Avant propos
Cette semaine nous ouvrons le Blog pédagogique à une
contribution de M.Brahim Ben Salah , l’inspecteur général de l’éducation dans
laquelle il traite d’une question très controversée à savoir la place de
l’élève et des savoirs dans l’école
tunisienne .
M. Ben Salah est parti d’un
principe inclus dans l’article 2 de la loi d’orientation de
l’éducation et de l’enseignement secondaire de 2002 qui affirme que l’élève est au centre de
l’action éducative pour dénoncer les dérives que l’application de ce principe a entrainé au niveau des pratiques
pédagogiques depuis une dizaine année, l’approche de M. Ben Salah nous renvoie aux idées de J .P.Astolfi [1] qu’il a développées dans
son dernier ouvrage paru en 2008 « … Astolfi
est de ceux pour qui la mission première de l’école est de transmettre les
savoirs au grand nombre… S’il doit être conforme au principe constructiviste,
l’enseignement n’en doit pas moins rester fermement centré sur les savoirs.
Astolfi marque en ce sens, à plusieurs reprises, ses distances avec la «
vulgate », la « fausse monnaie constructiviste », qui met l’élève au centre pour
mieux en évacuer les savoir »[2] .
Le débat sur cette question n’est pas prêt à être clos
de sitôt , comme c’est le cas pour toutes les questions pédagogiques , le
résultat est la diversité des approches et des points de vue.
Hédi Bouhouch & Mongi Akrout .
Inspecteurs généraux de l’Education Nationale
Tunis. mars 2015
Le texte du point de vue
L’article
2 de la loi d’orientation de l’éducation et de l’enseignement secondaire de
2002 stipule que l’élève est au centre de
l’action éducative.
On
se demande si c’était une innovation ; la réponse est non, car l’élève était
au centre de l’action éducative, depuis Rousseau.
L'école
a été créée pour l’élève ; l'enseignant est recruté pour assurer son
enseignement, les savoirs sont adaptés pour lui (on parle aujourd’hui de
transposition didactique ou pédagogique) ; les livres confectionnés pour l’aider
à apprendre.
Tout
cela existait de notre temps, et du temps des prédécesseurs ; et si nous
disons que l'enseignant est au centre de l’action éducative, on aurait taxé nos
dires d’absurdité et de bêtise.
Mais,
quand on dit que nous travaillons tous pour l'élève, ceci allait de soi. Mais cette
vérité de la Palice renferme une intention qu’on ne peut saisir qu’avec réflexion
et patience. Nous allons y revenir plus loin.
Ce
que nous savons, c’est que la relation entre les différentes parties de l’action
éducative est une relation dialectique ; chaque partie a des droits et des
devoirs : l’élève a le droit aux savoirs, et le devoir de l'enseignant est
de former l’élève. L’élève a le devoir d’être appliqué et sérieux au cours de
ses études, et l'enseignant doit l’aider dans cette quête en le poussant à
travailler.
L’enseignant
n’est ni un animateur ni un surveillant ; mais il a une mission, qu’on appelle
la mission d’enseigner ; lorsque l'enfant retourne à la maison après l’école,
on lui demande : «Qu'avez-vous appris aujourd'hui à l’école ?" Et
il devrait donner une réponse concrète et convaincante ; autrement, ses
parents considèrent qu’il a perdu son temps.
Pour
son élève, l'enseignant n’est pas un ami, qu’on interpelle par son petit nom ou
son prénom ; on doit le faire par sa qualité, et par ce qui traduit sa supériorité.
L'enseignant
n’est pas un assistant ou un conseiller social ; il peut lui arriver d’écouter
certains de ses élèves sur des questions personnelles, qui empêchent les
progrès scolaires ; mais il devrait rapidement revenir à la mission originale,
à savoir la mission d’enseignement. L'enseignant enseigne et n’éduque pas, et
s’il lui arrive d’éduquer, c’est dans des cas rares.
L’enseignant
ne remplace ni le père ni la mère. D’ailleurs, il ne peut pas le faire, même s’il
le voulait, car sa mission est le transfert des savoirs, et ce transfert se
fait du haut vers le bas, c’est ce que nous appelons une relation verticale
entre l'enseignant et l'apprenant.
