« …l'Administration,
loin d'être opposée à toute réforme de l'enseignement arabe, se préoccupe de
le réorganiser et de l'améliorer, mais qu'il faut procéder avec la
plus grande prudence. Un premier pas a été fait, qui a son importance,
lorsque la Mederça Ettadibia, qui était un
véritable séminaire musulman est devenue une section d'un
établissement laïque… »
S.Charléty , Directeur général de l’enseignement public
Débat du Conseil
de l'Instruction publique (session ordinaire de 1909) ,B.O.I.P.
juin 1909 - n° 28 - 23e Année,
p 653
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Avant propos
Dès sa prise de fonction, au début du
mois d’octobre 1908 , le nouveau Directeur Général de l’enseignement
public S.Charletty a contribué à la publication d’un décret beylical[1] en date du 5 octobre 1908 relatif à la création d’une section indigène à
l’école normale des instituteurs alaouite à coté de la section française. Le 23
novembre 1908 , il constitua une commission chargée de présenter un
projet d’organisation de cette section
et de ses programmes , cette commission comprenait parmi ses membres deux éminents
réformateurs tunisiens : MM.Khairallah Ben Mustapha et Mohamed Lasram.
Les résultats de la commission chargée
de préparer les programmes de la nouvelle section des élèves mouderres ont été
présentés pour validation au conseil de l’instruction publique ( CIP) réuni en
session ordinaire le 28 mai 1909 ; Au cours de la séance d’ouverture de la
session, le Directeur Général de l’enseignement public a expliqué
aux membres du conseil les raisons de la création de la nouvelle
section en remplacement de la Mederça Ettadibia qui formait les Moueddebs pour
les Kouttebs, en mettant en avant les grands espoirs mis dans cette nouvelle
section pour relever le niveau de l’enseignement de la langue arabe selon les
méthodes modernes.
Vu la valeur de cet exposé et de sa
place dans l’histoire des institutions de formation des enseignants et leur organisation,
nous avons pensé le partager avec nos lecteurs.
v
L’exposé du Directeur
de l’enseignement public
Jusqu'en 1894, les
moueddebs, ou maîtres coraniques, attachés aux écoles franco arabes, étaient
pris un peu partout et ne présentaient pas les garanties de savoir et de
préparation indispensables. Il avait paru utile d'en améliorer le recrutement
qui laissait grandement à désirer. C’est dans cette intention qu'avait été
fondée la Mederça Ettadibia[2], Ecole normale de
moueddebs.
Or, cette institution,
appelée, selon toutes prévisions, à réaliser un sérieux progrès, n'a pas donné
les résultats que l'on en attendait : l'administration s'est souvent
trouvée dans l'impossibilité d'utiliser ces jeunes gens qu'elle avait tenté de
former à son usage.
Il était donc devenu
indispensable d'apporter une réforme radicale à la préparation des futurs moueddebs. Etait- il possible de la
réformer sur place ? Cette solution aurait eu l'avantage de ne pas
inquiéter l'opinion publique indigène. Mais, en raison des transformations
profondes apportées au fonctionnement du Collège Alaoui, il a paru
préférable, de fondre par la réunion des deux budgets les deux établissements
en une école normale modèle, avec deux sections distinctes. Cette fusion aura
eu du moins, pour heureux effets, d'abord de réduire les dépenses, et ensuite, en mettant en contact
nos futurs maîtres d'arabe avec nos futurs instituteurs, de leur donner
d'autres habitudes d'esprit. Ce fut l'objet du décret du 6 octobre 1908[3].
Les élèves de la Mederça Ettadibia
transportés au Collège Alaoui y achèvent leurs études dans la forme ancienne.
Il n'est pas question d'eux aujourd'hui. Il s'agit maintenant de créer cette
section nouvelle et de la pourvoir d'un programme nouveau. Tel est le motif
essentiel des dispositions du projet d'arrêté porté à la connaissance du
Conseil[4].
La modification même de
l’appellation de ces étudiants, devenue « élèves-mouderrès
» indique que notre objectif est quelque
peu différent de celui des fondateurs de
la Mederça Ettadibia. On s'est préoccupé, en effet, de faire face à deux
obligations, l'une primordiale et l'autre accessoire.
1° - Sans examiner, ce qui intéresse la politique
générale du Gouvernement du Protectorat et n'est pas du ressort de la
Direction de l'Enseignement ni du Conseil de l'Instruction publique, si
l'enseignement de la langue arabe doit être lié à l'enseignement du Coran et
dans quelle mesure, nous avons incontestablement le devoir d'enseigner leur
langue aux indigènes et nous ne pouvons nous borner leur apprendre le français.
Mais nous avons aussi le devoir d'employer, dans cet enseignement, d'autres
méthodes pédagogiques que celles — si l'on peut leur donner ce nom — qui ont
été en usage jusqu'à ce jour dans les centres de culture indigène, et, pour
cela, il nous faut réformer radicalement la préparation des futurs maîtres de
langue arabe.
2°- D'autre part — et ce point, bien que
secondaire, a son importance—l'administration de l'Enseignement, d'accord en
cela avec les instituteurs, a été frappée de la difficulté qui existe, au point
de vue pédagogique, pour donner l'enseignement en commun aux enfants
indigènes, et aux enfants français. Il y aurait donc
utilité, quand nos moyens nous le permettront, à créer des classes
préparatoires pour l'enseignement du français aux élèves indigènes,
quitte à les admettre à suivre les cours faits uniquement en langue
française, le jour ou ils seront en état de
le faire avec fruit.
Cette séparation momentanée serait également
avantageuse aux deux catégories d'élèves. Or, les futurs mouderrès, après une
sérieuse préparation au Collège Alaoui, seront en état de remplir en même temps
que les fonctions de professeur d'arabe, celles de professeur élémentaire de
français pour les jeunes indigènes, ils seront ainsi plus et mieux que de
simples maîtres coraniques et pourront servir d'aides aux Directeurs de nos écoles franco-arabes.
Nous nous sommes
trouvés, lorsqu'il s'est agi de passer à l'étude des programmes, en présence
d'une difficulté réelle. Il a été démontré qu'il était impossible, en trois
années de séjour à l'Ecole normale, de mener de front avec succès
l'étude suffisante de l'arabe et du français, en raison du temps considérable
qu'exige l'apprentissage, particulièrement ardu, de la langue arabe. Nous avons
essayé — comme le montrera le projet d'arrêté soumis aux
délibérations du Conseil — de supprimer la difficulté, en n'admettant au
concours d'entrée que des jeunes gens possédant des connaissances arabes
solides, acquises par les moyens" actuellement employés et par les
enseignements donnés traditionnellement à l'Université de la Grande
Mosquée. Nous nous bornerions, en ce qui concerne leur langue, à leur donner à
l'Ecole normale la méthode moderne et la culture pédagogique nécessaire.
La Grande Mosquée délivre à ses élèves
le diplôme du Taouia, sorte de brevet d'études coraniques et
philologiques. Cet examen, qui suppose de nombreuses années d'études se passe à
un âge trop avancé, pour que les candidats puissent, à part de très rares exceptions,
en être pourvus. Il a donc fallu lui substituer un certificat
d'études arabes constatées à la Grande Mosquée, sans préciser la durée de la
scolarité.
Ce système aura le double avantage de
dégager l'école normale d'un enseignement idéologique quelconque et de lui
fournir des élèves-mouderrès sachant la langue arabe et à qui il ne
conviendra plus que de donner une bonne méthode d'enseignement.
En résumé, l'étude de
la langue arabe à l'école normale aura surtout pour objet de
réformer, de rendre plus claire, d'aérer pour ainsi dire et de rendre
pédagogiquement utilisable la culture précédemment donnée en d'autres milieux.
La partie française du
plan d'études, plus développée, se rapproche des programmes en usage pour les
élèves de la section française. En consacrant la plus grande partie de l'emploi
du temps aux exercices en langue française, on s'est proposé non seulement de
préparer des maîtres indigènes de la force de nos meilleurs moniteurs (dont le
cadre, d'ailleurs restreint, parait appelé à disparaître), mais aussi de
modifier la mentalité de ces jeunes gens : l'étude du français, dans un milieu
français, contribuera sûrement à améliorer la pédagogie arabe ; les mouderrès
ainsi formés ne seront plus les mêmes hommes et n'opposeront plus les mêmes
obstacles que les anciens moueddebs à notre action civilisatrice.
En terminant cet
exposé, il convient de faire une observation au sujet des termes
de section française et section indigène, parfois employés pour
désigner les deux cadres d'élèves parallèlement institués à l'école normale.
Ces désignations peuvent prêter à une même équivoque : on pourrait croire que les rangs des
élèves-maîtres seront fermés aux jeunes Tunisiens, ce qui est loin de notre
pensée. Il parait donc préférable, comme on l'a fait dans le projet d'arrêté,
de désigner la nouvelle section sous le titre de section des
élèves-mouderrès, par opposition à la section des élèves-maîtres…
Après cette
allocution, le Président invite le Secrétaire à donner lecture des
dispositions projetées et la discussion s'engage immédiatement au fur et à
mesure de cette lecture: (
nous consacrerons une prochaine note pour présenter les dispositions de l’arrêté
et un compte rendu du débat)
Commentaire :
Le jugement était sans appel : Al Mederça Ettadibia « , n'a pas
donné les résultats que l'on en attendait » , le Directeur
général de l’enseignement entame une véritable plaidoirie , énumérant les raisons de la
décision du transfert de la formation des mouebbeb à l’école normale, il
évoque tout d’abord des raisons financières :
« Cette fusion aura eu du moins, pour heureux effets, d'abord de réduire
les dépenses » puis il avança les
raisons pédagogiques tel que
l’objectif de « réformer radicalement la préparation des futurs maîtres
de langue arabe. » et de
« préparer des maîtres indigènes de la force de nos meilleurs
moniteurs …, l'étude du français, dans un milieu français, contribuera
sûrement à améliorer la pédagogie arabe » et à « leur donner à l'Ecole normale la
méthode moderne et la culture pédagogique nécessaire. » ainsi «
Les futurs mouderrès, après une sérieuse préparation au Collège Alaoui,
seront en état de remplir en même temps que les fonctions de professeur
d'arabe, celles de professeur élémentaire de français pour les jeunes
indigènes, ils seront ainsi plus et mieux que de simples maîtres
coraniques » , mais derrière tous
ces objectifs fort louables , il y avait un autre objectif plus important peut être pour les autorités
du protectorat qui visait le « formatage » des futurs
maitres qui seront chargés d’enseigner l’arabe dans les écoles publiques ,
Charléty parle « de modifier la mentalité de ces jeunes gens et de leur donner d'autres habitudes
d'esprit … »
d’ailleurs à la fin de son discours il
exprime cet objectif dans des
termes sans équivoques « les mouderrès ainsi formés ne seront plus les
mêmes hommes et n'opposeront plus les mêmes obstacles que les anciens
moueddebs à notre action civilisatrice ».
« Le développement de la section des élèves-mouderrès, créée donc en octobre 1909, s’est poursuivi
régulièrement. En octobre 1911 elle atteint sa 3e année et en octobre 1912
la première promotion des élèves-môuderrès formée à l'Ecole Normale de
Tunis faisait son entrée en fonction,
et furent chargé de l'enseignement de
l'arabe et du français dans les écoles franco-arabes,
L’appellation élèves-môuderrès fut remplacée dans un premier temps en 1948 [5]
par celle d’élèves-maitres de langue arabe et de élèves- maitresse de langue
arabe , dans un deuxième temps ( en 1953[6])
une nouvelle organisation de l’école normale de Tunis qui comprenait deux
sections , une section de langue française et une section de langue arabe avec
deux sous sections : la sous section A qui forme des instituteurs
bilingues et la sous section B qui
forme des instituteurs de langue arabe.
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Présentation et commentaire Hédi bouhouch & Mongi Akrout, Inspecteurs
généraux retraités et Brahim ben Atig , professeur hors classe émérite
Tunis , mars 2015
Annexe : Décret du 5
octobre 1908 (9 ramadhan 1326)
Louanges à Dieu
Nous, Mohammed Ennacer Pacha Bey, Possesseur
du royaume de Tunis,
Vu le décret du 6 mai 1883
Vu le décret du 9 novembre 1894
Avons pris le décret suivant :
Article premier. — Il est créé à l'Ecole Normale du Collège
Alaoui une section indigène destinée à former des instituteurs capables
d'enseigner le Coran, la langue arabe et les éléments de la langue française.
ART. 2. - La Medersa de Moueddebs
dite Et Tadibia est réunie à cette section indigène.
ART. 3. - Le décret de 8 novembre 1894, organisant la Medersa Et Tadibia,
est abrogé.
ART, 4. - Le Directeur de l'enseignement est chargé de l'exécution du
présent décret, ainsi que de la rédaction du programme d'études et du
règlement intérieur de la nouvelle section créée au Collège Alaoui.
Vu pour promulgation et
mise à exécution,
Tunis, le 5 octobre
1908
Le Délégué
à la résidence générale de la République Française,
HENRY DALLEMAGNE.
Source : BOEP N° 23 octobre 1908 - 21° année
[2] Il s’agit de
l’école Al Asfourya située près de la
grande Mosquée de Tunis qui fut fondée
en 1894 pour former les Moueddeb , elle fut transérée - en 1900 - dans son nouveau local sise Rue Al Pacha
[3] Il s’agit du décret qui créa la section des
élèves mouderes dans l’école alouite ,
l’idée revient au directeur général de l’enseignement public S.Charletty , voir
BOEP , N° 23 , octobre 1908 , pp
485et 486.
[4] Il s’agit du CIP réuni
en session ordinaire les 28 et 29 mai 1909
sous la présidence du Directeur général de l’enseignement public pour étudier la réforme de l’enseignement primaire
et le régime de la formation des instituteurs à l’école Alaouite.
[5] Circulaire du 28 avril 1948 relative au
concours d’entrée aux écoles normales de Tunis en 1945 . B.O.I.P. Janvier
-juin 1948, n°18- 62e année, p108-110
[6]
Règlement de l’école normale du
11 juillet 1951 et Circulaire du 10
février 1953 relative au rôle et à l’organisation de l’école normale de Tunis. B.O.I.P. Janvier -février ,mars 1953 , n°11- 67e année, p57-61
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