lundi 10 décembre 2018

Le professionnalisme dans les métiers de l'éducation - Partie 1




Hédi BOUHOUCH
le blog pédagogique entame  cette semaine la publication du texte d'une communication sur "  l'état de la professionnalisation dans les métiers de l'éducation " présentée par D.Béchir Mekki Abdellaoui , l'inspecteur général de l'éducation et le chercheur au centre des études islamiques  à l'occasion de la conférence sur "l'enseignement et la construction de l'état national" tenu les 2,3 et 4 mai 2018 à Kairouan.
l'auteur de la communication a accepté sa publication par le blog , qu'il en soit remercié pour sa confiance.




Introduction

Si le système éducatif en Tunisie a réalisé des résultats positifs qui se sont traduits par la diffusion de la scolarisation dans la plupart des  milieux sociaux, et la formation des   ressources humaines dans diverses spécialités  dont le pays a besoin, les évaluations internes et externes du système éducatif de la Tunisie ont montré que ce système ne manque pas de lacunes   qui ont fait que son rendement  est limité et en de ça des attentes , et que seuls quelques objectifs fixés par les lois  successives  depuis 1958 jusqu'en 2002 ont pu être réalisés.
la plus importante lacune est peut-être  « l'absence  de professionnalisme»  comme l'a reconnu  le ministère de l'éducation dans un rapport publié sous le titre la « nouvelle réforme de l'éducation: le plan pour l'école de demain 2002 -2007 ". Qu'entendons-nous par  la professionnalisation? Quel est sa situation dans notre système éducatif? Quelle est son importance? Comment pouvons-nous l'atteindre dans le domaine de l'éducation?
                     I.            le concept de professionnalisation
1.    Sur le plan linguistique:
Dans la  langue arabe  les constituants du mot " IHTIRAF" sont les trois lettres ((ف، ر، ح،, mais le terme " IHTIRAF"  est dérivé du verbe "IHTARAFA", on dit que quelqu'un " IHTARAFA " c'est-à-dire qu'il  a pris un travail particulier pour profession  ou métier, c'est la raison pour laquelle Ibn Mandhour avait dit que HIRFA est un nom dérivé du mot " IHTIRAF" qui signifie  IKTISSAB  qui signifie   gagner sa vie grâce à son travail et on dit que YAHREF pour ses enfants ou YAHTAREF dans le sens  de gagner le pain  des ses enfants par le travail,
Le spécialiste linguistiques précisent que le sens du terme ne s'arrête pas à ce niveau  , mais il signifie aussi maitriser les compétences nécessaires de telle profession , c'est pour cela qu'Ibn Mandhour considère que le professionnel est  un artisan et il considère la profession (الحرفة) est un savoir faire , et que cela nécessite un gain, une demande et une escroquerie c'est-à-dire faire un effort particulier afin de réaliser les exigences de telle profession[1]
En arabe, le terme Attamhin (التمهين)   - l'apprentissage des principes d'un métier - dont les racines sont loin du terme Al-Ihtiraf (الاحتراف) ,il a pourtant un sens proche du terme Al Ihtiraf. Al Mihnatou ( le métier) est le service et le travail , ce sens est confirmé par le Hadith qui dit:" on ne peut en vouloir à quelqu'un s'il a porté deux habits pour son vendredi sauf les habits de son métiers"[2], ce terme a ,d'après Al moojem , une signification complémentaire  c'est soigner le service et le travail[3], c'est la raison pour laquelle la littérature publiée par  le ministère a utilisé les deux termes: AL Ihtiraf (الاحتراف)et Attamhin (التمهين).
2. Usuellement
si les termes  professionnalisation et apprentissage sont très récurrents dans la littérature occidentale, ils sont peu utilisés dans la littérature arabe, on ne risque pas d'exagérer en disant que dans le monde arabe le terme de professionnalisation n'est répandu que dans les domaines de la chanson et du sport, alors que dans le reste des métiers et particulièrement dans le domaine de l'éducation , les évaluations faites par le ministère de l'éducation ont montré que la professionnalisation est un terme qui ne figure pas  chez tous les intervenants du secteur de l'éducation.
Ce qui a fait que l’école de demain,  que la réforme de 2002 voulait instaurer,  avait mis la professionnalisation comme l'un des défis  (l’un des enjeux)  que le système éducatif vise à réaliser[4].
Cela nécessite de définir  le concept de «professionnalisme», de sorte que son sens soit connu par  les personnes impliquées dans le processus éducatif ainsi  que toute autre personne. Et comme  notre utilisation du terme se réfère à la littérature occidentale , nous devrions y revenir afin de déterminer sa signification  dans cette littérature , et découvrir les différents termes voisins  pour compléter les exigences de sa compréhension et  connaitre  ses limites.
Al IHTIRAF en arabe correspond au terme  français " professionnalité" qui  signifie acquérir une série de compétences professionnelles nécessaires pour l'exercice d'un emploi particulier.
Quant au  terme Al Mohtaref , il correspond au terme "professionnel"  et le professionnel, est la personne qui a ces compétences professionnelles, et peut les mobiliser  dans l'accomplissement de son travail, et faire face à des situations changeantes et instables dans le monde du travail, c'est pour cette raison que le professionnel n'a pas de limites, et ne peut jamais  acquérir le professionnalisme d'une manière définitive , mais  son professionnalisme évolue continuellement  au grès  des situations  différentes .
Le professionnalisme ou la professionnalisation est le processus de formation qui vise l'individu et le groupe afin de développer leurs capacités et leurs connaissances professionnelles, ce qui les rend aptes  à devenir professionnels, c'est pour cela  qu'on peut dire que le professionnalisation est le processus de formation menant au professionnalisme.
Ce  ci dit on peut avancer que   la professionnalisation est la présence des compétences professionnelles nécessaires pour les travailleurs dans le domaine de l'éducation, que ce soit les compétences acquises par l'expérience professionnelle ou par la formation  initiale ou continue.
Les deux  termes ont soulevé une certaine ambiguïté  à partir de leur signification linguistique, le sens du gain qui est l'un des aspects du professionnalisme a  une connotation  négative qui renvoie au  mercenariat  ,  or le mercenariat est le gain  par tous les moyens . Le mercenaire en effet est celui  qui fait  un service pour de de l'argent  quelle que soit sa qualité ou son  but . Ce nom est souvent donné aux personnes qui travaillent dans les forces armées d'un pays étranger pour de l'argent. Il ne fait aucun doute que cela est totalement loin  de notre centre d'intérêt  parce que nous parlons de l'éducateur et de l'enseignant qui est le détenteur d'une mission , dont  la  noblesse et la grandeur de sa finalité nécessitent  un ensemble  de capacités qui le qualifient pour réussir dans la tâche qu'il a choisie.
Le terme arabe "Attamhin"  a également dans l'une de ses connotations le  sens de l'humiliation  et  la vulgarité,  mais ces  deux sens  n'étaient guère  ceux   entendus par le plan opérationnel  pour l'école de demain,. Attamhin dont nous parlons signifie la maitrise d'un métier où il n'y a aucune  humiliation mais plutôt une fierté pour la personne qui l'exerce.  
3- l'absence du professionnalisation
l'évaluation réalisée par le ministère de l'éducation en 2002 a montré que le professionnalisation est absente ou quasi absente du système éducatif tunisien, on lit dans le programme pour la mise en œuvre du projet " Ecole de demain " ( 2002 – 2007 ) " que l'amélioration du rendement du SE dépend de l'existence de ressources humaines de haut niveau ( enseignants, personnel d'encadrement pédagogique et administratif, surveillants) parce que la gestion des établissements éducatifs nécessitent en plus de  l'enthousiasme  pour ce type de métier un haut degré de professionnalisme qui n'existe pas à l'heure actuelle puisque les différentes catégories d'éducateurs n'ont pas suivi une formation dans ce sens"[5]
La question qui vient à l'esprit est la suivante: qu'est ce qu'on entend par le professionnalisme? est-ce celui qui s'acquiert par l'expérience personnelle ou bien celui qui est le résultat d'une formation institutionnelle ciblée? il n'y a guère de doute qu'il s'agit du professionnalisme qui est le fruit d'une formation structurée pour tous  ceux qui se préparent pour l'un des métiers de l'éducation, et s'appuyer sur l'expérience personnelle ou en se référant aux expériences de l'un des ainés parmi les instituteurs ou les professeurs. Tout enseignant en est conscient quoique cette conscience soit de différents degrés en maturité et en conscience en soi.
L'histoire de l'école tunisienne nous enseigne que la professionnalisation n'est totalement absente, les enseignants comptent depuis toujours sur leur expérience personnelle , sur l'intuition , sur l'autoformation et sur l'expérience des autres, ce ci est aussi vrai pour tous les métiers , on le voit chez les "Amins" des souks (le président de la corporation) pour certains métiers comme la menuiserie et la ferronnerie que les enfants apprenaient avec leurs pères ou auprès des maîtres artisans.
On en déduit que la professionnalisation  visée est celle qui s'appuie sur l'expérience mais ne se limite pas à celle-ci, on la prend  et on l'intègre dans une structure qui regroupe ces éléments  et les associe en y ajoutant toutes les nouveautés du monde des métiers en général et dans le métier de l'éducation en particulier , ainsi la formation devient une formation désirée et institutionnalisée, avec des objectifs précis et un contenu défini dans le cadre d'une stratégie qui fait de la professionnalisation la règle pour tous les métiers de l'éducation qui sera réalisé d'après une démarche formative et certificative selon des critères précis.
C'est pour cela que la structuration de l'expérience dans un ensemble de compétence professionnelle ne signifie pas une rupture avec les précédentes expériences dans le monde de l'éducation parce que l'éducation n'est pas un sanctuaire mais elle est un chantier et un atelier. Chose qui donne aux expériences précédentes une grande importance , mais il ne s'agit pas de les prendre en vrac ou avec leurs imperfections ( défauts).
On déduit de ce qui précède que la professionnalisation que nous visons  ne s'appuie pas uniquement sur l'expérience ou sur les recherches théoriques parce qu'elle  est le fruit de la  rencontre  créative entre la raison et l'expérience , contrairement à ce que pense Philippe Perrenoud [6] qui voit que " la référence de nos pratiques éducatives souffre d'un excès de rationalité"  il exprime ainsi peut être son environnement culturel et éducatif, ainsi on le voit  après changer  son point de vue en disant que la professionnalisation " n’est pas synonyme de rationalité intégrale, mais plutôt un mariage réussi entre raison et subjectivité"[7], ainsi se confirme ce que nous avons avancé plus haut que la professionnalisation se développe dans un cadre de liberté et d'autonomie associée à la responsabilité dans le cadre d'un plan éducatif ayant des objectifs bien clairs.
Ce qui est  visé en effet par  ce mélange   entre le rationnel et l'expérimental c'est la professionnalisation qui signifie - être prêt-  à faire face aux imprévus et la bonne gestion de ce qui est inattendu; et ce en faisant face avec les situations d'urgence avec tant d'intelligence ce qui permet de mobiliser ses savoirs et ses capacités afin de  traiter les évènements qui surviennent , et c'est cela ce qu'entend peut être Philippe Perrenoud quand il a  intitulé  son livre  :"Enseigner: agir dans l’urgence".
Si cette orientation vers la professionnalisation était présente avant et après l'indépendance comme  on le verra plus loin , elle est aujourd'hui absente dans les formations assurées par les institutions spécialisées qui joint les expériences personnelles à la formation scientifique conçue selon les règles méthodologiques fermes.
4. Les aspects de l'absence de professionnalisme: on peut montrer quelques indices sur cette absence  dans plusieurs manifestations, entre autres ce qui suit:
a.     La majorité des enseignants quelques soient leurs  spécialités et  leurs niveaux à travers les différents cycles du préscolaire jusqu'au supérieur entament leur fonction dès qu'ils obtiennent leur diplôme sans  avoir une formation professionnelle qui les habilite à exercer la fonction d'enseigner  en dépit de la programmation d'un cours de pédagogie , de psychopédagogie au cours de la dernière  année d'études , seulement le temps imparti à ce contenu  est très réduit et  le faible coefficient qui  lui est attribué sont sans aucune commune mesure avec l'importance de ce type d'enseignement [8] et malgré la création des écoles normales des instituteurs et de l'école normale supérieure ,sachant que  leur fonctionnement ne fut pas régulier comme on va le voir plus tard, la majorité des recrutés pour enseigner dans les différents cycles (primaire, secondaire et supérieur) n'ont pas les compétences nécessaires pour pouvoir exercer le métier de l'enseignement, de même tous les animateurs qui l'exercent dans les jardins d'enfants n'ont aucune formation, et ne sont pas aptes  à encadrer les enfants.
Enfin , la dégradation  s'est accentuée dans l'enseignement secondaire , quand le Ministère avait permis à tout détenteur d'un diplôme supérieur de participer au concours d'accès au cycle de formation pour préparer un magister professionnel qui leur ouvre la voie du recrutement dans l'enseignement sans tenir compte de leur spécialité académique initiale, le Ministère les a autorisés à se présenter dans la spécialité qu'ils désirent sans se lier à leur spécialité d'origine , nous ignorons les dessous de ce choix , mais nous avons une explication , il fait partie de l'anarchie qui domine les institutions de l'Etat y compris le Ministère de l'éducation au cours de cette étape de l'histoire de notre pays[9].
Pour Les enseignants du supérieur la situation est encore pire , le professionnalisation  est complètement absente, d'ailleurs le simple fait d'évoquer la question  dans les milieux universitaires provoque  étonnement  et  réprobation, c'est pour cela qu'on y voit le chaos qui touche  tous les domaines dans l'enseignement supérieur . Peut-être que les résultats de nos universités au niveau international en sont la manifestation  et nous  dispensent de tout  commentaire.
b.    Pour  les inspecteurs  , avant 2004, ils devraient subir un concours avec des épreuves écrites , pratiques et orales , ensuite  les admis suivent  une  courte formation professionnelle  avant d'exercer , et malgré cela leur performance était acceptable, et leur rendement était bon.  Mais les nouvelles promotions qui sont venues après cette date,  bien qu'elles aient subi les mêmes épreuves du concours , l'ouverture d'un grand nombre de poste au concours a obligé  le ministère  d'accepter des candidats dont le niveau scientifique, personnel et professionnel était faible,  il suffit que le lecteur sache  que beaucoup de ceux qui ont été admis  avaient  obtenu  des notes faibles au concours.
 Bien qu'il fut conçu, pour cette nouvelle génération d'inspecteurs ,  un programme de formation de  deux ans[10] afin de leur  assurer  une  professionnalisation , ( la durée de la formation est ensuite réduite à un an seulement)[11],  à l'issue de la formation certains élèves inspecteurs avaient  réussi grâce au rachat, d'autres n'ont été confirmé dans le grade d'inspecteur que difficilement en raison de la faiblesse scientifique et professionnelle qu'ils ont manifesté  lors de leur entrée sur le terrain  et  au cours de la pratique de leur nouvelle  profession; la raison de cela est peut-être la faiblesse de la formation  initiale et personnelle, comme nous l'avons déjà dit d'une part, et en raison de la formation elle-même  qui n'était pas  sans problèmes  d'autre part,  parmi ces problème  on cite la question de l'approche par compétence décidée par le ministère de l'Education en 2002,
, il  a  été demandé aux inspecteurs  de généraliser la formation de  tous les enseignants pour l'introduction de cette nouvelle approche pédagogique ; mais  après une année de formation, et  suite à la pression des syndicats, le ministère a fait marche arrière et il a demandé aux inspecteurs d'épurer les programmes et les manuels de toutes les références à l'approche par compétences, le travail fut exécuté  , mais à des degrés différents  selon la conviction de l'inspecteur , si  pour certaines disciplines et certains inspecteurs l'éradication fut totale, pour d'autres disciplines et d'autres inspecteurs  l'esprit de l'approche  fut maintenu même en supprimant  la terminologie  qui s'y réfère. Malgré l'abandon officiel de l'approche par compétences, les nouveaux inspecteurs  ont été formés  à que l'approche par compétence comme si elle était  adoptée officiellement,  cette situation avait conduit à deux résultats:
Premier résultat: Cette formation a connu  une perturbation  puisque  les élèves inspecteurs  suivaient des cours théoriques  conformément à l'approche par compétences, mais  quand ils  concevaient  un projet de programme ou un projet de leçon  ils le faisaient selon l'approche  par  objectifs  qui prévalaient  avant l'adoption des compétences et ce qui était bizarre c'est  que le formateur  en évaluant les dossiers des élèves inspecteurs leur mettait la remarque « excellent"[12].
Le deuxième résultat: la sortie  de ces nouvelles générations d'inspecteurs a engendré une perturbation  dans la scène éducative, aussi bien dans leurs rapports  avec leurs  anciens collègues qu'avec les enseignants , ou encore avec l'administration.  
Avant, on recrutait  un ou deux nouveaux inspecteurs par session, ceux-ci  interagissaient positivement avec les anciens et apprennent d'eux  les principes de la profession  .Actuellement on voit arriver en  grand nombre de nouveaux   qui  constituent la majorité du corps , par conséquent  ils ont dominé la scène en dépit de leur manque d'expérience et de leur formation limitée, ainsi se sont  perdues  tant de traditions professionnelles qui ont doté ce secteur pendant  de longues années.
c.          Quant aux surveillants , la situation est encore pire, on est en présence d'un mélange hétérogène qui comprend aussi bien  des ouvriers que des maitrisards ayant un point commun qui est le manque de  toute formation professionnelle, leur tâche   se limite à de inscrire les élèves au début de l'année scolaire, et à être présents   dans la cour  pendant les récréations de dix heures du matin et de quatre heures l'après-midi.
Peut-être que les données figurant dans le tableau suivant, qui comprend un certain nombre d'enseignants dans les écoles primaires classés par diplôme  dans deux commissariats régionaux de l'éducation   révèlent le degré de compétences  nécessaires pour   le métier d'enseignant.
Le nombre
Spécialité
Diplôme
Commissariat 2
Commissariat 1
459
545

DFENS
639
884

Diplôme des ISFM
792
1129
Toutes sections
Baccalauréat
75
31
Diplôme technicien

967
1091
Maitrise
Licence/Maitrise/
Magister
77
272
Licence
18
31
3ème année sup
15
96
1er  cycle
11
04
Post - maitrise
3
3
Diplôme national d'ingénieur
89
1
Diplôme d'enseignement supérieur
3153
4254

Total
34,82%
33,59%

% des professionnels

Si l'on considère les diplômés des écoles normales et des instituts supérieurs de   formation des maitres comme étant des  professionnels, ils représentent le tiers des enseignants  en exerce  dans les deux commissariats que j'ai choisis .Alors que les deux tiers regroupaient  des spécialités hétérogènes  et inappropriées au  secteur dans lequel ils travaillent, de plus ils n'ont été préparés ni scientifiquement  ni professionnellement ni psychologiquement pour le métier d'enseignant.
Ce tableau reflète une grave défaillance dans la préparation du personnel enseignant, il révèle également une  politique éducative où le professionnalisme est absent, et où le recrutement  des enseignants est soumis au chaos, pour preuve  la fermeture  des écoles normales  et puis des instituts supérieurs de formation des maitres , et les écoles normales  supérieures, malgré le besoin urgent pour ces institutions , alors combler les besoins en enseignants  on a recouru au recrutement  de personnes qui n'ont aucun lien avec l'éducation, comme les techniciens en imagerie médicale ,les techniciens  biologistes  et les techniciens anesthésiste , les diplômés des beaux arts ou en génie civile, les infirmiers et les diplômes des écoles d'agronomie [13] et tous ceux qui ont  de l'argent pour acheter une fonction  d'enseignant , quelque soit leurs diplômes et leurs spécialités, de ce fait  , ceux avec lesquels nous  traitons   aujourd'hui , sur la base qu'ils sont des enseignants, n'ont  de ce métier que le nom .Tout  cela  explique la médiocrité des résultats et la  tension avec les élèves et leurs  parents, ce qui a conduit à la dégringolade de l'image de l'enseignant au plus bas.
Si tel est l'état du professionnalisme dans le système éducatif maintenant, comment était-il avant et après l'indépendance?
5.    Histoire de la formation au métier d'enseignant  en Tunisie avant l'indépendance: En Tunisie, on a commencé à s'intéresser au métier de l'enseignant avant l'indépendance, plusieurs mesures ont été prises à cet égard:
·       Le traitement de la question des Moueddebs : L'enseignement qui existait  en Tunisie était assuré par des institutions gérées par des personnes  et  par  des institutions semi-étatiques  connues sous le nom de Kouttab ou Medressa , l'enseignement y était  assuré par des Moueddebs  qui se transmettaient  l'expérience ou se faisaient  leur  propre expérience. En 1875 - 30 Muharram 1292 le gouvernement de Sadok Bey  a demandé aux Caids ( gouverneurs)  des régions  , un rapport sur l'état de l'éducation dans leur région , et à partir de ces rapports  le gouvernement  a engagé depuis Janvier 1876 des  mesures adaptées à cette époque , parmi lesquelles  il a été décidé que désormais aucune personne ne pourrait exercer la fonction de Moueddeb qui s'il présente une attestation délivrée par les parents qui l'acceptent comme enseignant à leurs enfant ou une attestation du syndicat des Moueddebs, Le gouvernement a mis  également en place un système de contrôle administratif et pédagogique aussi bien pour les élèves  que pour  les enseignants.
·       Al Medressa  Al Alaouya: Peu de temps après l'occupation française et à l'issue du diagnostic de la réalité de l'éducation au pays, le collège Alaoui fut fondé à Tunis en 1884. (1302H)  sous le règne de Ali Bey[14], la nouvelle école qui portera le nom du Bey, fut installée dans un bâtiment qui appartenait   au Cheikh Ben Mlouka qui le  destinait pour l'hébergement des étudiants de la Zitouna.
L'objectif immédiat  de cette création était de former des instituteurs qualifiés pour enseigner dans n'importe quelle région du pays, grâce à la formation et l'expérience qu'ils auraient acquises au cours de leurs études; l'objectif à long terme -pour les autorités coloniales  françaises - était de connaitre la culture arabe et son mode de fonctionnement pour mieux la contrôler.[15]
Cette école se chargeait de la formation initiale   des instituteurs  arabes , français et autres  , elle était ouverte à toutes les nationalités et à toutes les confessions du pays. on apprenait aux élèves le français  et l'arabe dialectal qui était assuré par le directeur de l'enseignement  public Louis Machuel[16] lui-même, afin de familiariser les jeunes instituteurs venus de France avec les coutumes et les traditions de la population autochtone , et leurs apprendre la façon de  se comporter avec elle. La promotion  professionnelle de ces enseignants dépndait de leur réussite  dans ce  cours d'arabe.
Au  début de 1909 , le collège Alaoui a vécu une  réforme  de fond lorsqu'il fut décidé d'en exclure les sections qui n'avaient pas de rapport avec la formation des instituteurs comme la  section  professionnelle, qui fut  transférée  dans la nouvelle  école industrielle l'école Louis Loubet(l'actuel lycée 9 Avril à Tunis) ou comme la section de l'enseignement primaire supérieur qui a également occupé  son propre espace,  cette nouvelle école primaire supérieure  comportait  une section commerciale qui préparait les élèves pour travailler dans l'administration et l'interprétariat. Enfin les classes primaires ont été aussi transférées   dans une école primaire. Ainsi il ne restait pour le collège  Alaoui  que la fonction essentielle  qui est la formation des instituteurs[17] .
 École Attadibya: Quand la direction de l'enseignement  s'est aperçu  de l'insuffisance de la formation des Moueddebs qui n'étaient pas formés au collège Alaoui , elle a essayé d'y remédier  en exigeant que les futurs Moueddebs devraient être diplômés d'une école spéciale , c'est l'« école Attadibya»  appelée aussi « l'école Alasfourya » qui a été fondée  à cet effet en 1312 H -1894[18] , l'objectif de sa création était la préparation   des instituteurs qui vont  redresser  cet  enseignement  en effet .Le deuxième article du décret  beylical du 11 mai 1312 H,( 8 Novembre, 1894)  précise que : « la mission de cette école est  la préparation des Mouaddib qui  n'obtiendront  ce statut - qu'après avoir subi un examen spécifique[19]. Le premier  directeur de cette école fut Sheikh Ismail Al-Safaihi[20]
L'intégration de l'école Attadibya   au collège Alaoui : l'école Attadibya   a continué à fonctionner jusqu'au moment de la publication du décret   du  5 octobre 1908, (9 Ramadan 1326 H ) où il a éte   décidé dans son article 2  que « l' école des moueddebs  connue sous le nom  de l'école Attadibya sera intégrée avec la section indigène " section qui a été créée  au collège Alaoui ayant  pour  objectif de permettre  plus de contact entre les différents instituteurs et  la constitution  d'une génération d'enseignants homogènes malgré la différence de spécialité. Ce changement dans la structure de l'enseignement  était survenu à la suite  d'un diagnostic et une recommandation  présentée par une commission spéciale et parce que  les autorités d'occupation avaient  estimé que cette école avait obtenu des résultats contraires à ceux qu'on attendait .[21]
En relisant le PV de  la discussion du conseil supérieur de l'enseignement  , on déduit  que  ce qu'il était entendu par " des résultats contraires  "ce n'était pas une déficience scientifique et pédagogique des diplômés de l'école  mais plutôt l'opposition de ces instituteurs   au projet de l'occupation française[22]  et il fallait changer leur mentalité[23].
Il n'en reste pas moins après cette orchestration que l'occupant français avait  un objectif explicite  : il s'agit pour lui de former  des enseignants qualifiés, et un objectif implicite   celui   de former des enseignants différents des anciens, pour qu'ils ne constituent aucun obstacle  devant  le projet civilisationnel  de l'occupant , ces mêmes obstacles que constituaient  les anciens Moueddebs. le directeur de l'enseignement public  s'est félicité de cette fusion  qui entre  dans le cadre de l'organisation de l'éducation en Tunisie et l'amélioration de sa performance, et plus important encore, il estime que « le nouveau système présentait deux avantages: le premier est qu'il éloigne l'école normale des instituteurs de tout  enseignement théologique, le deuxième  est la formation d'élèves instituteurs modérés  et maitrisant  la langue arabe[24].
Nous notons d'autre part  que le changement dans la structure des établissements chargés de former les instituteurs  reflète un changement de la politique française à l'égard de ses colonies, l'autorité française voulait  conserver l'enseignement  traditionnel des indigènes parce qu'il leur est adapté  selon l'expression de Ch.A.Julien[25]، afin qu'il n'évolue pas. Les indigènes, en effet , n'apprennent pas le sens de la liberté et de  l'égalité, et ne lisent pas  ce qui est publié en français, en retour, l'enseignement  français  restera  un modèle difficile à atteindre pour le tunisien, en raison de la politique pratiquée par la France pour freiner  la propagation de  la scolarisation des indigènes , pire encore l'autorité coloniale  considérait  la course des  Tunisiens pour l'école  est une frénésie qui doit être stoppée ,  d'ailleurs  cette politique fut appliquée  et elle s'est traduite par la diminution du nombre d'élèves musulmans  de 4656 en 1897 à 2927 en 1903 et en 1901dix écoles ont été fermées[26].  Puis la  politique française a changé , elle tenta  alors d'intégrer  les indigènes dans le système éducatif afin de diffuser le projet de la civilisation française  et de prévenir tous les obstacles à la réalisation des objectifs coloniaux. C'est-à-dire  qu'elle vise à diffuser l’éducation à travers des programmes qui préparent les élèves à accepter le projet civilisationnel français
Ces changements de la politique de l'occupation française  se sont  poursuivis  , au point  de supprimer   les écoles normales de Tunisie   entre Décembre 1941 (décret du 11 décembre1941,) et Décembre 1943 (décret   2 Décembre 1943) après la décision du gouvernement français  de Vichy  de fermer les écoles normales  en France et en colonies[27].
Fin de la première partie ,à suivre

D.Béchir Mekki Abdellaoui , Inspecteur général de l'éducation et chercheur au centre des études islamiques.
Traduction Mongi Akrout , Inspecteur Général de l'éducation retraité& Brahim ben Atig , professeur Emérite.




 ابن منظور، لسان العرب، ج 2 ص 839.[1]
- مالك، الموطأ، كتاب الصلاة، باب الهيئة، وتخطي الرقاب، واستقبال الإمام يوم الجمعة، ج 1 ص 166.[2]
ابن منظور، لسان العرب، ج 16 ص 4290.  - [3]
 [4]  la nouvelle reforme du système éducatif tunisien : programme pour la mise en œuvre du projet " école de demain " ( 2002 – 2007 ) -octobre 2002; p 97



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[5]  La nouvelle reforme du système éducatif tunisien : programme pour la mise en œuvre du projet " école de demain " ( 2002 – 2007 ) octobre 2002


 Philippe Perrenoud est un sociologue né en 1944 en Suisse. [6]Perrenoud.Ph. titulaire d'un doctorat en sociologie et anthropologie. De 1984 à 2009, il a été chargé de cours à l'Université de Genève. Dès 1994, il est professeur ordinaire à l'Université de Genève dans le champ du curriculum, des pratiques pédagogiques et des institutions de formation. Il est professeur honoraire depuis octobre 2009. Il co-anime le Laboratoire de recherche sur l'innovation en formation et en éducation.   https://fr.wikipedia.org/wiki/Philippe_ Perrenoud_(sociologue)
[7] Perrenoud, Philippe. Enseigner : agir dans l’urgence, décider dans l’incertitude Savoirs et compétences dans un métier complexe. Paris, ESF, 1996, 2e éd. 1999. Résumé de l'ouvrage sur web: http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_livres/php_urgence.html
[8] Quand j'étais étudiant en 4ème année (1987/88) , on a eu un cours de psychopédagogie qui comportait une initiation à l'éducation ancienne et moderne , et aussi une approche conceptuelle et historique de la  psychopédagogie en plus de l'enseignement et ses méthodes , la personnalité de l'éducateur. Pour plus de détails de ce programme  , se référer au bulletin de la faculté de la Zitouna , année 1, numéro 1 -1391/1971,p.308,309.


 [9]  Les directions régionales autorisaient le recrutement des non spécialistes , les inspecteurs refusaient cette pratique sauf  en cas de nécessité absolue, et après avoir visité la personne concernée afin de s'assurer qu'il possède le minimum de savoir et de pédagogie qui leur permet  de poursuivre la suppléance ou leur recrutement pour combler le manque,  mais aujourd'hui le non respect de la spécialité est permis selon le ministère lui-même .
[10] - Arrêté du 11 octobre 2004  fixant le régime du cycle de formation des inspecteurs des collèges et des lycées  au centre national de formation des formateurs en éducation, jort  n° 83  du 15/10/2004 p.3031.

[11]   -  Arrêté du 11 octobre 2004  fixant le régime du cycle de formation des inspecteurs des collèges et des lycées  au centre national de formation des formateurs en éducation, jort  n° 83  du 15/10/2004 p.3031.







[12]  je dispose de plusieurs exemples qui montre la mauvaise qualité de la formation et l'absence de sérieux chez le formateur.
[13]  j'ai visité le centre d'examen pour le recrutement d'instituteurs à Mahdia en 2008, j'ai pu constaté que la majorité des spécialités  des candidats sont celles citées plus haut , spécialités sans rapport avec l'éducation.
[14] Ali bey II  est né à Tunis en 1233 H (1817) , il monta au trône après la mort de son frère Mde Sadok Bey qui avait signé le traité du protectorat qui a consacré la domination française sur le pays , le bey ne faisait que parapher les décrets préparés par le résident général et les ministres français , il décida en 1320H, (1902) (Arrazkali, les personnalités,T4,p281.)
[15]  Il y a ici toute une vie intellectuelle qu’il est de notre intérêt de bien connaître pour arriver à la diriger. Cortier Claude, Conquête par l’école et réalités du terrain : quelques aspects de l’action de l’alliance française dans le bassin méditerranéen 1883 – 1914.
    https://journals.openedition.org/dhfles/2552
[16]  Louis Machuel , orientaliste français , a vécu et mort à Tunis, a appris le Coran était directeur de l'instruction publique en Tunisie durant une vingtaine d'années , a enseigné la langue arabe et a publié des ouvrages pour son enseignement  comme le guide des élèves  et la sélection historique et littéraire, il s'est intéressé au dialecte tunisien et de Marrakech ; il est décédé en 1922 ( 1340H) ; Az Zarkali , T5, p246.
[17] Hédi Bouhouch&Mongi Akrout : l'école Alaouite la première institution de formation des instituteurs en Tunisie, article publié par le blog pédagogique. http://akroutbouhouch.blogspot.com/2014/01/blog-post.html
[18]  Ben Achour.T.  ، أليس الصبح بقريبp99.
 [19]- Cette medraça sera destinée à former des moueddebs qui n'obtiendront ce titre qu'a la suite d'un examen subi conformément aux articles 4, 5 et 9 ci-après.  Bulletin Officiel de l’enseignement publique, N° 59 , A 9. février 1895. Décret 8 novembre 1894 / 11 Djoumadi - Al- awal  1312. sur l'organisation d'une Medraça de moueddebs. p 292.
 [20]-   Voir le Bulletin Officiel de l’enseignement publique, N° 59 , A 9. février 1895. Décret 6 janvier 1895 / 10 redjeb 1312. p 292.
 [21]- Or, cette institution, appelée, selon toutes prévisions, à réaliser un sérieux progrès, n'a pas donné les résultats que l'on en attendait: l'Administration s'est souvent trouvée dans l'impossibilité d'utiliser ces jeunes gens qu'elle avait tenté de former à son usage. Bulletin Officiel de l’enseignement publique, N° 28 , A 23. Juin 1909. p 618.
 [22]- les mouderrès ainsi formés ne seront plus les mêmes hommes et n'opposeront plus les mêmes obstacles que les anciens moueddebs à notre action civilisatrice.   Bulletin Officiel de l’enseignement publique, N° 28 , A 23. Juin 1909. p 621.
 [23]- "de modifier la mentalité de ces jeunes gens.   " Bulletin Officiel de l’enseignement publique, N° 28 , A 23. Juin 1909. p 621.
 [24]» -Ce système aura le double avantage de dégager l'Ecole normale d'un enseignement théologique quelconque et de la fournir des élèves -mouderrès sachant la langue arabe et a qui il ne conviendra plus que de donner une bonne méthode d'enseignement«.   Bulletin Officiel de l’enseignement publique, N° 28 , A 23. Juin 1909. p 620.
[25]- Charles A.Julien: colons français et Jeunes-Tunisiens (1882-1912) traduit par Mzali.M & Ben Slama .B. 2° édition  STD ; P 97.

[26] Charles A.Julien: colons français et Jeunes-Tunisiens (1882-1912) traduit par Mzali.M & Ben Slama .B. 2° édition  P 92
 [27]- Hédi Bouhouch&Mongi Akrout : l'école Alaouite la première institution de formation des instituteurs en Tunisie, article publié par le blog pédagogique. http://akroutbouhouch.blogspot.com/2014/01/blog-post.html



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