dimanche 11 octobre 2020

Balade autour des significations du professionnalisme et de ses enjeux

 

M.N.Abdelmoula

En hommage à l'un des inspecteurs qui ont marqué l'histoire du corps des inspecteurs tant par ses compétences intrinsèques que par son dynamisme et son engagement qui a dépassé le cadre de sa spécialité ( La philosophie), M° l'inspecteur général de l'éducation ,MOHAMED Najib Abdelmoula, qui vient de nous quitter , le Blog Pédagogique a décidé de dédier les billets du mois d'octobre à cette grande personnalité.

Nous reproduisons cette semaine une communication présentée par le défunt dans le colloque - L'INSPECTEUR ET LA PROFESSIONNALISTION- qui a été organisé par la direction des études et de la recherche qui était dirigée par l'inspecteur général Amor Bannour au sein de l'Inspection générale pédagogique. Les travaux du colloque ont été publié par le Ministère de l'éducation nationale avec l'aide de l'Unicef ( Bureau de Tunis).

D'étranges coïncidences ont fait que la seule contribution de Si Najib que le blog a publié par le passé était la communication qu'il avait présentée lors de la cérémonie du quarantième jour du décès de notre ami et fondateur du blog, Al Hédi BOUHOUCH, et aujourd'hui le blog publie le texte de l'une des nombreuses communications de notre cher défunt, nous l'avons choisie parce que nous y avons vu une sorte de testament qu'il laisse pour ses collègues inspecteurs, les anciens et les nouveaux, dans l'espoir de les voir suivre ses recommandations et ses conseils afin de rehausser le travail de l'inspecteur à un niveau de professionnalisme supérieur.

Le  blog pédagogique , octobre 2020

 

I- Dans la légitimité de l'appellation

J'ai choisi la balade comme prélude pour le titre pour un motif personnel, au cours de laquelle je voulais que mon discours sur le professionnalisme soit un discours du plaisir malgré son caractère sérieux et la forte et récente envie de connaître ma position professionnelle à un moment de prospective et de réflexion sur l'école de demain, une école qui se veut d'après nos lectures " un espace où il fait bon vivre» en plus d'être un espace de savoir et d'apprentissage. Le deuxième motif du choix de la balade est sa présence dans l'espace de la spécialité où je me suis formé et qui a vu naitre de grandes théories philosophiques qui sont encore présentes. Je veux parler du stoïcisme et des stoïciens qui ont inventé une philosophie dont la mission première était la morale. Ses adeptes appelaient pour une citoyenneté universelle en se baladant dans les couloirs d'Athènes. Quant à l’épicurisme, du nom du philosophe Epicure, ses adeptes philosophaient dans le jardin de la joie. Il serait souhaitable que l'inspecteur professionnel puisse contribuer à faire de l'école de demain un espace de joie pour l'enseignant comme pour l'élève.

.

II - Le contexte de la naissance du concept de professionnalisme à l'échelle mondiale et nationale

 

L'étude du terme "professionnalisme" nécessite une analyse en tant que concept qui s'inscrit dans un contexte théorique. Ce contexte se distingue par la définition de l'éducation comme «un système qui évolue et se développe» et connait des problèmes qui nécessitent des solutions. Aujourd'hui, l'éducation est appelée à trouver les méthodes qui augmenteraient son efficacité pour répondre aux attentes des différents partis sociaux, économiques et politiques.

Le professionnalisme est donc un concept créé par le contexte contemporain, qui a engagé un processus d'évaluation des institutions à la recherche d'un meilleur rendement. Son apparition a été associée à d'autres concepts tels que la culture de l'évaluation et le projet de l'école. La politique éducative tunisienne s'est engagée dans cette démarche. Elle a annoncé son intention de prendre en charge les écoles dans cette perspective mondiale, qui prend en compte la qualité de l'éducation et l'efficacité de l'établissement. Cette démarche analyse les lacunes et les insuffisances et construit une stratégie pour remédier aux sources des faiblesses à plusieurs niveaux.

