dimanche 20 novembre 2022

La contractualisation de l’enseignement (première partie)

 

 

Hédi BOUHOUCH

Nous voulons préciser dès le départ que nous traitons cette question - qui fait l'objet d'un débat controversé entre les anti contractualisation et toute forme d'emploi précaire et les pour - d'un angle académique , ni pour  condamner le phénomène ni pour le défendre, notre souci est de fournir à nos amis (es) lectrices et lecteurs des éléments d'informations  qui les aideront, nous l'espérons, à comprendre ce phénomène, ses origines et ses aboutissements, ses avantages et ses effets sur l'école et l'enseignement.

 Depuis quelques années, la contractualisation de l'enseignement gagne du terrain au dépens des enseignants permanents dans plusieurs pays à revenu faible : en  Asie du sud et du sud-est, en  Afrique du nord,  en Afrique  subsaharienne, en Amérique Latine et  même aussi dans certains pays à revenu  élevé  et intermédiaire comme la France ou les Etats Unis d'Amérique.

Il s'agit d'une forme d'emploi précaire puisque le contrat qui lie l'enseignant à l'administration est d'une durée déterminée et peut être résilié à tout moment.

Il faut remarquer qu'il ne s'agit pas d'une pratique nouvelle, mais ce qui est nouveau c'est que ce mode tend à devenir la principale voie de recrutement des enseignants dans plusieurs pays.

Les facteurs qui expliquent ce phénomène

Les enseignants contractuels sont recrutés pour diverses raisons selon les pays, mais la raison budgétaire vient en tête. En effet plusieurs pays à faible revenu et connaissant des difficultés budgétaires, se sont mis à recruter des contractuels car ils coûtent moins cher et cela leur permet de faire des économies et de réduire les dépenses de l'éducation, d'autant plus qu'ils font face à des besoins accrus d'enseignants afin d’assurer l'accès à l'enseignement pour tous les enfants. 

D'autres pays recourent aux contractuels parce qu'ils connaissent une pénurie de candidats qualifiés. C'est le cas par exemple de la France qui fait face depuis des années à un manque d'enseignants. Ainsi au mois de « septembre 2022,3000 enseignants contractuels ont été recrutés au cours de l'été pour pallier la pénurie d'enseignants dans l'éducation nationale…»[1]. C'est aussi le cas des Etats Unis d'Amérique qui, dans « le cadre du programme- Teach for America -, ont  recruté les diplômés d’université qui souhaitent enseigner dans les établissements scolaires défavorisés des zones urbaines et rurales…»[2]

Jean Bourdon[3] a étudié le phénomène dans les pays d'Afrique subsaharienne. Pour lui, la contractualisation de l'enseignement dans ces pays est dû essentiellement à des difficultés de financement de l'éducation, surtout depuis qu'ils ont décidé la massification de l'enseignement dans le cadre des recommandations du Forum de Dakar qui appellent à donner une éducation de base pour chaque habitant de la planète. Le forum avait fixé, en 2000, six objectifs essentiels pour 2015 dont l'objectif suivant : « Tous les enfants en âge d’être scolarisés doivent avoir la possibilité d'accéder à un enseignement primaire gratuit de qualité et de le suivre jusqu'à son terme ».

Or la réalisation de cet objectif nécessite un recrutement massif d'instituteurs, ce qui ne manquerait pas d'alourdir le poids financier déjà assez difficile à supporter par les budgets de ces pays. D'après l'auteur, la masse salariale des enseignants se situe   entre 75% et 92 % des coûts de l'enseignement primaire dans les pays d'Afrique subsaharienne." (Bourdon, J & al. 2007)[4]. D'après l'institut de statistique de l'Unesco, ce taux atteint 91% au Nigéria, 81% en Angola et 34 % au Congo[5]. Or le levier principal proposé par les bailleurs de fonds et les partenaires internationaux est la compression de la rémunération du corps enseignant. " Les deux principaux changements qui sont demandés par la Banque mondiale aux pays concernent la question des coûts en envisageant la baisse relative de la rémunération des enseignants et l’abaissement des taux de redoublement" (Bourdon, 2006). Or la solution toute trouvée était de recourir à de nouvelles formules de recrutement telles que la vacation, la contractualisation…

 

La rémunération des enseignants représente en moyenne les deux tiers (2/3) des dépenses courantes consacrées à l’enseignement primaire et secondaire dans les pays de l’OCDE.

Des enseignants pour l’école de demain - https://www.oecd.org/fr/education/scolaire/1840213.pdf

 

Cette politique de recrutement « des maîtres sous de nouveaux statuts moins rémunérateurs et plus précaires en termes de sécurité d’emploi, à des niveaux de salaire plus faibles, possèdent assurément un considérable effet de levier sur la dépense éducative ».Certains pays, à l’image du Cameroun ou du Mali, recrutent des contractuels payés uniquement 25 % du montant du salaire des titulaires.

Selon une étude de la banque mondiale, le salaire d'un enseignant non qualifié représente 60.6% du salaire d'un enseignant qualifié en début de carrière en 2006/2007.

Bourdon a comparé les rémunérations des instituteurs titulaires avec celles des contractuels dans 12 pays d'Afrique Subsahrienne, il a constaté que le salaire des premiers représente 5.6% du PIB par habitant alors qu'il n'était que 2.8% du PIB par habitant pour les seconds.

Voici quelques exemples :

pays

Instituteur titulaire

Instituteur contractuel

Bénin (2005)

5.2% du PIB / hab

5.2% du PIB / hab

Cameroun(2002)

5.3% du PIB / hab

1.4% du PIB / hab

Mali (2004)

7.5% du PIB / hab

4.8% du PIB / hab

Total 12 pays

5.6% du PIB/ hab

2.8% du P PIB / hab

 Tiré de Bourdon & al (2007) op. cité.

A titre indicatif et dans le but d'avoir un moyen de comparaison, le graphique suivant nous donne le poids du salaire des enseignants du 1er cycle du secondaire (l'équivalent des collèges en Tunisie) par rapport au PIB dans 19 pays hors de l'Afrique.



 

Fin de la première partie, A suivre

Mongi Akrout & Abdessalam Bouzid, Inspecteurs généraux de l'éducation

Tunis, novembre 2022

Pour accéder à la version Arabe, CLIQUER ICI



[1]Manstrandreas, S. ( 2022) Rentrée scolaire : Qui sont les contractuels embauchés pour pallier la pénurie de professeurs? Publié le 26 août 2022

https://www.tf1info.fr/societe/rentree-scolaire-qui-sont-les-contractuels-embauches-pour-pallier-la-penurie-de-professeurs-2230411.html

[2] Enseignants contractuels, de substitution et communautaires.

https://www.open.edu/openlearncreate/mod/oucontent/view.php?id=165476&section=1.3

[3] Jean Bourdon. Coût et financement de l’éducation primaire en Afrique Subsaharienne. PILON Marc (IRD). Défis du développement en Afrique subsaharienne : l’´education en jeu, CEPED, pp.123-145, 2006, Rencontres.

[4] Jean Bourdon, Alain Patrick NkengneNkengne. Les enseignants contractuels : Avatars et fatalités de l’éducation pour Tous. minaire international : La professionnalisation des enseignants del’éducation  de base : les recrutements sans formation initiale”, Juin 2007, Sèvres, France, 30p, 2008.

https://www.academia.edu/17154136/Les_enseignants_contractuels_Avatars_et_fatalit%C3%A9s_de_lEducation_pour_Tous

[5] Le financement de l'éducation en Afrique subsaharienne : relever les défis de l'expansion, de l'équité et de la qualité- Unesco, Institut des statistiques.2011

1 commentaire:

  1. Merci chers amis pour cet aperçu historique de la question 🎉

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