Avant propos .
L’efficacité du système
éducatif est en grande partie fonction de la qualité de son personnel
enseignant et de sa capacité d’adaptation, d’innovation et de créativité…Le
département de l’Education Nationale se préoccupe présentement du relèvement de
la qualité … de la formation et du perfectionnement des enseignants »
Rapport sur le mouvement éducatif en Tunisie
(1976-78) présenté à la 38éme
session de la conférence internationale de l’éducation, Ministère de
l’éducation nationale, République Tunisienne,
Genève, juillet 1979
Nous entamons cette
semaine l’histoire de la formation initiale et la formation continue des
enseignants en Tunisie depuis la période du protectorat jusqu’à nos jours,
c'est-à-dire une période qui s’étend sur plus d’un siècle , nous
commencerons par la formation initiale pour traiter ensuite la formation continue.
Introduction
La
Tunisie a connu depuis la fin du dix neuvième siècle un intérêt pour la
question de la formation des enseignants, la première institution de formation
des instituteurs remonte à 1884, cet intérêt est devenu plus important après
l’indépendance, il s’est traduit par la multiplication des institutions dédiées
à la formation ses enseignants des écoles primaires, des collèges et des lycées.
Ces institutions ont formé
des générations d’éducateurs tunisiens qui ont permis à l’école tunisienne
d’être parmi les meilleures écoles à l’échelle arabe et africaine.
Et c’est pour rendre
hommage à ces éducateurs que nous avons décidé d’écrire l’histoire de leur
formation.
I.
La
formation des enseignants durant la période du protectorat.
Malgré
l’opposition de certains milieux
français (colons et hommes politiques) les autorités coloniales ont
ouvert des écoles publiques, qu’ils avaient créées surtout à l’intention des enfants français installés en Tunisie, et
secondairement aux enfants des autres communautés( tunisiens, italiens…), elles
ont fondée aussi des écoles d’un type particulier, il s’agissait des écoles
publiques franco arabe « destinées aux tunisiens et aux enfants européens
où l’enseignement se donnait en français et en arabe »(Sraieb) à coté des écoles privées qui étaient gérées par les différentes missions
religieuses bien avant l’instauration du protectorat.
Et
c’est pour assurer le bon fonctionnement
de ces écoles publiques que les autorités coloniales, en accord avec le
gouvernement du bey tunisien, avaient décidé de créer en Tunisie trois
institutions pour former des instituteurs sur le modèle français, il s’agissait
de :
-
L’école normale
de Tunis plus connue à
l’époque sous l’appellation de collège Alaoui, fondé en 1884 sur le modèle des écoles normales des
instituteurs de France, elle s’est spécialisée dans la formation d’instituteurs
de langue française, qui seront appelés à exercer dans les écoles françaises ou
dans les écoles franco arabes.
-
En 1891 une section pour former des institutrices
fut créée dans le lycée de jeunes filles Jules ferry, cette section fut le
noyau de la future école normale des institutrices de Tunis.
-
Al madrasa al-madrasa al-'asfùriyya ou at-ta’dibiyya
, fondée en 1894 pour former les instituteurs de langue arabe , destinés
enseigner dans les écoles franco arabe essentiellement mais aussi dans les
écoles primaires françaises en cas de besoin ; cette école fut rattachée
en1909 à l’école normale des instituteurs de Tunis.
La
politique éducative du protectorat
français[1]
consistait à former « des enseignants autochtones, bilingues,
capables d’instruire les jeunes élèves tunisiens aussi bien en français qu’en
arabe, leur origine tunisienne et leur religion musulmane leur conférant un
préjugé favorable auprès des populations autochtones » (Sraieb)
et réduit leurs appréhensions et leurs inquiétudes et aide à attirer les jeunes
tunisiens.
Mais
en dépit du faible taux de scolarisation des jeunes tunisiens[2],
les deux institutions n’arrivaient pas à répondre aux besoins[3]
d’où le recours de la direction de l’instruction publique aux instituteurs
français expatriés pour enseigner le français et aux diplômés zitouniens pour
enseigner la langue arabe.
