Hédi Bouhouch |
Le blog pédagogique poursuit la publication des enseignements des résultats de la dernière enquête nationale par grappes à indicateurs multiples (MICS) [1] relatifs à l'éducation , pour revenir à la 1er partie, cliquer ici.
La grande nouveauté du
classement PISA 2022 publié en 2023 est que tous les pays de l’OCDE marquent une
baisse prononcée sur la compréhension de la langue maternelle et
d’ailleurs sur les autres matières également. Sur l’écrit, le tiercé de
tête comprend Singapour, l’Irlande et le Japon. Avec un score deux points en
dessous de la moyenne des 38 pays de l’OCDE, la France se retrouve en 18e
place. Rien de très glorieux, même si son classement ne bouge pas par rapport
à la précédente enquête parue en 2019. |
Le 12 Février 2024 dernier, le Ministère de
l’Economie et de la Planification (MEP), l’Institut National de la Statistique
(I.N.S) et le Fonds des Nations Unies pour l’Enfance (UNICEF) ont présenté les
résultats de l’enquête nationale par grappes à indicateurs multiples
(MICS) réalisée en 2023.
Qu'est-ce la MICS : "La MICS
(Multiple Indicator Cluster Surveys) est un programme mondial d'enquêtes
auprès des ménages, visant l'évaluation de la situation des enfants et des
femmes ainsi que les progrès accomplis dans la réalisation des objectifs
nationaux et les objectifs de développement durable (ODD)."
La Tunisie en a déjà effectué 4 : en 2000, 2006,
2012 et 2018. Cette cinquième édition (2023) a touché 11 000 ménages dont 7326
en milieu urbain et 3674 en milieu rural. Le taux de réponse est très bon
puisqu'il était de 90%.
L'enquête a dégagé
183 indicateurs concernant la situation de la mère et de l'enfant.
Dans ce billet, le
blog pédagogique va s'intéresser aux indicateurs relatifs à l'éducation, il
s'agit :
- des taux de participation de l'éducation préscolaire
(les enfants de 3 à 5 ans et l’apprentissage formel pour les enfants âgés de 5
ans) ;
- des taux nets de scolarisation[2]
au primaire, au collège et au lycée ;
- des taux d'achèvement des études au primaire, au
collège et au lycée;
- des compétences de base en lecture et en calcul.
L'analyse des résultats de l'enquête nous ont permis de
dégager un certain nombre de conclusions, dont certaines sont inquiétantes et
d'autres satisfaisantes.
Deuxième aspect : l'accentuation des inégalités au niveau
géographique et au niveau socio-économique.
Le deuxième aspect est peut-être plus grave que le
premier. Il s'agit de l'entorse aux principes d'équité et d'égalité des chances,
qui sont proclamés haut et fort dans tous les discours officiels, les rapports
et les documents produits par le ministère[3].
L'enquête vient d'en donner les preuves que nous allons passer en revue.
1) Les élèves des régions rurales sont en
général moins favorisés en comparaison avec ceux des régions urbaines, et cela
se manifeste à tous les niveaux (indicateurs)
a) Au niveau
de l’éducation préscolaire
L'enquête
a montré que seuls 35.4 % des enfants âgés de 3 et 4 ans vivant en milieu rural
bénéficient d'un programme d'éducation préscolaire, contre 54.6 % des enfants
vivant en milieu urbain. Quant à la participation à l’apprentissage formel de
l'année préparatoire (à partir de 5 ans), l'écart entre les deux milieux est
moins flagrant. Contrairement à l'éducation préscolaire visant les enfants
entre 3 et 4 ans, qui est payante et rare en milieu rural, l’apprentissage
formel de l'année préparatoire est généralement assuré par l'état; les parents
ne doivent payer, depuis la rentrée 2023, qu’un droit d'inscription de 4D. Le
droit mensuel de 15 D a été abandonné, ce qui explique le grand écart entre les
taux enregistrés.
Extrait d'un rapport de l'UNICEF (novembre
2022). "Les performances du secteur public
dans le domaine de la scolarisation des enfants âgés de 5 ans semblent
connaitre un essoufflement durant la dernière décennie devenu plus marqué
durant les 5 dernières années. En effet, les données de 2022 montrent que 58
325 enfants sont inscrits dans les écoles primaires publiques en année
préparatoire. Ils représentent 26,3% des enfants âgés de 5 ans. Ce TBS était
de 27% il y a dix ans (2013). Ainsi le progrès réalisé avant 2010 (le TBS
dans les écoles publiques est passé de 8,6% en 2003 à 25,0% en 2010) n’a pas
été poursuivi durant la dernière décennie. Cela montre le chemin restant à
parcourir dans la perspective de généralisation de l’année préparatoire et
aussi de l’ensemble de l’éducation préscolaire. Les données sur la dotation des écoles
publiques en année préparatoire confirment cet essoufflement de l’effort
public d’investissement dans l’année préparatoire. En effet, un peu plus de
la moitié (52,8%) des écoles primaires sont dotées d’une classe d’année
préparatoire. Cette proportion n’a pas évolué significativement durant la
dernière décennie." Unicef - Mission d’appui au Ministère de
l’Éducation pour l’approfondissement de l’analyse sectorielle et
l’élaboration du plan stratégique- Analyse
sectorielle– novembre 2022 https://www.unicef.org/tunisia/media/6436/file/analyse-sectorielle-education-2022.pdf |
Or,
les études montrent que les programmes d'éducation précoce (bien conçus)
favorisent "le développement cognitif, linguistique, émotionnel, moteur
et social des enfants". Or plus
de 6 enfants sur 10 en milieu rural n’en bénéficient pas, ce qui constitue un
handicap qui ne manque pas de se répercuter sur leurs parcours scolaires en
comparaison avec les enfants issus du milieu urbain.
b) Au niveau du taux net de la scolarisation
Si au niveau de l'école primaire, nous ne constatons pas
une différence notable des taux nets de la scolarisation en milieu urbain et en
milieu rural, les choses changent quand on passe au collège et encore plus au
lycée, l'écart respectif atteint 13.2 et 16.5 points. Ainsi, moins de la moitié
des enfants du milieu rural arrivent à passer le cap du collège.
Il s'agit là d'une situation très inquiétante qui traduit
peut-être une perte de confiance dans l'utilité de la poursuite des études
secondaires, surtout chez les élèves des régions rurales, mais aussi parmi les élèves des
zones urbaines.
c) Au
niveau de la chance d'achever la scolarité
Les élèves des zones rurales qui
réussissent à être scolarisés, ont moins de chance d'achever leurs études. Les taux
d'achèvement des études sont nettement meilleurs en milieu urbain aussi bien au
primaire (95% contre 86,5%) qu'au collège (79.6% contre 58.4%) et surtout au
lycée où un élève vivant en milieu urbain a deux fois plus de chance d'achever
ses études qu'un élève vivant en milieu rural (41.3% / 22.8%).
Ainsi, au niveau du collège 4
élèves sur 10 des régions rurales ne réussissent pas à achever leurs études
contre 2 élèves sur 10 des milieux urbains, la situation s'aggrave au lycée
avec environ 8 élèves sur 10 des régions rurales qui n'achèvent pas leurs
études contre 6 élèves sur 10 des milieux urbains. C'est-à-dire qu'un élève
vivant en milieu rural a 2 fois moins de chances de terminer ses études
secondaires.
d) Au niveau de la maitrise des
compétences de base en lecture et en calcul : Les élèves de 7 à 14 ans des
milieux ruraux maitrisent moins bien les compétences de base en lecture et en
calcul
Nous avons vu plus haut que d'une
façon générale, la maitrise des compétences de base en lecture et en calcul est
médiocre, mais elle atteint un niveau très alarmant chez les enfants des
milieux ruraux où environ 5 élèves sur 10 ne maitrisent pas les compétences de
base en lecture (en milieu urbain ils ne sont que 3 élèves sur 10) et un peu moins que 8 élèves sur
10 ne maitrisent pas les compétences de base en calcul (en milieu urbain
ils sont un peu plus que 6 élèves sur 10).
Le pourcentage des jeunes enfants âgés de 7 à 14 ans qui
possèdent des compétences de base en lecture et en calcul est affecté par le milieu géographique, nous
notons un écart assez net entre le
pourcentage en milieu urbain et en milieu rural en lecture (20.4 points de différence), et
un écart moindre en calcul (9.2 points de différence).
2) Les
conditions socio-économiques des familles sont très discriminatoires
a) la
richesse influence beaucoup les taux nets de scolarisation
Si à l'école primaire le taux net de
scolarisation des enfants issus des familles les plus pauvres dépasse celui des
enfants issus des familles les plus riches, les choses s'inversent quand on
passe au collège où l'écart entre les enfants issus des familles
"les plus riches" et des familles "les plus pauvres"
atteint 30.9 points ; au lycée cet écart est plus grand, il est de 40 points,
c'est-à-dire que plus de 6 enfants sur 10 du milieu rural ne suivent pas les
études secondaires alors qu'en milieu urbain, ils ne sont que moins de 3 sur
10. Il s'agit là d'une situation très inquiétante qui traduit peut être une
perte de confiance dans l'utilité de la poursuite des études secondaires chez
les élèves des familles les plus pauvres comme nous l'avons déjà dit plus haut
b) Les
enfants des familles "les plus pauvres" ont moins de chances
d'achever leur scolarité
Si nous nous intéressons au critère de l'achèvement
des études, l'iniquité du système devient plus criante. En effet, si
plus de 9 élèves sur 10 issus de familles riches achèvent leurs études du
collège, ils sont moins de 5 élèves sur 10 issus "des familles
pauvres". La situation est plus grave au niveau des lycées où les écarts
sont plus grands (6 élèves sur 10 issus des familles riches contre moins de 2
élèves sur 10 issus "des familles pauvres" achèvent les études
secondaires). Peut-on parler dans ce cas d'égalité des chances ?
c) les
enfants issus de familles riches maitrisent mieux les compétences de base en
lecture et en calcul
Si nous nous intéressons au dernier critère relatif à
la maitrise des compétences de base en lecture et en calcul, nous retrouvons
une situation similaire au critère précédent. En effet, si 8 élèves sur 10 issus
de familles riches maitrisent les compétences de base en lecture, ils sont
moins de 5 élèves sur 10 issus "des familles pauvres". La situation
est identique dans la compétences de base en calcul (presque 5 élèves sur 10
issus des familles riches contre moins de 2 élèves sur 10 issus des familles
pauvres).
4) Les
élèves dont la mère n'a pas fait d'études, ou seulement des études primaires,
ont moins de chances de réussir leurs études
a) Les taux de scolarisation sont directement
affectés par le niveau d'instruction des mères.
b) la maitrise des compétences de base est
directement affectée par le niveau d'instruction des mères.
En résumé, Si un enfant cumule
l'effet de la géographie, de la situation socio-économique de la famille et du
niveau d'instruction de la mère ses chances de réussir sa scolarité
s'amenuisent dangereusement.
L'aspect positif
Il s'agit malheureusement d'un seul aspect positif, il
concerne les performances des jeunes filles qui supassent les garçons selon
tous les critères que ce soit le taux net de scolarisation, ou le
taux d'achèvement des études, ou enfin la maitrise des compétences de base en lecture et en calcul.
a- Taux net de scolarisation
-b- Taux
d'achèvement des études.
- c - maitrise des compétences de base
Mongi Akrout & Abdessalam Bouzid, inspecteurs généraux de
l'éducation
Tunis, Février 2024
Pour accéder à la version AR,
cliquer ici
[1]https://www.ins.tn/evenements/atelier-pour-la-diffusion-des-resultats-de-lenquete-mics et https://ins.tn/sites/default/files/2021-03/Education-snap-A4.pdf
[2] Taux net total de scolarisation est le
nombre d'étudiants ayant l’âge officiel de fréquenter un niveau d’enseignement
donné qui sont inscrits dans n’importe quel niveau d’enseignement, exprimé en
pourcentage de la population du groupe d'âge officiel correspondant.https://uis.unesco.org/fr/glossary-term/taux-net-total-de-scolarisation
[3]Résumé des travaux des commissions de la
réforme du système éducatif, les orientations stratégiques de la réforme .
décembre 2016 où on parle
"d'une école juste dans laquelle il y a les même chances pour
tous les apprenants et les apprenantes sans distinction"
Le plan
stratégique sectoriel pour l'éducation 2016-2020
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