Cette semaine, le blog
pédagogique donne la parole une nouvelle fois à M° Brahim ben Salah, Inspecteur
Général de l'Education et militant des droits de l’homme pour nous exposer son
point de vue sur les mesures et la réglementation qui concernent l’organisation
des cours particuliers décidées par le ministère de l’éducation l’année
scolaire passée en 2015/2016,
ce texte a été déjà publié par son auteur sur les
réseaux sociaux , vu la richesse du billet
et la pertinence de l’analyse
, nous avons voulu le partager avec nos
fidèles amis, avec tous nos remerciements pour Si Brahim pour cette réflexion
lucide .
Voici quelques idées pédagogiques que je soumets
publiquement par amour pour l'école tunisienne: il
ne s’agit pour moi ni de critiquer ni de
dénigrer , c’est pour cela que je voudrais commencer tout
d’abord par louer les efforts du ministre de l'Éducation et de ses agents pour leur sens aigu de la responsabilité et leur dévouement dans ce qu’ils entreprennent
pour remédier aux insuffisances qui indisposent l'école tunisienne , et il m’a semblé à
travers l’approche du Ministère de
l'éducation que la réforme actuelle est basée sur des interventions
thérapeutiques locales au niveau de ce
qui paraissait comme une urgence et qui devrait avoir la priorité telles que les questions concernant
les cours particuliers , et c’est de ce sujet en l’occurrence que j'aime parler dans ce papier très brièvement bien que la question demande explication et clarification.
Les cours particuliers : Deux visions, une vision
économique ( économiste) et une vision
éducative
La vision économiste
Le Ministère de
l’éducation vient dernièrement de publier les cou^ts des cours particuliers et
le nombre de groupes autorisé pour chaque enseignant , les marges horaires
pour ces cours, le mode de partage des rétributions et les bénéfices entre les différentes parties responsables de l’organisation , et
enfin l’autorité financière qui sera chargée
du contrôle et le rôle de l'État
dans tout cela représenté par le Ministère de l'éducation. , ainsi que les sanctions et les mesures
disciplinaires prévues à l’encontre de chaque enseignant qui ne respecte pas les règlements du
ministère (allant du simple avertissement jusqu’à
la radiation).
Le ministère de l'éducation a
parlé longuement dans les médias de la
suppression des cours particuliers, or
en réalité ces cours particuliers n’ont
pas été supprimés, ce qui l’a été c’est le
caractère d’économie parallèle ou souterraine ou ce que certains appellent l'économie de l’arrière-boutique ou l'économie informelle,
qui prend plusieurs formes, y compris l’installation anarchique
(les cours dans les maisons ou dans les garages ou dans des locaux parfois inappropriés et dans les domiciles des élèves
bénéficiaires de ces cours) . La
base de toutes les activités informelles est l'évasion fiscale puisque ses inputs et ses outputs échappent au contrôle de l'Etat et le revenu des ces
activités n’entrent pas dans le calcul du revenu national brut,
En outre, ce
secteur parallèle bénéficie des services publics sans contrepartie , mieux encore il fixe librement ses tarifs ,
pratique l'extorsion et
l’exploitation de ceux qui ont besoin de
« la marchandise » présentée , sachant que le volume des revenus provenant de ces
cours particuliers a atteint entre 500 et 800 milliards par an, selon le directeur général des programmes et de la
formation continue. De ce point vue , le ministère de l'Education a voulu faire
ce que font quelques ministères pour
lutter contre la contrebande et l'évasion fiscale.
Le ministère de l'Éducation est en droit de faire ce travail de réglementation du «
marché de l'éducation » et de supervision
des « services scolaires » et donner
l’occasion aux enseignants d’entrer en compétition entre eux sur ce marché et que
chacun cherche la façon de faire valoir son produit et comment affrioler les clients aussi
longtemps que ces enseignants assument leur devoir de contribuable sur les quatre-vingts pour cent qui leur sont dus, et
je ne sais pas dans ce cas, comment va faire le titulaire d'un diplôme d'études supérieures pour entrer dans ce marché, alors qu’il n’a pas de patente qui lui
donne le droit d’accéder à cet espace.
