Le texte de la
circulaire
Un des vœux le plus souvent formulés
dans les Congrès d'instituteurs, et à la réalisation duquel ils semblent
attacher le plus d'importance, a trait à l'organisation du Conseil des maîtres
dans les écoles à plusieurs classes. À dire vrai, l'institution n'est pas
nouvelle. Bien que les lois et règlements soient muets sur la matière, en ce
qui concerne l'enseignement primaire, des Conseils du même genre fonctionnent
déjà dans les écoles normales et dans les lycées et collèges, Elle est
tellement dans la nature des choses que, le besoin créant l'organe spontanément,
dans un grand nombre de communes ces conseils se sont créés sans consécration
officielle et fonctionnement pour le plus grand bien de l'école, Plusieurs
inspecteurs d'académie ont pris, à la demande des intéressés,
l'initiative de les généraliser dans leur circonscription, Le temps est venu
d'étendre l'institution à tout le territoire et de lui donner le caractère
officiel et obligatoire qui lui a manqué jusqu'à ce jour.
L'école est une, quel que soit le nombre
de ses maîtres, et tout enseignement est une collaboration : collaboration des
maîtres entre eux en vue de la formation intellectuelle et morale de l'enfant,
collaboration des maîtres et des familles. Il n'est pas de conception plus
fausse, plus étrangère à nos principes d'égalité et de confraternité que
celles qui maintiendrait le directeur et ses adjoints dans un isolement mutuel,
le premier concentrant en sa personne toute la vie administrative et
pédagogique de l'école, les seconds réduits à une obéissance étroite et bornant
leur activité à enseigner suivant des méthodes et des principes acceptés sans
discussion et sans foi et imposés d'autorité. L'unité ainsi obtenue frapperait
par avance l'enseignement de stérilité ; pour être féconde, l'harmonie doit
être faite de l'accord de toutes les bonnes volontés s'employant à l'œuvre
commune, Nous attendons cette unité et cette harmonie de l'organisation bien
comprise du Conseil des maîtres.
II va sans dire qu'il ne peut être
question de diminuer et d'affaiblir l'autorité du directeur. Un de mes
prédécesseurs, dans sa circulaire du 13 janvier 1895, traçait en ces termes la
tâche qui lui incombe : « Le directeur d'une école ayant sous ses ordres
plusieurs instituteurs adjoints, les uns déjà titulaires, les autres
stagiaires, a la responsabilité de la bonne organisation pédagogique
de l’enseignement, Il a le devoir, et par conséquent le droit, de guider les
maîtres, surtout ceux qui débutent, de coordonner leurs efforts vers le but
commun.
À l'école primaire, plus qu'ailleurs
peut être, il importe de ménager avec un soin jaloux le temps des élèves, de
leur épargner le tâtonnement des méthodes, de prévenir ou de combler les
lacunes résultant du manque de concordance entre les diverses classes qu'ils ont à
franchir », ce langage n'a rien perdu de son autorité ; il répond à des
nécessités tout aussi impérieuses aujourd'hui qu'il y a treize ans, J'ajouterai
que le directeur, choisi parmi les maîtres les plus éprouvés,
pour ses services, son expérience et sa valeur personnelle,
représente dans l'école un élément de fixité, de permanence et de tradition. Il
demeure, tandis qu'autour de lui les adjoints, surtout dans les écoles si
populeuses des grandes villes et de leur banlieue, changent et passent. De cet
élément mobile et trop souvent renouvelé il est impossible de faire dépendre
l'éducation de l'enfant, qui veut être observé dans ses penchants et ses
aptitudes, suivi dans son progrès, instruit avec la continuité de méthodes qui
seule peut soutenir l'effort de son esprit et augmenter l'efficacité de cet
effort
Une autre tâche délicate dévolue au
directeur est de parachever la préparation de ses adjoints. Il y faut
infiniment de tact, de mesure et, pour tout dire, de bonté. Il lui faut ménager
des susceptibilités légitimes, parfois ombrageuses, et désarmer les défiances
que fait naître chez quelques uns l’apparence d'une sujétion. Il doit surtout
se garder, par des critiques inconsidérées et présentées sans aménité, de
paralyser un zèle qui peut être tourné à l'avantage de l'école et de
décourager des initiatives qui, bien dirigées, peuvent porter d'heureux fruits.
