L'utilité
de récréation et de jeux
L'arrêté
du 18 janvier 1887, art. 7, dit
que « chaque séance
doit être partagée en plusieurs
exercices différents, coupés par la
récréation réglementaire ». D'après le Règlement modèle, art. 8, ces récréations sont organisées comme suit :
« Dans
les écoles à plusieurs classe les exercices seront coupés, pour les élèves du
cours élémentaires et du cours moyen, par une récréation de 5 minutes
qui aura lieu toutes les heures et, pour les élèves du cours supérieur, par une
seule récréation d'une durée de 15 minutes ».
D'autre
part le « Manuel d'exercices physiques
spécifie bien, page 9, que « les leçons » (de gymnastique)
ne pourront en aucun cas être pris sur le temps consacré aux récréations».
Pourquoi
ces prescriptions au demeurant très sages, sauf en ce qui concerne le temps
trop court de repos réservé au cours élémentaire et au cours moyen ? C’est que le travail intellectuel fatigue vite
l'enfant, c'est que son attention est vite épuisée. Pour remédier à cette
faiblesse intellectuelle, l'instituteur s'ingénie à varier les
exercices, faisant succéder, un devoir écrit qui repose, à une leçon
orale qui sollicitait davantage l'attention, séparant les exercices semblables
par d'autres aussi différents que possible ; il varie aussi dans le cours d'une
même leçon, exposant ou interrogeant, faisant réciter ou passant aux
applications.
Il
n'est pas possible non plus de demander à l'enfant une
immobilité à peu prés complète pendant les trois heures que dure
une séance ; son tempérament
réclame impérieusement de l’exercice, il ne peut se passer de mouvement. Aussi
le maître tient-il compte, même en classe de ce besoin naturel, qui est d'autant plus impérieux que l'enfant est plus jeune.
A
l'école maternelle et dans la section enfantine, la maîtresse place un
intermède - évolution, chant, construction, mouvement de gymnastique - entre
deux courtes leçons successives. Pour les élèves plus âgés, on a encore les
mouvements que les leçons occasionnent, formation de cercles devant le tableau,
déplacements divers, station assise ou debout ; il faut, de toutes
façons permettre des mouvements qui reposent,
sans quoi la discipline en souffrirait.
Cela
ne saurait suffire cependant, même si on intercalait au milieu des classes la
leçon d'ordre récréatif, mixte, dessin, chant, travail manuel, gymnastique. Car
dans toutes les leçons l'exercice commandé, méthodique, sollicite aussi
l'attention et fatigue encore l'esprit, quoique dans une mesure moindre. Il
faut aussi de l'exercice libre aux enfants.
Songeons
enfin qu'ils ont des besoins naturels
à satisfaire et qu'ils ne peuvent
rester trois longues heures sans passer aux privés
C'est
pour toutes ces raisons que les récréations ont été prévues et avec elles les
jeux, marches, promenades scolaires.
Le
rôle du maître pendant les récréations. Surveillance.
Pendant
les récréations le rôle du maître est multiple. Son premier soin est d'assurer,
d'organiser même le passage aux privés, car l'enfant, tout entier au jeu,
négligerait de faire ces besoins pour les plus petits, le rang ne seront rompus
qu'autant que tous les enfants seront passés aux privés. Pour les autres, plus
de liberté est de mise; cependant il ne sera pas inutile d'avertir de quelque
façon (coup de sifflet) que la récréation touche à sa fin. Inutile de dire
qu'il faut apprendre aux enfants à être propre ; rien n'impressionne aussi mal
que des cabinets maculés ou pleins d'ordures.
En
été, les enfants éprouvent le besoin de boire ; il convient de modérer plutôt
ce besoin qui pourrait amener de excès et, comme conséquence, des accidents. Un
gobelet fixé à la fontaine passe de main en main, rincé à chaque fois ; les
élèves ne doivent pas boire à même la fontaine, question d'hygiène au
double point de vue de la contagion à éviter et de l'excès possible
dans la satisfaction du besoin, la récréation est aussi le moment du
goûter; on évite ainsi d'avoir des élèves qui mangent en classe.
Le
maître ne doit pas oublier ensuite qu'il encourt une certaine responsabilité en
cas d'accidents ; l'article 1384 du Code civil, modifié par la loi du 24
juillet 1899[1], laisse subsister les articles 1382
et 1383 aux termes desquels on est «responsable de tout dommage qu'on a causé
par sa faute, par son inattention, par sa négligence » (Sénat,
Rapporteur). A remarquer aussi que la responsabilité de l'Etat n'est substituée
à celle de l'instituteur que « dans le
cas où la loi scolaire place les enfants sous la surveillance du maître », soit
pendant le temps consacré à l'enseignement
obligatoire, y compris le temps consacré aux récréations et à la
surveillance prévue par le règlement scolaire » (Sénat, déclaration du
Ministre).