Le ministère a tout à fait le droit de le faire, il est même de son devoir de s’en charger, mais ce dont
il ne doit pas s’attendre à ce que ces mesures permettent d'améliorer le niveau de l’école tunisienne ou qu’elles
vont offrir aux élèves qui souffrent d’un retard dans l’une des matières les possibilités de remédier à ce retard parce que ces mesures sont des
mesures économico- éducatives en vue de combattre l'évasion fiscale d'une part et refréner la
hausse des prix d’autre part , ces mesures ne sont
nullement destinées à réduire l'échec
scolaire lequel exige un soutien et un suivi de proximité selon les besoins
Nous pensons que les cours particuliers sous cette forme ne sont pas utiles , mais ils
consacrent une nouvelle réalité qui n'est
pas sans risque , une réalité qui introduit
les
lois du marché à l'école tunisienne et donne lieu à une concurrence malsaine qui va envenimer les rapports entre les
enseignants et biaiser les évaluations auxquelles seront soumis les élèves car d'une façon ou d'une autre le
contrat éducatif que l'école souhaite
instaurer entre l'enseignant et
l'apprenant en fera les frais , il
faudrait rappeler que ces cours
particuliers étaient donnés sous la
supervision de l'organisation de l'éducation
et de la famille selon les mêmes conditions
proposées par les derniers textes du ministère et avec les mêmes dividendes , la différence c’était
que les cours étaient destinés aux élèves nécessiteux qui ne sont pas en mesure
de payer des cours particuliers à l’extérieur de
l’espace scolaire , c’était un moyen d’assurer en quelque sorte une égalité des
chances entre les élèves tout en laissant aux élèves des familles aisées le
moyen de traiter leurs insuffisances scolaires
par leurs propres moyens en recourant aux cours particuliers personnalisés.
Ce qui est peut-être étonnant c’est que
le ministère recrute des enseignants qui
avaient obtenu au concours des notes de 2, 3 ou
4 sur vingt dans leur spécialité, et
puis on
s’étonne de la faiblesse des acquis des élèves ? En
permettant cela, le ministère n’ouvre-t-il pas la voie aux cours particuliers ? Et comment
blâmer l'élève qui cherche un professeur
en dehors de l'espace scolaire afin de comprendre les leçons d’une
discipline donnée alors que le ministre lui même
reconnait la faiblesse de la
formation de base des personnes dont le recrutement a été autorisé sous son égide ? Va-t-on priver cet enseignant peu qualifié de goûter au gâteau des cours particuliers après avoir été recruté et commencé à pratiquer? Cela n'augmentera-t-il
pas davantage les tragédies des élèves
dans cette discipline? N'est-ce pas vrai
que l'école elle-même dans ce cas génère le marché parallèle et les mécanismes qui poussent les gens à recourir aux cours particuliers en dehors de l'espace
éducatif?
Vision pédagogique (éducative)
Parmi les raisons du recours aux cours particuliers,
il ya l’augmentation du taux de scolarisation qui a nécessité le recrutement d'un grand nombre d'enseignants non-spécialistes ou d’enseignants peu qualifiés , la massification a engendré aussi une
disparité du niveau des élèves de la même classe , du même établissement et de la même région .
Nous préférons appeler ces leçons , des cours de soutien
et de remédiation que nous intégrons dans le cadre de la lutte contre l'échec scolaire , or cette lutte devrait faire
partie d’une politique éducative globale d'équité , une
politique qui se base sur la
construction d'une carte scolaire qui recenserait les besoins pédagogiques des régions
à la lumière d’évaluations scientifiques et de références
réalistes propres à chaque établissement
d'enseignement dans chaque commissariat régional de l'éducation.
Étant donné que cette procédure est
encore bien loin de pouvoir être
réalisée, car elle nécessite d’entreprendre une réflexion profonde et étant donné que l’approche du ministère consiste
à faire des interventions ponctuelles et
urgentes dans le cadre de certaines priorités précises , il nous semble qu’il serait plus judicieux que le ministère de
l'Education confie l’organisation des
cours particuliers ou ce que nous appelons les cours de soutien et de remédiation aux commissariats régionaux de l'éducation pour mettre en application le principe de la décentralisation d'une part
et pour créer un espace favorisant les initiatives des acteurs éducatifs de chaque région leur permettant de concevoir leur propre projet en s’appuyant sur des mécanismes et des plans d'action convenus pour le diagnostic et la remédiation et ses méthodes.
