lundi 22 octobre 2018

Témoignage: Comparaison Maître principal / Maître normalien



Hédi Bouhouch
Le blog pédagogique a sollicité M° Abessalem Bouzid , inspecteur général de l'éducation et ancien directeur de l'institut de formation des maitres de Sfax  de nous livrer son témoignage sur le profil des maitres qui ont été formés dans les ISFM et leurs compétences en comparaison avec les instituteurs formés dans les anciennes écoles normales   ,  chose qu'il a acceptée , qu'il en soit remercié pour ce témoignage très intéressant , ainsi les lecteurs du blog vont pouvoir prendre connaissance d'une étape de l'histoire de la formation des maitres en Tunisie à la fin des années 90 et au début des années 2000.


"Directeur de l’ISFM de Sfax depuis sa création jusqu’à sa fermeture, et étant moi-même normalien de formation et inspecteur de l’enseignement primaire de profession, j’ai jugé très instructif de travailler sur cette comparaison pour lever certains malentendus sur la qualité des uns et des autres. Le texte qui suit est tiré d’un mémoire que j’ai présenté pour accéder au grade d’inspecteur régional. Le mémoire étant volumineux, je me suis limité à cet extrait qui poserait le problème et susciterait la réflexion et la controverse. Le système scolaire tunisien a depuis les années 2OO5 entamé une nouvelle réforme de la formation des enseignants en instituant les Instituts des Métiers de l’Education et de la Formation (IMEF). Depuis lors, les enseignants diplômés seront nommés « Professeurs des Ecoles ». J’ai eu la chance d’avoir fait partie du comité de réflexion et d’élaboration des textes qui avaient institué le nouveau système et d’avoir dirigé l’IMEF de Sfax dès son ouverture. On lira donc un texte écrit par quelqu’un qui a vécu de l’intérieur les trois types de formation : l’école normale en tant qu’élève, l’ISFM en tant que directeur et l’IMEF en tant que concepteur et que directeur.
 
         En tant qu'institution sociale et compte tenu de la problématique du changement, l'école n'est pas perçue de la même manière par les différents acteurs  sociaux.
         Les politiciens, conformément à leur pragmatisme et à leur volonté d'agir sur la société et de la transformer, pensent pouvoir provoquer des changements sociaux à partir de l'école. Cette conception de l'école est simultanée à la création de l'institution scolaire elle-même. Les sociétés européennes alors en évolution la considéraient depuis la fin du 18ème siècle comme un enjeu social, comme composante de  la croissance économique, comme une organisation nationale, comme une idée régulatrice et un projet de gouvernement. Introduisant le livre d'Ida BERGER, ISAMBERT-JAMATI affirme que "depuis 1789, les problèmes de l'école ont occupé une place prépondérante sur la scène politique. En Europe, les sociétés avaient compris l'importance considérable de l’éducation et du rôle social de l'instituteur. La bourgeoisie, nouvelle classe dominante, victorieuse de l'Ancien Régime fondé sur les privilèges de naissance, remplaçait l’aristocratie par la "méritocratie", qui non seulement lui semblait plus juste, mais se trouvait plus adaptée à ses propres aspirations."(Les instituteurs d'une génération à l'autre, éd.PUF, 1979, p. 11)
         Actuellement, les Etats consacrent même une part importante de leurs budgets à l'éducation parce qu'ils "voient dans l'enseignement le point archimédien du développement, un substitut du capital" (CHERKAOUI, MOHAMED : Le nouvel ordre scolaire : acteurs sociaux et changements des institutions éducatives, in Encyclopaedia Universalis, Symposium p.1156) tellement l'éducation  est  considérée,  surtout par les pays en voie de développement, comme la solution de rechange pour le manque de capitaux dont ils souffrent.
        Reprenant les principes des écoles publiques des pays occidentaux et essentiellement de la France (Jules FERRY qui fit adopter par l'Assemblée en 1880/1881 les principales mesures de  réforme de  l’enseignement  public : laïcité, gratuité, caractère obligatoire de l'enseignement primaire et extension de l'enseignement secondaire d'état aux jeunes filles) l'école tunisienne postcoloniale s'inscrit dans ce  cadre  en misant sur une scolarité publique, gratuite et même obligatoire (ce qui était avant-gardiste pour un pays nouvellement indépendant) parce que les dirigeants politiques de l'époque pensaient que, vu le manque de  capitaux, c'était le seul moyen d'amener le pays vers la modernité (Loi 118 du 4/11/58 relative à l'éducation). Ils exprimaient ainsi la confiance qu'ils avaient dans le pouvoir de l'institution scolaire à participer à l'édification  de la Tunisie moderne. Depuis l'indépendance, le discours politique ne fait qu'exprimer la confiance qu'ont les responsables dans l'école et son rôle sur les transformations sociales. Il était courant d’entendre les politiques affirmer que l'éducation était la locomotive du changement culturel et que c'était à elle qu'incombait la mission difficile d’élever l'homme  conformément  aux valeurs de notre époque et d’éduquer le citoyen selon les exigences d'une démocratie responsable et de former des forces productrices aptes à s'acquitter des tâches qu'implique le développement  global.
        C'est pour éviter l'écueil du déracinement et de la dépersonnalisation des citoyens que l'Etat Tunisien a instauré la loi du 29/7/91 où il charge l'école de remplir une fonction sociale, économique, culturelle et scientifique de la plus haute importance. C'est à l'école que les citoyens apprennent à utiliser la raison qui leur permet de forger leur avenir et de subsister dans un monde où la concurrence est de plus en plus impitoyable. Un peuple qui perd la faculté du raisonnement et la volonté d'agir et de réaliser se trouve paralysé et n'a pas d'avenir.
           Cette  confiance dans  l'école  est  partagée  par certains éducateurs qui avaient créé des écoles pour concrétiser et réaliser leurs idéaux politiques. Ceci nous permet de comprendre la création de "l'école du peuple" par FREINET (Emile cité par FREINET en le commentant :"Par delà la mécanique, par delà les exigences d'une société, subsiste le grand destin de l'homme. Ce n'est pas trahir sa pensée que d'ajouter; ce destin,  c'est dans l'éducation qu'il tient tout entier et, en définitive, c'est entre les mains de l'éducateur que se trouve l'avenir de l'humanité ". P Hazan ; Condensés des écrivains pédagogiques, ed. Fernand Nathan, 1956 ; p 303) et Summerhill par Neill qui affirme : "Jamais un homme heureux n'a troublé la paix d'une réunion, prêché une guerre, ou lynché un noir. Aucune femme heureuse n'a jamais cherché noise à son mari ou à ses enfants. Jamais un homme heureux n'a commis un meurtre ou un vol. Jamais un patron heureux n'a fait peur à ses employés. Tous les crimes, toutes les haines, toutes les guerres peuvent être ramenées au mal de l'âme. Je m'efforcerai dans cet ouvrage de montrer comment ce mal prend racine, comment il  détruit des vies humaines et comment, par une éducation saine, on peut l'enrayer".
          Ceci montre clairement l'effet que peut avoir l'éducation scolaire selon certains théoriciens et politiciens, sur la vie de l'enfant en particulier et de l'homme et de la société dans laquelle il vit en général. Quant aux sociologues, leurs analyses de l'école et de sa fonction ne convergent pas  toujours. Depuis ses cours à Bordeaux (de1887à1902) et à la Sorbonne (à partir de 1902) Durkheim a développé, dans la logique de sa théorie sociologique générale, une thèse originale sur l'école en tant qu'institution sociale.  Selon lui l'Ecole doit avoir pour fonction et objectif majeur la socialisation de l'enfant. Que l'école réussisse dans la réalisation de cet objectif et elle n'en  sera  que  plus  gratifiée
            La société est le point de repère d'après lequel l'éducation doit diriger son action. C'est donc à elle qu'il appartient de rappeler sans cesse au maître quelles sont les idées, les sentiments qu'il faut imprimer à l'enfant pour le mettre en harmonie avec le milieu dans lequel il doit vivre. Si elle n'était pas toujours présente et vigilante pour obliger l'action pédagogique à s'exercer dans un sens social, celle-ci se mettrait nécessairement au service de croyances particulières, et la grande âme de la patrie se diviserait et se résoudrait en une multitude incohérente de petites âmes fragmentaires en conflit les unes avec les autres." (Durkheim, Education et sociologie, PUF 1984, P. 59)
           Il est clair que selon la thèse de Durkheim, si chaque enseignant s'emploie à créer des comportements choisis par lui, ou une morale particulière, la vie sociale ne sera plus possible. Il n'y a de société que quand il y a entente, conformité. C'est l'inculcation d'un capital culture, conforme à la norme sociale, qui constitue  la condition de possibilité de l'unité et de la cohésion sociale. La différence entre les concitoyens ne peut être tolérée que dans des limites qui ne mettent pas en jeu l'existence de la société. L'individu ne doit pas empiéter sur le groupe et la coexistence sociale.
