lundi 11 décembre 2017

L’école d’agriculture Al Ansarine : La première école agricole fondée par les tunisiens.

Le blog pédagogique présente à ses lecteurs une vieille  circulaire du Directeur de l’instruction publique qui remonte à 1909 qui incite les instituteurs à encourager les élèves tunisiens à rejoindre l’école agricole indigène Al Ansarine.  Nous avons pensé qu’il serait utile de donner à nos lecteurs une idée sommaire de cette institution avant de présenter la circulaire.


Première partie : Présentation  de l’école agricole Al Ansarine : une école éphémère (1902/1911)  

L’école  agricole Al Ansarine  fut à l’origine une institution spécialement fondée pour venir en aide aux enfants  musulmans abandonnés, grâce à l’initiative d’un groupe de notables tunisiens qui ont créé   , en 1902, une association sous le nom de « colonie agricole indigène»[1]  sur un terrain  de 1.200 hectares  cédé gratuitement par l'administration des Habous, l’association  a pu bénéficier d’une rente annuelle de l’administration des Habous et d’une autre subvention  annuelle  du gouvernement tunisien; et des souscriptions  de ses membres fortunés .
Si l’œuvre fut au départ une œuvre de bienfaisance , elle s’est muté rapidement en école professionnelle , lorsque les nationalistes avaient constaté  que les portes de l’école agricole fondée par l’autorité coloniale [2] étaient fermées devant les enfants musulmans[3], les fondateurs voulaient «  former une génération de techniciens agricoles tunisiens pour aider les agriculteurs tunisiens à intégrer les techniques agricoles modernes qui vont leur permettre d’améliorer leur rendement et de s’accrocher à leurs terres et ne pas les abandonner aux colons français et italiens »[4]
Les autorités coloniales   ne voulaient pas d’une école agricole pour les indigènes musulmans capable de former des techniciens  de haut niveau , elles  voulaient une main d’œuvre spécialisée pour  travailler dans les fermes des colons , cette position fut clairement exprimée par le résident général Renet Millet dans une lettre adressée au ministère des affaires étrangères le 24 juillet 1901 dans laquelle il écrivait ceci :  « "… le but à poursuivre dans cet établissement sera uniquement à former des ouvriers agricoles ou garçons de fermes …. ils recevront en outre quelques notions de forge, de menuiserie , de charronnage de manière à savoir faire dans les fermes des petites réparations , sur ce domaine on enseignait aux enfants le travail de la terre , l’entretien du matériel , tout en fournissant aux exploitations de nos compatriotes une main d’œuvre bien exercée »
Ali Bach Hamba [5]  avait évoqué cette question  dans un article dans lequel il affirmait ce ci : « l’administration et les gros colons soutiennent qu’il n’y a pas besoin d’ouvrir des écoles agricoles  , l ’ouvrier qui travaille chez les colons , apprend le maintien des instruments , cela est suffisant pour lui faire gagner sa vie  , ….La propriété de Lansarine dans la région de Tebourba dont la colonisation n’avait pas voulu a été éliminée , et elle n’avait plus d’existence depuis cinq ans »

l’école  avait   démarré au mois  de novembre 1903   avec trente élèves tunisiens musulmans ,  ce nombre est passé à   60  quelques années plus tard ;  mais huit ans après son démarrage ,Le Gouvernement … ordonna la fermeture de l’Ecole, qui  s’arrêta de fonctionner  depuis le 1er juillet 1911. [6] Pourtant la commission d'amélioration de l'agriculture indigène qui avait rédigé un rapport sur l’école  ne manquait pas d’éloges sur les résultats obtenus , et paradoxalement  c’est suite aux recommandations  de cette même  commission qui fut chargée de « faire une dernière enquête sur la situation de la ferme-école de Lansarine » en Mai 1911,  la commission avait conclu  « à la fermeture de l’établissement et au licenciement immédiat des élèves, pour raison d’hygiène , ainsi s’est achevée l’expérience de l’école agricole indigène
A la fin de l’année scolaire 1909 , la direction générale de l’instruction publique  avait envoyé aux instituteurs et aux directeurs des écoles primaires franco arabes une circulaire  accompagnée d’une note [7] « au  sujet de la Colonie agricole Indigène de Lansarine » pour  les informer des possibilités qu’offrait l’école pour les jeunes tunisiens musulmans[8].

Deuxième partie : la circulaire et la notice
« A la sortie de l'école primaire, après avoir ou non obtenu leur certificat d'études primaires, un certain nombre de jeunes indigènes sont hésitants sur la carrière à entreprendre.
Issu de familles rurales, le plus grand nombre peut songer à se diriger vers l'agriculture ; mais, encore trop jeunes en général et incomplètement formés à la pratique agricole, ces jeunes gens ne sauraient être capables de faire sans préparation complémentaire de bons travailleurs de la terre soit pour leur compte, soit pour le compte d'autrui.
Il est bon qu'ils sachent qu'il existe en Tunisie une Ecole d'agriculture indigène destinée précisément à permettre aux jeunes indigènes d'acquérir les connaissances théoriques et pratiques nécessaires à la vie rurale. C'est la Colonie Agricole indigène de Lansarine installée près de Tébourba,
Si vous voulez bien, dans une ou deux causeries, leur parler de la Colonie agricole de Lansarine, de son but, des conditions d'admission, de l'enseignement, des avantages qu'elle procure, etc., vous les mettrez facilement en état de discerner et d'apprécier les avantages de tout ordre qui résulteraient pour eux d'une éducation agricole moderne. Les renseignements qui vous seront nécessaires pour parler de Lansarine en toute connaissance de cause sont donnés dans la note annexée à la présente circulaire.
Le cas échéant, je vous serais particulièrement reconnaissant de vouloir bien donner également aux parents des élèves toutes les indications qu'ils pourraient solliciter sur la Colonie agricole.
Le directeur de l’instruction publique : S. CHARLÉTY.
Notice  sur la Colonie agricole indigène de Lansarine.
But. — La Colonie agricole indigène de Lansarine est un établissement d'instruction agricole pour les jeunes indigènes. II est destiné à leur donner l'enseignement théorique et pratique nécessaire pour en faire de bons agriculteurs, aptes, soit à faire valoir, dans les meilleures conditions, leurs biens personnels, soit à devenir de bons contremaîtres, employés, ouvriers agricoles, etc., chez les propriétaires français ou indigènes.
Situation. — Installation. — La Colonie agricole de Lansarine est située à 25 kilomètres environ de Tébourba et de Mateur dans une région — la vallée de l'oued Tine — des plus fertiles de la Tunisie.
Elle a été établie sur l'enchir El-Mellaha, d'une superficie de 1.400 hectares environ, mis gratuitement à sa disposition par l'Administration des Habous.
Par la diversité de nature des terres, par la variété de ses cultures, par ses champs d'essais ou d'expériences, la Colonie offre un exemple des principales cultures que l'on peut faire en Tunisie (céréales, fourrages, vigne, olivier, cultures maraîchères et fruitières). L'élevage du bétail : (bovidés, ovidés, etc.) est pratiqué sur d'importants troupeaux.
La Colonie a de l'eau en abondance et de bonne qualité.
D'importantes constructions servent au logement du personnel, des élèves et à l'exploitation (écuries, bouveries, hangars, etc.).
Le service postal est fait trois fois par semaine par un cavalier venant de Tébourba.
Régime. — La Colonie agricole est placée sous l'autorité d'un Directeur et le contrôle du Comité fondateur.
La Colonie ne reçoit que des élèves internes.
La durée des études est de trois années.
Il n'est dû pour le séjour à la Colonie aucune rétribution ; néanmoins, les parents qui désirent y mettre leurs enfants à titre onéreux peuvent le faire en payant une rétribution annuelle de 250 francs.
Conditions d'admission. — Les candidats doivent remplir les conditions suivantes :
Etre âgés de 15 ans au moins et de 17 ans au plus, au moment de leur entrée à la colonie ; savoir au moins lire et écrire l'arabe ; Avoir une bonne constitution ; Être de bonnes vie et mœurs.
Les  demandes d'admission doivent être adressées sur papier libre à M. le Vice-Président du Comité de la Colonie Agricole indigène de Lansarine au Secrétariat général du Gouvernement Tunisien, à Tunis, avant le 15 septembre délai de rigueur.
Les demandes doivent être accompagnées des pièces suivantes :
1° une autorisation écrite des parents pour suivre pendant 3 années l'enseignement donné à la Colonie ;
2° un certificat médical attestant que le candidat a été vacciné avec succès, qu'il n'est atteint d'aucune maladie contagieuse et qu'il est de constitution assez robuste pour supporter les travaux agricoles ;
3° un certificat de bonnes vie et mœurs délivré par l'autorité locale de sa dernière résidence.
A la date fixée pour la rentrée scolaire et qui est portée à la connaissance du public par la voie de la presse, les candidats doivent se présenter à la Djemaïa des Habous, à Tunis, où il est procédé à leur admission définitive par une Commission composée de deux membres délégués par le Comité, du Directeur et du Médecin de la Colonie.
Service militaire.— Les élèves diplômés de la Colonie Agricole sont dispensés du service militaire.
Pendant leur séjour à la Colonie, ils sont également dispensés du paiement de la Medjba.
Personnel. — Le personnel de la Colonie Agricole comprend :
Un directeur; un chef de culture ; deux professeurs ; un chef de travaux pratiques ; deux surveillants ; un infirmier.
 Service médical. — Le médecin de Tébourba vient régulièrement une fois par mois à la colonie et à chaque demande du Directeur. Les soins du médecin et les médicaments sont gratuits.

Discipline. Congés et Vacances. — Un règlement fixe l'ordre des travaux et la discipline intérieure de la Colonie.
Des  congés sont accordés à l'occasion des principales fêtes religieuses musulmanes.
Les vacances qui commencent dans les derniers jours de juillet finissent dans la première quinzaine d'octobre.

L'enseignement. — l'enseignement est à la fois théorique et pratique. Il est donné dans des cours, des conférences, des applications et travaux pratiques, des travaux manuels, des excursions.
Il porte sur les matières suivantes : langue française et langue arabe ; arithmétique et géométrie ; histoire et géographie (conférences) ; hygiène humaine ; zoologie et botanique ; agriculture générale et spéciale ; zootechnie et hygiène vétérinaire ; viticulture et oléiculture ; horticulture et arboriculture ; économie rurale et comptabilité agricole ; travaux manuels; travail du bois, du fer, du cuir ...
Les applications pratiques ont pour objet de mettre sous les yeux des élèves les objets cités dans les cours, de répéter en leur présence les expériences les plus importantes, d'exercer leur jugement à l'appréciation des machines, des travaux, des récoltes, des animaux domestiques.
Pendant les travaux pratiques les élèves exécutent eux  mêmes tous les travaux que comportent le fonctionnement et la conduite des cultures.
Les travaux manuels de menuiserie, forge, bourrellerie comprennent la confection des objets usuels simples et les petites réparations d'outils et de machines agricoles.
Certificat d'aptitude. A la fin de leurs études, les élèves qui ont satisfait à toutes les épreuves exigées par le règlement, reçoivent un certificat d'aptitude délivré par le Comité de la Colonie.
La Colonie ne cesse pas de s'occuper des élèves à leur sortie. Elle facilite leur établissement par tous les moyens dont elle dispose.

Présentation  et commentaire Hédi bouhouch , Mongi Akrout Inspecteurs généraux de l’éducation, et Brahim Ben Atig, Professeur Principal émérite.
Tunis , mars 2017






[1] Le premier conseil d’administration était composé de Mde Béchir Sfar ( président de l’association des Habous), Abdeljalil Zaouch, Mohamed Lasram et Ali Bouchoucha
[2] L’École coloniale d’agriculture née en 1898 est classée comme École Supérieure d’Agriculture en 1947. Elle devient l’École Nationale Supérieure d’Agriculture de Tunis en 1955. Elle forme essentiellement les fils de colons français : on enregistre un Tunisien pour la promotion 1957, 47 feront partie de la promotion 1960 de ce qui s’appelle depuis 1959 Institut National d’Agriculture de Tunis
[3] Les tunisiens israélites fréquentaient la ferme-école créée à Djedeïda par l'Alliance Israélite universelle
[4] بلقاسم بن  عمّار الشابي :   أوّل مدرسة فلاحيّة أسّـسـتها فـرنسا بتـونس ومنعـت التّعـلـيم فـيها عـن التّـونـسـيّـيــن
[5] Extrait d’un article écrit par Bach HAMBA dans la revue du
[6] L'Agriculture indigène en Tunisie.  Rapport général de la commission d'amélioration de l'agriculture indigène constituée par le décret du 13 mai 1911
http://www.e-corpus.org/notices/104481/gallery/883071/fulltext
[7] Circulaire aux instituteurs des écoles Franco-arabes au  sujet de la Colonie agricole Indigène de Lansarine.  B.O.D.G.I.P - N° 27 , MAI 1909.
[8]  Les tunisiens israélites fréquentaient la ferme-école créée à Djedeïda par l'Alliance Israélite universelle

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire