dimanche 7 avril 2024

Les enseignements des résultats de la dernière enquête nationale par grappes à indicateurs multiples (MICS) [1] - Partie 1

   

 

Hédi Bouhouch

La grande nouveauté du classement PISA 2022 publié en 2023 est que tous les pays de l’OCDE marquent une baisse prononcée sur la compréhension de la langue maternelle et d’ailleurs sur les autres matières également. Sur l’écrit, le tiercé de tête comprend Singapour, l’Irlande et le Japon. Avec un score deux points en dessous de la moyenne des 38 pays de l’OCDE, la France se retrouve en 18e place. Rien de très glorieux, même si son classement ne bouge pas par rapport à la précédente enquête parue en 2019.

https://www.cours-thales.fr/preparation-bac/le-niveau-de-francais-des-eleves-est-toujours-a-la-baisse

 

Le 12 Février 2024 dernier, le Ministère de l’Economie et de la Planification (MEP), l’Institut National de la Statistique (I.N.S) et le Fonds des Nations Unies pour l’Enfance (UNICEF) ont présenté les résultats de l’enquête nationale par grappes à indicateurs multiples (MICS) réalisée en 2023.  

Qu'est-ce la MICS : "La MICS (Multiple Indicator Cluster Surveys) est un programme mondial d'enquêtes auprès des ménages, visant l'évaluation de la situation des enfants et des femmes ainsi que les progrès accomplis dans la réalisation des objectifs nationaux et les objectifs de développement durable (ODD)."

La Tunisie en a déjà effectué 4 : en 2000, 2006, 2012 et 2018. Cette cinquième édition (2023) a touché 11 000 ménages dont 7326 en milieu urbain et 3674 en milieu rural. Le taux de réponse est très bon puisqu'il était de 90%.

 L'enquête a dégagé 183 indicateurs concernant la situation de la mère et de l'enfant.

 Dans ce billet, le blog pédagogique va s'intéresser aux indicateurs relatifs à l'éducation, il s'agit :

- des taux de participation de l'éducation préscolaire (les enfants de 3 à 5 ans et l’apprentissage formel pour les enfants âgés de 5 ans) ;

- des taux nets de scolarisation[2] au primaire, au collège et au lycée ;

- des taux d'achèvement des études au primaire, au collège et au lycée;

- des compétences de base en lecture et en calcul.

 

L'analyse des résultats de l'enquête nous ont permis de dégager un certain nombre de conclusions, dont certaines sont inquiétantes et d'autres satisfaisantes.

Les aspects alarmants 

L'enquête a confirmé l'évolution très inquiétante de l'état de l'école tunisienne ces dernières années. La comparaison des résultats de l'enquête de 2023 avec ceux de 2018 montre une dégradation de la majorité des indicateurs.

Premier aspect : le recul des performances du système qui se manifeste par :

1) le recul de la scolarisation au niveau primaire et au collège.




 

L'enquête de 2023 a montré un recul  des  taux net de scolarisation[3] par rapport à 2018 de 4.7 points dans la scolarité au niveau du 1er cycle de l'enseignement de base (l'école primaire) et de 5.7 points au niveau du deuxième cycle de l'enseignement de base (collège). Ce recul a touché tous les milieux : urbain et rural, les familles les plus riches et les plus pauvres, les élèves dont les mères avaient poursuivi des études supérieures ainsi que ceux dont la mère n'avaient pas suivi d'études. Enfin le recul a touché aussi bien les garçons que les filles. 

Seul le cycle secondaire fait l'exception puisque nous constatons une stabilisation de ses taux.

2) le recul des taux d'achèvement de la scolarité.

 

 



 

 

Le taux d'achèvement[4] des études a enregistré un recul entre 2018 et 2023. Ce recul a touché les 3 cycles de l'enseignement, mais s'il était minime et peu significatif au niveau de l'école primaire et du collège (respectivement -2.5 points et -1.4 points), il est important au niveau de l'enseignement secondaire (-13.3 points).

Le recul du taux d'achèvement des études au niveau des lycées  entre 2018 et 2023 a touché toutes les catégories, mais c'est chez les  familles les plus riches qu'on enregistre la plus grande baisse (le taux est passé de 79.8% à 59.4%  soit – 20.4 points), il est plus élevé  dans le milieu urbain (-15.7 points) qu'en milieu rural (- 6.8 points) ;  enfin, il est plus élevé chez les garçons que chez les filles (-15 points contre  -10.6 points). 

Cela constitue un grave problème social (trop de jeunes quittent les lycées sans diplôme) et économique (un investissement de l'état à fond perdu : les  statistiques du ministère de l’Éducation montrent que le coût par élève à l’école primaire est passé de 1 090,1 dinars en 2010 à 2 014,7 dinars en 2023 et le coût par élève au collège et au lycée est passé de 1 658,7 dinars en 2010 à 3 532,3 dinars en 2023.[5]).

 

3) le recul du niveau de maitrise des compétences en lecture


  

L'enquête a cherché à évaluer les compétences de base en lecture et en calcul chez les jeunes enfants âgés de 7 à 14 ans. Les résultats ont montré une très légère baisse du pourcentage des jeunes qui possèdent des compétences de base en lecture en 2023 par rapport à 2018. Ce pourcentage est passé de 66% à 64% soit (– 2 points). Cette baisse n'a pas affecté les enfants issus des familles les plus pauvres qui ont gagné 1.6 points, passant de 45.2 en 2018 à 46.8% en 2023.

 

Ainsi, l'enquête de 2023 vient de confirmer l'une des contradictions   de notre système éducatif et l'une des manifestations de son échec. Nous avons évoqué plus haut que les taux très élevés d'achèvement des études primaires dépasse les 90%, or l'enquête vient de nous montrer que seuls 64% des enfants âgés de 7 à 14 ans (c'est-à-dire ayant terminé théoriquement l'enseignement primaire) possèdent des compétences de base en lecture et que seuls 31.7% ont les compétences de base en calcul, c'est à dire que presque 7 enfants sur 10 ne les possèdent pas.

Or chacun sait qu'un élève qui entame ses études au collège sans qu'il soit capable ni de lire ni de comprendre un texte simple, est un potentiel décrocheur qui finira par quitter les bancs de l'école sans avoir acquis les compétences fondamentales nécessaires pour la vie. D'ailleurs, l'enquête nous dit que seuls 7 élèves sur 10 achèvent les études du collège et que seuls moins de 4 élèves sur 10 achèvent leurs études secondaires. Les statistiques officielles du ministère de l'éducation corroborent ces données puisqu’à la fin de l'année scolaire 2021/2022 34.7% des élèves de 7ème année sont en situation d'échec. (23.9 % ont redoublé et 10.8% ont quitté le collège, soit environ 24.230 élèves).

 

" Plusieurs observateurs et acteurs du secteur révèlent un certain analphabétisme des élèves atteignant le cycle préparatoire et dénoncent le manque de mesures d’accompagnement lors de l’adoption de l’option du passage quasi-automatique d’une année à l’autre au primaire et d’accès au collège réduisant artificiellement les taux d’abandon, mais au prix d’une insuffisante qualification.

 

Les problèmes de la réussite scolaire commencent à partir du cycle préparatoire où le quart des élèves n’achève pas le cycle et s’accentuent au secondaire où la moitié des élèves ne termine pas le cycle.

Les filles réussissent mieux que les garçons avec un écart de performance qui s’élargit en passant de 17% au cycle préparatoire à 43% au secondaire. Cela traduit aussi la forte déperdition scolaire des garçons entre le collège et le lycée.

Les disparités en termes de réussite par milieu et par niveau de vie, qui restent modestes au primaire se manifestent et s’accentuent au cycle préparatoire et au secondaire. Ainsi l’élève issu des ménages les plus pauvres a pratiquement une chance sur deux de terminer le collège et une chance sur quatre d’achever les études secondaires. Ces proportions sont respectivement de 95% et de 75% pour l’élève issu des ménages les plus riches.

 Ainsi, les disparités socio-économiques caractérisent fortement la réussite scolaire et les performances des élèves. Cette iniquité est entretenue par les phénomènes des établissements pilotes et de l’inextricable problématique des cours particuliers qui sont analysés ci-après.

 

Unicef - Mission d’appui au Ministère de l’Éducation pour l’approfondissement de l’analyse sectorielle et l’élaboration du plan stratégique- Analyse sectorielle – novembre  2022

 

 

Fin de la 1er partie, à suivre

 

Mongi Akrout & Abdessalam Bouzid, inspecteurs généraux de l'éducation

 Tunis, Février 2024

Pour accéder à  la version AR, cliquer ici



[2] Taux net total de scolarisation   est le nombre d'étudiants ayant l’âge officiel de fréquenter un niveau d’enseignement donné qui sont inscrits dans n’importe quel niveau d’enseignement, exprimé en pourcentage de la population du groupe d'âge officiel correspondant.https://uis.unesco.org/fr/glossary-term/taux-net-total-de-scolarisation

[3] le taux net de scolarisation   c'est l'Effectif total à un niveau d'enseignement spécifique, quel que soit l'âge, exprimé en pourcentage de la population d'âge scolaire officielle éligible correspondant au même niveau d'enseignement au cours d'une année scolaire donnée.

 

[4]Le taux d'achèvement indique le nombre de personnes dans un groupe d'âge donné qui ont achevé le niveau d'enseignement pertinent.

[5]https://www.leconomistemaghrebin.com/2023/09/11/education-leleve-coute-de-plus-en-plus-cher/#

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