Ces derniers jours le ministère de l’éducation tunisien avait publié une circulaire[1] « à propos de
l’interdiction de la séparation entre les sexes dans les classes et les
différents espaces éducatifs », cette circulaire est venue après que
« le Ministre en personne ait constaté des transgressions dans ce domaine
qui nécessitent qu’on s’y oppose en imposant le respect des dispositions
organisant la vie scolaire et en consacrant le principe de l'égalité entre les sexes "
. La circulaire qui est la première du genre consacrée à cette question a soulevé beaucoup de commentaires où le vrai et le faux se côtoient; nous avons voulu consacrer le billet de cette semaine à la question pour l'histoire de la question de la mixité à l'école tunisienne.
. La circulaire qui est la première du genre consacrée à cette question a soulevé beaucoup de commentaires où le vrai et le faux se côtoient; nous avons voulu consacrer le billet de cette semaine à la question pour l'histoire de la question de la mixité à l'école tunisienne.
Au début la mixité était limitée
une classe du collège Sadiki qui remonte à 1910 ( Wikipédia) |
Le plus ancien
règlement scolaire en Tunisie qui remonte à la fin du dix neuvième siècle
(rédigé à Tunis le 20 décembre 1886) avait traité la question de la mixité ,
son article deux avait admis la mixité limitée , en effet il stipulait que " les enfants des deux sexes
pourront être admis dès l'âge de quatre ans dans les écoles de filles; ils
formeront une classe enfantine. " mais
il précise que "tout garçon,
après l'âge de cinq ans, ne pourra plus
être accepté dans une école de filles, à moins qu'il n'y ait pas, dans la
localité, d'établissement spécial pour les garçons et que
dans tous les cas, un garçon âgé de plus de sept ans ne pourra être reçu
dans une école de filles."[2]
En 1888 la première loi
sur l'enseignement dans la régence de TUNIS
avait autorisé l'existence d'école mixte privée mais cela nécessite une
autorisation spéciale du directeur de l'instruction publique.
En 1906 un amendement
du règlement scolaire de1886 a décidé
· d'abaisser
l'âge d'admission des enfants des deux sexes dans les écoles
maternelles à l'âge de 3 ans
· de
n'accepter les garçons dans les écoles de filles que jusqu'à l'âge de 6 ans;
· de permettre
à l'inspecteur d'autoriser des dérogations à cette dernière règle c'est à dire que les garçons
pourraient poursuivre leur scolarité
dans des écoles de filles même au delà de l'âge de six ans[3]
En 1923 un nouvel
amendement a assoupli les conditions de la mixité (ART. 2. ) , désormais " les écoles et
les classes enfantines reçoivent, en principe, les enfants des deux sexes de
quatre à sept ans; les écoles
maternelles les reçoivent de deux à six ans
et dans les écoles de filles "pourront admettre les garçons jusqu'à un âge fixé par
autorisation spéciale de l'Inspecteur primaire".[4]
Les écoles coraniques modernes : de l'interdiction à la
permission conditionnée
le
premier texte organisant les écoles coraniques modernes qui remonte à l'année
1938[5] a traité la question de la
mixité en la prohibant d'une manière catégorique, son article 28 stipule "
qu'il est interdit aux directeurs des écoles coraniques de garçons d'accepter
des élèves filles " , le décret de
1944 qui l'a remplacé a confirmé l'interdiction dans l'article 7 qui reprend la même formule en y ajoutant les
écoles coraniques de filles" " il est interdit aux directeurs des
écoles coraniques de garçons d'accepter des élèves filles dans leur école et vice versa "
le nouveau décret de 1953
qui a remplacé [6] le décret de 1944 s'il a
maintenu le principe de l'interdiction (son article 17 dit " qu'il est
interdit au directeur de l'école coranique de garçons d'accepter les filles
comme élèves dans leur école), il l'avait néanmoins assoupli en ouvrant une
brèche qui permet aux filles d'accéder aux écoles coraniques de garçons sous
certaines conditions: il faudrait "qu'il n'y ait pas d'école sur place une
école franco arabe de filles ou une école coranique de filles moderne "
dans ce cas uniquement il est permis
d'accepter les filles âgées au moins de
six ans sur la demande de leurs parents , ces filles ne peuvent pas rester à
l'école au delà de 12 ans, sachant que cette autorisation sera retirée dès
l'ouverture d'une école franco arabe de filles ou une école coranique de filles
moderne sur place"
La réforme de 1958: Ambiguïté et contradiction dans les textes
la loi de l'enseignement
de 1958 n'a pas traité la
question de la mixité d'une manière licite laissant la question aux textes d'application ( décrets et
arrêtés) qui l'ont fait dans la même lignée que les textes de l'époque du
protectorat
Le premier texte
qui a évoqué la question fut le décret de 1961 relatif
à l'organisation de l'enseignement primaire , ce premier décret fondateur reconnait
la coexistence de trois types d'écoles primaires dans l'article premier à
savoir des écoles de garçons, des écoles de filles et des écoles mixtes, on
peut en déduire si le décret consacre des écoles différentes pour chaque sexe ,
il autorise la mixité puisque il reconnait clairement l'existence d'écoles primaires mixtes, ce choix peut s'expliquer par le
contexte de l'aube de l'indépendance (le manque de moyens matériels et humains pour
assurer la séparation des deux sexes partout dans le pays,
ce qui avait amené le gouvernement à admettre la mixité surtout que le nombre des filles
restait modeste dans certains milieux où les
parents hésitaient à envoyer leurs filles à l'école)
ce
décret fut suivi en 1964[7] par un arrêté qui a
conservé la même typologie des écoles primaires mais il a ajouté dans le
deuxième aliéna de l'article 17 une
nouvelle donnée qui n'existait pas dans le décret de 1961 encore en vigueur , cette donnée
interdisait la mixité , en effet on y lit " dans les écoles primaires de
garçons ou dans les écoles primaires de filles , l'inscription des élèves de
l'autre sexe ne peut avoir lieu qu'à titre exceptionnel et sur autorisation
spéciale de l'inspecteur primaire"
De
tout ce qui précède. on pourrait déduire que durant la période coloniale et au
début de l'indépendance la séparation entre les filles et les garçons était la
règle à partir d'un certain âge , alors que la mixité était l'exception au niveau des textes règlementaires mais en
réalité la mixité commençait à être pratiquée dans les faits surtout depuis
l'entrée en vigueur de la réforme de 1958.
La fin des années soixante: changement de politique et
orientation vers la généralisation de la mixité
En
1967 une grande opération d'évaluation de la première décennie de la réforme de
l'enseignement fut confiée à la
commission nationale pour l'enseignement , à la fin de ses travaux elle a
présenté une série de recommandations , l'une d'entre elles intéresse la
question de la mixité , la commission a recommandé " l'extension de la
mixité aux quatre premières années de l'école primaire ( les élèves de la 4°
ont alors au moins 10 ans), cette décision fut annoncée par le secrétaire
d'état Mahmoud Messadi dans une conférence de presse à l'occasion de la rentrée
scolaire 1967/1968.
cette option fut confirmée par le successeur de
M.Messadi , Ahmed Ben Salah qui a décidé que dès la rentrée 1968/69 les anciennes appellations des écoles primaires qui les
distinguent selon le sexe des élèves seront supprimées et remplacées par une
appellation unique, elles s'appelleront désormais les écoles de premier cycle ,
le nouveau secrétaire d'état avait annoncé dans l'un de ses discours
ceci:" il faut généraliser la mixité et mettre fin à la distinction dans
les appellations , il n'y aura plus dès ce jour d'écoles pour garçons et autres
pour les filles et des troisièmes mixtes"[8]
- La
suppression, à partir du 1er octobre 1968, des anciennes
appellations :
écoles de garçons, écoles de filles et écoles mixtes, désormais les écoles
seraient appelés « école du premier degré »[9] dans le cadre de
l’extension de la mixité qui a commencé déjà en octobre 1967 en application à
une recommandation de la commission nationale de l’enseignement[10].
La question a été
évoquée par M° Mde Hédi Khlil dans son ouvrage[11] qui occupait à cette
époque le poste de Directeur régional de l’enseignement de Nabeul , il a écrit
ceci « …il y a eu au cours de cette
courte période ( Juillet et Août 1968) la généralisation de la mixité dans
toutes les écoles primaires et l’abandon des anciennes appellations … ce fut
une tâche ardue qui a nécessité de la part de tous les responsables un effort
colossal pour l’achever avant la rentrée scolaire en application de la décision
du Ministère, ce fut une décision aussi importante que les acquis qui ont été
réalisés au profit de la femme grâce au
Code du statut personnel « CSP »,
promulguer le 13 août 1956 par
Habib Bourguiba.
Ce fut un changement important dans le système
éducatif tunisien et une rupture avec l’héritage colonial et un pas géant sur
la voie de l’égalité entre les sexes par l’école.
Depuis la Mixité est devenue une réalité
et elle est entrée dans les mœurs à l'instar de ce qui se fait dans le monde (
à l'exception de quelques pays) , mais ces dernières années et surtout depuis
2011 certains enseignants imposent pour des raisons idéologiques une séparation
des élèves de la même classe en réservant des rangées ou des bancs pour les
garçons et d'autres pour les filles , il
y a eu même des voix qui s'élèvent
contre la mixité; "le président du
Centre d’études sur l’islam et la démocratie (CSID), ... a appelé à une refonte
totale du système éducatif et préconisé la séparation entre les filles et les
garçons arguant que des études démontrent que les établissements non
mixtes affichent de meilleurs résultats".[12] , et c'est
peut être ce courant insidieux qui a poussé le ministère à réagir pour le
stopper avant qu'il ne devienne un fléau.
Hédi bouhouch , Mongi Akrout Inspecteurs
généraux de l’éducation, et Brahim Ben Atig, Professeur Principal émérite.
Tunis , Février 2017
Articles et études sur la question
La lente introduction de la mixité dans le système éducatif
français : brève chronologie Novembre 2010
La mixité scolaire : l’opinion et la gestion de la mixité de 6
enseignants du CYP2
Ministère de l’éducation nationale
- La mixité sociale à l’école et au collège - Rapport
au Ministre de l’Éducation nationale présenté par Jean
Hébrard - Mars 2002
La lente introduction de la mixité dans le système éducatif
français : brève chronologie Novembre 2010
- Académie de Créteil
[1] Circulaire 8-1-2018 portant interdiction de la séparation des
deux sexes dans les classes et dans les différents espaces éducatifs.
[3] Bulletin officiel de la direction générale l’instruction publique et des beaux-arts N°5 ; juin 1906
[4] Bulletin officiel de la direction
générale l’instruction publique et des beaux-arts
N°13 ; Mai juin 1923
[5] Décret beylical relatif aux écoles
coraniques modernes dans le royaume tunisien en date du 28 juin 1938
[6] Décret du 15 octobre 1953 (6 SFAR 1373)
fixant le statut des écoles coraniques, BOIP janvier février mars 1954 - N°14 - 68
ème année
[7] Arrêté du secrétariat d'état à
l'éducation nationale du 25/1/1964 portant règlement Scolaire des
établissements d'enseignement primaire
[11]
محمد
الهادي خليل ، اسهامات و مواقف ( في المسار التربوي و المجالين السياسي و التربوي
1961- 2003 –كلمة للنشر و التوزيع
[12] http://www.jeuneafrique.com/298922/politique/tunisie-fermeture-ecoles-coraniques-ne-beneficiant-dautorisation/
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