dimanche 14 janvier 2018

Introduction aux projets de réformes éducatives [1]- Juin 72 : deuxième partie



Avant propos
Dès le départ du super ministre Ahmed Ben Salah en Novembre 1969  et le coup d’arrêt  de la politique des coopératives  , le gouvernement dirigé par Hédi Nouira  a lancé plusieurs chantiers  à la fois  dont celui de l’éducation, il  a constitué  dès  l’été 1970  pour  cela une commission ministérielle chargé « d’étudier les points faibles du système éducatif et d’introduire les améliorations adéquates » ,
parallèlement  le ministère de l’éducation nationale avait mis en place des commissions permanentes spécialisées qui ont été chargées de faire une étude approfondie du système éducatif , à la fin de leurs travaux ces commissions ont proposé des orientations pour une nouvelle réforme, elles ont aussi arrêté les mesures  à prendre pour  remédier aux défaillances qu’elles ont relevées[2] dans le système  
Le ministère a publié en juin 1972  un document de synthèse qui a essayé de reprendre les recommandations des commissions permanentes, le document fut intitulé : Préambule au projet  de réforme du système éducatif[3], vu la valeur  historique de  ce document le blog pédagogique a voulu   le reproduire pour ses lecteurs.   
Le document  commence par un bilan de la première décennie (les réalisations et les insuffisances) puis il reprend les objectifs  et les réformes présentés par les rapports des trois commissions  [4]

République Tunisienne
Ministère de l’éducation nationale

Introduction aux projets de réformes éducatives [5]
Juin 1972

Troisièmement : Résumé des principaux objectifs …… dans les rapports «  les grandes orientations » : essai d’évaluation de leur impact sur les coûts.

Premièrement : les réformes prévues dans l’enseignement primaire

Après un bref exposé de l’état actuel, et l’insistance sur le handicap ou le déficit provoqué par la réduction de l’horaire de l’enseignement  et de l’utilisation de la même salle de cours par deux classes d’un côté, et l’inadéquation des programmes avec la réalité tunisienne et le bilinguisme d’un autre côté, le rapport réservé aux orientations principales de la réforme de l’enseignement primaire a présenté une série de propositions qu’on peut grouper en deux grands types :
Le premier se rapporte au contenu de l’enseignement qui doit être conforme à la finalité fixée pour ce niveau (choix de la langue d’enseignement, les matières, les méthodes pédagogiques etc…)
Le deuxième type de propositions concerne les aspects techniques de l’enseignement primaire, et elles se résument dans :
1)   Le taux d’utilisation des salles : le rapport propose d’abandonner progressivement le système actuel de rotation, pour pouvoir augmenter les heures d’enseignement d’une part, et pour établir de meilleurs emplois du temps pour l’enseignant d’autre part ; ainsi on pourrait attribuer une salle pour chaque classe.
2)   Les heures d’enseignement : 4 hypothèses ont été proposées pour augmenter l’horaire à l’école primaire qui est estimée insuffisant actuellement, et qui est considéré comme la cause de la baisse du niveau à l’école primaire.
La direction de l’enseignement primaire penche vers l’hypothèse 3 qui propose la grille suivante : 20 heures hebdomadaires  pour la 1er et la 2ème année, au lieu de 15 h en 1er et 20 h en 2éme, et 30 heures hebdomadaires  pour les 3ème,   4ème, 5ème et 6ème, au lieu de 25 h actuellement ; cette hypothèse va engendrer des coûts supplémentaires, au cours de la prochaine décennie (en plus des coûts induits par l’évolution normale de l’enseignement primaire), le supplément peut être estimé à 7 millions de dinars à peu près pour les dépenses d’investissement, et environ 36 millions de dinars pour les dépenses de gestion.
Sachant que les dépenses d’investissement au niveau de l’enseignement primaire avaient atteint 26.700.000 Dinars au cours de la décennie écoulée.
3)   L’amélioration du niveau des enseignants : le rapport propose l’amélioration du niveau des enseignants du primaire, en agissant à l’amont, c'est-à-dire à l’entrée aux écoles normales (une meilleure sélection), mais aussi par l’amélioration des programmes de ces écoles et des salaires des instituteurs ; notons qu’on n’a pas encore calculer le coût de l’amélioration du niveau des salaires ; le rapport s’est limité à demander «  un effort graduel »  dans ce domaine, et il propose de mettre des logements gratuits à la disposition des enseignants dans le milieu rural.
D’autre part,  et tenant compte du rôle des directeurs des écoles primaires dans le domaine de l’animation pédagogique, il devient nécessaire de penser à revaloriser leur fonction par la création d’un corps spécifique.

