dimanche 23 avril 2023

Utilité de la récréation et des jeux pour les enfants à l'école

 


Hédi Bouhouch

Le blog pédagogique propose cette semaine un extrait d'un document qui remonte à l'année 1921 c'est-à-dire qu'il a été publié il y a presque un siècle par le Bulletin officiel de la direction générale de l'instruction publique et des beaux arts  de la Tunisie.


Nous avons choisi cet extrait qui traite de la question de la récréation qui vient intercaler les séances de cours à l'école primaire parce que nous y avons  trouvé une approche très intéressante qui n'a rien perdu de sa valeur pédagogique et éducative, au  contraire il  nous a semblé très bénéfique de la faire connaitre pour les éducateurs d'aujourd'hui.

La récréation, d'après cette étude, doit faire partie intégrante de l'action éducative, en effet en plus de sa fonction récréative pour l'enfant, elle contribue à faire découvrir certains aspects de la personnalité de l'enfant et peut aider l'instituteur à mieux connaitre les caractères de ses élèves dans un cadre autre que le cadre de la salle de classe car le comportement de l'enfant est plus spontané pendant les récréations.

 

 

L'utilité de récréation et de jeux

L'arrêté du 18 janvier 1887, art. 7,  dit que   «  chaque séance doit  être partagée en plusieurs exercices différents, coupés  par la récréation réglementaire ». D'après le Règlement modèle, art. 8,   ces récréations sont organisées comme suit :

« Dans les écoles à plusieurs classe les exercices seront coupés, pour les élèves du cours élémentaires et du cours moyen, par une récréation de 5 minutes qui aura lieu toutes les heures et, pour les élèves du cours supérieur, par une seule récréation d'une durée de 15 minutes ».

D'autre part le «  Manuel d'exercices physiques  spécifie bien, page 9, que «  les leçons » (de gymnastique) ne pourront en aucun cas être pris sur le temps consacré aux récréations».

Pourquoi ces prescriptions au demeurant très sages, sauf en ce qui concerne le temps trop court de repos réservé au cours élémentaire et au cours moyen ? C’est  que le travail intellectuel fatigue vite l'enfant, c'est que son attention est vite épuisée. Pour remédier à cette faiblesse intellectuelle, l'instituteur s'ingénie à varier les exercices, faisant succéder, un devoir écrit qui repose, à une leçon orale qui sollicitait davantage l'attention, séparant les exercices semblables par d'autres aussi différents que possible ; il varie aussi dans le cours d'une même leçon, exposant ou interrogeant, faisant réciter ou passant aux applications.

Il n'est pas possible non plus de demander à l'enfant une immobilité à peu prés complète pendant les trois heures que dure une  séance ; son tempérament réclame impérieusement de l’exercice, il ne peut se passer de mouvement. Aussi le maître tient-il compte, même en classe de ce besoin naturel, qui est d'autant  plus impérieux que l'enfant est plus jeune.

A l'école maternelle et dans la section enfantine, la maîtresse place un intermède - évolution, chant, construction, mouvement de gymnastique - entre deux courtes leçons successives. Pour les élèves plus âgés, on a encore les mouvements que les leçons occasionnent, formation de cercles devant le tableau, déplacements divers, station assise ou debout ; il faut, de toutes façons  permettre des mouvements qui reposent, sans quoi la discipline en souffrirait.

Cela ne saurait suffire cependant, même si on intercalait au milieu des classes la leçon d'ordre récréatif, mixte, dessin, chant, travail manuel, gymnastique. Car dans toutes les leçons l'exercice commandé, méthodique, sollicite aussi l'attention et fatigue encore l'esprit, quoique dans une mesure moindre. Il faut aussi de l'exercice libre aux enfants.

Songeons enfin qu'ils ont des  besoins naturels à    satisfaire et qu'ils ne peuvent rester trois longues heures sans passer aux privés

C'est pour toutes ces raisons que les récréations ont été prévues et avec elles les jeux, marches,  promenades scolaires.

