Avant propos
Nous avons consacré les notes
précédentes à l’étude des consistances des épreuves du baccalauréat tunisien,
en les définissant et en présentant des exemples de consistances relatives à des
épreuves de langues, de sciences humaines et de sciences exactes. Nous avons
tenté d’évoquer, quand il était possible, les objectifs visés par ces épreuves,
et nous avons essayé de mettre ces consistances en rapport avec les orientations
des réformes successives.
Pour terminer cette série de notes, nous
réservons cette dernière note à quelques problématiques que soulèvent les
différentes consistances étudiées et aux perspectives de perfectionnement possible.
Première partie : les
problématiques liées aux consistances des épreuves.
1.
L’absence d’une référence juridique depuis 1994.
Nous avons vu, qu’au début (1957), les
consistances faisaient partie de l’arrêté d’organisation de l’examen ;
elles se présentaient soit sous la forme d’articles indépendants,[1] avec la grilles des matières, des
horaires et des coefficients, soit sous la forme d’annexes, depuis 1963[2].
Cette tradition s’était maintenue sans
interruption jusqu’en 1991, mais en 1992,[3] le nouvel arrêté relatif à
l’organisation de l’examen avait précisé dans son article 7 que les consistances
feraient l’objet d’un arrêté particulier du ministre de l’éducation ;
l’arrêté de 2008 a confirmé ce principe ; mais le premier et dernier
arrêté de ce type ne fut publié qu’en 1994[4], c'est-à-dire que les consistances en
vigueur actuellement (parues en 2008[5] )
n’ont pas une assise juridique.
2.
L’absence d’un document de référence
méthodologique
Les différentes consistances, que nous
avons l’occasion d’étudier, n’obéissent pas à un canevas unique, respecté et
suivi par les différentes commissions qui étaient chargées de l’élaboration des consistances ; le produit final, qui
n’était que le résultat d’efforts particuliers
de chaque commission, est très hétéroclite ; on y rencontre des consistances très brèves qui se limitent à
donner le nombre de sujets à proposer aux candidats, et on trouve des
consistances plus fournies et plus détaillées qui donnent les différentes
parties de l’épreuve et la distribution des points sur les différentes parties…
Mais, à coté de cette diversité, on remarque que la plupart des consistances
accordent beaucoup d’importance aux
contenus et aux savoirs au dépens des objectifs et des capacités à évaluer et à mesurer par l’épreuve ; cette
tendance rend l’évaluation par les correcteurs très difficile, et pousse ces
derniers à juger la production des élèves selon leurs propres représentations et
leurs attentes personnelles, ce qui ne manquait pas d’entacher l’acte d’évaluer
de beaucoup de subjectivité, et ne garantit ni l’objectivité de l’opération, ni
l’équité entre les candidats.
Cet état explique les mesures prises par
les autorités administratives et pédagogiques pour encadrer la correction et
tendre vers l’objectivité, comme l’institution des commissions de contrôle et
de suivi, la double correction et même la troisième correction …
En résumé, on est obligé de constater
que la rédaction des consistances est restée très en de ça des progrès
enregistrés au niveau de l’élaboration des programmes scolaires, depuis la réforme
de 1991, et surtout depuis la réforme de 2008 ( approche par compétences, la
nature des apprentissages, nouvelle approche de la conception des programmes
scolaires et surtout nouvelle fonction de la composante
« évaluation »).[6]
3.
La question des sujets au choix et des
sujets uniques
L’article 23 de l’arrêté relatif à
l’organisation du baccalauréat de l’enseignement secondaire de
1957[7] a institué le principe du choix : «
pour les épreuves écrites, sauf pour les
épreuves de langues étrangères, les problèmes scientifiques et les épreuves
techniques graphiques, il est donné trois sujets entre lesquels le candidat a
le droit de choisir. » Quelle est la raison de cette
distinction entre les disciplines ?
Il est probable que l’explication se
trouve dans la nature des disciplines mêmes : l’absence de choix dans les
épreuves de mathématiques et de sciences physiques et techniques est, peut être,
du au fait que les concepts sont interdépendants et se construisent par
accumulation, et les capacités se construisent linéairement selon la
progression du programme, alors que les programmes de littérature et de
civilisation arabe, d’histoire géographie et
de philosophie sont généralement constitués par des questions indépendantes,
telles que les questions de civilisation, ou les questions philosophiques ou
l’étude d’œuvres d’auteurs ou de poètes ou de penseurs.
