Hédi BOUHOUCH |
Cette semaine , le blog pédagogique cède la parole à M° Oussama Béjaoui, inspecteur général des collèges et des lycées qui donne son avis sur la pertinence des collèges et des lycées pilotes dans le paysage éducatif tunisien.
Cet été , la
question des collèges et des lycées pilotes a occupé les médias suite à la
décision du Ministère de l'éducation de se tenir aux conditions d'accès à ce
types d'établissements fixées par les
deux circulaires ministérielles, cette décision a provoqué des réactions
diverses , entre ceux qui ont applaudi la décision , il est vrai qu'ils était
minoritaires et ceux qui l'ont condamnée, des associations et le syndicat [1]
par voie de communiqués[2] et les parents par des sit-in[3]
des devant le siège du ministère et même devant le siège du gouvernement.
Cette situation est la conséquence des mauvais
résultats de cette année , puisque les places prévues n'ont pas pu être
remplies ainsi sur 3.725 places prévues pour les collèges
pilotes seules 1.660 élèves ont été pourvues soit un taux de satisfaction de 42.9% , c'est presque le même taux enregistré pour les lycées pilotes( 43.3%) puisque 1.364
élèves seulement ont été orientés cette année aux 26 lycées pilotes
alors que la capacité d’accueil était de 3.150 places.
Cela veut dire qu'il n'y avait assez de candidats
qui ont obtenu une moyenne au concours supérieur dans un grand nombre de
régions, cela dénote d'une baisse des performances par rapport à l'année
précédente ( 2016/2017) au cours de
laquelle on a enregistré le chiffres suivants:
§ pour les collèges
pilotes: 4691 élèves avaient obtenus une moyenne égale ou supérieure à 15[4].parmi
eux 3497 ont été affectés dans des 26 collèges pilotes dont la capacité fixée
par la circulaire pour l'année scolaire 2017/208 était de 3800
places soit un
taux de couverture de 92,02%, on est loin du taux de cette année.
§ pour les lycées
pilotes:2647 avaient obtenus une moyenne égale ou supérieure à 15 dont 2511
ont été affecté dans l'un des 23 lycées
pilotes dont la capacité fixée par la circulaire[5] pour l'année scolaire 2017/2018 était de 3175
places ce donne un taux de couverture de 79,08%, on est loin du taux de cette
année.
Mais si on remonte à 2007
, année de la première session du concours
( il y avait 6collèges pilotes seulement) la moyenne des derniers reçus était 16.55 pour le collège de Bizerte et 17.65
pour le collège d' El Menzah 6), 2208 élèves ont été affectés.
Il est indéniable qu'il y a une chute des performance des
élèves , qui fut suivi d'une baisse du niveau d'exigence dans plusieurs
lycées et collèges pilotes , et certaines années on a du descendre à la moyenne de 14 sur
20 pour faire le plein , ce qui n'a
pas manqué de se répercuter sur les résultats de ces institutions
d'excellence[6] .
Ces résultats ont donné
l'occasion aux anti institutions pilotes de demander leur
suppression , le ministre Ben
Salem lui même s'est dit contre
l’existence de lycées et collèges pilotes
lors d’une séance plénière tenue ce vendredi 20 juillet à l’Assemblée
des représentants du peuple (ARP).
C'est cette même position que défend l'inspecteur général des
collèges et des lycées Oussama Bjaoui
dans un post qu'il avait publié au mois d'août dernier , et il nous a autorisé à le publier.
Le blog pédagogique
|
La dernière décision du
ministre de l’éducation M . Hatem Ben Salem de refuser l’accès aux
collèges et lycées pilotes aux élèves qui n’ont pas obtenu une moyenne égale ou
supérieure à quinze sur vingt a surpris plus d’un et n’a pas manqué de susciter
le dépit et la frustration de nombre de parents qui ont longtemps rêvé et souhaité
que leur progéniture intègrent les rangs de ces établissements garants de réussite
et d’excellence.
En somme, ce qui a
longtemps été un rêve s‘est transformé cette année hélas en cauchemar et
colère. Beaucoup de familles et d’observateurs remettent en question la conception
des concours nationaux aussi bien en sixième qu’en neuvième d’être à l’origine
des résultats scolaires qui demeurent largement en dessous des attentes et des
aspirations tant des parents que de l’institution.
Il convient de rappeler à ce propos que cette décision ne fait qu’appliquer
scrupuleusement la réglementation qui régit les conditions d’accès aux
établissements pilotes.
Du bien fondé de la notion
de « pilote »
Au-delà de la décision et
de ces tenants et aboutissants, nous pensons que cette polémique doit servir à
ouvrir un débat national sur ce qu’on est convenu d’appeler collèges et lycées
pilotes. En principe, le label pilote sous-entend que ces établissements
répondent à un ensemble de standards et de critères qui garantissent la qualité
de l’enseignement dispensé au sein de ces locaux. Ces critères concernent la
plupart des variables qui déterminent en règle générale la réussite du
processus d’enseignement / apprentissage. Mais est-ce souvent le cas ?
Cela étant, en abordant ce
sujet, on ne peut s’empêcher de comparer
ces établissements dits d’excellence aux autres non labélisés et qui
constituent le gros lot de l’école publique. Commençons par les chefs
d’établissements qui sont affectés à la direction de ces établissements, ils
sont souvent recrutés parmi les directeurs qui ont déjà exercé dans des
établissements ordinaires .Il n’ y a pas à ce jour à notre connaissance un
référentiel définissant un profil type
des directeurs appelés à exercer à la tête de ces établissements.
