année scolaire 2013/2014 ; soit un accroissement de 11
points en 5 ans, ce qui est assez important, mais cette augmentation ne devrait
pas occulter certaines insuffisances :
§ un
enfant sur cinq rejoint les bancs de l’école primaire avec un «retard dans l'apprentissage » estimé
à une année complète, c’est un retard si
important qu’il serait difficile de rattraper , surtout si certains d'entre eux se retrouvent dans des classes constituées par une majorité d’enfants qui avaient bénéficié d’une formation préscolaire de qualité.
§ Une
triple disparité : la première
interrégionale, la deuxième entre le milieu urbain et le milieu rural d’une même région, et enfin la troisième entre
quartiers aisés et quartiers défavorisés de la même ville.
Le rapport nous permet
de saisir la première disparité ; en effet, si la taux national est de 77,8%, nous trouvons une douzaine délégations
régionales de l’enseignement[10]
qui affichent des taux inférieurs à la
moyenne nationale, (le taux le plu bas est de 44,2%) , et quatorze délégations régionales dépassent le taux national , ( le plus élevé est de 96,8 %), ainsi l’écart dépasse 50
points , ce qui constitue à notre avis
une grande anomalie ;(Le graphique 11 ,page 22 du rapport), le
tableau suivant illustre cet état
de fait :
Taux
des premiers inscrits en 1ère année de l’école primaire ayant suivi
une formation préscolaire en année préparatoire (année scolaire 2012- 2013)
Les cinq premières
classées en %
|
Les cinq dernières classées%
|
||
Tunis II
|
96.8
|
Jendouba
|
67.7
|
Tunis I
|
96.2
|
Siliana
|
67.2
|
Monastir
|
93.3
|
Sidi bouzid
|
64.2
|
Ben Arous
|
91.3
|
Kairouan
|
54.7
|
Gabes
|
91.1
|
Kasserine
|
44 .2
|
Ce tableau nous rappelle curieusement le classement des délégations au baccalauréat.[11] Est-ce
une coïncidence que les délégations qui ont enregistré les taux de réussite les
plus faibles à l'examen du baccalauréat, comme Sidi Bouzid, Seliana et Zaghouan
et Jendouba, sont presque les mêmes que ceux qui ont les taux les plus faibles dans
le tableau ci dessus, alors que les délégations qui occupent les taux de
réussite plus élevés, sont les mêmes qui affichent des taux élevés dans ce même
tableau.
Nous
pensons que la situation n’est en réalité que le reflet de la disparité, qui a
commencé avant même la première année de l'enseignement primaire, laquelle disparité
n’a pu être enrayée ou même atténuée par les différentes actions pédagogiques,
administratives et sociales.
2. Evolution
du nombre d’écoles qui ont une année préparatoire
a. Une
forte croissance jusqu’en 2010-2011 :Le rapport montre une nette augmentation du nombre d'écoles primaires
publiques qui possèdent une année préparatoire ; leur nombre est
passé de 362 écoles (soit 8,1% de l’ensemble)
en 2001/2002 à 2055 écoles au cours de
l’année scolaire 2013/2014.( soit 45,4%
de l’ensemble) ; seulement le rapport montre un essoufflement du mouvement
depuis 2011-2012 ! après une phase de croissance et d’expansion entre
2000-2001 et 2010- 2011 ( 47,7%) ,
b. Priorité
aux régions rurales : La répartition de ces écoles entre le milieu urbain et le
milieu rural ou semi rural, montre un net avantage pour ce dernier ( 58,7% des écoles primaires rurales possèdent
une classe préparatoire soit 1207 classes préparatoires, alors que dans le milieu urbain le taux n’est
que de 41,3% et 848 classes) ; cette distribution est le résultat d’une politique
déclarée du Ministère depuis la création de l'année préparatoire qui a choisi
de concentrer ses efforts sur les zones
rurales et semi rurales et laisser le
milieu urbain à l’initiative privée et aux associations , ce
choix , qui parait à première vue justifiée ,doit être révisée pour assurer une
meilleure équité, car une proportion importante de la population urbaine n’a
pas les moyens de financer les frais de l’année préparatoire dans les écoles
privées.