Deuxièmement : les réformes proposées pour l’enseignement secondaire
Le rapport concernant les grandes orientations pour la réforme de l’enseignement secondaire comporte une analyse critique de l’état des lieux et les objectifs assignés à ce cycle ; ensuite il a proposé une nouvelle organisation du système éducatif plus adaptée à la réalité que les structures actuelles.
La nouvelle organisation est fondée sur la nécessité d’harmoniser l’enseignement secondaire général et l’enseignement secondaire technique, au niveau de la durée  d’une part,  et  d’autre part, sur la nécessité de réviser les contenus, de relever le niveau  des études, d’ajuster l’orientation des élèves en en fonction des besoins du marché de l’emploi.

On pourrait résumer les recommandations comme suit :
1.               Améliorer le niveau des élèves admis en première année de l’enseignement secondaire, et ce en appliquant le régime du concours d’entrée en 1er année d’une manière normale[6].
2.               La souplesse de l’orientation des élèves au cours de la scolarité afin de mieux exploiter toutes les opportunités.
3.               Améliorer les contenus de l’enseignement.
4.               Améliorer le rendement
5.               Relier d’une manière plus précise l’orientation des élèves vers les différentes filières et les sections et le marché de l’emploi.
6.               Tunisifier le cadre enseignant avec l’augmentation des salaires des professeurs et revalorisation des fonctions occupées par les directeurs des lycées et le corps de l’inspection pédagogique
7.               Réduire la taille des lycées
8.               Spécialiser les lycées
9.               Généraliser le régime de 7 ans
10.          Supprimer la section commerciale de l’enseignement professionnel
11.          Elargir le cadre de la section industrielle par la création de nouvelles spécialités en rapport avec les besoins du marché de l’emploi
12.          Améliorer le niveau des enseignants du secondaire (organisation des cycles de formation initiale et la formation continue et promotion des professeurs adjoints)

Concernant l’impact financier de ces mesures, il est difficile, à cette étape de la recherche, de présenter des estimations provisoires,  même à titre approximatif ; mais on peut, tout de même, attirer l’attention au fait que la tunisification du cadre enseignant,  qui devrait s’achever d’après les prévisions à la fin de la prochaine décennie, va entrainer une réduction  de la croissance des dépenses de gestion pour l’enseignement secondaire , bien que son effet sera limité si l’on  prend en considération  l’objectif d’amélioration des salaires des professeurs tunisiens.
Bien sûr que les autres mesures, comme la réduction de la taille des lycées,  vont entrainer une augmentation des frais  d’investissement et de gestion ; mais cela va s’accompagner par l’amélioration du rendement interne du système.

Troisièmement : les réformes proposées pour l’enseignement supérieur
Le rapport contient les grandes orientations de la réforme de l’enseignement supérieur ; il présente aussi une analyse critique de l’état des lieux à l’université, en ce qui touche les enseignants, les étudiants et les programmes ; enfin le rapport a essayé de rénover la mission de l’université, cette mission qui consiste à :
§    Former des cadres compétents capables de travailler et  de répondre aux exigences de l’économie moderne qui est en évolution continue.
§    Promouvoir une élite apte à tirer la nation vers la voie du progrès et de la civilisation
§    Promulguer des savoirs précis, innovants et conformes à l’époque
Ainsi, il n’est plus question de diffuser l’enseignement pour l’enseignement, ni de former des personnes qui savent tout ; autrement dit la question n’est plus une affaire d’amateurisme.

Et partant de ce constat, la nouvelle politique universitaire doit prendre en compte les cinq considérations (exigences) suivantes :
1.               Créer des structures administratives et pédagogiques adéquates
2.               Organiser l’accès à l’université sur de nouvelles bases.
3.               Concevoir des programmes d’enseignement et de recherche qui assurent aux étudiants une formation solide conforme aux besoins de l’économie et en harmonie avec le marché de l’emploi, le tout associé à la tunisification des cadres et de l’arabisation de certains secteurs d’une façon graduelle.
4.               Revoir radicalement la vie estudiantine : sa forme, son type afin que les étudiants puissent prendre conscience de leur véritable rôle et s’intégrer dans la réalité tunisienne, tout cela en développant chez eux le sens de la responsabilité.
Quant aux structures, en plus de celles qui existent actuellement, le projet  propose la création d’un poste de directeur de faculté qui sera responsable de la gestion administrative et financière, et la fonction de délégué général de l’université qui aura la mission de la présider.
5.               Revoir le mode de recrutement des enseignants du supérieur sur des nouvelles bases.
Au sujet du régime des études, le projet recommande clairement la création d’une année de pré orientation qui va constituer l’épine dorsale des nouvelles structures ; cette année de pré orientation sera organisée dans de grands centres régionaux ; elle doit déboucher sur trois types d’enseignement : un enseignement centré sur la recherche, un enseignement théorique et pratique, et un troisième enseignement lié au marché de l’emploi (cycle court).
L’année de pré orientation s’intègre dans le cadre de la création des études dédiées au domaine de l’orientation scolaire et universitaire ; ces études vont permettre de réaliser un type d’orientation qu’on pourrait qualifier « d’orientation élective », à la place de « l’orientation sélective »  à laquelle aboutit tout système éducatif contradictoire ; l’année de pré orientation sera aussi renforcée par des passerelles entre les trois types d’enseignement déjà cités, afin que chaque étudiant sente qu’il profite de tous les droits et de toutes les chances qui lui permettent de s’accomplir dans les meilleures conditions.
Sur le plan des structures, le rapport estime que la multiplication des instituts spécialisés est plus proche du bon sens, et il propose de diviser les facultés et les grands instituts et une réorganisation de l’année universitaire pour instaurer le régime du contrôle continu et l’intégration des étudiants dans les milieux économiques, sociaux et culturels.
Enfin, il faudrait, au moment de l’élaboration des programmes, prendre en considération la nécessité de faire acquérir aux étudiants les compétences et les aptitudes et leur inculquer les styles de travail conformes aux emplois qui les attendent ; ainsi on facilite leur insertion dans la réalité nationale.
Ceci dit, il serait difficile d’estimer les coûts des réformes proposées, comme c’est le cas pour l’enseignement secondaire ; d’ailleurs le projet propose de charger des commissions techniques pour approfondir la question, mais on peut, d’ores et déjà, considérer que l’organisation de l’année de pré orientation dans les régions et la multiplication des instituts spécialisés et l’insertion des étudiants dans la société par les stages,  tout cela va entrainer  sûrement une augmentation des dépenses d’investissement et de gestion. Il ne s’agit  guère  de remettre en question l’efficacité de ces mesures. D’ailleurs le projet reconnait « la nécessité de revaloriser la profession enseignante » (statut, la grille indiciaire, promotion) ; c’est sur cette base,  que le projet évoque l’amélioration graduelle de la situation matérielle des enseignants de l’enseignement supérieur, en augmentant les salaires de 30 à 40%, laquelle augmentation serait  couplée  d’une augmentation de l’horaire hebdomadaire.

Conclusion

En conclusion, on peut dire que le rappel des principaux objectifs et des principales recommandations  qui sont dans les rapports des grandes orientations de la réformes des trois cycles de l’enseignement, nous permet  d’insister sur la nécessité de faire de la prochaine décennie une période d’amélioration de la qualité et du produit interne du système éducatif ; il n’y pas de doute que cette amélioration va engendrer  une augmentation des coûts globaux, mais elle va entrainer nécessairement  une amélioration de l’efficacité du système éducatif ;  on entend par là l’augmentation de l’efficacité sur le plan social et économique, la question  centrale tourne autour de l’orientation que la collectivité doit choisir, en toute connaissance de cause, et si elle s’y engage avec toute la détermination, on doit prendre toutes les précautions et toutes les garanties pour éviter que le nouvel  effort exigé par la nation ne soit fourni en pure perte.