§
Avantages et inconvénients du sujet unique :Le sujet unique se prête pour les
programmes dont les parties sont difficilement fragmentées, car elles
s’emboitent et se complètent ; il semble même que ,dans ce cas, le sujet obligatoire et unique est plus
bénéfique aux candidats, car les sujets au choix nécessitent une prise de
connaissance de tous les sujets proposés pour pouvoir choisir, ce qui constitue
une perte de temps précieux ; d’ailleurs,
des recherches docimologiques évoquent les avantages du sujet unique , surtout pour l’institution,
comme la possibilité de comparer les
productions des différents élèves sur la base d’un même sujet ; mais ces
mêmes études reconnaissent en même temps l’existence d’un inconvénient
majeur du sujet unique obligatoire,
c’est celui d’avantager certains élèves et de léser d’autres[8].
§
Avantages et inconvénients du choix : rappelons que le choix est facile dans
les programmes dont les différentes parties sont indépendantes les unes des autres ;
dans ces cas le sujet peut porter sur une seule
partie du programme ; cette option pourrait être à l’avantage du
candidat qui trouve là l’occasion d’opter pour la question qu’il maitrise bien ou
le genre de sujet où il excelle ; à l’opposé, la question du choix soulève
un certains nombres de problèmes dont :
- la pratique de la loterie : certains
candidats profitent de cette possibilité pour concentrer leurs efforts sur
certaines questions du programme et décident de sécher d’autres.
- le principe du choix soulève lui aussi
quelques problèmes du point de vue de l’évaluation, car le candidat est évalué
sur la base d’un sujet qu’il choisit, c'est-à-dire que tous les candidats de la
même série seront évalués sur la base de trois sujets différents, qui ne
peuvent pas être semblables, quant aux compétences requises, et aux champs du savoir
mobilisables.
Plusieurs études avaient montré, « que quand on donne aux élèves la
possibilité de choisir entre plusieurs sujets, il sera difficile de comparer
leurs productions , en contre partie on offre à chaque élève l’occasion de faire la preuve de capacités
dans de meilleures conditions[9] » ; d’ailleurs,
des études ont prouvé l’impact du choix, sur les notes et les résultats des élèves ; elles ont
montré aussi que les garçons et les filles ne font pas généralement le même
choix, et surtout que les notes sont
influencées par ces choix .
4.
Certaines disciplines se partagent le
même genre de sujet
Un certain nombre de matières (disciplines)
comme l’histoire, la géographie, l’économie, la philosophie, et littérature et la
civilisation arabe adoptent le même genre d’épreuves, il s’agit :
a.
de la dissertation [10] ; la dissertation est un genre
d’épreuve qui est généralement constituée de deux éléments, qui sont :
Les données qui peuvent être sous la forme d’une
question d’ordre général ou une citation littéraire, ou encore un
concept qui nécessite une analyse dans l’espace et le temps et la mobilisation
de mécanisme d’explication et de commentaire.
Et la production attendue (qui peut être distincte ou
intégrée partiellement ou entièrement aux données).
Mais, la similitude entre les
disciplines n’est que formelle, car la différence est grande entre la
dissertation littéraire et la dissertation philosophique ou historique…Chaque
type fait appel à des connaissances et des savoirs faire spécifiques pour
produire un texte de nature donnée : texte argumentatif, explicatif,
synthétique ou analytique…
b.
Et le commentaire de textes ou de documents ( tableau statistique, graphique, organigramme…),[11] on trouve ce genre d’exercice dans les
épreuves d’arabe, d’histoire et de géographie…Mais la similitude là aussi n’est
qu’apparente, car la méthodologie mobilisée par les candidats diffère selon les
disciplines et la nature du support ;
en effet, le texte historique a ses spécificités et demande une approche
particulière, et le texte littéraire a
lui aussi les siennes qui le relient à un genre et à un courant littéraire, de
même que le texte philosophique s’individualise par son style et son approche… Tout
cela pour dire que la similitude au niveau de la forme de l’épreuve que partage
plusieurs disciplines n’est pas synonyme d’une similitude au niveau de la façon
de traiter le sujet, et elles ne poursuivent pas les mêmes objectifs, et ne visent pas à évaluer les
mêmes capacités et les mêmes compétences.
5.
La longueur de la durée de certaines épreuves et un
calendrier surchargée
Le baccalauréat tunisien comporte des
épreuves de quatre heures, comme
l’épreuve de philosophie de la section « lettres » ; l’épreuve
de mathématiques de la section « Mathématiques » et l’épreuve de technologie
de la section « Sciences techniques » ; il faudrait
remarquer que c’est la deuxième occasions
où les candidats passent des épreuves de cette durée , la première étant à
l’occasion de l’examen de troisième trimestre de la classe de terminales et la
deuxième est à l’occasion de l’examen du baccalauréat, c’est dire qu’ils
manquent cruellement d’expérience et d’entrainement pour gérer des séances
aussi longues ; quant à la durée des autres épreuves, elle varie entre 3
heures pour la plupart des matières spécifiques et 1h 30 pour les matières à
option.