De leur côté, les
adjoints doivent se représenter que la plupart d'entre eux n'abordent leurs
difficiles fonctions qu'avec le sommaire- et insuffisant apprentissage qu'ils
doivent à l'école normale, avec un savoir surtout théorique qui demande une
longue mise au point de pratique pour s'accommoder au niveau d'intelligences
encore neuves et obscures ; que beaucoup d'autres entrant de plain-pied, munis
du seul brevet, dans les fonctions d'enseignement, ont
tout à apprendre d'une profession qu'ils ignorent. Ils doivent donc
rechercher les conseils de maîtres plus âgés, se féliciter de pouvoir profiter
de l'expérience d'aînés qui ont passé avant eux par le même chemin et leur en
aplanissent les difficultés et ne pas voir, dans des observations
amicales et prudentes, je ne sais quelle entreprise contre leur indépendance et
leur libre arbitre.
L'idéal, dans l'intérêt de l'école,
serait de pouvoir réunir et combiner les avantages de l'expérience des uns et
de l'initiative des autres. Il peut être facilement réalisé, pour peu que
chacun s'y prête de bonne volonté, par le Conseil des maitres.
Quelles sont les questions qui seront
soumises à ce Conseil ? II est difficile, pour ne pas dire
impossible, de les énumérer toutes limitativement, il faut compter avec
l'imprévu et distinguer entre elles, Tout d'abord, il convient d'en excepter
celles qui sont de nature
purement administrative et qui appartiennent en propre à la direction :
telles les relations entre l'école et les autorités locales, municipales et
académiques, les rapports avec les familles, celles qui touchent à l'entretien
des bâtiments, à l'hygiène scolaire, à l’ordre général de l’établissement.
Au contraire rentrent dans les
attributions du Conseil toutes les questions qui embrassent la vie pédagogique
de l'école et dont le champ est assez vaste pour occuper l'activité et
l'ingéniosité du personnel, C'est par la discussion qu'elles soulèvent que se
perfectionnera l'éducation professionnelle des maîtres. Je range dans cet ordre
l'élaboration du règlement intérieur de l'école en conformité avec les règlements
généraux arrêtés parle Conseil départemental, la répartition des élèves dans
les classes suivant leur âge et leur degré do préparation, le passage des
enfants de la classe maternelle ou de la classe enfantine à l'école primaire en dehors
des époques réglementaires, J'y joins aussi la répartition des maîtres dans los
classes ; il me parait équitable qu'ils soient consultés sur leur convenance et
sur les aptitudes qu'ils manifestent,
Mais sur ces questions, de nature
particulièrement délicate, la délibération du Conseil ne deviendrait définitive
qu'après la décision de l'inspecteur primaire. Il ne faut pas oublier
que nous avons à nous préoccuper avant tout des intérêts de l'enfant,
qui priment tous les autres.
Il va de soi que ce sont surtout les questions d'ordre
purement pédagogique qui animeront ces réunions et leur donneront leur intérêt
: emploi du temps, application et adaptation des programmes, choix des livres
d'après la liste départementale, étude des méthodes et des procédés
d'enseignement, entretien et recrutement de la bibliothèque, etc. Ces
discussions fourniront à nos maîtres l'occasion de faire preuve de
recherches et d'initiative personnelles, de produire des idées nouvelles, de
tenter, s'il y a lieu, des expériences fructueuses, Elles susciteront
l'émulation parmi les maîtres, secoueront la torpeur résignée de ceux qui
s'attardent à la besogne machinale et préserveront l'enseignement de
dégénérer en routine. Ces débats, quoique vivacité que chacun y apporte à
soutenir ses opinions, conserveront toujours le caractère de discussions
amicales ; on y discutera pour s'instruire, pour échanger ses vues, pour
s'éclairer mutuellement. Il ne saurait être question de leur donner la sanction
d'un vote,
Nous ne devons pas transformer ces réunions pacifiques
en autant d'assemblées délibérantes ; on risquerait d'y faire pénétrer du même
coup l'esprit de brigue, de coalition et d'intrigue et d'ouvrir la voie à des
divisions qui conduiraient à une véritable anarchie scolaire. C'est au contraire vers
l'union et la concorde que nous prétendons marcher.