Nous retrouvons un écho à ce que nous avons évoqué dans le programme pour la mise en œuvre du projet " Ecole de demain " (2002 – 2007), qui a inclus le manque de professionnalisme parmi les facteurs qui ont conduit au mauvais rendement de l'établissement scolaire. le programme  en a parlé dans les termes suivants: «L’amélioration du rendement du système éducatif est tributaire de l’existence de ressources humaines hautement qualifiées, à tous les niveaux : personnel enseignant, personnel de direction, personnel d’encadrement pédagogique, surveillants... La gestion des établissements scolaires exige aujourd’hui, outre la motivation, un haut degré de professionnalisme ; ce qui fait malheureusement défaut à l’heure actuelle : les éducateurs, toutes catégories confondues, ne bénéficiant pas d’une formation spécifique adéquate en la matière.

Le professionnalisme des inspecteurs s'inscrit donc dans une vision globale qui lie les résultats scolaires et la qualité de l'enseignement aux compétences que devraient avoir tous les acteurs du processus éducatif.

Le programme pour la mise en œuvre du projet " Ecole de demain " (2002 – 2007) a fixé les spécifications du professionnalisme pour l'enseignant et a défini le professionnalisme comme suit :

«Des enseignants professionnels, cela veut dire des maîtres qui connaissent à la fois la science et l’art de leur métier ; capables de construire et de mettre en œuvre un projet pédagogique intégrant les spécificités du contexte où ils évoluent ; capables aussi de planifier, d’évaluer, de gérer des situations pédagogiques diverses ; de donner aux élèves le goût d’apprendre ; de réguler leur enseignement à la lumière des diagnostics fréquents qu’ils effectuent...»[1]

 

Le programme a passé sous silence le professionnalisme des autres acteurs du système éducatif. Il s'est limité à ce petit commentaire « à un niveau différent, mais dans le même ordre d’idées, une stratégie de professionnalisation parallèle doit être arrêtée au profit des chefs d’établissements, des cadres pédagogiques (inspecteurs et assistants) et des formateurs de formateurs»[2].

Le concept de professionnalisme est donc un concept contextuel, et nous devons l'examiner en fonction de sa relation avec le système que nous avons mentionné. La question n'est pas liée à une représentation personnelle du professionnalisme, ni à un effort qui nous conduit à des points de vue différents à propos du professionnalisme et de sa signification. Réfléchir sur la question du professionnalisme demande que nous étudiions toutes ses dimensions et l'étendue de sa capacité à réaliser la compatibilité entre les objectifs basiques de l'école, qui concernent l'éducation de l'homme et les nouveaux emplois conçus pour répondre aux besoins de circonstance dans lesquels se croisent la rentabilité, la qualité et la compétitivité. Bien que nous parlions du professionnalisme d'une part, parce qu'il est important pour l'avenir de notre école, nous avons déjà commencé à évoluer vers l'institution du professionnalisme au sein de notre système éducatif lorsque nous avons mis en place les bases d'une formation professionnelle initiale pour les enseignants et accéléré le rythme de la formation continue malgré les lacunes de celle-ci. Cette voie sera bientôt renforcée lorsqu'elle va s'étendre au corps des inspecteurs. La nouvelle formule du concours pour le recrutement des inspecteurs prévot une formation initiale spécifique qui prépare le futur inspecteur aux différentes missions dont il est chargé, qu'il s'agisse de programmes, d'examens, de manuels ou autres.

