Hédi Bouhouch |
Le blog pédagogique a sollicité M° Abessalem Bouzid , inspecteur
général de l'éducation et ancien directeur de l'institut de formation des
maitres de Sfax de nous livrer son témoignage sur le profil des
maitres qui ont été formés dans les ISFM et leurs compétences en comparaison
avec les instituteurs formés dans les anciennes écoles normales , chose qu'il a acceptée , qu'il en soit
remercié pour ce témoignage très intéressant , ainsi les lecteurs du blog vont
pouvoir prendre connaissance d'une étape de l'histoire de la formation des
maitres en Tunisie à la fin des années 90 et au début des années 2000.
"Directeur de l’ISFM de Sfax depuis sa création jusqu’à sa
fermeture, et étant moi-même normalien de formation et inspecteur de
l’enseignement primaire de profession, j’ai jugé très instructif de travailler
sur cette comparaison pour lever certains malentendus sur la qualité des uns et
des autres. Le texte qui suit est tiré d’un mémoire que j’ai présenté pour
accéder au grade d’inspecteur régional. Le mémoire étant volumineux, je me suis
limité à cet extrait qui poserait le problème et susciterait la réflexion et la
controverse. Le système scolaire tunisien a depuis les années 2OO5 entamé une
nouvelle réforme de la formation des enseignants en instituant les Instituts
des Métiers de l’Education et de la Formation (IMEF). Depuis lors, les
enseignants diplômés seront nommés « Professeurs des Ecoles ». J’ai
eu la chance d’avoir fait partie du comité de réflexion et d’élaboration des
textes qui avaient institué le nouveau système et d’avoir dirigé l’IMEF de Sfax
dès son ouverture. On lira donc un texte écrit par quelqu’un qui a vécu de
l’intérieur les trois types de formation : l’école normale en tant
qu’élève, l’ISFM en tant que directeur et l’IMEF en tant que concepteur et que directeur.
En tant qu'institution sociale et compte tenu
de la problématique du changement, l'école n'est pas perçue de la même manière
par les différents acteurs sociaux.
Les
politiciens, conformément à leur pragmatisme et à leur volonté d'agir sur la
société et de la transformer, pensent pouvoir provoquer des changements sociaux
à partir de l'école. Cette conception de l'école est simultanée à la création
de l'institution scolaire elle-même. Les sociétés européennes alors en
évolution la considéraient depuis la fin du 18ème siècle comme un enjeu
social, comme composante de la
croissance économique, comme une organisation nationale, comme une idée
régulatrice et un projet de gouvernement. Introduisant le livre d'Ida BERGER, ISAMBERT-JAMATI
affirme que "depuis 1789, les problèmes de l'école ont occupé une place prépondérante
sur la scène politique. En Europe, les sociétés avaient compris l'importance
considérable de l’éducation et du rôle social de l'instituteur. La bourgeoisie,
nouvelle classe dominante, victorieuse de l'Ancien Régime fondé sur les privilèges
de naissance, remplaçait l’aristocratie par la "méritocratie", qui non
seulement lui semblait plus juste, mais se trouvait plus adaptée à ses propres
aspirations."(Les instituteurs d'une génération à l'autre, éd.PUF, 1979,
p. 11)
Actuellement, les
Etats consacrent même une part importante de leurs budgets à l'éducation parce
qu'ils "voient dans l'enseignement le point archimédien du développement,
un substitut du capital" (CHERKAOUI, MOHAMED : Le nouvel ordre scolaire :
acteurs sociaux et changements des institutions éducatives, in Encyclopaedia
Universalis, Symposium p.1156)
tellement l'éducation est considérée,
surtout par les pays en voie de développement, comme la solution de rechange
pour le manque de capitaux dont ils souffrent.
Reprenant les principes des écoles
publiques des pays occidentaux et essentiellement de la France (Jules FERRY qui
fit adopter par l'Assemblée en 1880/1881 les principales mesures de réforme de
l’enseignement public : laïcité,
gratuité, caractère obligatoire de l'enseignement primaire et extension de
l'enseignement secondaire d'état aux jeunes filles) l'école tunisienne postcoloniale
s'inscrit dans ce cadre en misant sur une scolarité publique,
gratuite et même obligatoire (ce qui était avant-gardiste pour un pays nouvellement
indépendant) parce que les dirigeants politiques de l'époque pensaient que, vu
le manque de capitaux, c'était le seul
moyen d'amener le pays vers la modernité (Loi 118 du 4/11/58 relative à
l'éducation). Ils exprimaient ainsi la confiance qu'ils avaient dans le pouvoir
de l'institution scolaire à participer à l'édification de la Tunisie moderne. Depuis l'indépendance,
le discours politique ne fait qu'exprimer la confiance qu'ont les responsables
dans l'école et son rôle sur les transformations sociales. Il était courant
d’entendre les politiques affirmer que l'éducation était la locomotive du
changement culturel et que c'était à elle qu'incombait la mission difficile d’élever
l'homme conformément aux valeurs de notre époque et d’éduquer le
citoyen selon les exigences d'une démocratie responsable et de former des forces
productrices aptes à s'acquitter des tâches qu'implique le développement global.