Le rôle du maître pendant les récréations. Surveillance.

Pendant les récréations le rôle du maître est multiple. Son premier soin est d'assurer, d'organiser même le passage aux privés, car l'enfant, tout entier au jeu, négligerait de faire ces besoins pour les plus petits, le rang ne seront rompus qu'autant que tous les enfants seront passés aux privés. Pour les autres, plus de liberté est de mise; cependant il ne sera pas inutile d'avertir de quelque façon (coup de sifflet) que la récréation touche à sa fin. Inutile de dire qu'il faut apprendre aux enfants à être propre ; rien n'impressionne aussi mal que des cabinets maculés ou pleins d'ordures.

En été, les enfants éprouvent le besoin de boire ; il convient de modérer plutôt ce besoin qui pourrait amener de excès et, comme conséquence, des accidents. Un gobelet fixé à la fontaine passe de main en main, rincé à chaque fois ; les élèves ne doivent pas boire à même la fontaine, question d'hygiène au double point de vue de la contagion à éviter et de l'excès possible dans la satisfaction du besoin,  la récréation est aussi le moment du goûter; on évite ainsi d'avoir des élèves qui mangent en classe.

Le maître ne doit pas oublier ensuite qu'il encourt une certaine responsabilité en cas d'accidents ; l'article 1384 du Code civil, modifié par la loi du 24 juillet 1899[1], laisse subsister les articles 1382 et 1383 aux termes desquels on est «responsable de tout dommage qu'on a causé par sa faute, par son inattention, par sa négligence » (Sénat, Rapporteur). A remarquer aussi que la responsabilité de l'Etat n'est substituée à celle de  l'instituteur que « dans le cas où la loi scolaire place les enfants sous la surveillance du maître », soit pendant le temps consacré à l'enseignement obligatoire, y compris le temps consacré aux récréations et à la surveillance prévue par le règlement scolaire » (Sénat, déclaration du Ministre).

Il est donc non seulement du devoir mais aussi de l'intérêt de l'instituteur d'exercer pendant le récréation une très active surveillance dans le but d'éviter les accidents de toute sorte, blessure, foulure, luxation, fracture, insolation, refroidissement, contagion, etc.

Que de précautions à prendre, que de bonnes habitudes à   créer.  Il  faut protéger l'enfant contre tout ce qui peut porter atteinte à ses facultés et cependant lui laisser faire l'apprentissage de la liberté. Il faut prévenir le choc, les disputes les rixes ; veiller à ce qu'il ne soit pas fait usage d'objets pointus, tranchants, contondants, porte-plume, baguette, canif, pierre ; tout voir et tout prévoir. Certains jeux sont dangereux par eux-mêmes ; il convient de les proscrire sinon de le surveiller de très près. La surveillance tend aussi à prévenir les mauvaises habitudes, les attitudes vicieuses, les tics désagréables, à modérer l'exubérance, l'activité brouillonne des uns, à secouer l'apathie des autres, à faire régner la bonne harmonie, la franche camaraderie chez tous.

Il faut aussi éviter avec soin ce que j'appellerai les accidents intellectuels et les accidents moraux. Que rien ne vienne contrarier, pendant les récréations, la formation de faculté de l'esprit : pas de cris stridents, de jouets aux sons éclatants qui détruiraient la finesse de l'ouïe, pas de courses  prolongées, de sauts à corde ou jeux semblables  qui mettent l'élève dans un état de surexcitation nuisible ou ébranlent trop le cerveau. Proscrivez peu à peu le patois qui retarde la culture de vos élèves, et les locutions locales vicieuses, et la grossièreté du langage, image de la grossièreté des sentiments et des actions.

La surveillance s'exercera encore en écartant les amusements qui pourraient favoriser les dispositions antisociales, les mauvaises tendances morales, comme l'amour du gain,  la brutalité, la colère, l'ambition. L'amour des jeux de hasard peut naître des gains matériels faits par l'enfant dès l'école; celui qui gagne aujourd'hui des billes voudra plus tard gagner des sous ou des Louis et il trichera peut-être pour cela. Que ce ne soit pas toujours le même qui commande dans les jeux organisés.

Il faut surtout éviter les manifestations de vices déjà nés ou naissant ; ce n'est pas seulement le corps de l'enfant qui doit être en sécurité à l'école, c'est aussi et surtout son âme, son cœur, son innocence. Une pomme pourrie étend la pourriture autour d'elle; un élève vicieux et vite imité, envié, dépassé même par le camarade d'un caractère faible, car il y a dans tout vice quelque chose de si expressif, qui parle haut  à l'imagination, que les volontés faibles sont entraînées fatalement ; une surveillance sera donc toujours assez vigilante pour que la contagion du mal ne soit pas possible, ou soit très rare. On fera bien de profiter du sage avertissement contenu dans ce dicton du Moyen-âge : «  Jeu de mains, jeu de vilains ».

Parti à tirer de récréation pour l'éducation.

Mais ce n'est pas tout que de surveiller, de protéger les enfants pendant la récréation; il est pour le maître une tâche autrement importante, qui consiste à profiter de court moment où les élèves jouissent sous ses yeux d'une liberté relative pour continuer en la confirmant l'éducation commencée par ses leçons. Pendant les récréations il peut faire beaucoup pour le développement du corps, de l'intelligence et de la moralité des enfants.

Les uns ont trop d'ardeur au  jeu  et il faut le modérer, ai-je déjà dit ; d'autres au contraire, trop indolents, sont aussi passifs dans la cour qu'en classe. Ils resteraient inactifs dans un coin. Quand ce n'est pas une conséquence de la faiblesse maladive, il importe qu’ils soient excités à l'action, que même l'instituteur les entraine en jouant avec eux ; la maîtresse qui fait la ronde avec le bambin de la section enfantine ne déchoit pas pour cela . L'enfant qui n'avait de goût à rien prendra peut-être du plaisir à l'étude, après avoir pris plaisir au jeu, remarque Locke.

 Il est une autre raison qui veut que le maître tienne la main à ce que les enfants prennent de l'exercice, surtout ceux qui sont les plus studieux. L'étude, la réflexion, l'exercice de la mémoire et du jugement attirent l'afflux sanguin ver le cerveau ; une sorte de congestion, marquée par la fatigue, s'y produit très vite, au bout d'une heure au plus pour la moyenne des élèves, si l'on en croit le médecin, il importe donc de dégager le cerveau pour lui procurer le repos nécessaire et éviter le surmenage. Le meilleur moyen d'y arriver, c'est une activité physique modérée qui amène une circulation intense dans tout le corps.

Ce dernier point n'a que de rapport indirect avec l'éducation intellectuelle ; voici ce qui nous y fait entrer de plein pied. En classe, le maître met en œuvre des moyens en quelque sorte artificiels pour apprendre aux enfants à voir, à toucher ; que n'y fait-il servir aussi, dans la cour, les jeux qui obligent l'enfant à mesurer les distances, à combiner leur force et leur adresse pour lancer la toupie ou la balle? Ils acquerront mieux ainsi la justesse de l'œil et l'adresse de la main, sans compter que, dans beaucoup de jeux, l'enfant, il ne veut pas perdre ou être pris, est forcé d'observer, de combiner son action pour dérouter le partenaire ou le surprendre. Si le maître les met un peu sur la voie, les élèves inventeront même des amusements nouveaux, donnant ainsi libre cour à leur imagination. Mais, pour cela, il faut que le maître se mêle aux jeux dans la mesure compatible avec sa dignité. Il  y aura encore là un nouveau profil intellectuel pour les enfants qui, en sa présence, prendront l'habitude d'un langage plus correct, moins trivial surtout.