Mais, c’est le calendrier général de
l’examen qui souffre par sa lourdeur et sa densité qui n’a cessé de s’aggraver,
au cours des années, et cela aussi bien pour la session principale que pour la
session de contrôle ; la comparaison du calendrier du début des années
quatre vingt et celle de 2015 illustre bien cette tendance
Tableau comparatif de la durée du bac
session juin 2015
|
session juin 1982
|
session
principale : 6 demi-journées
|
session
principale : 4 demi-journées
|
session de contrôle : 4 demi-journées
|
session de contrôle : 2 demi-journées
|
Ainsi, en 2015 les épreuves du baccalauréat s’étalent sur 10 journées ( 6
pour la session principale et 4 pour la session de contrôle , alors qu’en 1982
les épreuves se passent en six journées seulement ( 4 et 2) ; cet
allongement s’explique par la programmation de nouvelles matières : en
1982, les candidats étaient appelés à passer 4 épreuves au cours de la session
principale, et deux dans la session de contrôle ; en 2015, ce sont 7 ou 8 matières selon les sections,
pour la session principale, et entre 5 et 6 matières pour la session de contrôle.[12] Cette tendance, conjuguée à
l’augmentation du nombre de candidats, pose au ministère des problèmes d’ordre
logistique, de pédagogie, c'est-à-dire, plus de professeurs surveillants, et
plus de professeurs correcteurs, et un coût qui ne cessent de s’envoler.
Hédi bouhouch & Mongi Akrout , inspecteurs
généraux de l’éducation
Tunis , juin 2015
Articles du blog sur des questions voisines
Les sections du baccalauréat depuis 1976
Les épreuves du baccalauréat tunisien depuis 1976
L’épreuve de littérature et de civilisation arabe au baccalauréat tunisien
L’épreuve de langue française au baccalauréattunisien
L’épreuve de Mathématiques au Baccalauréat Tunisien
L’épreuve d’histoire
et de géographie au Baccalauréat Tunisien
[1]
Arrêté du Ministre de l’éducation nationale en date
du 17 avril 1957 relatif à l’organisation du baccalauréat de l’enseignement
secondaire, jort n° 32 du 19 avril 1957
[2] Arrêté
du secrétaire d’état à l’éducation nationale du 1 avril 1963 relatif à l’examen du
baccalauréat de l’enseignement secondaire. jort
n° 16 du 2 avril 1963
[3] Arrêté du Ministre de
l’éducation et des sciences du 24 juin
1992 relatif à l’examen du baccalauréat. JORT n° 41 du 26 juin 1992
[4] Arrêté du Ministre de
l’éducation et des sciences du 30 avril
1994 fixant les consistances des épreuves de l’examen du baccalauréat. jort n°
37 du 13 mai 1994.
[5] Les consistances de
2008 ont été publiées dans un livret de 58 pages par la direction générale des
programmes et de la formation continue
et la direction générale des examens, sous le titre : les épreuves
de l’examen du baccalauréat, la quatrième année de l’enseignement secondaire,
nouveau régime, année scolaire 2007-2008
[6] Voir le document référence « le
programme des programmes » produit par la Direction générale des
programmes - Ministère de l’éducation nationale - Ministère de l’éducation,
septembre 2002, 99 pages. Ce document devrait être la base et la référence pour
l’élaboration des différents programmes scolaires, des manuels et des modes
d’évaluation.
[10] La dissertation
philosophique, littéraire, historique… est un genre d’épreuve qui caractérise
le monde scolaire francophone, la dissertation philosophique remonte à 1864 en
France, elle fut introduite au baccalauréat en 1866, la dissertation littéraire
est apparue plus tard (1885) voir Bruno Poucet : Histoire de la
Dissertation de Philosophie dans l’enseignement secondaire ; paru dans
côté – philo ; n 9 ; 2006 ;
[11] Ce genre d’épreuve porte
différents noms : commentaire , analyse littéraire… il est apparu plus
tard que la dissertation en France ( 1902)
[12] l’arrêté du
ministre de l’éducation et de la formation
du 24 avril 2008 relatif au régime de l’examen du baccalauréat , jort n° 34
du 25 avril 2008.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire