Le blog pédagogique présente à ses lecteurs une vieille circulaire du Directeur de l’instruction
publique qui remonte à 1909 qui incite les instituteurs à encourager les élèves
tunisiens à rejoindre l’école agricole indigène Al Ansarine. Nous avons pensé qu’il serait utile de donner
à nos lecteurs une idée sommaire de cette institution avant de présenter la
circulaire.
Première partie : Présentation
de l’école agricole Al
Ansarine : une école éphémère (1902/1911)
L’école agricole Al Ansarine fut à l’origine une institution spécialement
fondée pour venir en aide aux enfants musulmans abandonnés, grâce à l’initiative
d’un groupe de notables tunisiens qui ont créé
, en 1902, une association sous
le nom de « colonie agricole indigène»[1] sur un terrain de 1.200 hectares cédé gratuitement par l'administration des
Habous, l’association a pu bénéficier
d’une rente annuelle de l’administration des Habous et d’une autre
subvention annuelle du gouvernement tunisien; et des
souscriptions de ses membres
fortunés .
Si l’œuvre fut au départ une œuvre de bienfaisance , elle s’est muté
rapidement en école professionnelle , lorsque les nationalistes avaient constaté
que les portes de l’école agricole
fondée par l’autorité coloniale [2] étaient fermées devant les
enfants musulmans[3],
les fondateurs voulaient « former une génération de techniciens agricoles
tunisiens pour aider les agriculteurs tunisiens à intégrer les techniques
agricoles modernes qui vont leur permettre d’améliorer leur rendement et de
s’accrocher à leurs terres et ne pas les abandonner aux colons français et
italiens »[4]
Les autorités coloniales ne
voulaient pas d’une école agricole pour les indigènes musulmans capable de
former des techniciens de haut niveau ,
elles voulaient une main d’œuvre
spécialisée pour travailler dans les
fermes des colons , cette position fut clairement exprimée par le résident
général Renet Millet dans une lettre adressée au ministère des affaires
étrangères le 24 juillet 1901 dans laquelle il écrivait ceci : « "… le but à poursuivre dans cet établissement sera uniquement à
former des ouvriers agricoles ou garçons de fermes …. ils recevront en outre
quelques notions de forge, de menuiserie , de charronnage de manière à savoir
faire dans les fermes des petites réparations , sur ce domaine on enseignait
aux enfants le travail de la terre , l’entretien du matériel , tout en
fournissant aux exploitations de nos compatriotes une main d’œuvre bien exercée »
Ali Bach Hamba [5] avait évoqué cette question dans un article dans lequel il affirmait ce
ci : « l’administration et les gros colons soutiennent qu’il n’y
a pas besoin d’ouvrir des écoles agricoles , l ’ouvrier qui travaille chez les colons ,
apprend le maintien des instruments , cela est suffisant pour lui faire gagner
sa vie , ….La propriété de Lansarine dans la région de
Tebourba dont la colonisation n’avait pas voulu a été éliminée , et elle
n’avait plus d’existence depuis cinq ans »
l’école avait démarré au mois de novembre 1903 avec trente
élèves tunisiens musulmans , ce nombre
est passé à 60 quelques années plus tard ; mais huit ans après son démarrage ,Le
Gouvernement … ordonna la fermeture de l’Ecole, qui s’arrêta de fonctionner depuis le 1er juillet 1911. [6] Pourtant la commission d'amélioration de
l'agriculture indigène qui avait rédigé un rapport sur l’école ne manquait pas d’éloges sur les résultats
obtenus , et paradoxalement c’est suite
aux recommandations de cette même commission qui fut chargée de « faire une
dernière enquête sur la situation de la ferme-école de Lansarine » en Mai
1911, la commission avait conclu « à la fermeture de l’établissement et
au licenciement immédiat des élèves, pour raison d’hygiène , ainsi s’est
achevée l’expérience de l’école agricole indigène
A la fin de l’année scolaire 1909 , la direction générale de l’instruction
publique avait envoyé aux instituteurs
et aux directeurs des écoles primaires franco arabes une circulaire accompagnée d’une note [7] « au sujet
de la Colonie agricole Indigène de Lansarine » pour les informer des possibilités qu’offrait
l’école pour les jeunes tunisiens musulmans[8].
Deuxième partie : la circulaire et la notice
« A la sortie de l'école primaire,
après avoir ou non obtenu leur certificat d'études primaires, un certain nombre
de jeunes indigènes sont hésitants sur la carrière à entreprendre.