C'est pour éviter l'écueil du
déracinement et de la dépersonnalisation des citoyens que l'Etat Tunisien a
instauré la loi du 29/7/91 où il charge l'école de remplir une fonction
sociale, économique, culturelle et scientifique de la plus haute importance.
C'est à l'école que les citoyens apprennent à utiliser la raison qui leur
permet de forger leur avenir et de subsister dans un monde où la concurrence
est de plus en plus impitoyable. Un peuple qui perd la faculté du raisonnement et
la volonté d'agir et de réaliser se trouve paralysé et n'a pas d'avenir.
Cette
confiance dans l'école est
partagée par certains éducateurs
qui avaient créé des écoles pour concrétiser et réaliser leurs idéaux
politiques. Ceci nous permet de comprendre la création de "l'école du
peuple" par FREINET (Emile cité par FREINET en le commentant :"Par delà
la mécanique, par delà les exigences d'une société, subsiste le grand destin de
l'homme. Ce n'est pas trahir sa pensée que d'ajouter; ce destin, c'est dans l'éducation qu'il tient tout entier
et, en définitive, c'est entre les mains de l'éducateur que se trouve l'avenir
de l'humanité ". P Hazan ; Condensés des écrivains pédagogiques, ed.
Fernand Nathan, 1956 ; p 303) et Summerhill par Neill qui affirme :
"Jamais un homme heureux n'a troublé la paix d'une réunion, prêché une
guerre, ou lynché un noir. Aucune femme heureuse n'a jamais cherché noise à son
mari ou à ses enfants. Jamais un homme heureux n'a commis un meurtre ou un vol.
Jamais un patron heureux n'a fait peur à ses employés. Tous les crimes, toutes
les haines, toutes les guerres peuvent être ramenées au mal de l'âme. Je m'efforcerai dans
cet ouvrage de montrer comment ce mal prend racine, comment il détruit des vies humaines et comment, par une
éducation saine, on peut l'enrayer".
Ceci montre
clairement l'effet que peut avoir l'éducation scolaire selon certains théoriciens
et politiciens, sur la vie de l'enfant en particulier et de l'homme et de la
société dans laquelle il vit en général. Quant aux sociologues, leurs analyses de
l'école et de sa fonction ne convergent pas
toujours. Depuis ses cours à Bordeaux (de1887à1902) et à la Sorbonne (à
partir de 1902) Durkheim a développé, dans la logique de sa théorie
sociologique générale, une thèse originale sur l'école en tant qu'institution
sociale. Selon lui l'Ecole doit avoir
pour fonction et objectif majeur la socialisation de l'enfant. Que l'école
réussisse dans la réalisation de cet objectif et elle n'en sera
que plus gratifiée
La société est le point de repère d'après lequel
l'éducation doit diriger son action. C'est donc à elle qu'il appartient de rappeler
sans cesse au maître quelles sont les idées, les sentiments qu'il faut imprimer
à l'enfant pour le mettre en harmonie avec le milieu dans lequel il doit vivre.
Si elle n'était pas toujours présente et vigilante pour obliger l'action
pédagogique à s'exercer dans un sens social, celle-ci se mettrait nécessairement
au service de croyances particulières, et la grande âme de la patrie se
diviserait et se résoudrait en une multitude incohérente de petites âmes
fragmentaires en conflit les unes avec les autres." (Durkheim, Education
et sociologie, PUF 1984, P. 59)
Il est clair que selon la thèse de Durkheim,
si chaque enseignant s'emploie à créer des comportements choisis par lui, ou une
morale particulière, la vie sociale ne sera plus possible. Il n'y a de société que
quand il y a entente, conformité. C'est l'inculcation d'un capital culture, conforme
à la norme sociale, qui constitue la
condition de possibilité de l'unité et de la cohésion sociale. La différence entre
les concitoyens ne peut être tolérée que dans des limites qui ne mettent pas en
jeu l'existence de la société. L'individu ne doit pas empiéter sur le groupe et
la coexistence sociale.
Les sociologues modernes, tout en reconnaissant
la même fonction de l'école, critiquent cette institution quand elle ne vise
que cet objectif. Si elle n'a qu'une fonction de reproduction, comme le
souhaite et le défend Durkheim, c'est qu'elle n'a pas pu s'émanciper et se
libérer de la contrainte sociale qui pèse sur elle. D'ailleurs, plusieurs
théoriciens doutent qu'elle soit capable
d'avoir une autre fonction : Il sera même
paradoxal de voir les sociétés
créer des institutions qui ont pour mission leur changement. C'est ainsi
que "dans toute société, l'éducation est perpétuation, transmission d'un
patrimoine culturel d'une
génération à l'autre,
par définition et non
par conservatisme. " (Charlot, Bernard : L'innovation n'est plus ce
qu'elle était, in revue autrement, N°136 ,
mars 1993.P.21 ;cf aussi Schwartz, Yves, Expérience et connaissance du
travail, Editions sociales, 1988, et Forquin, J.C. Ecole et culture, le point
de vue des sociologues britanniques, Bruxelles, de Boeck 1989) C'est sa
fonction sociale qui l'y oblige.
Les sociologues modernes
considèrent donc l'école comme une institution rigide qui refuse de par sa
structure tout changement. Sous le titre révélateur de "la rigidité de
l'institution scolaire" (Isambert-Jamati, V. : La rigidité de
l'institution scolaire in : La revue française de sociologie; N° 336; 1966) Viviane IsambertJamati a montré comment cette
institution constitue un frein au changement en créant une attitude de résistance chez les acteurs qui y opèrent car
son rôle est beaucoup plus la transmission de la culture ambiante que la
création de nouvelles valeurs. "Outre le frein dû à une rigidité pour une
part inévitable chez les enseignants,
la réalisation d'un enseignement qui
rende apte au changement soulève un problème fondamental de politique
scolaire" (IsambertJamati, V. : Types et fins de l'éducation, in
Education, in Encyclopaedia Universalis P. 936) Dans le
même esprit, Pierre
Bourdieu (Bourdieu. P, La
violence symbolique : Recherche sur les origines de la sociologie de
l'éducation, version arabe, éd Alecso, 1994) défend la thèse que toute institution sociale
a pour enjeu
la création chez l'individu d'un "habitus" conforme aux exigences culturelles et éthiques de la société.
Outre cette tendance à la résistance et à la
conservation, Louis Althusser pense que l'institution
scolaire, tout comme la famille qui remplit une fonction éducative importante,
joue un rôle idéologique précis :
elle œuvre
pour la conservation sociale dans ses
deux dimensions : la reproduction
des moyens de production et la reproduction des normes culturelles et
idéologiques. (Althusser, L. : Idéologie et appareils idéologiques de l'état in
La pensée, Juin1970)
|
Ainsi les sociologues de l'éducation, tout en attribuant à l'école
la même fonction déterminée par Durkheim
pour toute autre institution sociale, à savoir la défense de la société et
sa préservation de tout changement brutal, la critiquent pour cela et vont même
jusqu'à la condamner pour le rôle de frein qu'elle joue. Comme l'a montré Suzanne
Mollo à partir de l'analyse de contenu des manuels scolaires de lecture, l'école
ne fait, selon ces sociologues, que
véhiculer les valeurs dominantes et traditionnelles, même si elle prétend être
un facteur de changement et de modernité.
Puisque toute institution, dont l’école, a pour fonction
essentielle la conservation de l’ordre établi, les acteurs œuvrant en son sein
assimilent généralement cette fonction en s’y accommodant si bien qu’ils développent
une attitude d’autocensure et de résistance à tout changement, même souhaité
par les dirigeants de l’institution en question. C’est ainsi que l’on peut
comprendre comment les acteurs sociaux peuvent faire échouer un projet de
rénovation pourtant insufflé par les décideurs. La rénovation ne peut réussir
que si elle est acceptée par les acteurs opérant en son sein. Dans un article
de la revue « autrement », Bernard Charlot reconnaît que « la
résistance est aussi une des missions de l’école : l’école et les
enseignants doivent aider les jeunes à se construire des repères stables, à ne
pas être emportés par le flux héraclitéen des images et des événements chaque
jour renouvelés (L’innovation n’est plus ce qu’elle était, in revue Autrement,
n° 136, p 24)», sinon il n’y aura plus de repères culturels qui permettent à
ces jeunes de construire leur personnalité et d’avoir un sentiment
d’appartenance socioculturelle
Cette résistance au changement, qui peut être
le symptôme d'un complexe de culpabilité, est en général due au décalage
chronologique et conceptuel entre le changement de l'institution et celui du
tissu social. Souvent, parce qu'elle a peur d'être rejetée ou marginalisée,
l'institution se ferme sur elle-même pour se conserver et sauvegarder son image.
