lundi 16 décembre 2019

La réforme de l’enseignement de 1969 : La région de Sfax présente sa vision pour la réforme de l’enseignement : Première partie



Avant propos
Hédi Bouhouch
Dans le cadre de l’approfondissement des orientations stratégiques arrêtées par la commission nationale de l’enseignement qui a été chargée  d’évaluer je système éducatif mis en place par la loi de novembre 1958.
Le ministre Ahmed Ben Salah avait pris depuis le mois d’août 1968 une série de mesures dont surtout  la création d’une direction régionale de l’enseignement dans les différents gouvernorats.

Le ministre prévoyait d’entamer une réforme qui toucherait tous les aspects de la politique éducative dans les trois niveaux[1]  et dans ce cadre que le ministère de l’éducation chargea les nouvelles directions régionales de constituer des commissions de réflexion sur la réforme de l’enseignement et de lui faire parvenir un rapport  résumant les différentes propositions[2].
Vu la valeur historique de ce document et de l’importance du rapport  de par sa contribution  dans la réflexion sur l’avenir de l’école, nous avons jugé utile de le publier dans son intégralité dans le blog pédagogique.

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Le rapport
Direction régionale de l’enseignement ( Sfax )
Commission de réflexion sur la réforme de l’enseignement
Rapport de synthèse des séances de travail tenues les 11,14 et 17 janvier 1969 au lycée technique de Sfax.
La commission était présidée par M.BEN ARFA, girecteur régional de l’enseignement de Sfax.
La commission était composée de :
M.AYACHI : inspecteur régional
M.BEN JEMAA : conseiller pédagogique de mathématiques
M.BREIL : conseiller pédagogique d’histoire géographie
M.BOURZAC : inspecteur ,directeur de stage des élèves maîtres
M.CAMOUN : conseiller pédagogique d’histoire géographie
M.CASALONGA : conseiller pédagogique de sciences naturelles .
M.GUERMAZI : proviseur du lycée technique de Sfax.
M/KAHOUECHE : chef de travaux au lycée technique de Sfax.
M.LOPEZ : conseiller pédagogique de Français.
M.MADAMET : professeur de sciences économiques au lycée de garçons de Sfax.
M.MAKNI : directeur de l’école normale d’instituteurs de Sfax.
M.MEZGHANI : conseiller pédagogique d’arabe.
Mme.ORSINI : conseillère pédagogique de français.
M.RAZGHALLAH :professeur de technologie au lycée de garçons de Sfax.
M.SIOUD : inspecteur régional.
M.VIGNIER : conseiller pédagogique de Français.
M.ZGHAL : proviseur du lycée de garçons de Sfax.
Rapporteur : M. Vignier Gérard
 Avant propos
Le but de tout enseignement , dans ses objectifs les plus nobles et les plus ambitieux , est de former un individu dans sa totalité, équilibre de la personnalité, ouverte sur le monde , vaste culture.
Ainsi tout individu devient un homme à part entière, chez qui aucune de ses facultés n’est négligée.
Cependant il convient de songer à l’immédiat .
La  Tunisie a des besoins urgents, des objectifs prioritaires, tout d’abord une lutte qui se situe sur un plan économique : faire en sorte que le niveau de vie des habitants augmente , que le pays arrive le plus rapidement possible à un état de société développé. Aussi tout enseignement doit être conçu en fonction de ces objectifs prioritaires . Ceux c sont les suivants :
1.    Les plus importants : L’agriculture et enseignement.
2.    Formation d’économistes, de spécialistes dans la gestion des entreprises, techniciens supérieurs et cadres de maîtrise.
Tous ces gens auront une qualité commune : la faculté d’adaptation à la réalité tunisienne.
3.    A long terme, d’ici vingt ans, quand à la suite de l’explosion scolaire on atteindra le stade de la saturation, l’exportation des cadres vers des pays ayant besoin d’assistance technique.
De façon générale , l’enseignement doit aussi être conçu comme un moyen de promotion sociale à l’intérieur des cadres sociaux et économiques du pays où l’élève sera certain de trouver toujours sa place.
Aussi , il convient de se proposer les buts suivants :
-         L’enseignement doit participer au développement économique du pays , en lui fournissant tous les travailleurs ; tous les cadres nécessaires , en leur assurant en même temps une formation générale qui puisse leur faire prendre conscience des divers problèmes qui se posent en Tunisie et dans le monde.
