Il semblerait que le
ministère de l'éducation se penche durant cette période sur la révision du système disciplinaire scolaire actuel en
raison de son érosion et de son obsolescence face aux évolutions étonnantes quant
aux comportements des élèves, au changement de leur profil et à l'accentuation
de nombreux phénomènes émergents à l'intérieur et à l'extérieur du milieu
scolaire, ainsi que sous le poids des évolutions rapides enregistrées dans le
domaine du numérique moderne, ce qui affecte directement le rapport de l'élève
à son environnement, à ses cours, à son école, à ses sources de distraction et
aux moyens d'échapper à l'emprise de l'autorité sous ses diverses casquettes.
Notons d'emblée que
l'unique texte officiel réglementant la question disciplinaire dans nos
établissements scolaires est la
circulaire du ministre de l'éducation nationale datant du 1er octobre 1991,
c'est-à-dire qu'il remonte à plus de trente ans (autrement dit, la loi qui a
été appliquée à un élève des années 90, devenu depuis, un parent, est toujours valable pour ses enfants aujourd'hui
!). Je ne comprends pas ce qui a empêché environ 14 ministres de l'éducation
qui se sont succédé depuis 1991 d'apporter
les modifications nécessaires sur une circulaire produite
dans des circonstances et un contexte caducs et d’un autre temps ?
Je vais me contenter dans
ce papier, de souligner les lacunes du régime actuel, ses insuffisances et leur
impact sur les procédures et ses dispositions, sans traiter
de ce que devrait être le régime attendu… compte tenu de la nature du contexte
dans lequel ces quelques remarques critiques sont produites. Cependant, avant d'avancer
quelques observations, je voudrais dire - pour éviter toutes mauvaises
interprétations - que je ne prône pas une approche répressive stricte qui briserait
les jeunes et leur inflige diverses sortes d'infirmités psychologiques et physiologiques,
ni une approche laxiste qui met « les droits de l'enfant » au-dessus de toute
autre considération et qui permettrait toutes sortes de transgressions et d'errances
( L'errance est l'expression donnée à
une certaine époque par les médias maghrébins à l'hors jeu en football)... Car
entre la première approche et la seconde,
il y a lieu de concevoir un code de
conduite souple sans laisser-aller, et ferme sans nuire en même temps.
Première observation : Le discours adopté dans la rédaction du
texte actuel relatif au système disciplinaire reprend, dans de nombreux
endroits, des termes qui renvoient à un registre répressif et pénal voire militaire
des fois , tels que : mise en garde totale contre toute forme de paresse dans
l'exercice de son devoir - s'apprivoiser à l'effort, au sérieux dans le travail et à la
discipline dans le comportement - prendre les mesures nécessaires - résister
aux dérives malsaines- , recourir aux moyens de dissuasion- arrêter l'élève et le faire comparaitre devant le conseil - contrecarrer
l'intention de tricher avant que cela ne
se produise - conséquences désastreuses
– interdiction de continuer à passer
l'examen - condamnation d'un élève,
etc... Ainsi l'aspect répressif et dissuasif l’emporte largement sur l'aspect éducatif et
préventif. .
Deuxième observation : En revanche, on ne trouve pas dans le texte actuel de traces renvoyant au registre ou au discours moderniste devenu fréquent dans la plupart des systèmes éducatifs des
pays développés, tels que :
l'accompagnement, la communication et le dialogue, le statut et les droits de
l'élève , la gestion des comportements
dans l'espace scolaire (au lieu de la punition scolaire), la bonne conduite,
l'égalité des chances et le vivre ensemble, l'encadrement, l'attention et l'écoute,
la participation à la construction des règles de comportement et leur
application par les éducateurs, la qualité des apprentissages, la bonne tenue avec les élève, le respect de
l'apprenant et la préservation de sa dignité, le traitement de l'apprenant
comme un acteur digne de respect et de considération , assurer la protection de
tous les élèves, fournir aux élèves les conditions de leur équilibre et de la joie
d'apprendre… Ce sont autant d'expressions soucieuses par une préoccupation commune : l'équilibre et
la réussite de l'élève qui priment sur « le maintien de l'ordre, la discipline
et la droiture ».
Troisième observation
: Dans toutes nos familles, il n'y a pas un écrit qui définit les comportements
ou une loi explicite qui réglemente les relations entre tous les membres de la
famille. Tout est implicite et non annoncé, mais chacun connait très bien ses
droits et ses devoirs en relation à la
droiture de la parole, la salubrité des espaces, le respect des parents, le
rassemblement autour de la table de l'iftar en son temps, le contrôle du ton de la voix et le respect du toit qui
abrite la famille... Quant à l'espace scolaire, le tuteur signe au début de
chaque année scolaire un règlement interne écrit. Des codes de bonne conduite et des pactes du
vivre ensemble sont affichés à chaque coin de l'école et dans chaque salle de classe, et
il existe des structures et des corps éducatifs qui garantissent la bonne
application des procédures et des dispositions scolaires. .. Mais, personne n’en
tient compte. Ici le mot clé, à mon sens, est « l'appartenance ». Le domicile de nos élèves est leur maison parentale,
l'école n'est pas la leur. Les frères sont « un grand soutien indéfectible »; quant
aux pairs, ce sont des groupes temporaires pour les jeux et les amusements.
Le père et la mère sont les
symboles de la sainteté et de
la vénération, quant aux professeurs et aux instituteurs, la plupart d'entre eux ne
sont que des "distributeurs automatiques" de notes et des ponts de
passage purement utilitaires. Si nous appliquions les lois « coutumières » de la famille à
l'école et à la vie scolaire, notre école irait sans doute beaucoup mieux et l'état de notre jeunesse serait meilleur.
Quatrième observation:
le texte officiel appliqué depuis une génération et demie parle « d'atteinte à l’un membre de la famille
éducative » comme si on était en présence d'un corps homogène partageant des conceptions,
des visions et des perceptions de
valeurs (par rapport à l'élève lui-même, à sa tenue, à sa conduite, à son
discours, et à ses comportements parfois décalés…). Il parle aussi de « dérives
», comme s'il existait un consensus
naturel sur la définition des dérives, des mauvaises conduites, du manque de
respect, des abus… C'est une insistance à maintenir délibérément le flou et
l'implicite et à éviter l'explicite afin d'adopter les sanctions au gré des « membres de la famille éducative ».
Cinquième observation :
Nous notons une insistance sur les infractions et les transgressions qui
nécessitent la tenue du Conseil d'éducation et du Conseil de discipline, à
l'opposé, nous observons un « mutisme »,une
« négligence » ou une
« absence d'intérêt » pour les
fautes mineures ou les erreurs légères et sans grande gravité, mais cette
longue série de fautes mineures, qui ne sont pas « traitées » à temps se
transforment, au bout d'un certain temps , en de graves infractions. Ce fait
nous renvoie à la théorie des "vitres brisées des fenêtres", qui
affirme que " ne pas réparer un seul
carré de verre brisé dans un
quartier conduit nécessairement au
bris du reste des carrés de verre."
Par conséquent, il devient possible de contenir les infractions graves en
sanctionnant les infractions mineures.
Sixième observation :
Il y a des lacunes évidentes, compte tenu des transformations intervenues au cours
des décennies précédentes qui ne pouvaient être prises en considération
par
le texte de 1991 comme la cybercriminalité (harcèlement, brimades, arnaques...
sur les réseaux sociaux), le fait de circonscrire les manifestations de l'addiction et de la violence endémique en milieu scolaire et aux abords des écoles, l'usage
du téléphone portable dans l'espace scolaire et éducatif, etc...
Une dernière observation:
l'absence de toute référence au système d'évaluation actuel, notamment en
rapport aux élèves menacés de décrochage ou mal classés. De nombreux
observateurs, qui s'intéressent à la question disciplinaire en milieu scolaire,
pensent que les "résultats
scolaires négatifs" sont souvent perçus par les élèves concernés comme quelque chose d'humiliant et de dégradant pour leur dignité,
ce qui les pousse à la faute et à la délinquance.
Moncef Khemiri, conseiller général en information et en orientation scolaire et
universitaire
Tunis, 20 février 2023
Traduction Mongi Akrout,
inspecteur général de l'éducation
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