C'est pourquoi le changement, tout en étant nécessaire, devient douloureux
surtout s'il est brutal et rapide.
En conjuguant l'approche des politiciens et celle des
sociologues, nous nous rendons compte de la complexité de l’action éducative
qui a en réalité deux objectifs d'apparence contradictoires : la conservation
et le changement. Ainsi cette approche qui peut être considérée comme
systémique, ambitionne d'éclairer le rapport dialectique qui unit la Société et
l'Ecole. " Dans la société moderne, où la vie des enfants ne sera plus répétition
de celle des parents, l'éducation est en outre préparation et incitation au
changement, sans cesser pour autant d'être transmission d'un patrimoine. (Charlot,
ibid) " Guy Avanzini nous fait
remarquer qu'un projet de changement social, sans une école qui essaie de le
promouvoir, reste inopérant et qu'une école
innovatrice, sans une réalité sociale qui l'intègre dans un processus
rénovateur général, reste marginale. (Avanzini, G. , Immobilisme et novation
dans l'éducation scolaire. Nouvelle Recherche / Prvat 1975 et L'Ecole d'hier à
demain : des illusions d'une politique à la politiques des illusions)
Ceci explique pourquoi toute entreprise de rénovation-innovation
pédagogique repose sur un paradoxe :
- D'une part, elle est
perçue comme nécessaire
pour améliorer le rendement de l'action éducative. Le changement serait
ainsi perçu positivement quant à son
action sur l'institution et sur son produit.
- D'autre part, on
constate, comme nous l'avons suggéré plus haut, que toute institution génère des attitudes de
résistance à ce changement car de l'intérieur, la volonté de rénovation révèle des limites et même des imperfections. Rénover
est nécessaire mais douloureux. C'est un remède mais aussi un symptôme, d'où son caractère paradoxal. La résistance créée chez les
acteurs qui œuvrent au sein de l'institution qu'on projette de rénover. On est
d'ailleurs bien en droit de nous demander si cette résistance est un signe de
bonne santé ou de sclérose.
Rénovation et formation des enseignants :
Rénover en éducation n'est justifié que si on démontre que le
produit actuel ne répond plus aux
besoins de l'institution d'un côté et de la société de l'autre. Est-ce le cas
des instituteurs formés dans les écoles normales ? Ne répondent-ils pas
vraiment aux exigences de l'école de base? Ne sont-ils pas capables de réaliser
les objectifs visés et de transmettre les contenus nécessaires? De toute manière,
le choix institutionnel et politique est clair : l'instituteur doit désormais suivre
des études supérieures afin de pouvoir affronter les nouveaux programmes.
C'est dans ce but qu'ont été créés en octobre 1989 les Instituts
Supérieurs de Formation des Maîtres (ISFM)
qui ont pris le relais sur la fameuse Ecole Normale créée par LOUIS MACHUEL en
1884. La création de ces instituts s'inscrit dans une perspective
philosophique, politique et sociale plus vaste qui veut créer chez l'enseignant
du primaire de nouvelles attitudes et valeurs afin d'aider à promouvoir la
société civile (démocratique, tolérante, plurielle et conviviale) considérée
comme l'ultime finalité de la loi de juillet 1991. Sur le plan purement pédagogique et comme beaucoup
d'autres pays qui proposent maintenant à l'instituteur une formation
universitaire (France : 5 ans, Belgique : 2 ans, Bahreïn, Jordanie, Irak,
Koweït : 4 ans), la Tunisie ouvre les ISFM parce que, entre autres causes,
l'élève de l'école primaire d'aujourd'hui a besoin d'un
éducateur capable de jouer un plus grand
rôle que dans le passé, ce qui nécessite une plus grande maturité (plus âgé,
personnalité plus équilibrée, horizons plus larges, intérêts intellectuels plus diversifiés) et une formation académique
et pédagogique plus approfondie.