Je verrais avec plaisir ces Conseils
s'occuper à exercer sur les élèves une réelle action disciplinaire. Je relève
dans une circulaire d'un inspecteur d'académie ce passage : « A des époques
déterminées, à la fin de chaque trimestre par exemple, après échange
de vues sur la situation morale de l'école, le Conseil ferait
comparaître les très bons élèves pour les féliciter, les très mauvais pour les
réprimander et les ramener dans la bonne voie. En cas de faute grave commise
par un élève, il serait immédiatement convoqué par le directeur, et, si
l'assemblée se prononçait pour l'exclusion temporaire ou définitive, c'est sur
son avis (exprimé cette fois à la majorité des voix) que l'autorité
supérieure statuerait, Ainsi, en dehors des menus incidents de la vie
journalière réglés par chaque instituteur ou par le directeur avec l'adjoint
intéressé, les élèves auraient toujours pour juges tous leurs maîtres. »
C'est aussi dans ces Conseils de discipline que
seraient arrêtés les prix d'excellence dans les écoles où ces prix existent
encore, ainsi que les bénéficiaires des récompenses extraordinaires qui font
l'objet de donations particulières.
Pour conserver à l'institution l'attrait que nous
voudrions lui donner et pour soutenir l'intérêt des séances, il faut d'abord
leur fournir un aliment ; il faut ensuite qu'elles ne reviennent pas trop
fréquemment. Les plus importantes doivent ouvrir l'année scolaire et la fermer
; dans l'intervalle elles pourront avoir lieu par trimestre. Des séances
extraordinaires pourront se tenir, en cas de besoin, sur l'initiative du
directeur.
Il sera tenu un compte-rendu succinct des
délibérations par un secrétaire. Toute contestation d'où pourrait résulter un
trouble dans la vie -scolaire sera soumise à l'arbitrage de
l'inspecteur primaire, qui, lui-même, pourra consulter l'inspecteur d'académie.
J'ai confiance que l'institution du Conseil des
maîtres, si elle est pratiquée avec cet esprit de sincérité, de bonne foi et de
loyauté professionnelle qui anima l'immense majorité de notre personnel
d'instituteurs, produira d'excellents résultats. Elle fera sortir nos maîtres
de l'isolement pédagogique où beaucoup d'entre eux se plaisent, confinés dans
le travail de leur classe, sans relations suffisantes avec leurs collègues, En
rapprochant les hommes, on rapprochera les cœurs ; en se connaissant de plus
près et mieux, maîtres et directeur apprendront à s'apprécier et à
s'estimer davantage et les questions mêmes qu'ils seront appelés à discuter,
en élevant leurs esprits et en leur ouvrant des horizons plus larges, leur
donneront une conscience plus précise de la grande œuvre d'éducation nationale
dont ils sont les modestes et dévoués ouvriers,
GASTON DOUMERGUE. Ministre de l'Instruction publique,
des Beaux-arts et des Cultes[2]
Source :
Bulletin officiel de la direction générale de l’instruction publique ,
mars 1908
Présentation et commentaire Hédi bouhouch , Mongi Akrout
Inspecteurs généraux de l’éducation, et Brahim Ben Atig, Professeur Principal
émérite.
Tunis , mars 2017
[2] Gaston Doumergue, (1863 / 1937 ) occupa plusieurs fonctions
politiques : ministre des Colonies, de 1902 à 1905, ministre du Commerce et de l'Industrie
de 1906 à 1908)
, ministre l'Instruction publique et aux Beaux-Arts et du culte de 1908 à 1910 , Il fut un fervent
défenseur de l'école publique laïque et plaide en faveur de l'enseignement de
l'arabe en Algérie. , il devient
président de la République française de 1924 à 1931 .
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