lundi 30 mars 2015

L’élève est au centre de l’action éducative : vérité ou fiction ?




Avant propos

Cette semaine nous ouvrons le Blog pédagogique à une contribution de M.Brahim Ben Salah , l’inspecteur général de l’éducation dans laquelle il traite d’une question très controversée à savoir la place de l’élève et  des savoirs dans l’école tunisienne .

 M. Ben Salah est parti  d’un principe  inclus  dans l’article 2 de la loi d’orientation de l’éducation et de l’enseignement secondaire de 2002   qui affirme que l’élève est au centre de l’action éducative pour dénoncer les dérives que  l’application de ce principe  a entrainé au niveau des pratiques pédagogiques depuis une dizaine année, l’approche de M. Ben Salah  nous renvoie aux idées de J .P.Astolfi [1] qu’il a développées dans son dernier ouvrage  paru en 2008 « … Astolfi est de ceux pour qui la mission première de l’école est de transmettre les savoirs au grand nombre… S’il doit être conforme au principe constructiviste, l’enseignement n’en doit pas moins rester fermement centré sur les savoirs. Astolfi marque en ce sens, à plusieurs reprises, ses distances avec la « vulgate », la « fausse monnaie constructiviste », qui met l’élève au centre pour mieux en évacuer les savoir »[2] .
Le débat sur cette question n’est pas prêt à être clos de sitôt , comme c’est le cas pour toutes les questions pédagogiques , le résultat est la diversité des approches et des points de vue.

Hédi Bouhouch & Mongi Akrout . Inspecteurs généraux de l’Education Nationale
Tunis. mars 2015

Le texte du point de vue

L’article 2 de la loi d’orientation de l’éducation et de l’enseignement secondaire de 2002   stipule que l’élève est au centre de l’action éducative.
On se demande si c’était une innovation ; la réponse est non, car l’élève était au centre de l’action éducative, depuis Rousseau.
L'école a été créée pour l’élève ; l'enseignant est recruté pour assurer son enseignement, les savoirs sont adaptés pour lui (on parle aujourd’hui de transposition didactique ou pédagogique) ; les livres confectionnés pour l’aider à apprendre.
Tout cela existait de notre temps, et du temps des prédécesseurs ; et si nous disons que l'enseignant est au centre de l’action éducative, on aurait taxé nos dires d’absurdité et de bêtise.

Mais, quand on dit que nous travaillons tous pour l'élève, ceci allait de soi. Mais cette vérité de la Palice renferme une intention qu’on ne peut saisir qu’avec réflexion et patience. Nous allons y revenir plus loin.

Ce que nous savons, c’est que la relation entre les différentes parties de l’action éducative est une relation dialectique ; chaque partie a des droits et des devoirs : l’élève a le droit aux savoirs, et le devoir de l'enseignant est de former l’élève. L’élève a le devoir d’être appliqué et sérieux au cours de ses études, et l'enseignant doit l’aider dans cette quête en le poussant à travailler.
L’enseignant n’est ni un animateur ni un surveillant ; mais il a une mission, qu’on appelle la mission d’enseigner ; lorsque l'enfant retourne à la maison après l’école, on lui demande : «Qu'avez-vous appris aujourd'hui à l’école ?" Et il devrait donner une réponse concrète et convaincante ; autrement, ses parents considèrent qu’il a perdu son temps.
Pour son élève, l'enseignant n’est pas un ami, qu’on interpelle par son petit nom ou son prénom ; on doit le faire par sa qualité,  et par ce qui traduit sa supériorité.

L'enseignant n’est pas un assistant ou un conseiller social ; il peut lui arriver d’écouter certains de ses élèves sur des questions personnelles, qui empêchent les progrès scolaires ; mais il devrait rapidement revenir à la mission originale, à savoir la mission d’enseignement. L'enseignant enseigne et n’éduque pas, et s’il lui arrive d’éduquer, c’est dans des cas rares.