         Les sociologues modernes, tout en reconnaissant la même fonction de l'école, critiquent cette institution quand elle ne vise que cet objectif. Si elle n'a qu'une fonction de reproduction, comme le souhaite et le défend Durkheim, c'est qu'elle n'a pas pu s'émanciper et se libérer de la contrainte sociale qui pèse sur elle. D'ailleurs, plusieurs théoriciens doutent qu'elle soit capable  d'avoir  une autre  fonction : Il sera  même  paradoxal  de voir les sociétés créer des institutions qui ont pour mission leur changement.   C'est ainsi  que "dans toute société, l'éducation  est perpétuation, transmission d'un patrimoine  culturel  d'une  génération  à  l'autre,  par  définition  et  non par conservatisme. " (Charlot, Bernard : L'innovation n'est plus ce qu'elle était,  in revue autrement, N°136 , mars 1993.P.21 ;cf aussi Schwartz, Yves, Expérience et connaissance du travail, Editions sociales, 1988, et Forquin, J.C. Ecole et culture, le point de vue des sociologues britanniques, Bruxelles, de Boeck 1989) C'est sa fonction sociale qui l'y oblige.
Les   sociologues modernes considèrent donc l'école comme une institution rigide qui refuse de par sa structure tout changement. Sous le titre révélateur de "la rigidité de l'institution scolaire" (Isambert-Jamati, V. : La rigidité de l'institution scolaire in : La revue française de sociologie; N° 336; 1966)  Viviane Isambert­Jamati a montré comment cette institution constitue un frein au changement en créant une attitude de  résistance chez les acteurs qui y opèrent car son rôle est beaucoup  plus la  transmission de la culture ambiante que la création de nouvelles valeurs. "Outre le frein dû à une rigidité pour une part inévitable chez les  enseignants, la  réalisation d'un enseignement qui rende apte au changement soulève un problème fondamental de politique scolaire" (Isambert­Jamati, V. : Types et fins de l'éducation, in Education, in Encyclopaedia Universalis P. 936) Dans  le  même  esprit,  Pierre  Bourdieu  (Bourdieu. P, La violence symbolique : Recherche sur les origines de la sociologie de l'éducation, version arabe, éd Alecso, 1994) défend la thèse que  toute institution  sociale  a  pour  enjeu  la création chez l'individu d'un "habitus" conforme aux  exigences culturelles et éthiques de la société.
Outre  cette  tendance à la résistance et à la conservation, Louis  Althusser pense que l'institution scolaire, tout comme la famille qui remplit une fonction éducative importante, joue un rôle idéologique précis :


 
 elle  œuvre pour la conservation sociale dans ses  deux  dimensions : la reproduction des moyens de production et la reproduction des normes culturelles et idéologiques. (Althusser, L. : Idéologie et appareils idéologiques de l'état in La pensée, Juin1970)
Ainsi les sociologues de l'éducation, tout en attribuant à l'école la même fonction  déterminée  par Durkheim  pour toute autre institution sociale, à savoir la défense de la société et sa préservation de tout changement brutal, la critiquent pour cela et vont même jusqu'à la condamner pour le rôle de frein qu'elle joue. Comme l'a montré Suzanne Mollo à partir de l'analyse de contenu des manuels scolaires de lecture, l'école ne fait, selon ces sociologues,  que véhiculer les valeurs dominantes et traditionnelles, même si elle prétend être un facteur de changement et de modernité.
Puisque toute institution, dont l’école, a pour fonction essentielle la conservation de l’ordre établi, les acteurs œuvrant en son sein assimilent généralement cette fonction en s’y accommodant si bien qu’ils développent une attitude d’autocensure et de résistance à tout changement, même souhaité par les dirigeants de l’institution en question. C’est ainsi que l’on peut comprendre comment les acteurs sociaux peuvent faire échouer un projet de rénovation pourtant insufflé par les décideurs. La rénovation ne peut réussir que si elle est acceptée par les acteurs opérant en son sein. Dans un article de la revue « autrement », Bernard Charlot reconnaît que « la résistance est aussi une des missions de l’école : l’école et les enseignants doivent aider les jeunes à se construire des repères stables, à ne pas être emportés par le flux héraclitéen des images et des événements chaque jour renouvelés (L’innovation n’est plus ce qu’elle était, in revue Autrement, n° 136, p 24)», sinon il n’y aura plus de repères culturels qui permettent à ces jeunes de construire leur personnalité et d’avoir un sentiment d’appartenance socioculturelle
 Cette résistance au changement, qui peut être le symptôme d'un complexe de culpabilité, est en général due au décalage chronologique et conceptuel entre le changement de l'institution et celui du tissu social. Souvent, parce qu'elle a peur d'être rejetée ou marginalisée, l'institution se ferme sur elle-même pour se conserver et sauvegarder son image. C'est pourquoi le changement, tout en étant nécessaire, devient douloureux surtout s'il est brutal et rapide.