Quant
à l’enseignement secondaire, les autorités coloniales n’avaient pas l’idée de le développer, le limitant aux
enfants des colons , seule une faible
minorité de tunisiens ont pu profiter de cet enseignement secondaire public, en
1953 ( deux années avant l’indépendance) on ne comptait que 6682 élèves dans
l’enseignement secondaire et autant dans l’enseignement technique ( 6636), cet
état de fait explique l’absence de tout plan de formation d’enseignants pour le
secondaire, surtout que les rares lycées
ouverts en Tunisie ( à part le collège Sadiki et ses annexes) appliquaient les programmes français , l’enseignement
de la langue arabe ne fut introduit que
tardivement, tout ce ci explique qu’on ne comptait que 193 professeurs
tunisiens[4]
en 1953.
II. La formation des enseignants depuis l’indépendance
Le
premier gouvernement de la Tunisie indépendante s’est attelé à réaliser l’une
des principales revendications des nationalistes tunisiens depuis la fin du XIXème
siècle ( Al hadhira et les jeunes
tunisiens) à savoir assurer l’enseignement gratuit pour tous les enfants
tunisiens, or pour cela le pays devrait disposer des moyens financiers et de
ressources humaines, une stratégie nationale de formation des enseignants est
mise en place ( dans l’urgence), depuis
cette stratégie a connu beaucoup de changements plus ou moins heureux ,
qu’on peut résumer en 4 périodes
1.
1958-1971 :
un plan de formation intensive et
création d’institutions spécialisées.
Cette
première période est marquée par la promulgation de la loi sur l’enseignement
de 1958[5]qui
a décidé l’unification, la généralisation et la gratuité de l’enseignement, la
principale conséquence de cette loi fut l’explosion des besoins en enseignants ,et
pour faire face à l’afflux massifs des jeunes tunisiens alors que le pays manquait
cruellement de cadres qualifiés et pour relever le défi , le gouvernement
a conçu et mis en place un plan de formation dans l’urgence.
a)
Le
plan de formation des instituteurs.
Les besoins étaient
très importants, estimés à 5358 instituteurs rien que pour l’année
scolaire 1958 -1959, ils devraient doubler au bout de cinq années (voir tableau
n° 1 ci-dessous)
Tableau 1 - Evolution des besoins en instituteurs
entre 1958 et 1968
Année scolaire
|
Instituteurs de langue arabe
|
Instituteurs de langue
française
|
Total des besoins
|
1958
1959
|
3253
|
2105
|
5358
|
1964 1965
|
4920
|
6476
|
11376
|
1967 1968
|
6612
|
8315
|
14937
|
Source :Sraieb, N. page 80 ; tableau
n°15.
Pour
la formation des instituteurs, deux nouvelles écoles (Monastir et La Marsa) sont
venues s’ajouter aux deux écoles
normales déjà existantes, et à coté de ces écoles on a crée dans les différents
lycées[6]
une section ou une filière normale pour accroitre la capacité de formation.
En
1961 le Ministre M. Messadi créa une
nouvelle filière courte- à titre expérimental et provisoire- au sein de l’école normale de la Marsa pour
former des moniteurs, cette filière accueillait des diplômés de l’enseignement
moyen ( la section générale) pour suivre une formation de trois années, avant
de prendre en charge des élèves ( deux
années de formation académique et une année de formation pratique et
professionnelle), cette filière fut fermée en 1969 après avoir formé et
tout 697[7]
moniteurs sur un total de 3573 élèves
ayant suivi la formation entre 1961 et 1968.
Les
responsables de l’éducation, dans un souci d’assurer une formation professionnelle
de qualité, ont constitué un réseau d’écoles primaires d’application liées
administrativement et pédagogiquement aux écoles normales, pour accueillir les
instituteurs stagiaires durant leur année de stage , sous la supervision de maîtres
d’application et de conseillers pédagogiques et sous la direction de
l’inspecteur directeur de stage.
Mais
les diplômés normaliens étaient en deçà des besoins de l’école
à cette époque (en 1965-66 ils représentaient moins que le cinquième de
l’ensemble des instituteurs exerçant dans les écoles primaires) , le
secrétariat d’état a été obligé de faire appel à d’autres diplômés pour faire face aux besoins de
l’école primaire ( zitouniens, sadikiens, détenteurs du brevet[8])
, on a parfois recruté des maîtres qui avaient comme seul diplôme le certificat
de fin d’études primaires.( voir tableau 2 ci-dessous)
Tableau 2 : le
corps enseignant aux écoles primaires par genre et par diplôme au cours de
l’année scolaire 1965-1966.
diplôme
|
hommes
|
femmes
|
total
|
|||
Diplôme de fin d’études normales
|
1901
|
82.19%
|
412
|
17.82%
|
2313
|
17.81%
|
Baccalauréat, diplôme sadikien, diplôme d’arabe
|
157
|
71.04%
|
64
|
28.96%
|
221
|
1.79%
|
1 ère partie du Bac
|
464
|
80.14%
|
115
|
19.86
|
579
|
4.70%
|
diplôme Tahcil
|
5310
|
98.96%
|
56
|
1.04%
|
5366
|
43.53%
|
Brevet d’enseignement secondaire
|
1394
|
88.34%
|
184
|
11.66%
|
1578
|
12.80%
|
Niveau en de ça
|
1954
|
86.08%
|
316
|
13.92%
|
2270
|
18.41%
|
Total
|
11180
|
90.70%
|
1147
|
9.30%
|
12327
|
N.B : il faut ajouter
545 instituteurs étrangers (496 français) dont seulement 65 normaliens
Source :
Sraieb .N . Colonisation décolonisation et enseignement ; INSE Tunis. p. 180
b)
La
formation des professeurs d’enseignement secondaire et moyen.
Contrairement
à l’enseignement primaire, les besoins en professeurs étaient limités au cours
des premières années de l’indépendance car le nombre des élèves était encore
modeste (voir tableau
3 ci dessous)
Tableau 3 : prévision du plan
de développement pour l’enseignement secondaire
Besoins en professeurs
|
Accroissement des élèves
|
Année scolaire
|
223
|
4472
|
1959 - 1960
|
396
|
7736
|
1964 -1965
|
567
|
11354
|
1968 - 1969
|
Source :Sraieb ,op cité p.86
Les
estimations du plan décennal de développement (1962-1971) s’élevaient à 6500 professeurs,
pour faire face à ces besoins, le gouvernement décida de créer deux
institutions dédiées à la formation d’enseignants pour l’enseignement secondaire et
l’enseignement moyen pour remplacer les professeurs étrangers (surtout
français) qui étaient nombreux au cours des premières années de l’indépendance.
Ces deux institutions étaient :
-
L’école normale
des professeurs adjoints ( ENPA) qui a ouvert ses portes
dés 1958, pour former les professeurs de l’enseignement moyen[9],
puis elle a évolué pour former les professeurs adjoints dès 1962, la formation
était contractée (deux ans après le baccalauréat ) en raison de l’urgence des
besoins en professeurs.
-
L’école normale supérieure(
ENS), qui a ouvert ses portes en octobre 1956[10]
avait la mission de former des professeurs licenciés, on y accède par voie de
concours ; mais elle s’avère incapable de faire face à la demande des
lycées car les postes ouverts par les concours étaient très limités (65 postes en 1959 et 110 l’année suivante) , en plus
les postes ne couvraient pas toutes les spécialités, ils ne concernaient que 7 spécialités (arabe,
anglais, histoire, géographie, sciences naturelles, sciences physiques, mathématiques)[11]
Pour
résumer cette première étape, et en
faire le bilan on peut la qualifier d’étape qui a jeté les
bases du processus de formation d’enseignants tunisiens, seulement les résultats diffèrent selon le
cycle :
-
au niveau de l’école primaire les résultats étaient
satisfaisants sur le plan quantitatif, (
voir tableau n° 4 ci-dessous) en effet l’auto suffisance est presque atteinte, au cours de la saison scolaire 1966- 67 le taux a dépassé le taux de 95 % ( ce taux état de 71.16 % au cours de l’année scolaire 1955-56 ),
le nombre d’enseignants exerçant en 1967 - 68( 14488 ) correspond
presque aux prévisions ( voir tableau n°1 ci-dessus) ; par contre, au
point de vue qualitatif, le résultat était mitigé,
les instituteurs détenteurs du diplôme de fin d’études normales ne dépassaient
pas les 20% ( 18.76% au cours de l’année 1965-66) [12].(
voir tableau n° 2)
-
Au niveau du deuxième cycle ( enseignement moyen et
enseignement secondaire) les résultats étaient beaucoup moins brillants sur les
deux plan quantitatif et qualitatif , la
part des professeurs étrangers surtout Français représentait un peu moins de la
moitié des enseignants exerçant au cours de l’année scolaire 1966-67 et les
licenciés n’étaient que 38.4% de l’ensemble des enseignants tunisiens
exerçant dans l’enseignement moyen et secondaire au cours de l’année scolaire
1965-66 ( Sraieb)
Tableau n° 4
Evolution du corps enseignant du primaire par
nationalité en 1966
-67
Tunisiens
|
étrangers
|
total
|
% des Tunisiens
|
|
1955 -56
|
3647
|
1478
|
5125
|
71,16%
|
1966 -67
|
18829
|
719
|
19548
|
96,32%
|
Evolution du corps enseignant du secondaire par nationalité
Tunisiens
|
étrangers
|
total
|
% des Tunisiens
|
|
1951 -52
|
192
|
627
|
819
|
23,44%
|
1966 -67
|
2574
|
1959
|
4533
|
56,78%
|
Source : Rapport de la mission de l’Unesco
Hédi Bouhouch et Mongi Akrout,
Inspecteurs généraux de l’éducation, retraités.
Tunis, Avril 2015.
Articles sur le même thème
Le collège Alaoui : : la première institution de formation d’instituteurs en Tunisie
Extrait du discours du Directeur du collège Alaoui au cours de la cérémonie de distribution des prix
La première école de formation des instituteurs de langue arabe : " El Mederça At-ta'dïbiyya »
[1] Sraieb, N. L'idéologie de l'école en Tunisie coloniale
(1881-1945) In:
Revue du monde musulman et de la Méditerranée, N°68-69, 1993. pp. 239-254.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remmm_0997-1327_1993_num_1_2570
[2] En 1953, Les élèves tunisiens inscrits
dans les écoles primaires publiques étaient estimés à 124071 sur un total de
850000 en âge d’être scolarisés, ce qui représentait 14.65 % ce pourcentage ne
dépassait guère 12% en 1949 (Sraieb) p
50.
[3] En 1923 l’école normale d’instituteurs
de Tunis comptait 11 classes et 207 élèves (205 garçons et deux filles) dont 91 tunisiens musulmans, quant à l’école
normale des institutrices de Tunis, elle comptait 11 classes et 317 élèves dont 167 filles tunisiennes musulmanes
Statistiques générales de
Tunisie année 1923, Régence de Tunisie -
Protectorat français ; Tunis, imprimerie générale , J Balier 1924
[4] Sraieb, N. Colonisation et décolonisation et enseignement,
l’exemple Tunisien. INSE .Tunis . p. 194
[6] L’article 18 de la loi de 1958 relative à l’enseignement stipule que cette section est destinée à la
formation des maîtres pour les écoles primaires
[7]
Ces données ont été tirées
de la thèse Bousnina, M. (1991).
Développement scolaire et disparités régionales en Tunisie. Tunis: Publication
de l'Université de Tunis I.
[8] Le brevet était
un diplôme obtenu par les lycéens à la
fin de la troisième, par les
collégiens et par les élèves des cours complémentaires
[9] Rapport de l’Unesco (juin 1970) à propos du projet de l’ENPA, 38 pages, la
dernière promotion remonte à 1974.
[11] Arrêté du secrétaire d’état du 14 septembre 1959 fixant les dates du concours et les postes ouvert pour le concours de l’année 1958 et l’arrêté
318-1960 en date du 10 septembre 1960 relatif à la
session de 1960.
[12] Source: Sraieb .N colonisation décolonisation et enseignement ;
INSE Tunis p 180
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