L’enseignant ne remplace ni le père ni la mère. D’ailleurs, il ne peut pas le faire, même s’il le voulait, car sa mission est le transfert des savoirs, et ce transfert se fait du haut vers le bas, c’est ce que nous appelons une relation verticale entre l'enseignant et l'apprenant.
Les élèves et les enseignants devraient s’habituer à apprendre à laisser leurs sentiments à la porte de l'école, et les récupérer à la sortie.

L’idée de « l’élève au centre de l’action éducative » est un apport de l’école constructiviste qui considère l’élève (pardon, l’apprenant selon cette théorie) comme un acteur principal dans la construction du savoir ; c’est lui qui produit le savoir juste ou faux ; c’est lui qui corrige ses erreurs, qui fait les activités, qui s’auto -évalue. Mais est- il armé pour faire tout cela ? Qui l’a préparé pour faire cela ?

Nous avons cru que l'élève arrive à l'école, la tête « chargée » d’informations diverses provenant d'Internet, de la télévision  et des rumeurs, pour avoir le savoir fiable et assuré  qui nourrit  son cerveau et développe  son esprit , sa conscience et raffine ses goûts.
À cette fin, l’élève doit garder le silence à certains moments, et être attentif et concentré à d’autres ; telles sont les qualités et les attitudes requises par l'enseignant. Mais, malheureusement, rien de tout cela ne peut être atteint dans nos classes aujourd’hui. Certains vont nous dire : «Les élèves ont changé, et ils ne sont plus attentifs comme avant, et les classes sont surchargées, et il n’ya aucun moyen d'imposer le calme."

A la question « pourquoi les classes étaient chargées, mais plus calmes ? Notre réponse est la suivante : « parce que, tout simplement, le savoir était au centre d’intérêt de tous.»  

Revenant à notre idée de départ : «L’élève est au centre de l’action éducative  " ; la loi d’Orientation de 2002 affirme à son propos que :   « C’est la première fois que la place de l’élève est définie par le système éducatif ». Mais, nous pensons que la question n’est pas là ; le plus important, c’est que les trois lois sur l’éducation (1958 ,1991 et 2002) ont été conçues pour l’élève tunisien, mais que les deux premières lois n’ont signifié explicitement ; et que la troisième loi a fait , c’est le passage de l'enseignement à l'apprentissage, c'est-à-dire transformer l’élève du statut d’esclave" au statut de « maître ».à qui on n’impose pas la science  et à qui on ne dicte pas   les savoirs, et il est de son droit de protester au nom des droits de l'enfance et  au nom de son intégrité     pour profiter de son ignorance. Avec tout cela  n’est-il- pas devenu plus important que son enseignant ?

 Non, ce type d’orchestration, dont la visée est à long terme,  est  une  théorisation de l'échec scolaire programmé  surtout que la loi de 2002 , elle-même, reconnaît que les élèves ont des rythmes d’apprentissage et d'acquisition des connaissances très différents , et qu’il faut  s’attendre à ce que de nombreux élèves aient besoin d'une remédiation aux moments opportuns et d’un accompagnement. Ne serait-ce là une contradiction entre  le fait de déclarer que l’élève construit ses savoirs et le besoins de remédiation et d’accompagnement ?  

Brahim ben Salah  Inspecteur général de l’éducation
Traduit par Hédi Bouhouch & Mongi Akrout . Inspecteurs généraux de l’Education Nationale









[1] Jean-Pierre Astolfi, didacticien des sciences et enseignant en sciences de l’éducation, décédé en 2009. L’homme « fut salué lors de sa disparition comme un membre éminent de sa communauté universitaire, et plus largement de la noosphère pédagogique », son dernier ouvrage  était : La Saveur des savoirs. Disciplines et plaisir d’apprendre, ESF, Issy-les-Moulineaux, 2008, rééd. 2010.
[2] Jean-Pierre Terrail (Sociologue). L’école et les savoirs : A propos d’un ouvrage d’Astolfi  Groupe de recherche  sur la démocratisation scolaire  ( GRDS)-  vendredi 1er juin 2012 . http://www.democratisation-scolaire.fr/spip.php?article142

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