En conjuguant l'approche des politiciens et celle des sociologues, nous nous rendons compte de la complexité de l’action éducative qui a en réalité deux objectifs d'apparence contradictoires : la conservation et le changement. Ainsi cette approche qui peut être considérée comme systémique, ambitionne d'éclairer le rapport dialectique qui unit la Société et l'Ecole. " Dans la société moderne,  où la vie des enfants ne sera plus répétition de celle des parents, l'éducation est en outre préparation et incitation au changement, sans cesser pour autant d'être transmission d'un patrimoine. (Charlot, ibid) " Guy Avanzini  nous fait remarquer qu'un projet de changement social, sans une école qui essaie de le promouvoir,  reste inopérant et qu'une école innovatrice, sans une réalité sociale qui l'intègre dans un processus rénovateur général, reste marginale. (Avanzini, G. , Immobilisme et novation dans l'éducation scolaire. Nouvelle Recherche / Prvat 1975 et L'Ecole d'hier à demain : des illusions d'une politique à la politiques des illusions)
Ceci explique pourquoi toute entreprise de rénovation-innovation pédagogique repose sur un paradoxe :
- D'une  part, elle  est  perçue  comme  nécessaire  pour  améliorer le rendement de  l'action éducative. Le changement serait ainsi  perçu positivement quant à son action sur l'institution et sur son produit.
-  D'autre part, on constate, comme nous l'avons suggéré plus haut, que toute  institution génère des attitudes de résistance à ce changement car de l'intérieur, la volonté de rénovation  révèle des limites et même des imperfections. Rénover est nécessaire mais douloureux. C'est un remède mais aussi un  symptôme, d'où son caractère  paradoxal. La résistance créée chez les acteurs qui œuvrent au sein de l'institution qu'on projette de rénover. On est d'ailleurs bien en droit de nous demander si cette résistance est un signe de bonne santé ou de sclérose.
Rénovation et formation des enseignants :
Rénover en éducation n'est justifié que si on démontre que le produit actuel  ne répond plus aux besoins de l'institution d'un côté et de la société de l'autre. Est-ce le cas des instituteurs formés dans les écoles normales ? Ne répondent-ils pas vraiment aux exigences de l'école de base? Ne sont-ils pas capables de réaliser les objectifs visés et de transmettre les contenus nécessaires? De toute manière, le choix institutionnel et politique est clair : l'instituteur doit désormais suivre des études supérieures afin  de  pouvoir affronter  les nouveaux programmes.
C'est dans ce but qu'ont été créés en octobre 1989 les Instituts Supérieurs de Formation  des Maîtres (ISFM) qui ont pris le relais sur la fameuse Ecole Normale créée par LOUIS MACHUEL en 1884. La création de ces instituts s'inscrit dans une perspective philosophique, politique et sociale plus vaste qui veut créer chez l'enseignant du primaire de nouvelles attitudes et valeurs afin d'aider à promouvoir la société civile (démocratique, tolérante, plurielle et conviviale) considérée comme l'ultime finalité de la loi de juillet 1991. Sur le plan  purement pédagogique et comme beaucoup d'autres pays qui proposent maintenant à l'instituteur une formation universitaire (France : 5 ans, Belgique : 2 ans, Bahreïn, Jordanie, Irak, Koweït : 4 ans), la Tunisie ouvre les ISFM parce que, entre autres causes, l'élève  de  l'école primaire d'aujourd'hui a besoin d'un éducateur  capable de jouer un plus grand rôle que dans le passé, ce qui nécessite une plus grande maturité (plus âgé, personnalité  plus équilibrée,  horizons plus larges, intérêts  intellectuels plus diversifiés) et une formation  académique  et pédagogique plus approfondie.
Le profil  du nouveau maître (titulaire d'un "Diplôme de Fin d'Etudes des ISFM" et ayant le grade d'un maître principal, créé spécialement et homologué avec le maître d'application)  est décrit par le directeur des ISFM dans l'exposé des "objectifs  généraux de la formation dans les ISFM  communiqué  lors d'un séminaire organisé à cette occasion en 1994. Ces objectifs  sont les suivants:
* Former des enseignants qui  possèdent à la fois une solide formation générale  favorisant leur polyvalence et des compétences professionnelles à  même  de  leur  permettre  de  faire assimiler des connaissances,  gérer des progressions  pédagogiques,  animer des travaux de groupes, nouer des relations de travail ...
*Former  des enseignants en nombre suffisant pour répondre aux besoins du 1er cycle de l'école de base.
* Revaloriser le  métier d'enseignant par la création d'un cadre plus qualifié et mieux rétribué."
Pour atteindre ces objectifs,  les études s'étalent sur deux ans :
* La première année est essentiellement consacrée à une formation disciplinaire qui vise à assurer la polyvalence des futurs enseignants.
Outre l'enseignement des langues, des mathématiques, des sciences naturelles et des sciences sociales, elle ménage une bonne place aux éléments de formation qui prennent en compte la spécificité de l'école primaire : calligraphie, éducation artistique, musique, technologie etc...
* La  deuxième  année  comporte  paritairement  les deux types de formation disciplinaire et professionnelle. Celle-ci comprend, elle même deux aspects:
- L'un théorique, avec des cours en psychologie de l'enfant, en pédagogie générale, en didactique des matières et en législation scolaire.
- L'autre pratique, avec des séances d'observation de classe, d'analyse de situations d'apprentissage et de prise en charge ponctuelle de la classe.
Les lSFM qui se sont substitués aux écoles normales sont organisés sur le même esprit qui favorise la vie communautaire et l'acquisition des  qualités morales nécessaires à l'exercice du métier d'enseignant. Foyer intégré en régime d'internat obligatoire et activités socioculturelles abondantes offrent de nombreuses opportunités de préparation à un métier qui tend à être de plus en plus exigeant quant aux qualités humaines de celui qui l'exercent.
Le maître principal doit être polyvalent (formé aussi bien dans les matières qu'il aura à enseigner que dans  les  matières  censées  l'aider  dans l'accomplissement  de  sa tâche) et posséder des qualités humaines jugées nécessaires pour réussir  dans l'exercice du métier : goût de la vie communautaire, moralité certaine, capacité d'animation socioculturelle). En un mot, on veut former un professionnel de l'éducation et de l'enseignement  plein  de qualités humaines.
La création de ces lSFM s'inscrit dans  une stratégie politico­éducative adoptée par le Ministère de l'Education et des Sciences. Elle est entreprise parallèlement au changement général des programmes, à l'institution de l'enseignement de base et à l'établissement d'un programme ambitieux de formation continue des enseignants du primaire et du secondaire.
  Ce programme  de  formation illustre l'intérêt  accordé à l'élément humain  considéré  non  seulement comme le vecteur de l'action  éducative mais aussi comme l'acteur le plus important sur la voie du développement et de la modernité. En effet, ni les locaux, ni les programmes, ni les manuels scolaires,  ni les techniques et méthodes pédagogiques, ni le matériel didactique, quelles que soient leurs qualités relatives, ne peuvent entraîner  les changements escomptés si on n'opère pas des changements profonds  chez  l'enseignant chargé  de leur application (Cf  ANDERSON, Loren : Augmenter l'efficacité des enseignants, éd.de l'UNESCO 1991)
C'est d'ailleurs cette  dimension humaine que l'on  s'emploie à favoriser dans les lSFM. L'instituteur qui en sort devrait être compétent et  bien préparé académiquement, culturellement et pédagogiquement. Le programme qui y est enseigné vise à le doter de créativité, d'une personnalité équilibrée, d'une ouverture intellectuelle et d'une capacité d'adaptation aux nouveautés pédagogiques afin de pouvoir réaliser la complémentarité entre les différents éléments de la situation éducative pour atteindre le niveau d'efficacité le plus élevé possible.
C'est justement pour analyser le profil de sortie de cette nouvelle catégorie de maîtres  que nous  avons  entrepris une recherche dans laquelle nous avons essayé de  répondre à la question  suivante : Quel plus professionnel et pratique a entraîné le plus de la formation académique et théorique ?
Cette question nous a été suggérée par les entretiens que nous avons pu avoir avec les inspecteurs  de circonscriptions après leur première année de contact avec les nouveaux maîtres, c'est à dire pendant les années scolaires 1991/1992 et 1992/1993. Leurs impressions se résumaient en général en ceci : Le maître  principal  est peut-être  mieux  formé théoriquement que le normalien mais il n'est pas plus performant que lui sur le plan pratique.
Cette opinion nous renvoie à la thèse d'Anderson, à laquelle nous avons fait allusion plus haut, qui démontre qu'une meilleure formation théorique n'entraîne pas obligatoirement un plus sur le plan pratique. Mais ceci ne nous empêche pas de nous demander comment ce plus théorique peut entraîner une perte sur le plan pratique ? La pédagogie n'est-elle pas une praxis ?
C'est pour vérifier les assertions des inspecteurs que nous avons entrepris une étude comparative utilisant une enquête d'opinion et une analyse de contenu des rapports d'inspections établis par les inspecteurs lors de leurs visites dans les classes dirigées par les deux catégories d'instituteurs .
Tenant compte de ce qui précède et de la tendance à la résistance mentionnée par plusieurs auteurs, nous devons nous attendre à ce que les maîtres principaux, du moins les premières promotions,  ne soient pas bien perçus par les inspecteurs de l'enseignement primaire. Il est en effet un fait qu'il ne faut pas négliger : parce que l'institution " Ecole Normale " est l'une des plus vieilles institutions éducatives modernes de la Tunisie (fondée en 1884) et parce qu'elle a le privilège d'avoir formé le personnel le plus compétent et le plus côté de l'enseignement primaire, nous nous attendons à ce  que  ses propres diplômés n'acceptent  pas facilement sa disparition et son remplacement par une autre institution chargée de la formation des maîtres, à savoir les ISFM.
La mesure de l'ampleur de cette rénovation du système de formation des maîtres nous a posé, comme pour tout évaluateur des systèmes éducatifs, un certain nombre de problèmes tant en amont qu'en aval.
-En amont:
1- Qu'est-ce qui a nécessité l'abandon du système des Ecoles Normales? Y a-t-il eu une évaluation objective et scientifique pour en montrer les limites et les carences ?
2- La rénovation de la formule par le prolongement des études au-delà du bac,  a-t-elle tenu compte des  analyses critiques entreprises par  les organisations internationales tel que le Bureau International de l'Education (BIE)?
-En  aval :
3-La rénovation du système de formation des maîtres entraîne-t-elle automatiquement des changements à la fois dans les comportements pédagogiques des enseignants, dans leurs attitudes (valeurs éthiques, savoir-être, savoir-faire) et dans leurs capacités d'adaptation au  changement et aux nouveautés ? Cette question est d'autant plus pertinente que cette réforme est intervenue simultanément  avec la réforme du  système éducatif entamée en 1989 et qui a introduit de nouvelles valeurs : rationalité, tolérance, ouverture à l'autre, démocratie ... (Loi du 29 juillet 1991)
4-Comment  le produit  de cette réforme du système de formation des maîtres,  c'est-à-dire  le  maître  principal,  va-t-il être perçu par les agents de l'institution  scolaire (collègues, directeurs, assistants pédagogiques et inspecteurs).
Vu  l'ampleur et  la  diversité  des  problèmes posés, notre recherche s’est contentée de répondre  à une partie de la 4ème question, à savoir "comment les maîtres  principaux  sont-ils  perçus et évalués par les inspecteurs ?" Nous l’avons menée en deux étapes.
- Une enquête d'opinions qui a cherché à détecter quelles représentations ont les inspecteurs des maîtres principaux issus des ISFM comparativement aux maîtres normaliens.
- Une analyse de contenu des rapports d'inspection qui a précisé comment ces mêmes inspecteurs évaluent les comportements pédagogiques des maîtres  principaux et des maîtres normaliens en classe durant la période de stage. Nous avons tenu  à nous limiter aux stagiaires afin de réduire au maximum les effets dus au contact avec leurs collègues plus anciens et à l'apprentissage produit par l'expérience.