Les
élèves et les enseignants devraient s’habituer à apprendre à laisser leurs sentiments
à la porte de l'école, et les récupérer à la sortie.
L’idée
de « l’élève au centre de l’action éducative » est un apport
de l’école constructiviste qui considère l’élève (pardon, l’apprenant selon
cette théorie) comme un acteur principal dans la construction du savoir ; c’est
lui qui produit le savoir juste ou faux ; c’est lui qui corrige ses erreurs,
qui fait les activités, qui s’auto -évalue. Mais est- il armé pour faire tout cela
? Qui l’a préparé pour faire cela ?
Nous
avons cru que l'élève arrive à l'école, la tête « chargée » d’informations
diverses provenant d'Internet, de la télévision et des rumeurs, pour avoir le savoir fiable et
assuré qui nourrit son cerveau et développe son esprit , sa conscience et raffine ses goûts.
À
cette fin, l’élève doit garder le silence à certains moments, et être attentif
et concentré à d’autres ; telles sont les qualités et les attitudes requises
par l'enseignant. Mais, malheureusement, rien de tout cela ne peut être atteint
dans nos classes aujourd’hui. Certains vont nous dire : «Les élèves ont
changé, et ils ne sont plus attentifs comme avant, et les classes sont surchargées,
et il n’ya aucun moyen d'imposer le calme."
A
la question « pourquoi les classes étaient chargées, mais plus
calmes ? Notre réponse est la suivante : « parce que, tout simplement,
le savoir était au centre d’intérêt de tous.»
Revenant
à notre idée de départ : «L’élève est au centre de l’action
éducative " ; la loi d’Orientation de 2002 affirme à son propos
que : « C’est la
première fois que la place de l’élève est définie par le système éducatif ».
Mais, nous pensons que la question n’est pas là ; le plus important, c’est
que les trois lois sur l’éducation (1958 ,1991 et 2002) ont été conçues pour
l’élève tunisien, mais que les deux premières lois n’ont signifié explicitement ;
et que la troisième loi a fait , c’est le passage de l'enseignement à
l'apprentissage, c'est-à-dire transformer l’élève du statut d’esclave" au
statut de « maître ».à qui on n’impose pas la science et à qui on ne dicte pas les savoirs,
et il est de son droit de protester au nom des droits de l'enfance et au nom de son intégrité pour profiter de son ignorance. Avec tout
cela n’est-il- pas devenu plus important
que son enseignant ?
Non, ce type d’orchestration, dont la visée
est à long terme, est une théorisation de l'échec scolaire programmé surtout que la loi de 2002 , elle-même, reconnaît
que les élèves ont des rythmes d’apprentissage et d'acquisition des
connaissances très différents , et qu’il faut s’attendre à ce que de nombreux élèves aient
besoin d'une remédiation aux moments opportuns et d’un accompagnement. Ne
serait-ce là une contradiction entre le
fait de déclarer que l’élève construit ses savoirs et le besoins de remédiation
et d’accompagnement ?
Brahim
ben Salah Inspecteur
général de l’éducation,
Traduit
par Hédi Bouhouch & Mongi Akrout . Inspecteurs
généraux de l’Education Nationale
Tunis.
mars 2015
Autres contributions de M. Brahim Ben Salah
Le droit à l'école entre les discours des droits de l'homme et la réalité
L'Inspecteur de l'enseignement secondaire : Une autorité ou simple fonctionnaire ?
L’enseignement de l’ignorance : Est-ce la mort de l’école et la faillite de l’éducation?
[1] Jean-Pierre
Astolfi, didacticien des sciences et enseignant en sciences de l’éducation,
décédé en 2009. L’homme « fut salué lors de sa disparition comme un membre
éminent de sa communauté universitaire, et plus largement de la noosphère
pédagogique », son dernier ouvrage
était : La
Saveur des savoirs. Disciplines et plaisir d’apprendre, ESF,
Issy-les-Moulineaux, 2008, rééd. 2010.
[2] Jean-Pierre
Terrail (Sociologue). L’école et les savoirs : A propos d’un
ouvrage d’Astolfi Groupe de
recherche sur la démocratisation
scolaire ( GRDS)- vendredi 1er juin 2012 . http://www.democratisation-scolaire.fr/spip.php?article142
.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire