dimanche 19 juin 2022

L'orientation aux lycées pilotes : la session 2018 : session de tous les débats

 


 

Hédi Bouhouch

On ne descendra pas sous le seuil de 15/20 dans l’admission des élèves aux collèges et aux lycées pilotes bien que le nombre d’élèves affectés soit inférieur de moitié à la capacité d’accueil disponible dans ces institutions"

 conférence de presse du ministre de l’Éducation, Hatem Ben Salem, juillet 2017.

 

Ce lundi 20 juin 2022 démarrent les épreuves de l'examen du diplôme de fin de l'enseignement de base qui se prolongent jusqu'au 23 juin , la majorité des participants visent une place dans l'un des lycées pilotes , pour ceux-ci  l'examen se transforme en un concours assez ardu , à cette occasion  le blog pédagogique a voulu publier ce billet consacré au " concours  de 2018"  trois années après la session concernée parce que nous avons préféré laisser passer l'orage pour étudier la question sereinement. Jamais dans l'histoire de cet examen nous n'avons enregistré un tel débat dans les média, dans la rue, au sein du parlement et jusqu'aux tribunaux ; débat qui s'est transformé en confrontation entre le ministre personnellement et tous les autres.

L'origine du problème : deux faits ont été à l'origine du problème : les résultats catastrophiques de la session 2018 et la décision du ministre de respecter les textes en vigueur.

1- Les résultats catastrophiques au cours de la session 2018

Au cours de la session de juin 2018, sur les 26043 candidats qui avaient passé l'examen seuls 1364 avaient obtenu une moyenne égale ou supérieure à 15 sur vingt qui leur permet de figurer parmi les admissibles à l'un des 26 lycées pilotes du pays, soit 5.23% des candidats présentés.

Or ce nombre ne permet pas de pourvoir les 3150 places disponibles ; ainsi le taux de couverture n'était que de 43.3%,  c'est-à-dire qu'à peu près 6 places sur 10 sont restées vacantes.

Résultat : après l'affectation des admissibles, seul le lycée pilote Mohamed Frej Chedly de l'Ariana a réussi à faire le plein, alors que le taux de remplissage des autres établissements variait entre 79.56% et 12% seulement : (voir le tableau ci-dessous)

- 19 établissements ont eu un taux de remplissage inférieur à 50%.

- 5 établissements ont eu un taux de remplissage inférieur à 20 %

- 6 établissements n'ont pas réussi à avoir suffisamment d'élèves pour constituer une classe de 20 élèves (voir tableau ci-dessous):

 

Etablissement

Places

 ouvertes

Nombre

d'admis

Taux

de remplissage

Kebili

50

9

18%

Tozeur

50

8

16%

Zaghouan

50

11

22%

Tataouine

50

12

24%

Sfax2

125

15

12%

Mahdia

50

17

34%

Gabès

150

17

12%

 

2- Le ministre se tient aux conditions prévues par les textes officiels

 

Devant cette situation exceptionnelle, la position du ministre était intransigeante. Il a demandé à ses services de respecter à la lettre les conditions d'accession aux lycées pilotes prévues par la circulaire[1] du 6 février 2018 et surtout la deuxième condition qui exige l'obtention d'une moyenne au moins égale à 15 sur vingt. Le ministre a campé sur sa position malgré les pressions de toutes sortes.

 

Il faudrait noter que cette situation de déficit n'est pas nouvelle, mais elle n'a jamais atteint cette ampleur, à part peut être les résultats de la session 2016 lorsque le taux de remplissage est tombé à 65.58% (2033 admis aux lycées pilotes pour 3100 places disponibles). On est très loin des résultats de la session 2008 par exemple lorsque les candidats qui remplissaient la condition de la moyenne (15 sur vingt) étaient trois fois plus nombreux que les places ouvertes (voir graphique ci-dessous). Il est vrai que les lycées pilotes étaient moins nombreux à cette date (12 lycées alors qu'en 2016 et 2018 on était à 23 lycées pilotes).

 



Année

Places disponibles

Candidats remplissant la condition de la moyenne

Nombre d'orientés

Taux de remplissage

2008

1958

6154

2364

120 %

2016

3100

2033

2033

65.58%

2018

3150

1364

1364

43.3%

 

Mais même en 2008, il y avait aussi un déficit limité puisqu'il n'avait touché que 4 établissements sur 12. Il s'agissait des lycées de Médenine (-84), de Gabès (-43), de Kairouan (-37) et de Gafsa (-15),  déficit qu'on a comblé en descendant en dessous de 15 .