Il  nous reste toutefois à préciser  que  nous  avons  entrepris  cette recherche  tout en  étant conscient  que nous aurions beaucoup d'écueils à écarter  et beaucoup d'obstacles à dépasser car "L'évaluation d'une innovation relève plus de l'approche herméneutique (où il s'agit  d'interpréter des événements) que de  l'approche nomothétique ( où il s'agit de dégager des lois). Son cadre de référence est plus subjectif qu'objectif. Sa méthode est plus historique  qu'expérimentale.  Elle  s'intéresse  à  tout  ce  qu'il  y  a de particulier  dans la situation,  permettant de rendre compte du déroulement des faits et d'expliquer les résultats plus ou moins heureux de l'expérience" (Cardinet, in POSTIC, M et DE KETELE, JM, Observer les situations éducatives, PUF 1988 p.225)
En tenant compte  de  la  tendance  à la  résistance  développée par plusieurs sociologues, nous  avons  formulé l'hypothèse que les maîtres principaux seraient moins bien appréciés par les inspecteurs de l'enseignement primaire que les normaliens. Les entretiens que nous avons pu avoir, et l'enquête d'opinion que nous avons administrée ont confirmé notre hypothèse. A priori, les inspecteurs interrogés (56 ayant répondu) étaient unanimes sur la supériorité du normalien sur tous les aspects de la vie professionnelle.
Mais partant des limites des enquêtes d'opinion, mentionnées par plusieurs auteurs
 ( Mucchielli et autres ), nous avons découvert dans les réponses des  inspecteurs des  représentations  plutôt  que des jugements d'évaluation . Ceci nous a amené à approfondir notre recherche et à procéder à l'analyse de contenu de 713 rapports d'inspections réalisées dans tous les gouvernorats sur les deux catégories d'instituteurs des deux sexes. L'avantage de cet outil de recherche est de permettre plus d'objectivité parce que les rapports sont rédigés dans une situation professionnelle dont la déontologie demande à l'inspecteur d'être le plus objectif possible. De ce fait, l'inspecteur est censé exprimer plus un jugement objectif et raisonné que des représentations et/ou des préjugés entachés de beaucoup de subjectivité.
L'analyse de contenu de ces rapports nous a permis d'établir le tableau suivant en faisant varier tantôt la formation tantôt le sexe.
    Tableau récapitulatif de l’analyse de contenu des rapports d’inspection
    Comparaison
   MP/MN
  les deux sexes ensemble
  Comportements pédagogiques
   Préparation du travail
  Exécution des leçons
  Profil général de l'enseignant
  Pas de différence significative
  Au profit du maître principal
  Pas de différence significative
   Pas de différence significative
  Comparaison  des filles
  MP/MN
  Comportements pédagogiques
   Préparation du travail
  Exécution des leçons
  Profil général de l'enseignant
  Au profit de la maîtresse principale
  Au profit de la m. principale
   Au profit de la m. principale
  Au profit de la m. principale
  Comparaison  des garçons
  MP/MN
  Comportements pédagogiques
   Préparation du travail
  Exécution des leçons
  Profil général de l'enseignant
  Au  profit du normalien
  Pas de différence significative
   Au profit du normalien
  Au profit du normalien
  Comparaison des maîtres
  principaux
  Filles/ Garçons
  Comportements pédagogiques
   Préparation du travail
   Exécution des leçons
  Profil général de l'enseignant
  Au profit des filles
   Au profit des filles
   Au profit des filles
   Au profit des filles
 Comparaison des maîtres
  normaliens
 Filles / Garçons
  Comportements pédagogiques
  Préparation du travail
   Exécution des leçons
  Profil général de l'enseignant
  Pas de différence significative
   Pas de différence significative
  Au profit des filles
  Pas de différence significative

La comparaison générale entre les maîtres principaux et les maîtres normaliens sans distinction de sexe, ne relève de différence significative qu'à propos de la préparation du travail. Le comptage des unités sémantiques concernant les sous-catégories  retenues ne permet  pas  de déceler des différences significatives. Mais la variable formation nous permet de mettre en valeur un aspect assez curieux : alors que la formation dans les ISFM joue un rôle très bénéfique pour les filles, puisqu'elles sont mieux jugées que les normaliennes sur tous les aspects, elle semble avoir des effets inverses sur les garçons. Cela est-il dû
1 : à la féminisation du métier ou
2 : aux ambitions plus grandes des garçons qui ambitionnent d’avoir une "meilleure" orientation universitaire et donc une meilleure profession et une meilleure situation sociale
3 : aux deux à la fois
 Nous penchons pour la troisième hypothèse puisqu'on trouve (du moins dans les années succédant à la création des ISFM) qu'il y a beaucoup plus de filles qui choisissent la filière ISFM que les garçons, tous les deux vivant dans une société misogyne basée sur une conception de genres bien ancrée dans la mentalité et dans la culture ambiante. 