 

III -Significations et composantes du professionnalisme

 

Puisque le professionnalisme est un terme émergent importé d'ailleurs, que les spécialistes en ont délimité les définitions, et que nous avons accepté de nous engager dans cette approche de modernisation de l'éducation, je partirai d'un exemple de définition que j'ai sélectionné pour réfléchir à cette question : les écrivains Charlot et Beautier définissent le professionnalisme en partant des caractéristiques du professionnel comme suit: : "Le professionnel est celui qui est capable d'utiliser ses compétences dans n'importe quelle situation. Il est la personne des situations qui sait s'adapter et maîtriser toute nouvelle situation. Nous admirons le professionnel pour sa grande capacité d'adaptation, son efficacité et son agissement en tant qu'expert. Le professionnalisme nous conduit à une pratique qui se réfère à une base solide de connaissances et à l'intégration d'expériences réussies afin de parvenir à l'adaptation. La deuxième caractéristique du professionnel est qu'il répond présent à la demande dans toute circonstance ou face aux problèmes complexes et variés, et qu'il excelle dans leurs solutions. » Les deux auteurs ont formulé six normes ou critères du professionnel, qui sont :

-  Une solide base au niveau du savoir.

- Une pratique qui tient compte des situations.

 - La capacité à utiliser les savoirs dans les pratiques et les actions.

 - l'indépendance et la responsabilité personnelle dans l'exercice des compétences.

 - L'adoption de représentations et de valeurs qui constituent ensemble l'identité professionnelle.

 - L'adhésion à une équipe qui simplifie ou qui synthétise des stratégies pour la promotion et produit          des discours dans le domaine de l'évaluation et de la légitimité.

Celui qui se penche sur la définition du professionnel et du professionnalisme et qui regarde la liste des normes (critères) fixées par les praticiens de terrain dans ce domaine, constate qu'elle comporte des vertus, dont certaines sont d'ordre cognitif et d'autres d'ordre comportemental et éthique.

 

1- Le premier critère mentionné dans la liste du professionnel est le savoir, et j'estime que les savoirs dont l’inspecteur a besoin pour mener à bien sa mission et contribuer à améliorer le rendement de l’établissement scolaire sont avant tout les savoirs de base dans sa spécialité. Les compétences et les capacités ne peuvent guère exister sans une maîtrise parfaite de sa spécialité. Être persuasif et convainquant nécessite au premier degré cette exigence préalable et fondamentale.

2 - Une pratique qui prend en compte les situations : Une partie de cette compétence s'apprend, et l’autre fait partiede la personnalité du sujet. L'observance adéquate des situations nécessite une intelligence pratique et un esprit vif guidé par une espèce d'intuition. Dans tous les cas, on peut dire que cet élément inclus dans les normes (critères) du professionnalisme nous pousse à abandonner l'idée de la solution unique et de la vérité absulue et à nous préparer psychologiquement afin d'élargir nos horizons épistémologiques afin que nous agissions de différentes manières face à une question aux multiples manifestations.

3 - La capacité à traduire les savoirs dans les pratiques et les actions : Cet élément ou ce critère indique un choix de valeurs qui associe savoirs et efficacité, car un savoir inutilisé n'a pas de valeur. Le savoir n’est là que pour résoudre un problème ou affronter une difficulté. Cela signifie que toutes les théories que l'inspecteur consulte dans un domaine éducatif particulier, qu'elles soient relatives aux théories de la communication, à la transmission pédagogique, à une pédagogie différenciée ou à des approches pédagogiques, doivent se refléter dans la pratique et prendre sa place comme guide du comportement professionnel de l'inspecteur.

 -4. Indépendance et responsabilité personnelle dans l’exercice des compétences : Cette caractéristique, qui a été déclarée comme subjective, joue un rôle majeur dans la réussite du travail de l’inspecteur, et elle se manifeste dans tous les éléments que nous avons évoqués et seront rappelés plus loin. Donc que signifie pour l'inspecteur d'être un professionnel indépendant alors qu'il exerce au sein d'un système multidisciplinaire et multi partenaire ? Si le professionnalisme est une caractéristique requise chez tous ceux qui travaillent dans l'établissement scolaire, comment va se comporter un inspecteur indépendant avec un professeur indépendant et un directeur indépendant ? L'indépendance estavant tout un Manifeste de liberté. Elle est la déclaration d'un libre arbitre qui exerce ses choix indépendamment de toute pression extérieure qui oblige les sujets à faire ce qu'ils ne peuvent accepter.

Le terme d'indépendance est associé à l'auto-responsabilité, pour former ensemble le cadre dans lequel s'exercent les compétences de l'inspecteur. Ces compétences multiples incluent l'ensemble des tâches que doit accomplir l'inspecteur. Si nous prenons, par exemple, la tâche de conseiller et d'inspecter les enseignants nous remarquons que cette tâche nous oblige à nous libérer d'une tendance personnelle qui souhaite transformer les finalités de l'évaluation sommative de l'acte d'inspection qui est officiellement un outil de classement des enseignants en fonction du comportement, des performances et des capacités professionnelles qu'ils possèdent. Ici, l'indépendance est la capacité de résister à la pression des passions par respect pour l'éthique du travail et dans la croyance en l'utilité de l'objectivité en tant que valeur partagée qui peut rassembler et convaincre les gens. La personne indépendante est celle qui porte une idée claire des exigences de son travail et les applique sans aucun compromis. C'est cette indépendance qui permet d'enrichir le champ éducatif. l'indépendant déclare sa position et défend son idée autant qu'il est à l'écoute des autres pour leur permettre d’exprimer sans crainte leurs convictions et leurs idées.

Ce sont les « moi » indépendants qui peuvent vraiment être poussés vers l'avant, alors que les suivistes ne peuvent rien donner à une école qui encourage l'initiative. Cette indépendance n'est pas absolue et n'exprime donc pas la liberté libre, c'est une indépendance responsable, et la responsabilité qui en découle se manifeste dans la conscience du poids de la mission chez tous ceux qui apprécient le grand rôle attendu d'eux dans la réussite du travail éducatif. Quant à moi je considère la responsabilité sous deux angles :

 

- Le première est une responsabilité envers la collectivité nationale dont les membres contribuent tous aux dépenses sur l'éducation et attendent en retour une qualité de l'enseignement et des progrès qui augmentent le potentiel de nos jeunes et les préparent pour l'avenir. Cette responsabilité nous oblige à avoir le rôle d'expert et l'expert n'a pas le droit de témoigner de ce qu'il n'a pas vu. Il établit son diagnostic et évalue à la lumière des résultats du diagnostic, Si le moment du test est un moment d'évaluation sommative, il faut que la note corresponde au niveau du rendement, et si le moment est un moment d'une évaluation formative, il faut que les mécanismes d'intervention soient cohérents avec la spécificité de la situation. L'expert honnête est celui qui met son expérience au service d'un idéal qui garantit la pérennité de l'institution et donne de la crédibilité à son travail.

Le deuxième angle sous lequel on peut voir la responsabilité est celui de l'humanisme universel : l'inspecteur est une personne qui traite avec d'autres personnes, et son but ultime dans tout ce qu'il entreprend est l’intérêt l'élève tel que stipulé dans les lois éducatives successives de la Tunisie. À cet égard, je dis que la justice, l'équité et l'égalité des chances qui ont été soulignées par la loi sur l'éducation de 2002 et le programme pour la mise en œuvre du projet "école de demain" sont les valeurs sur lesquelles se fonde le comportement éducatif. Ils peuvent traduire le sens de la responsabilité car l'éducation des jeunes aux valeurs de la justice et de l'égalité ne se présente pas sous une forme purement théorique. La conviction de l'importance de ces valeurs ne pourrait se développer que si l'apprenant les constate et les voit dans toutes les pratiques relatives à l'établissement scolaire.

 

Ainsi, l'enseignant qui éduque ses élèves dans le respect de ses valeurs ne pourrait le faire que s'il est lui-même traité selon ces mêmes valeurs  et par conséquent nous pensons que les rapports entre les sujets indépendants ne peuvent être que sur la base  d'un sens de responsabilité, une responsabilité qui garantit le respect des lois et des valeurs communes  . Les âmes libres sont celles qui peuvent donner à la responsabilité sa vraie dimension humaine. Quant aux âmes quémandeuses, elles sont asservies et gouvernées par les émotions et sont effrayées, avides ou oppressives. Dans tous les cas elles ne sont pas prêtes pour une coopération fructueuse avec les autres, étant donné l'ambiguïté qui régit leur comportement.