-         Il doit tenir compte des réalités tunisiennes sociales , économiques et culturelles du pays et s’en servir comme point de départ.
-         Il doit se dépouiller de tout caractère livresque excessif, qui coupant l’élève du réel , ne rend que plus difficile son insertion ultérieure dans le corps social.
-         Il doit réhabiliter toutes les fonctions manuelles et s’intéresser tout autant à la formation du paysan , de l’ouvrier , du technicien qu’à celle des gens travaillant dans le secteur tertiaire.
-         Tout élève , à l’issu du cycle d’enseignement , doit être assuré , s’il ne peut poursuivre ses études dans le cycle supérieur , de triuver des structures d’accueil , qui par une formation pratique et positive , lui permettront de trouver au plus tôt sa place dans la vie active.
ENSEIGNEMENT DU PREMIER DEGRE
Sa tâche est extrêmement délicate , étant donné qu’il doit absorber tous les élèves en âge d’être scolarisés. Le but de cet enseignement est tout d’abord de donner aux élèves :
-         Des moyens d’expression
-         Des méthodes de travail
Les principes essentiels de cet enseignement sont les suivants :
-         Allègement des programmes, en écartant les matières très éloignées des préoccupations des élèves.
-         Insister sur les trois moyens d’expression/l’arabe, le français et le calcul.
L’enseignement aura une double mission, d’une part il préparera à l’entrée dans le cycle secondaire , d’autre part il orientera un certain nombre d’élèves vers le centre d’accueil qui formeront le cadre des ouvriers qualifiés ou semi-qualifiés à la suite de stage de formation professionnelle.
STRUCTURES DE L’ENSEIGNEMENT DU PREMIER DEGRE
Cet enseignement se poursuit sur six années.
1ère, 2ème , 3ème  année : 10 heures de Français + 15 heures d’Arabe
4ème, 5ème , 6ème  année : 15 heures de Français + 10 heures d’Arabe .
L’enseignement du Français, 1ère année se fera sous forme purement orale.
L’ARABE
Etant la faiblesse générale des élèves en cette matière à l’issue de la 6ème année , il convient de :
-         Simplifier et moderniser l’enseignement de l’arabe.
-         S’en tenir aux règles essentielles de la syntaxe
-         Rechercher un vocabulaire qui soit le plus proche possible de la langue parlée couramment par les élèves.
-         Faire en sorte que l’élève puisse exprimer le monde extérieur immédiat, par l’arabe, donc avec une ouverture systématique sur le concret.
LE FRANÇAIS  
le problème est délicat , dans la mesure où il a été décidé d’introduire l’étude du Français dès la première année .il a été proposé :
-         Des objectifs modestes : permettre à l’élève de s’exprimer et de raisonner.
-         De partir de l’entourage immédiat de l’élève et de toujours rester dans le domaine du concret.
-         L’élève doit pouvoir nommer le monde qui l’entoure, exprimer un embryon de vie effective, savoir organiser des informations sous forme de paragraphe suivi.
-         D’utiliser des méthodes s’inspirant d’un enseignement audio visuel simplifié ( méthode M.Aupècle) comportant des éléments syntaxiques simples qui serviront effectivement l’élève.
-         D’établir un inventaire des besoins essentiels de l’élève dans le domaine du langage pour lui permettre d’aborder la 1éré année secondaire dans de bonnes conditions.
LE CALCUL
Dans un tel domaine l’introduction des mathématiques modernes dès la 1ére année s’avère nécessaire si l’on veut assurer à cet enseignement  cohérence absolue tout au long de la scolarité de l’élève, évitant ainsi la cassre profonde qui existe à l’heure actuelle dans ce domaine entre le primaire et le secondaire , les conclusions sont les suivantes:
-         Introduction des mathématiques modernes dès la 1ère année.
-         Diffusion très rapide de cet enseignement parmi les maîtres.
-         Tout élève, à l’issue du premier cycle doit savoir faire les quatre opérations et établir un raisonnement.
-         Le calcul se faisant en français, il faut songer à coordonner les deux enseignements.
HISTOIRE- GEOGRAPHIE
Dans un souci d’allègement des programmes, il est souhaitable de supprimer cet enseignement en tant que tel et de le rattacher à de nouvelles disciplines.
Il est proposé de rattacher l’enseignement de l’histoire à l’instruction civique et d’évoquer le passé par la lecture de textes français ou arabes ou par l’étude et l’observation du milieu environnant (vieilles mosquées, remparts, ruines romaines etc…) il s’agit de dégager la notion de passé, d’évolution dans les faits, des mœurs sans pour autant entrer dans les détails.
La géographie serait rattachait à une nouvelle discipline , provisoirement baptisée ECOLOGIE.
ECOLOGIE
Cette discipline se propose de regrouper  connaissances usuelles et géographie ceci a l’avantage d’étudier les faits non en eux même et dans l’abstrait, mais dans le milieu où ils vivent et se reproduisent ainsi que les rapports de ces êtres avec le milieu. Ainsi cette discipline partira toujours de l’observation du concret et apprendra à l’élève à lire le « livre » de la nature et ainsi à mieux comprendre le milieu où il vit.
L’introduction de cette nouvelle discipline suppose un allègement des programmes , ainsi qu’un changement d’esprit .Il faudra délibérément écarter des notions, trop complexes , ne peuvent être immédiatement comprises de l’élève , sous peine d’être déformées par suite de simplifications.
Cette discipline sera enseignée  aussi bien en arabe qu’en français ; ainsi les élèves feront l’utilisation parallèle et non successive des deux langues.
Ce travail sera effectué à partir d’enquêtes dans le milieu.
ACTIVTES SOCIALES
Il s’agit, ici, d’introduire dans le cycle normal des études des activités qui jusqu’alors étaient le propre d’organisations de jeunes :l’UJT et plus particulièrement celle des « louveteaux de la république » .Il est donc proposé :
-         D’iclure ces activités dans le cycle normal des études.
-         De s’inspirer , en les diversifiant et en les enrichissant, du travail fait par l’UJT( travaux manuels, sortie, excursion, camping, chants, formation civique etc…)
-         De confier ce travail d’animation à l’instituteur qui doit être toujours au centre de l’enseignement dispensé à l’école primaire.
-         Prévoir un programme très structuré d’animation.
-         D’officialiser ces activités et donc de revoir le régime des assurances scolaires.
-         De proposer la répartition suivante sur une semaine : 25 heures de cours + 5 heures d’activités sociales. elles permettront , à longue échéance, de faire prendre contact, à l’élève comme pour le maître , avec les réalités régionales , mais aussi, pourquoi pas, avec les réalités nationales par la visite d’autres régions.
STRUCTURES D’ACCUEIL A L’ISSUE DE L’ENSEIGNEMENT DU PREMIER DEGRE
la commission estime que cette question est de la plus haute importance. Dans les circonstances actuelles , un peu plus de 40% des élèves pénètre dans le secondaire , il n’est pas possible de laisser les 60% qui restent sans formation pratique , l’enseignement primaire se contentant de jeter les bases d’une formation encore théorique.
A cette âge , l’enfant est particulièrement désarmé devant la vie ;il faut donc lui assurer cette formation pratique.
Elle sera conçue en relation étroite avec le plan de développement de chaque région n délégation par délégation. L’élève doit d’abord trouver sa place dans le cadre de la région pour éviter un déracinement brutal dont lkes conséquences sont souvent désastreuses, aussi bien sur le plan de l’individu que sur le plan national par suite d’une dépopulation brutale de certaines régions.
L’entrée dans ces centres d’accueil se fera à deux niveaux : tout d’abord à l’issu de la 6ème année , mais aussi dès la 4ème année, où seront constituées des classes spécialistes de rattrapage qui décongestionneront ainsi les bonnes classes et prépareront à l’entrée dans ces centres ; l’objectif étant le suivant : tout élève en 1ère année doit être assuré d’arriver en 6ème année, il est proposée :
-         D’organiser des centres d’accueil ayant pour vocation de donner à l’élève une formation pratique et un métier.
-         Les élèves seront orientés dans ces centres à la suite de tests organisés au niveau national permettant de déceler les aptitudes réelles de l’élève.
-         Ces centres seront organisés en fonction des possibilités d’accueil de la région , et de son plan de développement, avec possibilité pour certains élèves de se réorientés dans d’autres secteurs où ils seraient plus particulièrement doués.
-         Ces centres auront une double nature , ile seront des entreprises n des unités économiques où des personnes dépendent directement de l’éducation nationale se chargeront de la formation pratique de l’élève.Il y aura aussi deux à trois heures hebdomadaires réservées à un enseignement théorique qui sera dispensé dans des écoles.
-         Ces centres seront rattachés aux directions régionales de l’enseignement.
-         Plus tard, le travail de ces centres pourra être prolongé par des cours de rattrapage, de perfectionnement, pour que les meilleurs ne e voient pas écartés de toutes promotion sociale.
FORMATION DES MAITRES DE L’ENSEIGNEMENT PRIMAIRE
La commission est partie des constations suivantes : à l’heure actuelle il va falloir introduire très rapidement l’enseignement du français et celui des mathématiques moderne dès la 1ère année, d’autre part , il est constaté que les maîtres isolés voient leur savoir très rapidement usé, leur volonté de culture découragée et l’acquis du maître se réduit sans être renouvelé , ce qui conduit à une sclérose très grave de l’enseignement . Les qualités requises de tout maître sont les suivantes :
Il doit apprendre à :
-         Réfléchir par lui même
-         Se documenter
-         Observer
-         Communiquer
-         S’exprimer
Pour que ces objectifs soient atteints, il faut :
1.    Dans l’immédiat
-         Préparer, faire imprimer, diffuser parmi les maîtres tout le matériel d’enseignement nécessaire.
-         Dans le cas plus particulier du Français : opter pour un enseignement scientifique du français par l’adoption et la diffusion de la méthode de M.Aupècle.
-         Confer ce travail à des personnes qui, exceptionnellement, auront pour seule tâche de faire ce travail et de diffusion.
-         Organiser aux vacances de printemps des stages d’information pour les maîtres ( deux jours).
-         Prévoir, durant le troisième trimestre, à un rythme hebdomadaire, des cours d’application.
-         Durant les vacances d’été, une période de stage avec application dans les classes de ces méthodes.
2.    A long terme
§  Rompre l’isolement des maîtres dans les campagnes par :
-         La diffusion du cours par correspondance, accompagné de cours à la radio ou à la télévision.
-         L’accompagnement des programmes par des fascicules contenant toutes les directives pédagogiques nécessaires indiquées de façon détaillée.
-         Revoir le régime des examens dans les écoles normales.
-         Prévoir une rotation systématique des maîtres dans leurs postes pour ne pas laisser les mêmes dans les postes déshérités et donner à tous une possibilité de promotion par l’accès à un poste meilleur.
Il s’agit donc de mettre au point un système d’enseignement aux directives rigoureuses qui puisse , éventuellement , pallier aux défaillances humaines , et pour plus tard améliorer la qualité des maîtres par une politique de recrutement plus sélective.

Fin de la première partie, à suivre
Présentation et commentaire Hédi Bouhouch et Mongi Akrout, inspecteurs généraux de l'éducation
Tunis , 2016.



[1]  Voir Ahmed Ben Salah : shououn attarbya wa attaalim , juillet - août 1968 , Secrétariat  des affaires culturelles et de l’information , p ,48
[2] M° mohamed Hédi Khelil , qui était à l’époque le directeur régional de l’enseignement de Nabeul , que toutes les régions avaient préparé leur rapport et transmis au ministère, nous n’avons pas pu trouver trace de  tous ces rapports, seul le rapport de Sfax  a pu être consulté grâce   aux archives personnelles de M° Ahmed Zghal , directeur du lycée 25 novembre de Sfax à l’époque, qui a eu la grande amabilité de nous le communiquer , qu’il en soit vivement remercié.

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