En 2016, le déficit a touché 20 lycées pilotes à des degrés différents ; il variait entre moins 19 élèves au lycée pilote de Médenine et moins 113 au lycée pilote de Jendouba. La situation est dramatique dans certains cas puisque le nombre d’admis est si faible qu’il ne pourrait même pas constituer une classe, ce qui est le cas des lycées pilotes de Béja, Zaghouan, Tozeur, Tataouine. Seuls les trois lycées pilotes du grand Tunis avaient réussi à faire le plein : 818 candidats remplissent les conditions pour 800 places dans les 4 lycées pilotes du grand Tunis. L’existence d’un nombre important de candidats issus des collèges pilotes et des collèges privés explique cette situation, ce qui n’est qu’une simple hypothèse. Malheureusement nous ne disposons pas de données statistiques pour valider cette explication. Par contre, nous disposons d’informations qui concernent les deux délégations Sfax 1 et Sfax 2 qui vont dans ce sens. La première (Sfax 1 qui possède un collège pilote) a réussi à envoyer 197 élèves au lycée pilote de la région alors que Sfax 2 qui n'avait pas de collège pilote,  n’a réussi à envoyer que 23 élèves seulement.

Dans ces cas, le déficit est comblé en descendant en de ça de la moyenne de 15 et en ouvrant les lycées pilotes qui connaissent un déficit à des candidats provenant d'autres régions qui n'ont pas pu avoir une place dans les lycées de leur région.

 

Les différentes positions vis-à-vis de la décision du ministre

 

* soutien mitigé de la décision du ministre

         C'est la position de l'association tunisienne pour la qualité de l'enseignement (ATUQUE) et de l'organisation tunisienne pour l'éducation et la famille (OTEF) qui ont exprimé dans un communiqué commun  publié le 16 juillet 2018 leur soutien au ministère dans son souci de maintenir le niveau d'exigence pour les candidats aux lycées et collèges pilotes, mais elles appellent le ministère à prendre une mesure exceptionnelle pour racheter les bons élèves ou pour organiser une session de rattrapage exceptionnelle au début de septembre prochain.

 

* Rejet et condamnation de la décision du ministre

La décision du ministre a provoqué un tollé de réactions de la part des parents, des candidats malchanceux, de l'association des parents et des élèves (ATPE). Il a appelé au mois de juillet à baisser la moyenne pour remplir toutes les places encore non pourvues. Des parents avaient organisé des rassemblements devant le siège du chef du gouvernement à la Kasba. Certains ont même déposé des plaintes auprès des tribunaux administratifs. Les verdicts rendus étaient contradictoires puisque le tribunal de Tunis a rejeté les plaintes alors que certains tribunaux régionaux avaient demandé la suspension des décisions du ministère qui a profité de cette divergence pour refuser d'appliquer les jugements. Cette position a provoqué la colère des syndicats de juges du tribunal administratif.[2]

En septembre 2018, des parents ont investi le lycée pilote de Gafsa  et le lycée pilote de Kasserine et les avaient fermer en empêchant la rentrée de se faire et en exigeant l'inscription de leurs enfants dans le lycée.

Le syndicat de l'enseignement secondaire s'est joint aux protestataires qualifiant la décision du ministère d'injuste et d'inéquitable et faisant porter la responsabilité aux épreuves mal conçues et "appelant le ministère à procéder à une évaluation radicale et complète du déroulement de ces examens et à prendre les mesures nécessaires pour identifier ses lacunes et trouver des moyens de les éviter à l'avenir". Le syndicat demande "une participation plus large des enseignantes et des enseignants et du corps des inspecteurs pédagogiques   dans l'élaboration de la consistance des épreuves,   le choix des  sujets et les critères de la correction  estimant qu'ils sont plus qualifiés que d'autres pour connaitre les exigences et les normes de l'évaluation"[3]. Le syndicat feint d'ignorer que c'est exactement ce même protocole qui est appliqué depuis des années.

Malgré toutes les pressions, le ministre est resté ferme. Hatem Ben Salem avait affirmé que le ministère ne prendra aucune mesure qui s’oppose aux dispositions de la circulaire[4]. Le 31 juillet 2018, à l’occasion de la célébration de la Journée du savoir dans le gouvernorat de Kasserine, le ministre est revenu sur la question pour préciser que le ministère de l’éducation ne reviendra pas sur sa décision, ajoutant qu’il serait envisageable de fermer la filière des collèges et des lycées pilotes, alors que “des parents d'élèves manifestaient en brandissant des pancartes portant le slogan "Intégrer les lycées pilotes n’est pas une faveur" auquel le ministre a répondu : évidemment, ce n’est pas une faveur, on doit le mériter, il faut avoir la moyenne qui permette d’intégrer ces écoles”. 

La question n'est pas terminée, et pour éviter la reproduction de ce type de débat à l'avenir, le ministère a publié au mois de juillet 2019 un décret[5] qui précise les conditions d'accès aux lycées pilotes. L'article 5 lève toute équivoque en affirmant que " dans tous les cas, nul ne peut être déclaré admis aux lycées pilotes s'il a obtenu une moyenne générale inférieure à 15/20 dans l'examen d'obtention du diplôme de fin d'études de l'enseignement de base général". Il faudrait comprendre par "dans tous les cas" même si toutes les places ouvertes ne sont pas remplies.

Il semble que l'orage soit passé, mais nous n'avons pas d'éléments pour savoir ce qui s'est passé après le départ du ministre Ben Salem, mais la chose qui est sûre c'est que pour le concours d'entrée aux collèges pilotes,  le ministère a fait un pas en arrière en modifiant l'arrêté du 29 juillet 2019[6], un nouvel arrêté publié au mois de mai 2021[7] donne la possibilité d'accepter "les candidats classés par ordre de mérite parmi les premiers méritants … et ce dans la limite de la capacité d’accueil à condition que la moyenne requise ne soit pas inférieure à 14 sur 20. (Article 16 nouveau). Cette mesure a pris effet à compter de l’année scolaire 2020-2021.

P.S - En 2021, pour combler le déficit, le ministère a décidé de rouvrir le site dédié aux candidatures pour rejoindre les lycées pilotes devant les élèves qui ont déjà postulé pour une place  sans succès, ce site est resté ouvert du 1er au 31 aout 2021 .   

Mongi Akrout & Abdessalam Bouzid, Inspecteurs généraux de l'éducation retraités.

Tunis, mai 2022

Pour accéder à la version FR, clique ICI                                                                                                                                                                                                                                     

Annexe1: Evolution de la capacité des orientés et du taux de remplissage                                                                 

 

Session

Postes ouverts

orientés

Taux de remplissage

2017

3275

2511

76.67

2018

3150

1364

43.30

2019

3125

2947

94.30

2020

3350

2422

72.30

2021

3500

3127

90.63

 

 

Annexe 2

Décret gouvernemental n° 2019-656 du 29 juillet 2019, fixant les critères d'accès aux lycées pilotes.

Art. 4 - Les titulaires du diplôme de fin d'études d'enseignement de base général candidats à l'accès aux lycées pilotes sont classés par ordre de mérite en fonction des lycées pilotes auprès desquels ils ont présenté leurs candidatures dans la limite de la capacité d'accueil des lycées pilotes mis en concours.
La capacité d'accueil est fixée annuellement par arrêté du ministre de l'éducation.
Art. 5 - Sont déclarés admis les candidats ayant obtenu une moyenne générale dans l'examen d'obtention du diplôme de fin d'études de l'enseignement de base général qui leur permet d'être classés parmi les premiers méritants.
Dans tous les cas, nul ne peut être déclaré admis aux lycées pilotes s'il a obtenu une moyenne générale inférieure à 15/20 dans l'examen d'obtention du diplôme de fin d'études de l'enseignement de base général.

 

Annexe3

 

Arrêté du ministre de l’éducation du 28 avril 2021, modifiant l’arrêté du 29 juillet 2019 fixant les critères du concours d’accès aux collèges pilotes.

 

Article premier - Sont abrogées les dispositions de l’article 16 de l’arrêté du ministre de l’éducation du 29 juillet 2019 susvisé, et remplacées comme suit :

Article 16 (nouveau) : Sont déclarés admis les candidats ayant obtenu au moins une moyenne générale égale à 15 sur 20 dans le concours d'accès aux collèges pilotes. Les candidats classés par ordre de mérite parmi les premiers méritants peuvent être déclarés admis et ce dans la limite de la capacité d’accueil à condition que la moyenne requise ne soit pas inférieure à 14 sur 20.

 Art. 2 - Le présent arrêté prend effet à compter de l’année scolaire 2020-2021.

 

 



[1]  circulaire 17-8.6-2018 du 6 février 2008 relatif à l'accès aux lycées pilotes à la rentrée  scolaire 2018-2019. La circulaire a fixé 4 conditions pour avoir le droit de rejoindre un des 26 lycées pilotes , il s'git : 1- de réussir à l'examen du DFEBG de la session 2018 -2- avoir une moyenne générale à cet examen qui permet au candidat d'être classé parmi les candidats admissibles dans l'un des lycées, cette moyenne ne doit pas être inférieure à 15 sur 20 - 3-  avoir moins de 16 ans  le 15 septembre 2018 - 4- ne pas avoir redoublé à l'école primaire et au collège.

[2] أعرب اتحاد القضاة الإداريين يوم 5 ديسمبر 2018 عن استيائه من تصريح وزير التربية  حاتم ين سالم  أمام النواب حيث قال أن المحكمة الإدارية و المحكمة الابتدائية بتونس العاصمة قد  رفضتا عدد من المطالب لوقف  تنفيذ القرار القاضي بعدم إلحاق تلاميذ بالمدارس الإعدادية و المعاهد النموذجية لحصولهم على معدلات دون 15 من 20 في امتحان شهادة ختم التعليم الأساسي العام  علما أن  دوائر في بعض الجهات قد حكمت بوقف التنفيذ و رفضت الوزارة تنفيذ هذه الأحكام.

 

[3] http://news.tunisiatv.tn

[4] Contacter récemment , M. Hatem Ben Salem nous a confirmer que le ministère a maintenu sa position jusqu'à son départ .

 

[5] Décret gouvernemental n° 2019-656 du 29 juillet 2019, fixant les critères d'accès aux lycées pilotes.

[6] arrêté  du ministre de l'éducation en date du 29 juillet 2019 fixant les critères du concours d'entrée aux collèges pilotes

[7]  Arrêté  du ministre de l’éducation du 28 avril 2021, modifiant l’arrêté du 29 juillet 2019 fixant les critères du concours d’accès aux collèges pilotes.

 

 

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