 

5.-  . Des représentations et des valeurs collectives se construisent pour constituer dans son ensemble l'identité professionnelle. Ce critère est venu juste après ceux de l'indépendance et de la responsabilité, peut-être pour nous aviser du fait que cet inspecteur professionnel n'est pas un élément isolé, mais fait partie d'une structure, d'un système (c'est ce qui a été noté au début de la communication quand j'ai avancé que le professionnalisme s'inscrit dans une vision globale du système éducatif). Les compétences définissant le professionnel constituent une référence professionnelle commune pour un groupe d'individus appartenant à la même profession. Cela implique que le comportement d'une personne qui fait partie d'un ordre ou d'un corps de métier, n'engage pas sa seule personne, mais il engage tout le corps. C'est pourquoi l'éthique professionnelle exige que chacun de nous doive penser à tous le corps lorsqu'il entreprend un travail, ou quand il prend une décision ou fait une déclaration. Nous sommes confrontés à un paradoxe, d'une part nous sommes libres et d'autre part nous évoluons dans un cercle d'identité professionnelle qui nous impose une morale unifiée ou commune.

 

Cependant, nous n'avons pas d'autre choix que d'être libre, car l'école à laquelle nous appartenons veut que l'homme soit libre et qu'il soit éduqué pour être libre. Quiconque considère la liberté comme un point de départ et une finalité doit être soucieux de la défendre, que ce soit lié à sa liberté individuelle, à celle de ses collaborateurs ou des membres du groupe auquel il appartient. Si je considère l’être avec qui je suis en relation comme un être libre, je suis obligé de le respecter, de respecter ses droits, d’éviter de l'offenser, de tenir à me remettre en cause et de faire appel à la connaissance des sciences de la communication et de ses arts, des potentiels de la personnalité, es droits de l'homme et des lois régissant les relations entre les parties affiliées à la famille éducative afin de m'assurer d’être sur le bon chemin. L'effort que dépense un inspecteur professionnel est un effort de compatibilité entre la préservation de l'indépendance et donc de la liberté d'une part et l'affirmation de l'appartenance à une identité professionnelle qui requiert coopération et participation d'autre part. Si l'inspecteur professionnel est la personne des situations, c'est-à-dire une personne qui résout les difficultés, il n'a d'autre issue que de s'arrêter aux limites de ce paradoxe, pour lequel il a l'honneur de trouver un équilibre entre ses deux faces opposées.

 

- 6 - S'engager dans une équipe qui simplifie et fait la synthèse des stratégies de promotion et produire des discours sur l'évaluation et la légitimité.

Cette caractéristique, qui a été incluse dans la liste des critères arrêtés par un spécialiste dans la définition du professionnalisme, reflète une exigence fondamentale qui est la capacité de travailler avec les autres, la capacité de produire collectivement et la capacité de convaincre de la pertinence de ce que nous faisons. La légitimité est une indication de notre droit de poursuivre ce choix et non un autre, et notre droit d'évaluer de cette manière et non d'une autre manière. Le droit et la légitimité nous imposent donc une éthique dans le comportement, c'est-à-dire une éthique qui reconnaît l'autre comme collègue et comme assistant. Les membre d’un groupe de travail être persuadés que la dynamique du dialogue appelle certains d'entre nous à sortir de leur isolement et/ou abandonner leurs convictions  illusoires qui leur font croire que l'innovation pédagogique ou toute autre chose sont l'œuvre d'une minorité de doués.

L'éthique de l'inspecteur professionnel impose l'option de la coopération, de la participation et de la valorisation de ce qu'entreprend l'autre qui travaille avec nous, qu'il soit inspecteur, professeur, chercheur ou directeur. Si les personnes se rapprochent, la recherche devient facile et le progrès devient un résultat prévisible et sûr.