Il faudrait néanmoins faire remarquer que toute réforme qui se base sur  l’amélioration du niveau sera accompagnée d’une augmentation des coûts visibles ; mais cette augmentation  n’a pas de sens, si on la considère d’une façon  isolée, il faut  donc la faire correspondre avec le produit intérieur du système éducatif : nous savons qu’aujourd’hui que les lycées sont encombrés par une masse de redoublants, et qu’un taux  important de nos enfants restent  de longues périodes  supérieures aux périodes normales prévues dans les écoles primaires, dans  les lycées et dans les facultés ; aujourd’hui nous constatons que sur 100 étudiants inscrits à la faculté des sciences, seuls 8 d’entre eux obtiennent leur maitrise en 4 ans, 13 en 5 ans, et sur 100 étudiants inscrits dans la facultés des lettres,  seuls 14 obtiennent leur maitrise en 4 ans et 17 en 5 ans ; enfin sur 100 étudiants inscrits en faculté de droit, seuls 10 obtiennent leur maitrise en 4 ans et 7 en 5 ans ; à travers ces chiffres, on peut évaluer et on peut estimer les efforts que nous devons fournir au cours de la prochaine décennie, pour faire sortir le SE de l’impasse réelle dans laquelle il s’est retrouvé, sachant qu’on n’a pas le choix, il faut faire cet effort qui nécessite des dépenses supplémentaires,  qu’on ne peut pas estimer à ce stade, parce que les objectifs ne sont pas encore fixés.
  
Mais il est nécessaire de tracer, dès maintenant, les grandes lignes de notre politique éducative, afin de permettre aux différentes commissions techniques de transposer cette politique et de la traduire en objectifs précis et planifiés.
 Et avant de terminer cette introduction, il est de notre devoir de rappeler que la situation sociale, l’environnement familial, les aptitudes intellectuelles individuelles, le niveau de développement de notre pays, nos moyens financiers, nos choix économiques, et notre vision de la démocratie et de la vie ; tous ces facteurs qui semblent parfois contradictoires et antinomiques, nous devons essayer de les intégrer dans le cadre d’un SE authentique, innovant, cohérent et efficace. rs qui semblent parfois contradictoires on de la démocratie et de la vie ve

Et si nous considérons, à priori, que l’avenir de toute nation est aujourd’hui tributaire de la science et de la technique, nous devons impérativement développer ces deux branches, et mettre en place un système scolaire capable d’orienter le plus grand nombre d’étudiants compétents vers des études scientifiques et techniques ; ceci nous amène à remplacer le régime actuel d’orientation qui est un régime de type traditionnel par une orientation positive qui tiendrait compte des désirs des familles et des goûts des jeunes et de leurs aptitudes , en appliquant des critères objectifs d’évaluation qui soient le produit d’une observation organisée et continue qui vise la réduction du redoublement et qui doit permettre dans l’avenir de répondre aux demandes de tous les secteurs économiques, tout en évitant le risque d’un déséquilibre ; c’est ainsi qu’on pourra réaliser , demain, un développement cohérent pour la Tunisie.

Et pour terminer , faut-il rappeler que le SE n’a de valeur que par les hommes qui veillent sur sa bonne marche à tous les niveaux , et qu’il faut suivre une politique cohérente d’encouragement sain  du corps enseignant , comme il est aussi nécessaire de suivre une politique sage et organisée  d’amélioration continue du niveau.
Dans ce cadre, il faudrait achever la révision de l’ensemble des statuts des fonctionnaires du MEN ; il s’agit d’une œuvre de longue haleine que les services du ministère ont déjà entamée.
Fin du rapport.
Présentation et traduction Hédi Bouhouch & Mongi Akrout , inspecteurs généraux de l’éducation retraités et Brahim Ben Atig  Professeur Hors classe émérite.
Tunis , Octobre 2017.







[1] Le document a été imprimé par l’imprimerie du collège professionnel Bab al Alouj, Tunis ; le document ne précise pas son ou ses auteurs.
[2] Voir le document produit par le ministère de l’éducation nationale en Juin 1972  sous le titre :   «  rapport de synthèse : les grandes lignes de la réforme des structures de l’enseignement secondaire et de son organisation » imprimé et relié à l’école secondaire professionnelle de Bab Alouj , Tunis, 20 pages et plusieurs annexes ( tableaux  et graphiques)
[3] Le document se  trouve dans les archives du Ministère de l’éducation  sous le code   61 / تر .

[4] Voir le document produit par le ministère de l’éducation nationale en Juin 1972  sous le titre :   «  rapport de synthèse : les grandes lignes de la réforme des structures de l’enseignement secondaire et de son organisation » imprimé et relié à l’école secondaire professionnelle de Bab Alouj , Tunis, 20 pages et plusieurs annexes ( tableaux  et graphiques)
les grandes lignes de la réforme des structures de l’enseignement secondaire et de son organisation »
[5] Le document a été imprimé par l’imprimerie du collège professionnel Bab al Alouj, Tunis ; le document ne précise pas son ou ses auteurs.
[6]

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