« Mes études menées donc à terme
à Beja, je me suis retrouvé à l'École normale des instituteurs de Sousse qui
inaugurait sa première promotion au lycée de garçons, provisoirement, en attendant
de lui trouver un local, affirmait-on aux
normaliens désappointés, mais il n'en sera rien puisque la quittant, au terme
de mes études 3 années après, elle y était encore.
La tutelle ayant jugé bon de
rassembler les admis au Diplôme d'Études générales (DEG) des trois écoles
normales de Tunis, Sousse et Sfax dans une quatrième année consacrée à la
préparation du certificat de fin d'études normales (C .F. E. N ), je me
suis retrouvé alors élève maître à la capitale, laquelle année était réservée à
un enseignement théorique plus élaboré en psychopédagogie et à des stages
pratiques dans des écoles d'applications ….
J'entamais cette formation à
l'École normale de Sousse dès son ouverture et je l'achevais à celle de Tunis 4
années plus tard. Nommé alors instituteur bilingue stagiaire à l'école primaire
de jeunes filles de Ghardimaou, ..., je me retrouvais avec des instituteurs d'arabe
titulaire du diplôme délivré par Jâmâ E-Zitouna ( El Ahlia et E-tahcil) à savoir l'équivalent informel
du brevet et du baccalauréat et des instituteurs de français des tunisiens ayant interrompu prématurément
leurs études, parmi lesquels s'en trouvé un titulaire tout juste des fameux
CFEP ( certificat de fin d'études
primaire)
…
C'est donc imprégné de ce mélange
de frustrations, d'appréhension et d'espoir que je prends le train pour
Ghardimaou, un jour du mois de septembre, tirant à sa fin, de l'an de grâce
1958, chargé d'une valise bourrée d'effets et de documents.
…
Des interrogations s'entrechoquant dans ma
tête sur mon école, mes clases, mes enseignements et les commodités de mon
village d'adoption, le seul renseignement à ma disposition m'étant fourni par
ma nomination qui parle d'affectation à l'école primaire de jeunes filles, je
plonge rapidement dans une cogitation.
…
L'éventualité d'être chargé d'un
cours supérieur m'effleure l'esprit et m'inquiète quelque peu parce que je ne
veux pas me faire la main avec une grande classe car, outre l'enjeu des
résultats de fin d'année, je veux y arriver après avoir fini avec mon année de
stage et de ma titularisation ,mieux encore, avec plus de maturité pédagogique.
…
Le directeur de l'école, un
ancien normalien, me réserve un accueil chaleureux et m'apprend qu'il est en
fait le directeur de l'école primaire de garçons et qu'il m'assure que
l'intérim de la direction de celle des filles. Dès lors, les choses vont aller
bien vite. L'épineuse question du logement a été réglée bien avant mon arrivée,
car conscient des difficultés de l'hébergement dans le village, j'ai eu
l'idée de placer 3 lits métalliques dans une salle de classe pour en faire une
chambrée et à l'intention des nouvelles recrues célibataires, me dit-il.
...
Soulager de ce côté, j'en viens aux questions
pédagogiques et il m'apprends qu'il m'a
confié l'unique cours supérieur que compte l'école ainsi qu'un cours moyen ; au
premier, me devant de lui enseigner les
matières dispensées en français, et au second, celles enseignées en arabe. contrarié
de me trouver chargé de cours supérieur, je cherche à m'en défaire, sans pour autant
entamer mon capital sympathie auprès de lui et je le fais si mollement que je
dois battre en retraite aux premières justifications qu'il me donne:« au vu de l'effectif des enseignants, je
vous considère le plus indiqué, puis d'ajouter, je compte sur vous pour
réussir une bonne année scolaire avec cette classe qui n'a pas été gâté par le
passé» .
Ma qualité de normalien
suscitait chez d'aucuns un mélange
d'admiration, de curiosité ou de jalousie, nous abordions en récréation des
questions pédagogiques et si certains cherchaient à tester mes connaissances,
d'autres se trouvaient réellement intéressés, alors ignorant les intentions des
envieux, je répondais aux questions qui m'était posées du mieux que je le
pouvais si bien que je m'obligeais des fois à revenir à mes documents et
manuels scolaires pour me rafraîchir la mémoire.
Alors heureux d'étaler des
connaissances toutes fraîches, je leur parlais de la théorie pédagogique de
J.Dewey qui repose d'une part sur l'interdépendance des conceptions
psychologiques, sociologiques et pédagogiques,
d'autre part sur une pédagogie activiste comme je leur parlais de la loi
de E.Claparède qui, dégagée à partir de
la conception fonctionnelle de l'enfance, appelle à stimuler l'intéressement
dans de l'enfant… Je leur parlais même des techniques d'enseignement de mon
maître qui s'attachait à dynamiser les enseignements et à voler au secours des
élèves qui donnait des signes de relâchement ou qui menaçait de perdre pied.
…
La lecture
Matière principale dans le processus de la
formation de l'esprit de l'enfant, la lecture faisait inéluctablement l'objet de nos discussions.
Je les informaiس alors de la
méthode globale qui était initiée par l'imminent pédagogue et inspecteur
Charmion et qui était encore à l'essai à Tunis avant d'être généralisée « méthode qui part de l'appréhension de
courtes phrases expressive pour l'esprit de l'enfant, puis l'amène
graduellement à la reconnaissance des mots et des phonèmes et des morphèmes».