Il
est donc non seulement du devoir mais aussi de l'intérêt de l'instituteur
d'exercer pendant le récréation une très active surveillance dans le but
d'éviter les accidents de toute sorte, blessure, foulure, luxation, fracture,
insolation, refroidissement, contagion, etc.
Que
de précautions à prendre, que de bonnes habitudes à
créer. Il faut protéger l'enfant contre tout ce qui
peut porter atteinte à ses facultés et cependant lui laisser faire
l'apprentissage de la liberté. Il faut prévenir le choc, les disputes les rixes
; veiller à ce qu'il ne soit pas fait usage d'objets pointus, tranchants,
contondants, porte-plume, baguette, canif, pierre ; tout voir et tout prévoir.
Certains jeux sont dangereux par eux-mêmes ; il convient de les proscrire sinon
de le surveiller de très près. La surveillance tend aussi à prévenir les
mauvaises habitudes, les attitudes vicieuses, les tics désagréables, à modérer
l'exubérance, l'activité brouillonne des uns, à secouer l'apathie des autres, à
faire régner la bonne harmonie, la franche camaraderie chez tous.
Il
faut aussi éviter avec soin ce que j'appellerai les accidents intellectuels et
les accidents moraux. Que rien ne vienne contrarier, pendant les récréations,
la formation de faculté de l'esprit : pas de cris stridents, de jouets aux sons
éclatants qui détruiraient la finesse de l'ouïe, pas de courses prolongées, de sauts à corde ou jeux
semblables qui mettent l'élève dans un
état de surexcitation nuisible ou ébranlent trop le cerveau. Proscrivez peu à
peu le patois qui retarde la culture de vos élèves, et les locutions locales
vicieuses, et la grossièreté du langage, image de la grossièreté des sentiments
et des actions.
La
surveillance s'exercera encore en écartant les amusements qui pourraient
favoriser les dispositions antisociales, les mauvaises tendances morales, comme
l'amour du gain, la brutalité, la colère, l'ambition. L'amour des jeux de
hasard peut naître des gains matériels faits par l'enfant dès l'école; celui
qui gagne aujourd'hui des billes voudra plus tard gagner des sous ou des Louis
et il trichera peut-être pour cela. Que ce ne soit pas toujours le même qui
commande dans les jeux organisés.
Il
faut surtout éviter les manifestations de vices déjà nés ou naissant ; ce n'est
pas seulement le corps de l'enfant qui doit être en sécurité à l'école, c'est
aussi et surtout son âme, son cœur, son innocence. Une pomme pourrie étend la
pourriture autour d'elle; un élève vicieux et vite imité, envié, dépassé même
par le camarade d'un caractère faible, car il y a dans tout vice quelque chose
de si expressif, qui parle haut à
l'imagination, que les volontés faibles sont entraînées fatalement ; une
surveillance sera donc toujours assez vigilante pour que la contagion du mal ne
soit pas possible, ou soit très rare. On fera bien de profiter du sage
avertissement contenu dans ce dicton du Moyen-âge : « Jeu de mains, jeu
de vilains ».
Parti
à tirer de récréation pour l'éducation.
Mais
ce n'est pas tout que de surveiller, de protéger les enfants pendant la
récréation; il est pour le maître une tâche autrement importante, qui consiste
à profiter de court moment où les élèves jouissent sous ses yeux d'une liberté
relative pour continuer en la confirmant l'éducation commencée par ses leçons.
Pendant les récréations il peut faire beaucoup pour le développement du corps,
de l'intelligence et de la moralité des enfants.
Les uns
ont trop d'ardeur au jeu et il faut le modérer, ai-je déjà dit ;
d'autres au contraire, trop indolents, sont aussi passifs
dans la cour qu'en classe. Ils resteraient inactifs dans un coin. Quand
ce n'est pas une conséquence de la faiblesse maladive, il importe qu’ils soient
excités à l'action, que même l'instituteur les entraine en jouant avec eux ; la
maîtresse qui fait la ronde avec le bambin de la section enfantine ne déchoit
pas pour cela . L'enfant qui n'avait de goût à rien prendra peut-être du
plaisir à l'étude, après avoir pris plaisir au jeu, remarque Locke.
Il est une autre raison qui veut que le maître
tienne la main à ce que les enfants prennent de l'exercice, surtout
ceux qui sont les plus studieux. L'étude, la réflexion, l'exercice de la
mémoire et du jugement attirent l'afflux sanguin ver le cerveau ; une sorte de
congestion, marquée par la fatigue, s'y produit très vite, au bout d'une heure
au plus pour la moyenne des élèves, si l'on en croit le médecin, il importe
donc de dégager le cerveau pour lui procurer le repos nécessaire et éviter le
surmenage. Le meilleur moyen d'y arriver, c'est une activité physique modérée
qui amène une circulation intense dans tout le corps.
Ce
dernier point n'a que de rapport indirect avec l'éducation intellectuelle ;
voici ce qui nous y fait entrer de plein pied. En classe, le maître met en
œuvre des moyens en quelque sorte artificiels pour apprendre aux enfants à
voir, à toucher ; que n'y fait-il servir aussi, dans la cour, les
jeux qui obligent l'enfant à mesurer les distances, à combiner leur force et
leur adresse pour lancer la toupie ou la balle? Ils acquerront mieux ainsi la
justesse de l'œil et l'adresse de la main, sans compter que, dans beaucoup de
jeux, l'enfant, il ne veut pas perdre ou être pris, est forcé d'observer, de
combiner son action pour dérouter le partenaire ou le surprendre. Si le maître
les met un peu sur la voie, les élèves inventeront même des amusements
nouveaux, donnant ainsi libre cour à leur imagination. Mais, pour cela, il faut
que le maître se mêle aux jeux dans la mesure compatible avec sa
dignité. Il y aura encore là un nouveau profil intellectuel pour les
enfants qui, en sa présence, prendront l'habitude d'un langage plus correct,
moins trivial surtout.
Les
récréations permettent enfin de surveiller l'éducation morale. Le jeu bien
dirigé est déjà de lui-même éducatif ; les jeux en général et les jeux
athlétiques en particulier sont une école de liberté, de solidarité, de
sociabilité, de décision.
Il
convient de suivre dans la cour l'effet de leçon morale faîte en classe ; on y
voit les enfants à l'œuvre, on saura qu'ils n'abusent pas de leur liberté, de
leur force, on remarque s’ils se soutiennent, s'ils s'entraident
sous les yeux du maître, les instincts primitifs égoïstes cèdent peu à
peu la place aux instincts désintéressés. Le préambule de programme de morale
recommande de « faire faire à l'enfant l'apprentissage effectif de la vie
morale » ; c'est surtout pendant les récréations que cet apprentissage est
possible, parce que l'enfant s'y sent libre et agit spontanément.
Le
maître attentif détermine aussi ce qui lui reste à faire (p91) pour la
formation des mœurs et des caractères. Les enfants, dans l'apparente liberté
qui leur est laissée, se montrent plus ou moins tels qu'ils sont. Leur naturel
se livre bien mieux qu'en classe et le maître en profite pour étudier le caractère et pour noter bien des
observations intéressantes. Que de découvertes à faire ! On arrive parfois même à déterminer la
vocation de l'enfant par le choix particulier de ses amusements, l'ardeur qu'il
met à tel jeux, la qualité qu'il y manifeste. On peut ainsi donner
des conseils aux familles embarrassée
parfois à choisir une profession pour leurs enfants.
Ainsi,
tout en protégeant les enfants
contre les accidents et la
promiscuité, un maître avisé peut diriger leur activité de façon que les jeux
auxquels ils se livrent fortifient à la fois leurs organes, les facultés de
leur esprit et leur moralité, c’est au
moment de la récréation que l'influence de l'instituteur se fait entier le plus
vivement : il devient alors un éducateur. Il lui faut pour cela une grande
perspicacité, un tact délicat. Qu'il ne dirige pas trop la récréation, que sa
surveillance ne paraisse guère, qu'il ne soit pas sans
cesse à prohiber et à gronder. L'éducation est à la foi
œuvre d'autorité et de liberté ; qu'en récréation, elle soit surtout une œuvre
de liberté, plus féconde pour la formation du caractère et de l'esprit
d'initiative. »
Source
: Extrait des Etudes pédagogiques (8ème étude, p 88).
In
le Bulletin Officiel de la Direction Générale de l'instruction publique et des
beaux arts, n° 2- Mars –avril 1921.
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[1] - - Art. I382 —
Tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la
faute duquel il est arrivé à le
réparer.
Art. 1383. — On est
responsable non seulement du dommage qu’on cause
par son propre fait, mais
encore de celui qui est causé
par le fait de personne dont on doit répondre
ou des choses qu’on a sous
sa garde.
Art. 1383— chacun est responsable des
dommages qu’il a
causé, non seulement par son fait mais encore pars sa négligence ou par son imprudence.
- les instituteurs et
les artisans sont responsables des dommages causés par leurs élèves et
apprentis, pendant le temps qu’ils sont sous leur surveillance.
La responsabilité ci-dessus a lieu
à moins que le père et mère, instituteurs et
artisans ne prouvent qu’ils n’aient pu empêcher le fait qui donne lieu à cette
responsabilité
-toute
fois la responsabilité civile de l’état
est substituée à celle des
membres de l’enseignement public.
- 1'action
en responsabilité contre l’état
dans le cas prévu par la présente loi
sera portée devant le tribunal civil ou le juge de paix du lieu où
le dommage aura été causé et
dirigée contre le préfet du département ».
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