Les récréations permettent enfin de surveiller l'éducation morale. Le jeu bien dirigé est déjà de lui-même éducatif ; les jeux en général et les jeux athlétiques en particulier sont une école de liberté, de solidarité, de sociabilité, de décision.

Il convient de suivre dans la cour l'effet de leçon morale faîte en classe ; on y voit les enfants à l'œuvre, on saura qu'ils n'abusent pas de leur liberté, de leur force, on remarque s’ils se soutiennent, s'ils  s'entraident  sous les yeux du maître, les instincts primitifs égoïstes cèdent peu à peu la place aux instincts désintéressés. Le préambule de programme de morale recommande de « faire faire à l'enfant l'apprentissage effectif de la vie morale » ; c'est surtout pendant les récréations que cet apprentissage est possible, parce que l'enfant s'y sent libre et agit spontanément.

Le maître attentif détermine aussi ce qui lui reste à faire (p91) pour la formation des mœurs et des caractères. Les enfants, dans l'apparente liberté qui leur est laissée, se montrent plus ou moins tels qu'ils sont. Leur naturel se livre bien mieux qu'en classe et le maître en profite pour étudier  le caractère et pour noter bien des observations intéressantes. Que de découvertes à faire !  On arrive parfois même à déterminer la vocation de l'enfant par le choix particulier de ses amusements, l'ardeur qu'il met à tel jeux, la qualité qu'il y manifeste. On peut ainsi donner des conseils aux familles   embarrassée parfois à choisir une profession pour leurs enfants.

Ainsi, tout en protégeant les enfants  contre  les accidents et la promiscuité, un maître avisé peut diriger leur activité de façon que les jeux auxquels ils se livrent fortifient à la fois leurs organes, les facultés de leur esprit et  leur moralité, c’est au moment de la récréation que l'influence de l'instituteur se fait entier le plus vivement : il devient alors un éducateur. Il lui faut pour cela une grande perspicacité, un tact délicat. Qu'il ne dirige pas trop la récréation, que sa surveillance ne paraisse guère, qu'il ne soit pas sans cesse à prohiber et à gronder. L'éducation est à la foi œuvre d'autorité et de liberté ; qu'en récréation, elle soit surtout une œuvre de liberté, plus féconde pour la formation du caractère et de l'esprit d'initiative. »

Source : Extrait des Etudes pédagogiques (8ème étude, p 88).

In le Bulletin Officiel de la Direction Générale de l'instruction publique et des beaux arts, n° 2-  Mars –avril 1921.

 

Pouraccéder à la version AR, cliquer ICI

 

 

 

 

 

 



[1] - - Art. I382 — Tout fait  quelconque  de l’homme  qui  cause à autrui un   dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le  réparer.

Art. 1383. — On est  responsable non seulement du dommage  qu’on  cause  par son propre fait, mais  encore de celui qui est causé  par  le  fait de  personne dont on  doit  répondre  ou des choses  qu’on a  sous sa  garde.

Art. 1383— chacun est responsable  des dommages  qu’il a causé, non seulement par son fait   mais  encore pars  sa négligence ou  par son imprudence.

- les instituteurs  et les  artisans sont  responsables  des dommages causés par  leurs élèves et apprentis, pendant le temps qu’ils sont sous  leur surveillance.

 La responsabilité ci-dessus   a lieu  à moins que le  père  et mère, instituteurs et artisans  ne prouvent qu’ils  n’aient  pu empêcher   le fait qui donne lieu à cette  responsabilité

-toute fois la responsabilité civile de l’état  est substituée à celle  des membres de l’enseignement public.

1'action en responsabilité contre l’état   dans le cas prévu par la présente loi sera portée  devant le tribunal civil ou le juge de  paix du lieu où le dommage aura été causé et   dirigée contre le préfet du département ».

 

 

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire