avant propos
le
blog pédagogique va évoquer dans ce numéro l’un de ces points négatifs selon
les défenseurs d’un système scolaire unique et égalitaire en accord avec les
principes de la révolution française, il s’agit de la coexistence de deux enseignements,
l’un gratuit pour les gens du peuple et l’autre payant pour les riches.
Les lois scolaires des années 1880 n’ont jamais réussi à mélanger les riches et les pauvres sur les bancs de l’école, au contraire elles ont conservé la ségrégation sociale et petit à petit se sont mis en place deux enseignements : « d’un côté, le primaire et le primaire supérieur ; de l’autre, l’enseignement secondaire, commencé par ses classes élémentaires et leur professorat spécifique, institué par Jules Ferry lui-même.[1] »
"…
dès la première réunion de la section permanente du Conseil supérieur de
l’Instruction publique, en mai 1880, Jules Ferry avait proposé un nouveau
plan d’études pour l’enseignement secondaire, qui le divisait en trois cycles
séparés l’un de l’autre par des examens de passage, ce qui devait permettre à
d’excellents sujets de milieu modeste d’entrer dans un établissement
secondaire classique sans être contraint d’en parcourir tout le curriculum jusqu’au
baccalauréat … ; mais devant les objections présentées à ce plan
par les défenseurs de l’enseignement secondaire classique, le ministre avait
reculé. »
En 1905 le Conseil de l'instruction publique de la
régence de Tunis réuni en session
annuelle (mai 1905) avait débattu la question de la nécessité d’appliquer les
mêmes programmes pour tous les élèves
de l’enseignement primaire qu’ils
suivent leurs cours dans les écoles primaires ou dans les lycées, c’est le
débat de la session que nous proposons à nos lecteurs.
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Conseil de
l'instruction publique. Session annuelle (mai 1905).
Première séance.
La vendredi 12 mai
1905, à 9 heures du matin, le Conseil de l'Instruction publique s'est réuni à
la Direction de l'Enseignement, dans le bureau du Directeur.
Etaient présents :
MM. MACHUEL, Directeur
de l'Enseignement public, président ;
BERGE, Président du
Tribunal de Tunis ;
BOURGEON, Procureur de
la République à Tunis ;
DELMAS, Professeur à
la Chaire publique d'arabe, Directeur du Collège Sadiki;
MM. BUISSON Inspecteur
d'Académie, H.C. Directeur du Collège Al Alaoui. DUVAL, Proviseur du Lycée
Carnot ; BAILLE, Inspecteur de
l'Enseignement primaire à Tunis ;PATOU, Professeur au Lycée Carnot
; VEYRIER, Directeur de l'école annexe du Collège Alaoui ; AURES, instituteur à l'école
annexe du Collège Alaoui ; OUZIEL, Directeur des Ecoles de l'Alliance Israélite
en Tunisie ; Mme GUILLOT,
Directrice de l'Ecole Jules Ferry; Mme BRULE, institutrice à l'Ecole Jules
Ferry ;M. TREMSAL, chef du Cabinet du
Directeur de l'Enseignement, secrétaire du CIP.
« …Il serait difficile, pour ne pas
dire impossible, de rendre compte par le menu détail la discussion relative à cette
importante question. Aussi paraît-il préférable d'en donner un compte-rendu
analytique.
Le Président estime que jusqu'à un
certain âge tous les enfants doivent recevoir le même enseignement. Il ne faut
pas que, dans une démocratie, parents et enfants puissent s'imaginer qu'il y a
deux qualités d'enseignement primaire, l'une plus soignée, réservée aux élèves
des lycées, l'autre, inférieure, concédée aux élèves des écoles primaires.
D'autant plus que rien n'est plus
contraire à la réalité et que les méthodes pédagogiques en usage dans nos
écoles sont aussi bonnes que celles des classes similaires des lycées. Il y a
au lycée deux sections de classes primaires et élémentaires, ayant toutes à
leur tête des maîtres de valeur, mais ne recevant pas les mêmes élèves. La section
A comprend en général des élèves français, la section B reçoit surtout des
élèves indigènes et étrangers, et, d'une manière générale, l'enseignement y est
un peu moins élevé. Or tous les enfants ont droit à recevoir la même
instruction d'après les mêmes méthodes et les mêmes programmes.
De l'avis d'une haute personnalité de
l’enseignement, le déchet que l'on constate dans les classes secondaires des
lycées tient en partie à ce que les élèves n'ont pas abordé les
classes secondaires avec des connaissances primaires méthodiques et complètes,
et aussi à ce que dans les lycées on se préoccupe plutôt, à l'inverse
de ce qui se fait dans nos écoles, de pousser les élèves bien doués que de
donner à l'ensemble un minimum de
connaissances bien établies.
Quoi qu'il en soit, il y a un fait
indiscutable : en général les élèves des écoles primaires qui débutent au lycée
en sixième réussissent aussi bien que ceux qui ont fait dans le même
établissement toutes leurs études primaires.
Ce fait est corroboré par l'opinion
d'universitaires distingués qui déclarent devoir leur succès dans les
études secondaires et même supérieures à une bonne instruction
primaire reçue en dehors du lycée, M. Bourgeon (Procureur de la République à
Tunis) partage cette manière de voir.
M. Duval, proviseur du lycée, prend la
défense de l’enseignement donné dans les classes primaires de son
établissement. Il fait valoir les difficultés qui s'opposent selon
lui à l'unification complète des programmes et des méthodes. Il est
impossible d'aller contre la différence, de recrutement et d'empêcher les
parents en mesure de payer les frais d'études d'envoyer leurs enfants au lycée.
D'autre part, comment concilier la durée moyenne des études primaires (6 ans)
avec la nécessité de faire aborder aux élèves vers 10 ou 11 ans les études
secondaires ? L'enseignement au lycée comporte en réalité trois cycles, qui
doivent former un tout harmonieux. Le certificat d'études, qui pour les élèves
des écoles primaires est le couronnement des études, n'est pour ceux du lycée
qu'une étape de début. Enfin on ne peut supprimer dans les classes primaires du
lycée certains enseignements accessoires, comme le dessin et les langues
vivantes.
Au cours de cette discussion
contradictoire, animée et toujours courtoise cependant, plusieurs membres du
Conseil interviennent dans un sens ou dans l'autre :
M. Buisson rappelle que dans un rapport au
Ministère à la suite de l'imposition de 1889, il demandait que
l’enseignement primaire fût le même partout, l'enseignement secondaire devant
en être la continuation naturelle,
Mlle
Guillot, Mme Brûlé, MM. Baille, Aurès et Veyrier sont partisans de
l'unification des programmes et estiment que l'enseignement des écoles
primaires peut très bien convenir même au lycée.
M. Aurès désire toutefois que l'unification
des programmes n’entraîne pas pour les instituteurs du lycée, une augmentation
de service.
M. Patou reconnaît qu'en général les
élèves venant des écoles primaires sont supérieurs pour les sciences, mais il
estime, avec M. Delmas, que la plupart des membres du Conseil ne connaissent qu'un des aspects
de la question, suivant qu'ils appartiennent à l’enseignement primaire ou
secondaire. Il désirerait que cette question fût soumise à l'examen d'une
commission mixte.
Le Conseil décide néanmoins de clore la
discussion et de passer au vote et le Vœu suivant est adopté, par 9
voix contre 2 et 3 abstentions :
« Que les programmes et les méthodes
d'enseignement primaire soient appliqués intégralement dans les classes
primaires et élémentaires des établissements d'enseignement secondaire. »
Source : Bulletin
officiel de l'enseignement public, N°51, Juin 1905, 19ème année. p
818
Commentaires Hédi Bouhouch & Mongi
Akrout , inspecteurs généraux de l’éducation retraités et Brahim ben Atig
, professeur hors classe émérite .
Tunis , novembre 2017.
[1] Patrick Dubois, « Figures de l’école juste et politique
scolaire dans les années fondatrices de la Troisième République », Revue française de pédagogie [En ligne], 159 | avril-juin
2007, mis en ligne le 01 avril 2011, consulté le 29 janvier 2017. URL :
http://rfp.revues.org/646 ; DOI : 10.4000/rfp.646
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