Le profil du nouveau
maître (titulaire d'un "Diplôme de Fin d'Etudes des ISFM" et ayant le
grade d'un maître principal, créé spécialement et homologué avec le maître d'application) est décrit par le directeur des ISFM dans
l'exposé des "objectifs généraux de
la formation dans les ISFM communiqué lors d'un séminaire organisé à cette occasion
en 1994. Ces objectifs sont les
suivants:
* Former des enseignants
qui possèdent à la fois une solide formation
générale favorisant leur polyvalence et
des compétences professionnelles à
même de leur permettre de
faire assimiler des connaissances,
gérer des progressions
pédagogiques, animer des travaux
de groupes, nouer des relations de travail ...
*Former des enseignants
en nombre suffisant pour répondre aux besoins du 1er cycle de l'école de base.
* Revaloriser le métier
d'enseignant par la création d'un cadre plus qualifié et mieux rétribué."
Pour atteindre ces objectifs,
les études s'étalent sur deux ans :
* La première année est essentiellement consacrée à une
formation disciplinaire qui vise à assurer la polyvalence des futurs
enseignants.
Outre l'enseignement des langues, des mathématiques, des
sciences naturelles et des sciences sociales, elle ménage une bonne place aux
éléments de formation qui prennent en compte la spécificité de l'école primaire
: calligraphie, éducation artistique, musique, technologie etc...
* La deuxième année
comporte paritairement les deux types de formation disciplinaire et
professionnelle. Celle-ci comprend, elle même deux aspects:
- L'un théorique, avec des cours en psychologie de l'enfant, en
pédagogie générale, en didactique des matières et en législation scolaire.
- L'autre pratique, avec des séances d'observation de classe,
d'analyse de situations d'apprentissage et de prise en charge ponctuelle de la
classe.
Les lSFM qui se sont substitués aux écoles normales sont organisés
sur le même esprit qui favorise la vie communautaire et l'acquisition des qualités morales nécessaires à l'exercice du
métier d'enseignant. Foyer intégré en régime d'internat obligatoire et
activités socioculturelles abondantes offrent de nombreuses opportunités de
préparation à un métier qui tend à être de plus en plus exigeant quant aux
qualités humaines de celui qui l'exercent.
Le maître principal doit être polyvalent (formé aussi bien dans
les matières qu'il aura à enseigner que dans
les matières censées
l'aider dans l'accomplissement de sa
tâche) et posséder des qualités humaines jugées nécessaires pour réussir dans l'exercice du métier : goût de la
vie communautaire, moralité certaine, capacité d'animation socioculturelle). En
un mot, on veut former un professionnel de l'éducation et de
l'enseignement plein de qualités humaines.
La création de ces
lSFM s'inscrit dans une stratégie politicoéducative
adoptée par le Ministère de l'Education et des Sciences. Elle est entreprise
parallèlement au changement général des programmes, à l'institution de
l'enseignement de base et à l'établissement d'un programme ambitieux de
formation continue des enseignants du primaire et du secondaire.
Ce
programme de formation illustre l'intérêt accordé à l'élément humain considéré
non seulement comme le vecteur de
l'action éducative mais aussi comme
l'acteur le plus important sur la voie du développement et de la modernité. En
effet, ni les locaux, ni les programmes, ni les manuels scolaires, ni les techniques et méthodes pédagogiques,
ni le matériel didactique, quelles que soient leurs qualités relatives, ne
peuvent entraîner les changements
escomptés si on n'opère pas des changements profonds chez
l'enseignant chargé de leur application
(Cf ANDERSON, Loren : Augmenter
l'efficacité des enseignants, éd.de l'UNESCO 1991)
C'est d'ailleurs cette dimension humaine que l'on s'emploie à favoriser dans les lSFM. L'instituteur
qui en sort devrait être compétent et bien préparé académiquement, culturellement et
pédagogiquement. Le programme qui y est enseigné vise à le doter de créativité,
d'une personnalité équilibrée, d'une ouverture intellectuelle et d'une capacité
d'adaptation aux nouveautés pédagogiques afin de pouvoir réaliser la
complémentarité entre les différents éléments de la situation éducative pour
atteindre le niveau d'efficacité le plus élevé possible.
C'est justement pour analyser le profil de sortie de cette
nouvelle catégorie de maîtres que
nous avons entrepris une recherche dans laquelle nous avons
essayé de répondre à la question suivante : Quel plus professionnel et pratique
a entraîné le plus de la formation académique et théorique ?
Cette question nous a été suggérée par les entretiens que nous
avons pu avoir avec les inspecteurs de
circonscriptions après leur première année de contact avec les nouveaux
maîtres, c'est à dire pendant les années scolaires 1991/1992 et 1992/1993.
