lundi 8 octobre 2018

Collèges et lycées pilotes entre mythe et réalité




Hédi BOUHOUCH
Cette semaine , le blog  pédagogique cède la parole à M° Oussama Béjaoui, inspecteur général des collèges et des lycées  qui donne son  avis sur la pertinence des collèges et des lycées pilotes dans le paysage éducatif tunisien. 



 Cet été , la question des collèges et des lycées pilotes a occupé les médias suite à la décision du Ministère de l'éducation de se tenir aux conditions d'accès à ce types d'établissements  fixées par les deux circulaires ministérielles, cette décision a provoqué des réactions diverses , entre ceux qui ont applaudi la décision , il est vrai qu'ils était minoritaires et ceux qui l'ont condamnée, des associations et le syndicat [1] par voie de  communiqués[2] et les parents  par des sit-in[3] des devant le siège du ministère et même devant le siège du gouvernement.
Cette situation est la conséquence des mauvais résultats de cette année , puisque les places prévues n'ont pas pu être remplies  ainsi sur  3.725 places prévues pour les collèges pilotes seules 1.660 élèves ont été pourvues soit  un taux de satisfaction  de 42.9% ,  c'est presque  le même taux enregistré  pour les lycées pilotes( 43.3%)  puisque   1.364 élèves seulement  ont été orientés  cette année aux 26 lycées pilotes alors  que la capacité d’accueil  était de 3.150 places.
Cela veut dire qu'il n'y avait assez de candidats qui ont obtenu une moyenne au concours supérieur dans un grand nombre de régions, cela dénote d'une baisse des performances par rapport à l'année précédente ( 2016/2017)  au cours de laquelle on a enregistré le chiffres suivants:
§  pour les collèges pilotes: 4691 élèves avaient obtenus une moyenne égale ou supérieure à 15[4].parmi eux 3497 ont été affectés dans  des  26 collèges pilotes dont la capacité fixée par la circulaire   pour l'année scolaire 2017/208 était de 3800 places soit    un taux de couverture de 92,02%, on est loin du taux de cette année.
§  pour les lycées pilotes:2647 avaient obtenus une moyenne égale ou supérieure à 15 dont 2511 ont été affecté dans l'un des  23 lycées pilotes dont la capacité fixée par la circulaire[5]   pour l'année scolaire 2017/2018 était de 3175 places ce donne un taux de couverture de 79,08%, on est loin du taux de cette année.
Mais si on remonte  à 2007 , année de la première session du concours  ( il y avait 6collèges pilotes seulement)  la moyenne des derniers reçus était  16.55 pour le collège de Bizerte et 17.65 pour le collège d' El Menzah 6), 2208 élèves ont été affectés.
Il est indéniable qu'il y a une chute des performance des élèves , qui fut suivi d'une baisse du niveau d'exigence dans plusieurs lycées et collèges pilotes , et certaines années  on a du descendre à la moyenne de 14 sur 20  pour faire le plein , ce qui n'a pas manqué de se répercuter sur les résultats de ces institutions d'excellence[6] .
Ces  résultats ont donné l'occasion aux anti institutions pilotes de demander  leur  suppression ,   le ministre Ben Salem lui même s'est dit  contre l’existence de lycées et collèges pilotes  lors d’une séance plénière tenue ce vendredi 20 juillet à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP).
C'est cette même position que défend l'inspecteur général des collèges et des lycées  Oussama Bjaoui dans un post qu'il avait publié au mois d'août dernier ,  et il nous a autorisé à le publier.
Le blog pédagogique

La dernière décision du ministre de l’éducation M . Hatem Ben Salem de refuser l’accès aux collèges et lycées pilotes aux élèves qui n’ont pas obtenu une moyenne égale ou supérieure à quinze sur vingt a surpris plus d’un et n’a pas manqué de susciter le dépit et la frustration de nombre de parents qui ont longtemps rêvé et souhaité que leur progéniture intègrent les rangs de ces établissements garants de réussite et d’excellence.
En somme, ce qui a longtemps été un rêve s‘est transformé cette année hélas en cauchemar et colère. Beaucoup de familles et d’observateurs remettent en question la conception des concours nationaux aussi bien en sixième qu’en neuvième d’être à l’origine des résultats scolaires qui demeurent largement en dessous des attentes et des aspirations tant des parents que de  l’institution. Il convient de rappeler à ce propos que cette décision ne fait qu’appliquer scrupuleusement la réglementation qui régit les conditions d’accès aux établissements pilotes.
Du bien fondé de la notion de « pilote »
Au-delà de la décision et de ces tenants et aboutissants, nous pensons que cette polémique doit servir à ouvrir un débat national sur ce qu’on est convenu d’appeler collèges et lycées pilotes. En principe, le label pilote sous-entend que ces établissements répondent à un ensemble de standards et de critères qui garantissent la qualité de l’enseignement dispensé au sein de ces locaux. Ces critères concernent la plupart des variables qui déterminent en règle générale la réussite du processus d’enseignement / apprentissage. Mais est-ce souvent le cas ?  
Cela étant, en abordant ce sujet, on ne peut  s’empêcher de comparer ces établissements dits d’excellence aux autres non labélisés et qui constituent le gros lot de l’école publique. Commençons par les chefs d’établissements qui sont affectés à la direction de ces établissements, ils sont souvent recrutés parmi les directeurs qui ont déjà exercé dans des établissements ordinaires .Il n’ y a pas à ce jour à notre connaissance un référentiel  définissant un profil type des directeurs appelés à exercer à la tête de ces établissements.
Le plus souvent, ce sont les aléas d’un mouvement qui fait qu’un tel demande et obtient d’être nommé à la tête d’un établissement dit pilote. Il y a même des cas où un enseignant à deux ans de la retraite souhaitant quitter la classe est nommé de but en blanc directeur d’un collège pilote. Idem de l’infrastructure qui n’a rien elle aussi de « pilote », certains établissements pilotes sont logés dans des bâtiments vétustes qui ne satisfont guère aux critères d’excellence en matière d’infrastructure.
Par ailleurs, les programmes officiels, retenus pour l’enseignement dans ces établissements , n’ont eux aussi rien d’excellent, étant donné qu’il s’agit des mêmes programmes enseignés dans les établissements ordinaires. Au niveau des examens nationaux, là aussi, ces mêmes élèves passent les mêmes épreuves que les autres candidats.
Qu’en est-il maintenant des enseignants qui exercent dans ces établissements ? Sont-ils foncièrement différents de leurs collègues travaillant dans les établissements ordinaires ?
Certes, l’administration veille à ce que seuls les enseignants compétents et méritants puissent exercer dans ces établissements mais les exceptions demeurent et puis, il y a beaucoup d’enseignants aussi compétents et méritants qui travaillent dans des établissements « ordinaires » et à qui revient la lourde responsabilité de former les élèves qui postulent pour ces établissements dits pilotes. Ne leur enlevons pas leur mérite.
Reste maintenant la question essentielle des élèves, c’est vrai là aussi que ceux qui rejoignent ces établissements pilotes sont des élèves doués et disposent d’un fort quotient intellectuel, mais il n’en demeure pas moins vrai aussi que tous les élèves doués et disposant d’un puissant quotient intellectuel, pour différentes raisons, ne vont pas poursuivre leurs études dans les établissements pilotes. Des élèves même de collèges pilotes estampillés élèves brillants échouent dans le concours de neuvième à intégrer le lycée pilote là où leurs camarades des collèges ordinaires réussissent haut la main.
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Conclusion
De part mon métier, je peux affirmer qu’il y a autant d’élèves et enseignants brillants dans les établissements ordinaires que dans les collèges et lycées pilotes. Dans un état qui se respecte et qui a toujours misé sur le capital humain, la distinction entre établissements pilotes et établissements ordinaires n’a pas lieu d’être, en l’occurrence, c’est tout notre enseignement qui doit être pilote en  termes de cadre administratif et éducatif, d’infrastructures, de programmes, de méthodes d’enseignement, etc.
L’état à qui il incombe la responsabilité d’éduquer et d’enseigner doit œuvrer en conséquence à garantir les mêmes conditions de travail et d’excellence à tous les élèves.   Aujourd’hui, avec toutes les difficultés que connaît notre système éducatif, il serait temps de reconsidérer cette expérience et d’ envisager l’option de laisser ces élèves poursuivre leurs études dans les établissements ordinaires afin qu’ils jouent pleinement le rôle de locomotive et favoriser un nivellement par le haut, la peur aujourd’hui est que les établissements pilotes continuent à leur corps défendant d’appauvrir les établissements ordinaires et de les vider de ressources humaines dont l’apport est incontestablement inestimable. Le système actuel ne fait qu’aggraver une situation déjà largement compromise.
Oussama Bejaoui
Inspecteur général des écoles préparatoires et des lycées.
Présentation Mongi Akrout, Inspecteur général de l'éducation  & Brahim Ben Atig Professeur émérite.
Tunis, octobre 2018.
Pour accéder à la version AR, cliquer ICI



[1] La Fédération générale de l’enseignement secondaire a appelé dans un communiqué publié mardi 17 juillet le ministère de l’Education à revenir sur sa décision concernant la moyenne minimale d’admission aux établissements pilotes fixée à 15 sur 20. 
[2] L’Organisation tunisienne pour l’éducation et la famille (OTEF) et l’Association tunisienne pour l’éducation de qualité ont appelé, lundi 16 juillet, à une mesure exceptionnelle permettant aux élèves lauréats l’accès aux collèges et lycées pilotes ou à une session de rattrapage exceptionnelle au début de septembre prochain.
[3] Des parents d’élèves ont observé, samedi 14 juillet, un sit-in à la Place de La Kasbah pour protester contre le maintien par le ministre de l’Education du seuil de 15/20 comme moyenne minimale exigée pour l’admission dans les établissements pilotes, en dépit du fait que le nombre des admis n’a pas atteint la moitié des postes
[4] Le Ministre Khalbous  dans une décision surprenante a ordonné d'accepter tous ceux qui le désiraient d'intégrer le collège pilote même si cela dépasserait les places prévues.
[5] circulaire 3-8-2016 du 17 février 2016.relative à l'accès au lycées pilotes au début de l'année scolaire 2016/2017.
[6], le ministre de l’Education, Hatem Ben Salem a déclaré   le 28 juillet 2018 à une radio que 2770 élèves ont été renvoyés des lycées et collèges pilotes car ils n’ont pas obtenu la  moyenne de 12 sur 20  en ajoutant  que "malheureusement, la médiocrité qui régnait dans les établissements scolaires publics s’est également répandue dans les établissements scolaires pilotes »


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