Ceci est confirmé par les variations de la variable sexe qui montrent que dans la  catégorie  des maîtres principaux, les filles sont mieux jugées que les garçons sur tous les aspect de la comparaison. Par contre, chez les normaliens, nous détectons une tendance à l'homogénéité si on excepte l'exécution des leçons où les filles ont un avantage par rapport aux garçons.
Ces remarques nous amènent à faire les recommandations suivantes :
1-Il est très judicieux de s'occuper davantage des garçons afin de les préparer psychologiquement à leur futur métier. Il serait bénéfique de confectionner un outil qui nous permette de tracer le profil d'entrée de tout bachelier qui se présente au test psychotechnique afin d'éliminer tous ceux qui n'ont  pas  vraiment  envie de  « devenir enseignant possédant les moyens susceptibles de favoriser chez soi la naissance et le développement du praticien · réflexif » (Holborn, Patricia et autres ; Devenir enseignant, tome 1 : A la conquête de l’identité professionnelle, Québec, 1972, p. 15). Au cours  de la formation,  le  futur maître, garçon surtout, doit "apprendre qu'on ne naît pas enseignant mais qu'on le devient, si on veut y consentir les efforts nécessaires et à condition que l'on se voie comme l'acteur principal d'un processus de changement et de transformation "(ouvrage cité plus haut)                            
2- Il faut donc œuvrer à faire prendre conscience aux garçons des grandeurs du métier afin de les amener à s'investir davantage dans leur formation et leur future profession.
3- Il semble qu'il est préférable, comme le pensent les inspecteurs ayant répondu      au questionnaire, de confier au  futur maître principal, à l’instar de ce qu’on faisait avec les normaliens, la responsabilité d'une classe car l'enseignant ne doit pas apprendre seulement à enseigner certaines matières mais aussi et surtout comment gérer une classe. Or, cet aspect, à notre sens très important, nécessite un suivi afin de pouvoir installer des repères qui balisent les rapports maître-élèves. Ne parle-t-on pas actuellement de "contrat pédagogique"? dont les différentes clauses ne peuvent s'enraciner que progressivement. Cinq semaines (durée d'une période de stage) suffisent-elles pour que élèves et maître se mettent d'accord sur un contrat, d'autant plus que toutes les clauses du contrat ne sont pas toujours explicites et conscientes? Nous pensons, sans pouvoir préciser la durée nécessaire pour l'établissement d'un contrat pédagogique, que le futur maître principal est privé de cet aspect  capital  pour sa formation.  Cette  notion nous permet-elle d'expliquer pourquoi les filles sont mieux jugées que les garçons ? Pouvons-nous expliquer leur capacité plus grande d'aider les élèves à apprendre par la qualité des relations qu'elles peuvent établir avec les élèves ? Il est très instructif de constater, dans une autre partie de l’étude, que les filles sont mieux jugées que les garçons dans 17 catégories (indicateurs de critères) alors que les garçons ne surclassent les filles que dans 3 catégories seulement .
Ces données sont suffisantes pour déduire que puisqu'on a besoin d'enseignants  masculins, il faut leur accorder une importance particulière pendant les deux années de la formation et même pendant leur exercice.
D'ailleurs, le maître principal n'est pas seulement moins bien jugé que sa collègue mais aussi il l'est par rapport à son homologue normalien. Ce dernier a certainement eu le temps de se préparer à son futur métier (4 ans d'école normale), alors que le maître principal aurait aimé poursuivre ses études dans une autre filière. Sans pouvoir  citer des statistiques, nous mentionnons le très grand nombre de cartouchards qui nous contactaient pour s'inscrire dans les ISFM. Le nouveau bachelier se voit beaucoup plus avocat ou professeur qu'un "simple instituteur ".
4- Enfin, la mauvaise maîtrise de la langue d'enseignement (il s'agit de l'arabe pour la population étudiée) ne nous pousse-t-elle pas à rejoindre la position de plusieurs partenaires éducatifs dont les inspecteurs qui recommandent :
* de réserver  les  deux  années   passées   dans  les  I.S.F.M.   à la formation académique de base,
* d'instituer une troisième année pour le stage pratique où l'élève­maître apprend à  enseigner, à gérer une classe et à communiquer avec les élèves dans un langage approprié  et correct.
Abdessalem Bouzid, inspecteur général de l'éducation et ancien directeur de l'institut supérieur de formation des maîtres de Sfax puis de l’IMEF de Sfax.
Tunisie ,2018




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