(Aucun de mes collègues n'en avait entendu parler jusqu'à là, si bien que
certains affichaient leur scepticisme sur ses chances de réussite car
traditionnellement, ils restaient attachés à la méthode en vigueur qui
procédait de « l'accumulation des connaissances et de l'enrichissement
continu du vocabulaire de l'enfant partant de l'apprentissage du graphème puis
s'élevant graduellement au phonème ou au mot, groupe de mots cohérent pour être
aboutir enfin à la phase significative
».
A la rentrée scolaire 1961, je ne
retrouve pas mon poste à l'école primaire de filles de Ghardimaou parce que j'ai été muté entre-temps d'office
dans le cadre d'un roulement statutaire au bout de 2 années d'exercices en
début de carrière si bien que je perds de vue ce village somme toute sympathique
et son attachante école primaire de filles à l'architecture originale car bâtie
à moitié en dure et en bois aggloméré préfabriqué ,cette dernière étant un don
de l'UNICEF. Je me retrouve encore une
fois dans une école primaire de filles à savoir l'école primaire de filles de
Jendouba, ce village chef-lieu de la région …
…
Cependant mon premier contact
avec mon nouvel établissement me déçoit au plus haut degré, car c'est dans une
villa au cœur de l'agglomération, transformée en école que je me retrouve, le
système D aidant l'administration à s'en sortir des difficultés de la
scolarisation des jeunes enfants dont le nombre est en croissance exponentielle
annuellement, elle en usait sous la contrainte, certes au détriment du
pédagogique. Les premières séances d'enseignement confirment mes appréhensions, car j'ai beau fermer porte
et fenêtres le gros brouhaha persiste, ce sont alors des chants en chœur, des
injonctions appuyées, un balai de déplacement, des claquements intempestifs des
portes si bien que la cohue des changements des classes d'enseignement devient
impossible sinon difficile
La Dictée
Issus de milieux
ruraux, essentiellement arabophones, mes écoliers appréhendaient la dictée et
d’aucuns la prenaient en grippe, au point de perdre, le moment venu, les
quelques repères dont ils pouvaient se prévaloir. Et pour les mettre en
confiance, je m’attachais à la démythifier, en empruntant une procédure mon
maître de français des cours moyen et supérieur qui, simple, tirait son
importance pédagogique de la rigueur de son application.
La préparation
matérielle consistait à aménager un isoloir au niveau du tableau, par
l’installation d’un rideau coulissant, en tissu opaque, derrière lequel pouvait
se mouvoir une personne afin d’écrire à l’abri des regards ; installé pour
l’année, cet isoloir pouvait servir également à d’autres préparations appelées
à rester cachées jusqu’au moment opportun.
Pendant la séance de dictée, un élève était désigné pour
passer au tableau, selon l’ordre alphabétique du registre de classe, afin de
n’oublier personne. Les cahiers de classe encore fermés, je commençais par
déclamer le texte dans son intégralité afin de favoriser et sa compréhension et
l’appréhension des difficultés orthographiques et grammaticales qu’il recelait.
Les cahiers ouverts, je reprenais alors les phrases une à une, tout en
rappelant la corrélation des mots et groupes de mots par une variation de ton
et des pauses significatives. La dictée terminée, je relisais à nouveau le
texte puis j’accordais un temps de réflexion aux élèves pour une auto
correction. J’en profitais alors pour leur rappeler l’intérêt de garder bien en
vue les notions apprises, notamment celles autour desquelles le texte était
bâti ou choisi. A mon signal, l’élève au tableau réintégrait son pupitre et les
cahiers de classe étaient échangés, fermés, entre camarades mitoyens. Dès lors,
la correction collective commençait.
Le rideau tiré, le texte était alors décortiqué par des
élèves appelés au tableau à tour de rôle, favorisant ainsi la plus large
participation. Une craie de couleur était alors utilisée selon la nature de la
faute. Ce faisant, des rappels rapides des règles d’orthographe, de
grammaire et de conjugaison émaillaient la correction et, au besoin, les
élèves disposaient d’un fichier qui, tenu actualisé au fil des
enseignements, était censé cultiver en eux l’esprit de recherche. Vigilent,
l’enseignant éperonnait, au besoin, leur émulation et favorisait la dynamique
de groupe.
La correction en groupe terminée, j’autorisais alors l’ouverture
des cahiers et les élèves soulignaient au crayon noir les fautes sans excès de
zèle, car d’aucuns pouvaient en rajouter rien que pour accabler des copains. A
la suite de quoi, les cahiers étaient remis à leurs propriétaires qui
corrigeaient les mots ou groupes de mots faux au bas du texte. Le contrôle du
maître interviendra en dehors de la classe.
Sur le plan pratique, je consignais, sur ma Fiche de
préparation, les fautes d’orthographe, les solécismes et les barbarismes de chacun et je relevais les prouesses des méritants, si bien
qu’ainsi conçue, ma Fiche de préparation devenait un support qui me
permettait de mener une correction interactive…».
Maaroufi Mohammed El Hachemi.
Extrait de son ouvrage : " Journal d’un instituteur de la
République (1958-1999).
Tunis , avril 2024
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