Ne serait- il pas plus utile que chaque
institution ait son projet propre de
lutte contre l'échec scolaire à partir des résultats des évaluations ? Ainsi on
offrira à chaque élève ce dont il a besoin.
Ne serait-il pas plus utile par exemple de chercher les raisons qui expliqueraient la baisse de la proportion des candidats ayant obtenu la moyenne en arabe au baccalauréat, de 33 à 11 pour cent entre
2000 et 2008 et les
institutions qui étaient la cause de cette dégringolade ? Ne serait-il pas plus
utile aussi de chercher pourquoi plus de 4000 candidats au baccalauréat ont obtenu la note zéro en français ou en anglais et pourquoi ces mauvaises performances se retrouvent
toujours dans des établissements bien déterminés ? Ne devrions- nous pas nous interroger sur la concentration de ces
mauvais résultats dans les régions intérieures et celles du nord-ouest? La carte des résultats du baccalauréat de la dernière
session n’a-t-elle pas montré la
division du pays par une ligne verticale nord -sud opposant
la côte à l’intérieur, des régions avancées et des régions en retard ? Est-ce que
nous nous sommes demandés sur la qualification et les compétences des
cadres éducatifs de chaque région et de chaque
établissement?
Toutes les évaluations faites au cours des années successives n’ont-elles pas montré que ce sont la septième année de l'enseignement
de base et la première année de
l'enseignement secondaire qui sont les
deux classes où les élèves souffrent de graves lacunes dans les différentes matières? Pourquoi n’a-t-on pas mis
en place une politique de (rattrapage) remédiation pour les élèves de ces deux niveaux au moins ? De cette façon les cours appelés
particuliers seront orientés
vers la pédagogie de la réussite? N’a-t-on pas amélioré les résultats du baccalauréat
grâce à des projets pédagogiques au
niveau de chaque institution touchée par un déficit quelconque ? N’est-il pas plus
judicieux de faire des efforts dans la
formation des enseignants qui travaillent dans les établissements qui souffrent d'un retard important dans le niveau
et les résultats?
Pourquoi ne pas réfléchir à limiter le nombre de stagiaires dans les régions de l’intérieur en en
affectant ceux-ci dans des
centres où se trouvent des enseignants compétent
pédagogiquement qui seront chargés d’encadrer ces stagiaires (
professeur tuteur) ? et puis pourquoi ne
pas penser à programmer la remédiation
et le rattrapage dans le temps
d'apprentissage officiel de l'élève , après une évaluation diagnostique, sachant que cela peut se
faire sans coût élevé?
Il est à craindre que l’on programme les cours particuliers dans l'espace scolaire avant même de commencer à enseigner les programmes, comme s’ils étaient une composante fixe du système de formation des élèves , et
nous tombons de cette façon dans la
vision économiste et utilitaire de ces cours? Comment allons- nous défendre
l'école publique alors que nous y intégrons les lois du marché et du commerce?
N’est ce pas que les échanges financiers entre l'élève et
l'enseignant, même s’ils se font par intermédiaire le début de la fin du
contrat pédagogique que l'école cherche à retrouver? l’équité éducative
entre les élèves va - t- elle
grâce aux tarifs que le ministère
de l'Education vient de fixer qui est entre 20 et 35 dinars par mois et je ne
sais pour combien de matières ? J'espère que ceux qui ont approuvé ce choix ne vont pas le regretter car il comporte les aspects qu’ils combattaient, Dieu seul le
sait.
En conclusion, ce sont là des questions qui sont d’après moi en rapport avec les cours particuliers destinés aux élèves nécessiteux selon les données dont on dispose. je ne vois dans cette réforme des cours
particuliers que nous venons de
présenter aucune utilité
sinon une régulation du marché éducatif, quant à la justice il n’y en
a guère , et quant à l’équité c’est
un mirage charmeur .
Brahim Ben Salah Inspecteur général de l'éducation à
la retraite (octobre 2015)
Traduction et présentation par Mongi Akrout ; Inspecteur général de
l'éducation à la retraite Novembre 2017 .
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