Le plus souvent, ce sont
les aléas d’un mouvement qui fait qu’un tel demande et obtient d’être nommé à
la tête d’un établissement dit pilote. Il y a même des cas où un enseignant à
deux ans de la retraite souhaitant quitter la classe est nommé de but en blanc
directeur d’un collège pilote. Idem de l’infrastructure qui n’a rien elle aussi
de « pilote », certains établissements pilotes sont logés dans des
bâtiments vétustes qui ne satisfont guère aux critères d’excellence en matière
d’infrastructure.
Par ailleurs, les
programmes officiels, retenus pour l’enseignement dans ces établissements ,
n’ont eux aussi rien d’excellent, étant donné qu’il s’agit des mêmes programmes
enseignés dans les établissements ordinaires. Au niveau des examens nationaux,
là aussi, ces mêmes élèves passent les mêmes épreuves que les autres candidats.
Qu’en est-il maintenant
des enseignants qui exercent dans ces établissements ? Sont-ils
foncièrement différents de leurs collègues travaillant dans les établissements
ordinaires ?
Certes, l’administration
veille à ce que seuls les enseignants compétents et méritants puissent exercer
dans ces établissements mais les exceptions demeurent et puis, il y a beaucoup
d’enseignants aussi compétents et méritants qui travaillent dans des
établissements « ordinaires » et à qui revient la lourde responsabilité
de former les élèves qui postulent pour ces établissements dits pilotes. Ne
leur enlevons pas leur mérite.
Reste maintenant la
question essentielle des élèves, c’est vrai là aussi que ceux qui rejoignent
ces établissements pilotes sont des élèves doués et disposent d’un fort
quotient intellectuel, mais il n’en demeure pas moins vrai aussi que tous les
élèves doués et disposant d’un puissant quotient intellectuel, pour différentes
raisons, ne vont pas poursuivre leurs études dans les établissements pilotes.
Des élèves même de collèges pilotes estampillés élèves brillants échouent dans
le concours de neuvième à intégrer le lycée pilote là où leurs camarades des
collèges ordinaires réussissent haut la main.
.
Conclusion
De part mon métier, je
peux affirmer qu’il y a autant d’élèves et enseignants brillants dans les établissements
ordinaires que dans les collèges et lycées pilotes. Dans un état qui se
respecte et qui a toujours misé sur le capital humain, la distinction entre établissements
pilotes et établissements ordinaires n’a pas lieu d’être, en l’occurrence, c’est
tout notre enseignement qui doit être pilote en
termes de cadre administratif et éducatif, d’infrastructures, de
programmes, de méthodes d’enseignement, etc.
L’état à qui il incombe la
responsabilité d’éduquer et d’enseigner doit œuvrer en conséquence à garantir
les mêmes conditions de travail et d’excellence à tous les élèves. Aujourd’hui,
avec toutes les difficultés que connaît notre système éducatif, il serait temps
de reconsidérer cette expérience et d’ envisager l’option de laisser ces élèves
poursuivre leurs études dans les établissements ordinaires afin qu’ils jouent
pleinement le rôle de locomotive et favoriser un nivellement par le haut, la
peur aujourd’hui est que les établissements pilotes continuent à leur corps
défendant d’appauvrir les établissements ordinaires et de les vider de
ressources humaines dont l’apport est incontestablement inestimable. Le système
actuel ne fait qu’aggraver une situation déjà largement compromise.
Oussama Bejaoui
Inspecteur général des écoles préparatoires et des lycées.
Présentation Mongi Akrout, Inspecteur général de l'éducation & Brahim Ben Atig Professeur émérite.
Tunis, octobre 2018.
Pour accéder à la version AR, cliquer ICI
[1] La Fédération générale de l’enseignement
secondaire a appelé dans un communiqué publié mardi 17 juillet le ministère de
l’Education à revenir sur sa décision concernant la moyenne minimale d’admission
aux établissements pilotes fixée à 15 sur 20.
[2] L’Organisation
tunisienne pour l’éducation et la famille (OTEF) et l’Association tunisienne
pour l’éducation de qualité ont appelé, lundi 16 juillet, à une mesure
exceptionnelle permettant aux élèves lauréats l’accès aux collèges et lycées
pilotes ou à une session de rattrapage exceptionnelle au début de septembre
prochain.
[3] Des parents d’élèves ont observé, samedi
14 juillet, un sit-in à la Place de La Kasbah pour protester contre le maintien
par le ministre de l’Education du seuil de 15/20 comme moyenne minimale exigée
pour l’admission dans les établissements pilotes, en dépit du fait que le
nombre des admis n’a pas atteint la moitié des postes
[4] Le Ministre
Khalbous dans une décision surprenante a
ordonné d'accepter tous ceux qui le désiraient d'intégrer le collège pilote
même si cela dépasserait les places prévues.
[5] circulaire 3-8-2016 du
17 février 2016.relative à l'accès au lycées pilotes au début de l'année
scolaire 2016/2017.
[6], le ministre de
l’Education, Hatem Ben Salem a déclaré
le 28 juillet 2018 à une radio que 2770 élèves ont été renvoyés des
lycées et collèges pilotes car ils n’ont pas obtenu la moyenne de 12 sur 20 en ajoutant
que "malheureusement,
la médiocrité qui régnait dans les établissements scolaires publics s’est
également répandue dans les établissements scolaires pilotes »
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