c. Une
grande disparité entre les régions
Le
graphique 9 de la page 18 du rapport, relatif aux taux des écoles primaires
publiques possédant une classe préparatoire par délégation régionale de l’enseignement, montre une grande
disparité entre les délégations ; douze Délégations Régionales
enregistrent des taux en dessous de la moyenne nationale (45.4%), avec un
minimum de 23,9 %, tandis que quatorze délégations ont des taux supérieurs à la
moyenne nationale, avec un maximum de 65,5%. ( voir le tableau suivant)
Extrait
du graphique n°9 : Taux des EP possédant des classes préparatoires
les cinq derniers classés
|
les cinq mieux classées
|
||
35.8 %
|
Ben Arous
|
65.5 %
|
Gabès
|
35.7 %
|
Bizerte
|
60.1 %
|
Sousse
|
35.2 %
|
Zaghouan
|
59 %
|
Kebili
|
29.9 %
|
Kasserine
|
58.4 %
|
Sidi Bouzid
|
23. 9 %
|
Monastir
|
55.8 %
|
Nabeul
|
En guise de bilan et perspectives
Ces
données statistiques sur l'enseignement public sont très importantes ;
elles nous aident à identifier l'un des obstacles à la réalisation du principe
de l'égalité des chances entre les enfants et entre les régions, lequel principe proclamé par les lois scolaires successives en Tunisie
depuis la Loi 1958 qui disait qu’ «en
vue d’assurer à tous les enfants des conditions et des chances égales devant l’instruction et l'éducation,
l’enseignement sera dispensé gratuitement sur tout le territoire
tunisien » (art 3),
La loi de 1991 reprend
le même principe dans les termes suivants : « l’état offre à tous les
élèves … le maximum d'égalité de chances dans le bénéfice du droit à
l’éducation scolaire...» (Chapitre II, art 4), enfin la loi de 2002 a souligné
dans l’article 4 que l’état " garantit à tous les élèves l’égalité des
chances pour la jouissance du droit à l'éducation gratuite, dans les
établissements d'enseignement, public ... ».
Mais
quand nous examinons le graphique n° 11 du rapport, qui donne la proportion des
inscrits en première année de l'enseignement primaire ayant, suivi l’année préparatoire,
selon les délégations régionales de l'éducation, pour l'année scolaire
2012-2013 - on se rend compte que ce principe n’a pas été respecté depuis le
début, ou n’a pas trouvé les conditions qui permettaient de le garantir.
Et c’est à partir de ce niveau que commencent
les disparités entre les régions , les écoles et les élèves ; nous pensons
que la lutte contre ces disparités aura des retombées bénéfiques sur le système
éducatif tunisien en améliorant la qualité de son produit par la réduction
de l'échec scolaire , du redoublement , de
l'abandon et de la détérioration du niveau général de la formation et des
acquis des élèves.
Et
Maintenant, que 15 années sont passées depuis que l’année préparatoire est
devenue une partie intégrante de l'éducation de base, et que les diverses
recherches et études ont confirmé l'importance de l'éducation préscolaire dans l’avenir
scolaire de l’enfant, nous estimons que le moment est venu pour revoir la
politique de l’état dans ce domaine pour reconquérir l’espace urbain par l’école
publique.
Nous
pensons qu’il est temps de rendre la classe préparatoire gratuite et obligatoire ;
c’est la priorité de la prochaine
réforme scolaire, et en attendant, il faudrait penser à des mesures
pédagogiques pour faire face à l’hétérogénéité de la population scolaire de la
première année , en regroupant les nouveaux inscrits selon qu’ils aient fait ou
non l’année préparatoire, une telle mesure facilitera la mission de
l’enseignant en lui évitant le risque de s’occuper d’un groupe au dépens d’un
autre.
Hédi Bouhouch et Mongi Akrout, Inspecteurs généraux de l’éducation, retraités.
Tunis, Mars 2015.
[2] Rayna, S : « Quoi de neuf du côté de
l’éducation préscolaire ? Qualité, équité et diversité dans le
préscolaire », Revue internationale d’éducation de Sèvres [En
ligne], 53 | avril 2010, mis en ligne le 01 avril 2013, consulté le
20 février 2015. URL : http://ries.revues.org/879
[3] Règlement scolaire du 20 décembre 1886
tel qu’il a été modifié en 1906, in Procès Verbal du Conseil de l’instruction publique, Bulletin Officiel de
l’Instruction Publique, juin 1906, p 97.
[6] la loi 2002- 80 du 23 juillet 2002 , la loi d’orientation de l’éducation et l’enseignement
scolaire.
[7] Mr Diallo, M. et
al : « L’impact de l’éducation préscolaire sur la performance des élèves
au primaire en Guinée » http://www.rocare.org/grants/2010/grants2010gn2.pdf
[8] Op.cité
[9] Notre étude se limite au secteur public seulement, le rapport ne fournit
pas de données statistiques relatives au secteur privé et associatifs.
[10] Le pays est divisé en 26 délégations régionales de l’enseignement à
raison d’une délégation par gouvernorat sauf
pour les délégations de Tunis et de Sfax où il ya deux délégation pour
chaque gouvernorat.
[11] Hédi Bouhouch et Mongi Akrout : Echec et
disparités au baccalauréat tunisien :1° partie - le blog pédagogique http://bouhouchakrout.blogspot.com/2014/07/echec-et-disparite-au-baccalaureat.html
Hédi Bouhouch et Mongi Akrout : Echec
et disparités au baccalauréat tunisien :2° partie - le blog pédagogique http://bouhouchakrout.blogspot.com/2014/07/echec-et-disparite-au-baccalaureat_21.html
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