Issu de familles rurales, le plus grand
nombre peut songer à se diriger vers l'agriculture ; mais, encore trop jeunes
en général et incomplètement formés à la pratique agricole, ces
jeunes gens ne sauraient être capables de faire sans préparation complémentaire
de bons travailleurs de la terre soit pour leur compte, soit pour le compte
d'autrui.
Il est bon qu'ils sachent qu'il existe
en Tunisie une Ecole d'agriculture indigène destinée précisément à permettre
aux jeunes indigènes d'acquérir les connaissances théoriques et
pratiques nécessaires à la vie rurale. C'est la Colonie Agricole indigène de
Lansarine installée près de Tébourba,
Si vous voulez bien, dans une ou deux
causeries, leur parler de la Colonie agricole de Lansarine, de son but, des
conditions d'admission, de l'enseignement, des avantages qu'elle procure, etc.,
vous les mettrez facilement en état de discerner et d'apprécier les avantages
de tout ordre qui résulteraient pour eux d'une éducation agricole moderne. Les
renseignements qui vous seront nécessaires pour parler de Lansarine en toute
connaissance de cause sont donnés dans la note annexée à la présente
circulaire.
Le cas échéant, je vous serais
particulièrement reconnaissant de vouloir bien donner également aux parents des
élèves toutes les indications qu'ils pourraient solliciter sur la Colonie
agricole.
Le directeur de l’instruction publique :
S. CHARLÉTY.
Notice sur la Colonie agricole indigène de Lansarine.
But. — La Colonie agricole indigène de Lansarine est un établissement
d'instruction agricole pour les jeunes indigènes. II est destiné à leur donner
l'enseignement théorique et pratique nécessaire pour en faire de bons
agriculteurs, aptes, soit à faire valoir, dans les meilleures conditions, leurs
biens personnels, soit à devenir de bons contremaîtres, employés, ouvriers
agricoles, etc., chez les propriétaires français ou indigènes.
Situation. —
Installation. — La Colonie agricole de Lansarine est
située à 25 kilomètres environ de Tébourba et de Mateur dans une région — la
vallée de l'oued Tine — des plus fertiles de la Tunisie.
Elle a été établie sur l'enchir
El-Mellaha, d'une superficie de 1.400 hectares environ, mis gratuitement à sa
disposition par l'Administration des Habous.
Par la diversité de nature des terres,
par la variété de ses cultures, par ses champs d'essais ou d'expériences, la
Colonie offre un exemple des principales cultures que l'on peut faire en
Tunisie (céréales, fourrages, vigne, olivier, cultures maraîchères et
fruitières). L'élevage du bétail : (bovidés, ovidés, etc.) est pratiqué sur
d'importants troupeaux.
La Colonie a de l'eau en abondance et de
bonne qualité.
D'importantes constructions servent au
logement du personnel, des élèves et à l'exploitation (écuries, bouveries,
hangars, etc.).
Le service postal est fait trois fois
par semaine par un cavalier venant de Tébourba.
Régime. — La Colonie agricole est placée sous l'autorité d'un Directeur et le
contrôle du Comité fondateur.
La Colonie ne reçoit que des élèves
internes.
La durée des études est de trois années.
Il n'est dû pour le séjour à la Colonie
aucune rétribution ; néanmoins, les parents qui désirent y mettre leurs enfants
à titre onéreux peuvent le faire en payant une rétribution annuelle de 250
francs.
Conditions d'admission. — Les candidats doivent remplir les conditions suivantes :
Etre âgés de 15 ans au moins et de 17
ans au plus, au moment de leur entrée à la colonie ; savoir au moins lire et
écrire l'arabe ; Avoir une bonne constitution ; Être de bonnes vie et mœurs.
Les demandes d'admission doivent
être adressées sur papier libre à M. le Vice-Président du Comité de la Colonie
Agricole indigène de Lansarine au Secrétariat général du Gouvernement Tunisien,
à Tunis, avant le 15 septembre délai de rigueur.
Les demandes doivent être accompagnées
des pièces suivantes :
1° une autorisation écrite des parents
pour suivre pendant 3 années l'enseignement donné à la Colonie ;
2° un certificat médical attestant que
le candidat a été vacciné avec succès, qu'il n'est atteint d'aucune maladie
contagieuse et qu'il est de constitution assez robuste pour supporter les
travaux agricoles ;
3° un certificat de bonnes vie et mœurs
délivré par l'autorité locale de sa dernière résidence.
A la date fixée pour la rentrée scolaire
et qui est portée à la connaissance du public par la voie de la
presse, les candidats doivent se présenter à la Djemaïa des Habous, à Tunis, où
il est procédé à leur admission définitive par une Commission composée de deux
membres délégués par le Comité, du Directeur et du Médecin de la Colonie.
Service militaire.— Les élèves diplômés de la Colonie Agricole sont dispensés du service
militaire.
Pendant leur séjour à la Colonie, ils
sont également dispensés du paiement de la Medjba.
Personnel. — Le personnel de la Colonie Agricole comprend :
Un directeur; un chef de culture ; deux
professeurs ; un chef de travaux pratiques ; deux surveillants ; un infirmier.
Service médical. — Le médecin de Tébourba
vient régulièrement une fois par mois à la colonie et à chaque demande du
Directeur. Les soins du médecin et les médicaments sont gratuits.
Discipline. Congés et Vacances. — Un
règlement fixe l'ordre des travaux et la discipline intérieure de la Colonie.
Des congés sont accordés à l'occasion des
principales fêtes religieuses musulmanes.
Les vacances qui commencent dans les
derniers jours de juillet finissent dans la première quinzaine d'octobre.
L'enseignement. — l'enseignement est à la fois théorique et pratique. Il est donné dans
des cours, des conférences, des applications et travaux pratiques, des travaux
manuels, des excursions.
Il porte sur les matières suivantes :
langue française et langue arabe ; arithmétique et géométrie ; histoire et
géographie (conférences) ; hygiène humaine ; zoologie et botanique ;
agriculture générale et spéciale ; zootechnie et hygiène vétérinaire ;
viticulture et oléiculture ; horticulture et arboriculture ; économie rurale et comptabilité agricole ; travaux manuels;
travail du bois, du fer, du cuir ...
Les applications pratiques ont pour
objet de mettre sous les yeux des élèves les objets cités dans les cours, de
répéter en leur présence les expériences les plus importantes, d'exercer leur
jugement à l'appréciation des machines, des travaux, des récoltes,
des animaux domestiques.
Pendant les travaux pratiques les élèves
exécutent eux mêmes tous les travaux que
comportent le fonctionnement et la conduite des cultures.
Les travaux manuels de menuiserie,
forge, bourrellerie comprennent la confection des objets usuels simples et les
petites réparations d'outils et de machines agricoles.
Certificat d'aptitude. A la fin de leurs
études, les élèves qui ont satisfait à toutes les épreuves exigées par le
règlement, reçoivent un certificat d'aptitude délivré par le Comité de la
Colonie.
La Colonie ne cesse pas de s'occuper des
élèves à leur sortie. Elle facilite leur établissement par tous les
moyens dont elle dispose.
Présentation et commentaire Hédi bouhouch , Mongi Akrout
Inspecteurs généraux de l’éducation, et Brahim Ben Atig, Professeur Principal
émérite.
Tunis , mars 2017
[1] Le premier conseil d’administration était composé de Mde Béchir Sfar (
président de l’association des Habous), Abdeljalil Zaouch, Mohamed Lasram et
Ali Bouchoucha
[2] L’École coloniale d’agriculture née en 1898 est classée comme École
Supérieure d’Agriculture en 1947. Elle devient l’École Nationale Supérieure
d’Agriculture de Tunis en 1955. Elle forme essentiellement les fils de colons
français : on enregistre un Tunisien pour la promotion 1957, 47 feront partie de la
promotion 1960 de ce qui s’appelle depuis 1959 Institut National
d’Agriculture de Tunis
[3] Les tunisiens israélites
fréquentaient la ferme-école créée à Djedeïda par l'Alliance Israélite universelle
[4] بلقاسم
بن عمّار الشابي : أوّل مدرسة فلاحيّة أسّـسـتها
فـرنسا بتـونس ومنعـت التّعـلـيم فـيها عـن التّـونـسـيّـيــن
[5] Extrait d’un article écrit
par Bach HAMBA dans la revue du
[6] L'Agriculture indigène en Tunisie. Rapport général de la commission d'amélioration
de l'agriculture indigène constituée par le décret du 13 mai 1911
http://www.e-corpus.org/notices/104481/gallery/883071/fulltext
[7] Circulaire aux instituteurs
des écoles Franco-arabes au sujet de la
Colonie agricole Indigène de Lansarine.
B.O.D.G.I.P - N° 27 , MAI 1909.
[8] Les tunisiens israélites fréquentaient la ferme-école
créée à Djedeïda par l'Alliance Israélite
universelle
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire