lundi 27 juillet 2015

Les consistances des épreuves du bac : problèmes et perspectives d’amélioration ( première partie)


Avant propos
Nous avons consacré les notes précédentes à l’étude des consistances des épreuves du baccalauréat tunisien, en les définissant et en présentant des exemples de consistances relatives à des épreuves de langues, de sciences humaines et de sciences exactes. Nous avons tenté d’évoquer, quand il était possible, les objectifs visés par ces épreuves, et nous avons essayé de mettre ces consistances en rapport avec les orientations des réformes successives. 
Pour terminer cette série de notes, nous réservons cette dernière note à quelques problématiques que soulèvent les différentes consistances étudiées et aux perspectives de perfectionnement possible.

Première partie : les problématiques liées aux consistances des épreuves.
1.    L’absence d’une référence juridique depuis 1994.
Nous avons vu, qu’au début (1957), les consistances faisaient partie de l’arrêté d’organisation de l’examen ; elles se présentaient soit sous la forme d’articles indépendants,[1] avec la grilles des matières, des horaires et des coefficients, soit sous la forme d’annexes, depuis 1963[2].
Cette tradition s’était maintenue sans interruption jusqu’en 1991, mais en 1992,[3] le nouvel arrêté relatif à l’organisation de l’examen avait précisé dans son article 7 que les consistances feraient l’objet d’un arrêté particulier du ministre de l’éducation ; l’arrêté de 2008 a confirmé ce principe ; mais le premier et dernier arrêté de ce type ne fut publié qu’en 1994[4], c'est-à-dire que les consistances en vigueur actuellement (parues en 2008[5] ) n’ont pas une assise juridique.
2.    L’absence d’un document de référence méthodologique
Les différentes consistances, que nous avons l’occasion d’étudier, n’obéissent pas à un canevas unique, respecté et suivi par les différentes commissions qui étaient chargées de l’élaboration  des consistances ; le produit final, qui n’était que le résultat  d’efforts particuliers de chaque commission, est très hétéroclite ; on y rencontre  des consistances très brèves qui se limitent à donner le nombre de sujets à proposer aux candidats, et on trouve des consistances plus fournies et plus détaillées qui donnent les différentes parties de l’épreuve et la distribution des points sur les différentes parties… Mais, à coté de cette diversité, on remarque que la plupart des consistances accordent beaucoup  d’importance aux contenus et aux savoirs au dépens des objectifs et des capacités  à évaluer  et à mesurer par l’épreuve ; cette tendance rend l’évaluation par les correcteurs très difficile, et pousse ces derniers à juger la production des élèves selon leurs propres représentations et leurs attentes personnelles, ce qui ne manquait pas d’entacher l’acte d’évaluer de beaucoup de subjectivité, et ne garantit ni l’objectivité de l’opération, ni l’équité entre les candidats.
Cet état explique les mesures prises par les autorités administratives et pédagogiques pour encadrer la correction et tendre vers l’objectivité, comme l’institution des commissions de contrôle et de suivi, la double correction et même la troisième correction …
En résumé, on est obligé de constater que la rédaction des consistances est restée très en de ça des progrès enregistrés au niveau de l’élaboration des programmes scolaires, depuis la réforme de 1991, et surtout depuis la réforme de 2008 ( approche par compétences, la nature des apprentissages, nouvelle approche de la conception des programmes scolaires et surtout nouvelle fonction de la composante « évaluation »).[6]
3.    La question des sujets au choix et des sujets uniques
L’article 23 de l’arrêté relatif à l’organisation du baccalauréat de l’enseignement secondaire de 1957[7] a institué le principe du choix : «  pour les épreuves écrites, sauf pour les épreuves de langues étrangères, les problèmes scientifiques et les épreuves techniques graphiques, il est donné trois sujets entre lesquels le candidat a le droit de choisir. »  Quelle est la raison de cette distinction entre les disciplines ?
Il est probable que l’explication se trouve dans la nature des disciplines mêmes : l’absence de choix dans les épreuves de mathématiques et de sciences physiques et techniques est, peut être, du au fait que les concepts sont interdépendants et se construisent par accumulation, et les capacités se construisent linéairement selon la progression du programme, alors que les programmes de littérature et de civilisation arabe, d’histoire géographie et  de philosophie sont généralement constitués par des questions indépendantes, telles que les questions de civilisation, ou les questions philosophiques ou l’étude d’œuvres d’auteurs ou de poètes ou de penseurs.
§   Avantages et inconvénients du sujet unique :Le sujet unique se prête pour les programmes dont les parties sont difficilement fragmentées, car elles s’emboitent et se complètent ; il semble même que ,dans ce  cas, le sujet obligatoire et unique est plus bénéfique aux candidats, car les sujets au choix nécessitent une prise de connaissance de tous les sujets proposés pour pouvoir choisir, ce qui constitue  une perte de temps précieux ; d’ailleurs, des recherches docimologiques évoquent les avantages  du sujet unique , surtout pour l’institution, comme la possibilité  de comparer les productions des différents élèves sur la base d’un même sujet ; mais ces mêmes études reconnaissent en même temps l’existence d’un inconvénient majeur  du sujet unique obligatoire, c’est celui d’avantager certains élèves et de léser d’autres[8].  
§   Avantages et inconvénients du choix : rappelons que le choix est facile dans les programmes dont les différentes parties sont indépendantes les unes des autres ; dans ces cas le sujet peut porter sur une seule  partie du programme ; cette option pourrait être à l’avantage du candidat qui trouve là l’occasion d’opter pour la question qu’il maitrise bien ou le genre de sujet où il excelle ; à l’opposé, la question du choix soulève un certains nombres de problèmes dont :

- la pratique de la loterie : certains candidats profitent de cette possibilité pour concentrer leurs efforts sur certaines questions du programme et décident de sécher d’autres.
- le principe du choix soulève lui aussi quelques problèmes du point de vue de l’évaluation, car le candidat est évalué sur la base d’un sujet qu’il choisit, c'est-à-dire que tous les candidats de la même série seront évalués sur la base de trois sujets différents, qui ne peuvent pas être semblables, quant aux compétences requises, et aux champs du savoir mobilisables.
Plusieurs études avaient montré, « que quand on donne aux élèves la possibilité de choisir entre plusieurs sujets, il sera difficile de comparer leurs productions , en contre partie on offre à chaque élève  l’occasion de faire la preuve de capacités dans de meilleures conditions[9] » ;  d’ailleurs,   des études  ont prouvé l’impact  du choix, sur les notes  et les résultats des élèves ; elles ont montré aussi que les garçons et les filles ne font pas généralement le même choix,  et surtout que les notes sont influencées par ces choix .

4.    Certaines disciplines se partagent le même genre de sujet
Un certain nombre de matières (disciplines) comme l’histoire, la géographie, l’économie, la philosophie, et littérature et la civilisation arabe adoptent le même genre d’épreuves, il s’agit :
a.     de la dissertation [10] ; la dissertation est un genre d’épreuve qui est généralement   constituée de deux éléments, qui sont :
   Les données qui peuvent être sous la forme d’une question d’ordre général ou une citation littéraire, ou encore un concept qui nécessite une analyse dans l’espace et le temps et la mobilisation de mécanisme d’explication et de commentaire.
   Et la production attendue (qui peut être distincte ou intégrée partiellement ou entièrement aux données).
Mais, la similitude entre les disciplines n’est que formelle, car la différence est grande entre la dissertation littéraire et la dissertation philosophique ou historique…Chaque type fait appel à des connaissances et des savoirs faire spécifiques pour produire un texte de nature donnée : texte argumentatif,   explicatif, synthétique ou analytique…
b.    Et le commentaire de textes ou de documents ( tableau statistique, graphique, organigramme…),[11] on trouve ce genre d’exercice dans les épreuves d’arabe, d’histoire et de géographie…Mais la similitude là aussi n’est qu’apparente, car la méthodologie mobilisée par les candidats diffère selon les disciplines  et la nature du support ; en effet, le texte historique a ses spécificités et demande une approche particulière, et le texte littéraire  a lui aussi les siennes qui le relient à un genre et à un courant littéraire, de même que le texte philosophique s’individualise par son style et son approche… Tout cela pour dire que la similitude au niveau de la forme de l’épreuve que partage plusieurs disciplines n’est pas synonyme d’une similitude au niveau de la façon de traiter le sujet, et elles ne poursuivent pas  les  mêmes objectifs, et ne visent pas à évaluer les mêmes  capacités et les mêmes  compétences.
5.    La longueur de la durée de certaines épreuves et un calendrier surchargée
Le baccalauréat tunisien comporte des épreuves  de quatre heures, comme l’épreuve de philosophie de la section «  lettres » ; l’épreuve de mathématiques de la section «  Mathématiques » et l’épreuve de technologie de la section  « Sciences techniques » ; il faudrait remarquer que  c’est la deuxième occasions où les candidats passent des épreuves de cette durée , la première étant à l’occasion de l’examen de troisième trimestre de la classe de terminales et la deuxième est à l’occasion de l’examen du baccalauréat, c’est dire qu’ils manquent cruellement d’expérience et d’entrainement pour gérer des séances aussi longues ; quant à la durée des autres épreuves, elle varie entre 3 heures pour la plupart des matières spécifiques et 1h 30 pour les matières à option.
Mais, c’est le calendrier général de l’examen qui souffre par sa lourdeur et sa densité qui n’a cessé de s’aggraver, au cours des années, et cela aussi bien pour la session principale que pour la session de contrôle ; la comparaison du calendrier du début des années quatre vingt et celle de 2015 illustre bien cette tendance
Tableau comparatif de la durée du bac
session juin 2015
session juin 1982

session principale : 6 demi-journées
session principale : 4 demi-journées

session  de contrôle : 4 demi-journées

session  de contrôle : 2 demi-journées

Ainsi,  en 2015 les épreuves du   baccalauréat s’étalent sur 10 journées ( 6 pour la session principale et 4 pour la session de contrôle , alors qu’en 1982 les épreuves se passent en six journées seulement ( 4 et 2) ; cet allongement s’explique par la programmation de nouvelles matières : en 1982, les candidats étaient appelés à passer 4 épreuves au cours de la session principale, et deux dans la session de contrôle ; en 2015,  ce sont 7 ou 8 matières selon les sections, pour la session principale, et entre 5 et 6 matières pour la session de contrôle.[12] Cette tendance, conjuguée à l’augmentation du nombre de candidats, pose au ministère des problèmes d’ordre logistique, de pédagogie, c'est-à-dire, plus de professeurs surveillants, et plus de professeurs correcteurs, et un coût qui ne cessent  de s’envoler.

Hédi bouhouch & Mongi Akrout , inspecteurs généraux de l’éducation
Tunis , juin 2015


Articles  du blog sur des questions voisines

Les sections du baccalauréat depuis 1976


Les épreuves du baccalauréat tunisien depuis 1976


L’épreuve de littérature et de civilisation  arabe au baccalauréat tunisien


L’épreuve de langue française au baccalauréattunisien


L’épreuve de Mathématiques au Baccalauréat Tunisien

L’épreuve d’histoire et de géographie  au Baccalauréat Tunisien

 










[1] Arrêté du Ministre de l’éducation nationale en date du 17 avril 1957 relatif à l’organisation du baccalauréat de l’enseignement secondaire, jort n° 32 du 19 avril 1957

[2] Arrêté  du secrétaire d’état à l’éducation nationale  du 1 avril 1963 relatif à l’examen du baccalauréat de l’enseignement secondaire. jort n° 16  du   2 avril 1963
[3] Arrêté du Ministre de l’éducation et des sciences  du 24 juin 1992 relatif à l’examen du baccalauréat. JORT n° 41 du 26 juin 1992
[4] Arrêté du Ministre de l’éducation et des sciences  du 30 avril 1994 fixant les consistances des épreuves de l’examen du baccalauréat. jort n° 37  du 13 mai 1994.
[5] Les consistances de 2008  ont été publiées dans un livret  de 58 pages par la direction générale des programmes et de la formation continue  et la direction générale des examens, sous le titre : les épreuves de l’examen du baccalauréat, la quatrième année de l’enseignement secondaire, nouveau régime, année scolaire 2007-2008
[6]  Voir le document référence «  le programme des programmes » produit par la Direction générale des programmes - Ministère de l’éducation nationale - Ministère de l’éducation, septembre 2002, 99 pages. Ce document devrait être la base et la référence pour l’élaboration des différents programmes scolaires, des manuels et des modes d’évaluation.
[7] Opt cité
[8] Traité De Psychologie Appliquée .Tome 6, Maurice Reuchlin. P 60 ; 1973.
[9] . Traité De Psychologie Appliquée .Tome 6, Maurice Reuchlin. P 63 ; 1973
[10] La dissertation philosophique, littéraire, historique… est un genre d’épreuve qui caractérise le monde scolaire francophone, la dissertation philosophique remonte à 1864 en France, elle fut introduite au baccalauréat en 1866, la dissertation littéraire est apparue plus tard (1885) voir Bruno Poucet : Histoire de la Dissertation de Philosophie dans l’enseignement secondaire ; paru dans côté – philo ; n 9 ; 2006 ;
[11] Ce genre d’épreuve porte différents noms : commentaire , analyse littéraire… il est apparu plus tard que la dissertation en France ( 1902)
[12] l’arrêté  du ministre de l’éducation et de la formation    du 24 avril 2008 relatif au régime de l’examen du baccalauréat  , jort n° 34  du 25 avril 2008.

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