IV Remarques à la vue de la définition de l'inspecteur professionnel et des six critères ou normes.

L'inspecteur professionnel n'a pas le droit de travail seul et isolé, s'inspirant pour ses convictions et son comportement uniquement  de sa propre expérience ou de celle des anciens, il exerce dans le cadre d'un système et il est appelé de connaitre plusieurs types de savoir , afin de les utiliser pour les fins suivantes:

- Réfléchir  à des situations.

- Maîtriser quelques problèmes et leur trouver les solutions, en tant expert dans son domaine.

- S'adapter aux différents partenaires grâce à sa capacité de discernement et de compréhension.

- Répondre aux demandes de ses enseignants et de tous ceux qui ont besoin de lui.

V Les racines et les perspectives du professionnalisme

Dans quelle mesure peut-on considérer le professionnalisme comme une innovation dans le domaine de l'inspection, compte tenu des critères que j'ai évoqués ?  Et est-ce-que l'inspecteur d'aujourd'hui ou hier n'ont pas ces vertus ?

- Le savoir n'est-il pas l'un des critères du concours des inspecteurs ?

- Le recours à l'inspecteur pour résoudre certains problèmes éducatifs n'est-il pas effectif dans nos écoles aujourd'hui ?

- Ses compétences ne sont-elles pas reconnues lorsqu'il est appelé à élaborer les sujets des examens, des manuels, etc. ?

- L'éthique n'est-elle pas respectée par la plupart des inspecteurs, n'est-elle pas déterminante pour les différents types de relations de coopération entre le professeur et l'inspecteur dans de nombreuses activités ?

Parce que la comparaison entre la réalité de l'inspecteur et les aspirations du professionnalisme montre que la différence entre celle-là et celles-ci réside dans :

- l’établissement d'un cadre juridique.

- la structure stratégique institutionnelle.

- la diversité des éléments, leur complémentarité et la fusion entre les uns des autres. Cela signifie que les indicateurs du professionnalisme sont présents dans la pratique passée et présente des inspecteurs qui y ont été guidés par une forme d'intuition et d'entreprenariat et déterminés par les limites de l'initiative personnelle. Il est possible que la culture traditionnelle qui appelait au bon traitement était pour eux un cadre pour créer de bonnes relations avec les autres. Mais tout ceci arrivait par pur hasard et d’une manière personnelle et peut ne pas arriver du tout chez beaucoup d’inspecteurs qui voyaient leur fonction se limiter alors à la sanction qui était considérée comme le pilier de l’acte d’inspection. C'est pourquoi le professionnalisme a été considéré comme une stratégie qui vise à structurer ce qui était spontané et à le normaliser afin qu'il sorte du cercle individuel pour être généralisé.. Le professionnalisme nous appelle aujourd'hui à être ceci et cela. Le ministère de l'Éducation et de la Formation est aujourd'hui soucieuse de mettre en place des institutions spécialisées et de programmer des cycles de formation qui s'inscrivent dans la stratégie du professionnalisme pour permettre une  réflexion autour des pratique pédagogiques, de l'évaluation, de la comparaison et de l'innovation, qui sont devenus aujourd'hui nécessaires pour le développement et le progrès du système éducatif.

Ces conclusions appellent à transcender la compréhension hâtive du professionnalisme qui demande la liberté absolue, l'indépendance totale et l'innovation infinie. C'est la conscience systémique qui garantit la perception du professionnalisme dans un contexte prospectif défini par des enjeux précis et arrêtés.

 

IV – Le professionnalisme au diapason de la raison : une vision évaluative.

 

Ce que les spécialistes nous ont transmis à propos du sens du professionnalisme ne peut qu'éveiller en nous une certaine satisfaction car il est centré sur des compétences qui sont en rapport avec des valeurs humaines universelles telles la liberté, la responsabilité, la communication, avec les autres, la coopération et la participation à des travaux en groupe. Pourtant, nous découvrons par un examen critique un danger qui menace la finalité première de l'école qui n’est autre que la finalité de former l'être humain. Cette une finalité est liée à des activités intellectuelles qui ne sont pas mesurables par le seule critère de la rentabilité. De plus, le terme "qualité" a une connotation ambiguë et son rapport à la rentabilité rend sa signification étroitement liée à ce qui est économique et quantitatif. Ce couple conceptuel annonce un détournement de l'école avec tous ses professionnels pour servir les objectifs et les besoins du marché. Si tous les acteurs ne tiennent pas à maintenir l'équilibre nécessaire entre le quantitatif et le qualitatif éthique et humain. Nous devons nous méfier de ne pas appeler les choses par leur nom et de tomber dans l'utilitarisme direct au nom de l'efficacité qui exclut les dimensions des valeurs humaines.

Ce sont là les fondements implicites qui peuvent être soulevés à propos du professionnalisme. Quant aux exigences de leur mise en application  à la lumière des données actuelles de l'inspection, les difficultés et les obstacles doivent être connus  et il faut nous efforcer de les éliminer afin que le professionnalisme s'incarne en partie au niveau des convictions et de la pratique. Je dis en partie parce que certains critères du professionnalisme sont liés à l'humeur de la personne qui est difficile à changer, car c'est un combat contre soi-même nécessaire pour transformer une personne au caractère lugubre, renfrogné pour qu'elle devienne une personne ouverte et souriante ?  Dans quelle mesure y parvient-elle ? Combien de temps faut-il à la formation psychologique pour que ce changement se produise, ou devons-nous attendre que les nouvelles générations d'inspecteurs soient recrutées selon de nouvelles normes ? L'autorité de tutelle prendra-t-elle en compte les impératifs du temps et réduira-t-elle la masse de travail pour aider les inspecteurs en exercice à relever les défis du professionnalisme ?

Va-t-elle revoir la structure du rapport d'activité mensuel et créer une nouvelle rubrique dédiée à l'auto-engagement, à la consolidation des connaissances et à la réalisation d'expériences ? Ce n'est pas tout, il faut aussi revoir la forme du rapport d'inspection et envisager plusieurs possibilités dont certaines incluent des rubriques qui attirent l'attention sur la valeur de l'initiative et de l'innovation.

Mettre l’accent sur l’importance d'adopter une liberté responsable, productive et qui s'occupe de l'aspect qualitatif du travail, appelant également à une révision des mécanismes d’évaluation du travail de l’inspecteur qui se basent aujourd’hui sur les aspects quantitatifs et automatiques des activités de l'inspecteur. Ces observations confirment que le professionnalisme ne réussira que lorsque les autres  composantes du système soient homogènes .

 

Conclusion

Je termine sur un sentiment de soulagement lorsque je lis les compétences du futur inspecteur en ce qu’elles encouragent l’esprit de coopération et soulignent l’importance des relations horizontales, mais la fréquence des termes qualité et rentabilité gâche cette satisfaction et fait craindre que l'homme ne se transforme en un élément, un nombre ou un moyen qu’au sein des projets économiques. C'est pour cette raison que je lance un appel pour que nous tous, puissions faire du but ultime de l'école la réalisation de l'humanité de l'homme. Cela nécessite de veiller à maintenir la corrélation entre qualité et rentabilité d’un côté et les valeurs humaines universelles de l’autre.

 

Mohamed Najib ABDELMOULA ; Inspecteur général de l'éducation

Traduction Mongi AkROUT et Abdessalam Bouzid, Inspecteurs Généraux de l'éducation retraités.

Tunis , octobre 2020

 

Pour accéder à la version AR, cliquer ICI



[1]La nouvelle réforme du système éducatif tunisien : programme pour la mise en œuvre du projet " école de demain " (2002 – 2007) octobre 2002

 

[2] opt, cité

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