Leurs impressions se résumaient en général en ceci : Le maître principal
est peut-être mieux formé théoriquement que le normalien mais il
n'est pas plus performant que lui sur le plan pratique.
Cette opinion nous renvoie à la thèse d'Anderson, à laquelle
nous avons fait allusion plus haut, qui démontre qu'une meilleure formation
théorique n'entraîne pas obligatoirement un plus sur le plan pratique. Mais
ceci ne nous empêche pas de nous demander comment ce plus théorique peut
entraîner une perte sur le plan pratique ? La pédagogie n'est-elle pas une
praxis ?
C'est pour vérifier les assertions des inspecteurs que nous
avons entrepris une étude comparative utilisant une enquête d'opinion et une
analyse de contenu des rapports d'inspections établis par les inspecteurs lors
de leurs visites dans les classes dirigées par les deux catégories
d'instituteurs .
Tenant compte de ce qui précède et de la tendance à la
résistance mentionnée par plusieurs auteurs, nous devons nous attendre à ce que les maîtres
principaux, du moins les premières promotions, ne
soient pas bien perçus par les inspecteurs de l'enseignement primaire. Il est
en effet un fait qu'il ne faut pas négliger : parce que l'institution "
Ecole Normale " est l'une des plus vieilles institutions éducatives
modernes de la Tunisie (fondée en 1884) et parce qu'elle a le privilège d'avoir
formé le personnel le plus compétent et le plus côté de l'enseignement
primaire, nous nous attendons à ce
que ses propres diplômés
n'acceptent pas facilement sa
disparition et son remplacement par une autre institution chargée de la
formation des maîtres, à savoir les ISFM.
La mesure de l'ampleur de cette rénovation du système de
formation des maîtres nous a posé, comme pour tout évaluateur des systèmes
éducatifs, un certain nombre de problèmes tant en amont qu'en aval.
-En amont:
1- Qu'est-ce qui a nécessité l'abandon du système des Ecoles
Normales? Y a-t-il eu une évaluation objective et scientifique pour en montrer
les limites et les carences ?
2- La rénovation de la formule par le prolongement des études
au-delà du bac, a-t-elle tenu compte
des analyses critiques entreprises par les organisations internationales tel que le
Bureau International de l'Education (BIE)?
-En aval :
3-La rénovation du système de formation des maîtres
entraîne-t-elle automatiquement des changements à la fois dans les
comportements pédagogiques des enseignants, dans leurs attitudes (valeurs
éthiques, savoir-être, savoir-faire) et dans leurs capacités d'adaptation au changement et aux nouveautés ? Cette question
est d'autant plus pertinente que cette réforme est intervenue simultanément avec la réforme du système éducatif entamée en 1989 et qui a introduit
de nouvelles valeurs : rationalité, tolérance, ouverture à l'autre,
démocratie ... (Loi du 29 juillet 1991)
4-Comment le produit
de cette réforme du système de formation des maîtres, c'est-à-dire
le maître principal,
va-t-il être perçu par les agents de l'institution scolaire (collègues, directeurs, assistants
pédagogiques et inspecteurs).
Vu l'ampleur et la
diversité des problèmes posés, notre recherche s’est
contentée de répondre à une partie de la
4ème question, à savoir "comment les maîtres principaux
sont-ils perçus et évalués par
les inspecteurs ?" Nous l’avons menée en deux étapes.
- Une enquête d'opinions qui a cherché à détecter quelles
représentations ont les inspecteurs des maîtres principaux issus des ISFM
comparativement aux maîtres normaliens.
- Une analyse de contenu des
rapports d'inspection qui a précisé comment ces mêmes inspecteurs évaluent les
comportements pédagogiques des maîtres
principaux et des maîtres normaliens en classe durant la période de
stage. Nous avons tenu à nous limiter aux
stagiaires afin de réduire au maximum les effets dus au contact avec leurs
collègues plus anciens et à l'apprentissage produit par l'expérience.
Il nous reste toutefois à
préciser que nous
avons entrepris cette recherche tout en
étant conscient que nous aurions beaucoup
d'écueils à écarter et beaucoup
d'obstacles à dépasser car "L'évaluation d'une innovation relève plus de
l'approche herméneutique (où il s'agit
d'interpréter des événements) que de
l'approche nomothétique ( où il s'agit de dégager des lois). Son cadre
de référence est plus subjectif qu'objectif. Sa méthode est plus historique qu'expérimentale. Elle
s'intéresse à tout
ce qu'il y a de
particulier dans la situation, permettant de rendre compte du déroulement
des faits et d'expliquer les résultats plus ou moins heureux de
l'expérience" (Cardinet, in POSTIC, M et DE KETELE, JM, Observer les
situations éducatives, PUF 1988 p.225)
En tenant compte de la
tendance à la résistance
développée par plusieurs sociologues, nous avons
formulé l'hypothèse que les maîtres principaux seraient moins bien
appréciés par les inspecteurs de l'enseignement primaire que les normaliens.
Les entretiens que nous avons pu avoir, et l'enquête d'opinion que nous avons
administrée ont confirmé notre hypothèse. A priori, les inspecteurs interrogés
(56 ayant répondu) étaient unanimes sur la supériorité du normalien sur tous
les aspects de la vie professionnelle.
Mais partant des limites des enquêtes d'opinion, mentionnées par
plusieurs auteurs
( Mucchielli et autres ), nous avons découvert
dans les réponses des inspecteurs des représentations plutôt
que des jugements d'évaluation . Ceci nous a amené à approfondir notre
recherche et à procéder à l'analyse de contenu de 713 rapports d'inspections
réalisées dans tous les gouvernorats sur les deux catégories d'instituteurs des
deux sexes. L'avantage de cet outil de recherche est de permettre plus
d'objectivité parce que les rapports sont rédigés dans une situation
professionnelle dont la déontologie demande à l'inspecteur d'être le plus
objectif possible. De ce fait, l'inspecteur est censé exprimer plus un jugement
objectif et raisonné que des représentations et/ou des préjugés entachés de
beaucoup de subjectivité.
L'analyse de contenu de ces rapports nous a permis d'établir le
tableau suivant en faisant varier tantôt la formation tantôt le sexe.
Tableau récapitulatif de l’analyse de
contenu des rapports d’inspection
Comparaison
MP/MN
les deux sexes
ensemble
|
Comportements
pédagogiques
Préparation du travail
Exécution des leçons
Profil général de
l'enseignant
|
Pas de différence
significative
Au profit du maître
principal
Pas de différence
significative
Pas de différence significative
|
Comparaison des filles
MP/MN
|
Comportements
pédagogiques
Préparation du travail
Exécution des leçons
Profil général de
l'enseignant
|
Au profit de la
maîtresse principale
Au profit de la m. principale
Au profit de la m. principale
Au profit de la m. principale
|
Comparaison des garçons
MP/MN
|
Comportements
pédagogiques
Préparation du travail
Exécution des leçons
Profil général de
l'enseignant
|
Au profit du normalien
Pas de différence
significative
Au profit du normalien
Au profit du normalien
|
Comparaison des
maîtres
principaux
Filles/ Garçons
|
Comportements
pédagogiques
Préparation du travail
Exécution des leçons
Profil général de
l'enseignant
|
Au profit des filles
Au profit des filles
Au profit des filles
Au profit des filles
|
Comparaison des maîtres
normaliens
Filles / Garçons
|
Comportements
pédagogiques
Préparation du travail
Exécution des leçons
Profil général de
l'enseignant
|
Pas de différence
significative
Pas de différence significative
Au profit des filles
Pas de différence
significative
|
La comparaison
générale entre les maîtres principaux et les maîtres normaliens sans
distinction de sexe, ne relève de différence significative qu'à propos de la
préparation du travail. Le comptage des unités sémantiques concernant les sous-catégories retenues ne permet pas de
déceler des différences significatives. Mais la variable formation nous permet
de mettre en valeur un aspect assez curieux : alors que la
formation dans les ISFM joue un rôle très bénéfique pour les filles,
puisqu'elles sont mieux jugées que les normaliennes sur tous les aspects, elle
semble avoir des effets inverses sur les garçons. Cela est-il dû
1 : à la féminisation du métier ou
2 : aux ambitions plus grandes des garçons qui ambitionnent
d’avoir une "meilleure" orientation universitaire et donc une
meilleure profession et une meilleure situation sociale
3 : aux deux à la fois
Nous penchons pour la troisième hypothèse
puisqu'on trouve (du moins dans les années succédant à la création des ISFM)
qu'il y a beaucoup plus de filles qui choisissent la filière ISFM que les
garçons, tous les deux vivant dans une société misogyne basée sur une
conception de genres bien ancrée dans la mentalité et dans la culture
ambiante.
Ceci est confirmé par les variations de la variable sexe qui
montrent que dans la catégorie des maîtres principaux, les filles sont mieux
jugées que les garçons sur tous les aspect de la comparaison. Par contre, chez
les normaliens, nous détectons une tendance à l'homogénéité si on excepte
l'exécution des leçons où les filles ont un avantage par rapport aux garçons.
Ces remarques nous amènent à faire les recommandations suivantes
:
1-Il est très judicieux
de s'occuper davantage des garçons afin de les préparer psychologiquement à
leur futur métier. Il serait bénéfique de confectionner un outil qui nous
permette de tracer le profil d'entrée de tout bachelier qui se présente au test
psychotechnique afin d'éliminer tous ceux qui n'ont pas
vraiment envie de « devenir enseignant possédant les
moyens susceptibles de favoriser chez soi la naissance et le développement du
praticien · réflexif » (Holborn, Patricia et autres ; Devenir
enseignant, tome 1 : A la conquête de l’identité professionnelle, Québec,
1972, p. 15). Au cours de la
formation, le futur maître, garçon surtout, doit
"apprendre qu'on ne naît pas enseignant mais qu'on le devient, si on veut
y consentir les efforts nécessaires et à condition que l'on se voie comme l'acteur
principal d'un processus de changement et de transformation "(ouvrage cité
plus haut)
2- Il faut donc œuvrer à faire prendre conscience aux garçons
des grandeurs du métier afin de les amener à s'investir davantage dans leur
formation et leur future profession.
3- Il semble qu'il est préférable, comme le pensent les
inspecteurs ayant répondu au questionnaire,
de confier au futur maître principal, à
l’instar de ce qu’on faisait avec les normaliens, la responsabilité d'une
classe car l'enseignant ne doit pas apprendre seulement à enseigner certaines
matières mais aussi et surtout comment gérer une classe. Or, cet aspect, à
notre sens très important, nécessite un suivi afin de pouvoir installer des
repères qui balisent les rapports maître-élèves. Ne parle-t-on pas actuellement
de "contrat pédagogique"? dont les différentes clauses ne peuvent
s'enraciner que progressivement. Cinq semaines (durée d'une période de stage)
suffisent-elles pour que élèves et maître se mettent d'accord sur un contrat,
d'autant plus que toutes les clauses du contrat ne sont pas toujours explicites
et conscientes? Nous pensons, sans pouvoir préciser la durée nécessaire pour
l'établissement d'un contrat pédagogique, que le futur maître principal est
privé de cet aspect capital pour sa formation. Cette
notion nous permet-elle d'expliquer pourquoi les filles sont mieux jugées
que les garçons ? Pouvons-nous expliquer leur capacité plus grande d'aider les
élèves à apprendre par la qualité des relations qu'elles peuvent établir avec
les élèves ? Il est très instructif de constater, dans une autre partie de
l’étude, que les filles sont mieux jugées que les garçons dans 17 catégories
(indicateurs de critères) alors que les garçons ne surclassent les filles que
dans 3 catégories seulement .
Ces données sont suffisantes pour déduire que puisqu'on a besoin
d'enseignants masculins, il faut leur
accorder une importance particulière pendant les deux années de la formation et
même pendant leur exercice.
D'ailleurs, le maître principal n'est pas seulement moins bien
jugé que sa collègue mais aussi il l'est par rapport à son homologue normalien.
Ce dernier a certainement eu le temps de se préparer à son futur métier (4 ans
d'école normale), alors que le maître principal aurait aimé poursuivre ses
études dans une autre filière. Sans pouvoir
citer des statistiques, nous mentionnons le très grand nombre de
cartouchards qui nous contactaient pour s'inscrire dans les ISFM. Le nouveau
bachelier se voit beaucoup plus avocat ou professeur qu'un "simple
instituteur ".
4- Enfin, la mauvaise
maîtrise de la langue d'enseignement (il s'agit de l'arabe pour la population
étudiée) ne nous pousse-t-elle pas à rejoindre la position de plusieurs partenaires
éducatifs dont les inspecteurs qui recommandent :
* de réserver les deux
années passées dans
les I.S.F.M. à la formation académique de base,
* d'instituer une troisième année pour le
stage pratique où l'élèvemaître apprend à
enseigner, à gérer une classe et à communiquer avec les élèves dans un
langage approprié et correct.
Abdessalem Bouzid, inspecteur général de l'éducation et ancien
directeur de l'institut supérieur de formation des maîtres de Sfax puis de l’IMEF
de Sfax.
Tunisie ,2018
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